Réunion du Groupe de Lima à Ottawa et développements
en ce qui concerne le Venezuela

L'approche « canadienne unique » de la promotion de la démocratie par le gouvernement Trudeau

Le 4 février, le Canada a été l'hôte d'une réunion ministérielle d'urgence du Groupe de Lima, une bande pays avec lequel il collabore pour tenter d'imposer un changement de régime au Venezuela. Tenue à Ottawa, c'était la première réunion du groupe depuis que le « président par intérim » autoproclamé du Venezuela, Juan Guaidó, s'est lui-même assermenté. Les États-Unis, à qui il doit son nouveau poste, ne sont pas officiellement membres du Groupe de Lima mais ils ont immédiatement reconnu leur marionnette et le Canada et d'autres membres du Groupe de Lima l'ont fait peu après. Les États-Unis ont participé à la réunion, de même que plusieurs pays de l'Union européenne, et Julio Borges, présenté comme la personne nommée par Guaidó pour « représenter le Venezuela » au Groupe de Lima, et son représentant désigné au Canada, Orlando Viera-Blanco. [1]

Le thème de la réunion était l'appui de la communauté internationale à la transition pacifique vers la démocratie par des moyens politiques et diplomatiques, sans recourir à la force, et l'acheminement d'une aide humanitaire immédiate au peuple vénézuélien. Le fait que cela enfreigne toutes les normes et tous les principes du droit international, tels qu'ils sont énoncés dans la Charte des Nations unies, a été passé sous silence. Au lieu de cela, le Canada applique ce que son ancien ambassadeur au Venezuela, Ben Rowswell, appelle une « approche canadienne unique de la promotion de la démocratie ». Il parle en connaissance de cause puisqu'il est un des architectes et un des acteurs de cette politique au titre trompeur qui viole de manière flagrante les principes démocratiques et le droit international. [2]

Les remarques liminaires de Chrystia Freeland et de Justin Trudeau ont donné le message à l'intention du public, répétant des mots choisis pour suggérer que le Canada et les autres participants sont honorables et dignes de respect, alors qu'en fait ils interviennent de manière flagrante dans les affaires du peuple du Venezuela.

Tout ce tapage au sujet d'une « communauté internationale » qui appuie Guaidó, la marionnette américaine triée sur le volet qui aurait l'appui « du peuple vénézuélien - pas d'une partie, mais de tout le peuple - est faux et vise à détourner l'attention de l'essence de la question : le non-respect des droits des nations de décider elles-mêmes de leurs affaires intérieures sans ingérence étrangère.

La réunion du groupe de Lima a eu l'effronterie de garantir aux Vénézuéliens qu'ils ont désormais avec Guaidó un « président légitime » et une « voie constitutionnelle » vers des élections libres et équitables, et qu'ils peuvent compter sur les gouvernements qui forment le groupe de Lima pour les soutenir dans le processus de « restauration de leur démocratie ».

Les partisans de cette « approche canadienne unique de la promotion de la démocratie » se réfèrent d'ailleurs toujours au président vénézuélien, Nicolás Maduro, comme à un « dictateur », pour qui la règle de droit ne veut rien dire et qui cherche simplement à « s'accrocher au pouvoir ». Ils qualifient l'élection présidentielle de mai 2018 d'« illégitime » et d'« anti-démocratique » pour étayer leur affirmation que Nicolás Maduro est lui-même un président « illégitime ».

Freeland et Trudeau ont répété à satiété que le Canada et tous les autres membres du groupe de Lima reconnaissent la règle de droit, la constitution du Venezuela et le libre arbitre des peuples. Freeland a félicité Trudeau pour avoir « travaillé incroyablement fort pour la démocratie et les droits de l'homme au Venezuela » ces derniers temps. Trudeau a déclaré que le Canada défendra toujours les droits des peuples dans le monde. Il a conclu en appelant à un coup d'État de manière à peine voilée en disant que « la communauté internationale » doit immédiatement s'unir derrière le peuple vénézuélien, qui est entrain de tracer sa voie vers l'avant, car « le moment de la transition démocratique est maintenant ».

La déclaration du Groupe de Lima

La réunion s'est terminée par une déclaration en 17 points signée par les gouvernements d'Argentine, du Brésil, du Canada, du Chili, de la Colombie, du Costa Rica, du Guatemala, du Honduras, du Panama, du Paraguay et du Pérou, dans laquelle ces 11 signataires :

- incorporent le « président par intérim » autoproclamé, Juan Guaidó, dans les rangs du groupe de Lima, représentant le gouvernement « légitime » du Venezuela ;

- conviennent de reconnaître et de travailler avec les représentants désignés par le « gouvernement » de Juan Guaidó dans leur pays respectif ;

- considèrent que toute initiative politique ou diplomatique doit « viser à soutenir la feuille de route constitutionnelle présentée par l'Assemblée nationale et par le président intérimaire Juan Guaidó », ce qui « entraînera la sortie » du président Maduro et permettra la tenue d'élections ; - demandent le renvoi de tous les membres actuels du Conseil national électoral et la création d'un nouveau Conseil ;

- exigent la libération immédiate de tous ceux que le Groupe de Lima qualifie de prisonniers politiques ;

- demandent aux Forces armées nationales bolivariennes du Venezuela d'abandonner Nicolás Maduro et de transférer leur loyauté au « président intérimaire » Juan Guaidó ;

- exhortent les Forces armées nationales à ne pas entraver l'entrée et le transit d'aide humanitaire aux Vénézuéliens, en omettant de mentionner le fait que cela est censé avoir lieu sans demander le consentement des autorités de ce pays, conformément à la politique de la Croix-Rouge internationale et des Nations unies. Cette autorité officielle est le gouvernement Maduro, mais le Canada, comme les États-Unis, est déterminé à livrer la cargaison humanitaire partout où le gouvernement parallèle et son « président en charge », Juan Guaidó, décident qu'elle doit se rendre, une véritable provocation.

- appellent la « communauté internationale » à mettre en place un blocus économique, financier et commercial complet contre le Venezuela et à s'emparer de ses avoirs internationaux, comme les États-Unis, le Canada et l'UE l'ont déjà fait pour essayer d'étrangler le Venezuela économiquement. Cette violation flagrante du droit international est une tentative délibérée de tourner le peuple contre son gouvernement. L'intensification du blocus est destinée à accroître cette pression en punissant le peuple encore plus. Une campagne massive dans les médias sociaux présente des photographies de ce qui semble être des camions pleins de cargaisons d' « aide » américaine ou d'autres choses qui pénètrent dans le pays, et que le gouvernement de Maduro bloquerait. Ces photos diffusées partout dans le monde sont celles d'un pont situé à la frontière entre la Colombie et le Venezuela, qui n'a jamais été officiellement ouvert depuis qu'il a été complété en 2016 et qui ne possède pas de postes de douanes, d'immigration ou d'inspection sanitaire. Il existe deux ponts fonctionnels dans la région. Cette information ne fait jamais partie de la « nouvelle ».

Créer une crise humanitaire puis blâmer les autorités officielles d'un gouvernement souverain pour avoir bloqué l'aide humanitaire est la méthode qui a été utilisée pour justifier le bombardement de la Yougoslavie par l'OTAN il y a vingt ans, pour démembrer le pays puis en Libye, avec des conséquences désastreuses. On a tenté d'appliquer la même méthode en Syrie mais sans succès. Le gouvernement Maduro a le droit de sécuriser et de contrôler les entrées de personnes et de biens sur son territoire.

- finalement, dans ce qui constitue une blague sinistre compte tenu de tout ce qui précède, la Déclaration se termine sur ces mots : « Enfin, ils [ les signataires] réitèrent leur soutien à un processus de transition pacifique par des moyens politiques et diplomatiques sans recours à la force ». [3]

Réclamer des moyens diplomatiques pour obtenir un changement de régime par opposition à l'usage de la force serait ce qui distingue la façon de faire canadienne de celle des États-Unis. Le fait que ces prétendus moyens diplomatiques précèdent l'emploi de la force en lui fournissant une justification humanitaire n'est pas censé être discuté. Loin de représenter une approche unique de promotion de la démocratie, le Canada est un adepte de l'apaisement face au recours à la force pour obtenir un changement de régime. Qualifier cela de « promotion de la démocratie » est une farce.

L'architecte de cette politique, Ben Rowswell, dit que « l'approche unique » du Canada repose sur trois principes fondamentaux, que l'on retrouve dans la politique du Canada à l'égard du Venezuela. Le premier d'entre eux, a-t-il dit, a été révélé dans l'appel lancé par Chrystia Freeland au gouvernement de Nicolás Maduro « de respecter la souveraineté du peuple ». Selon Rowswell, ces principes sont les suivants :

1. La souveraineté repose sur les citoyens d'un pays et non sur les gouvernements qui les dirigent
2. L'initiative visant à restaurer la démocratie doit provenir du peuple de ce pays
3. Il est préférable de fournir de manière collective l'appui international aux aspirations démocratiques

Le Canada invoque ces « principes » depuis la fin de la division bipolaire du monde pour violer la règle de droit et apaiser les impérialistes américains dans leur quête de domination. En appuyant des méthodes dites de sécurité collective qui contournent l'ONU et le droit international, ils a concocté d'autres soi-disant principes tels que le « Programme de sécurité humaine du Canada » et l' « intervention humanitaire » qui prétendaient également que la souveraineté des États était supplantée par celle des citoyens. C'est ce qui a été utilisé pour justifier la guerre d'agression illégale de l'OTAN contre la Yougoslavie. Puis est venue « la responsabilité de protéger » du Canada, utilisée pour effectuer un coup d'État en Haïti en 2004 contre le gouvernement du président Jean-Bertrand Aristide et pour lancer la guerre de destruction de l'OTAN en Libye en 2011.

Il est clair qu'une logique semblable est à l'oeuvre dans la tentative du Canada de s'ériger en gardien de la constitution du Venezuela pour justifier l'installation d'une « présidence » et d'un « gouvernement » parallèles illégaux sous tutelle étrangère. En usurpant les pouvoirs du gouvernement constitutionnel du Venezuela au nom de la défense de « la souveraineté du peuple », le Canada montre à tous ce qui en est de sa prétention d'être un « pays régi par la règle de droit ».

La « promotion de la démocratie » par le Canada
versus celle des États-Unis

Selon Rowswell, la promotion de la démocratie par les États-Unis sous Donald Trump est très différente de celle du Canada, car Trump ne cesse de déclarer de façon irresponsable qu'il est prêt à avoir recours à la force militaire pour obtenir ce qu'il veut au Venezuela. Il dit que l'approche des États-Unis enfreint la souveraineté populaire parce qu'elle ne « permet pas aux citoyens de diriger leur retour à la démocratie », tandis que le Canada le ferait avec son « approche unique de promotion de la démocratie ». Il donne l'exemple du vice-président américain Mike Pence qui a « volé la vedette » en appelant les Vénézuéliens à prendre la rue le 23 janvier, l'anniversaire de leur révolution démocratique de 1958, ce qu'ils s'apprêtaient à faire de toute façon. Cette « déclaration unilatérale injustifiée » a-t-il dit, « visait à faire en sorte que les médias internationaux ne saisissent pas qui a pris l'initiative de ces protestions de masse qui ont été organisées »

Rowswell dit que ce n'est pas le moment propice pour les États-Unis de promouvoir la démocratie au-delà de leurs frontières. Il dit que c'est le temps de reconnaître que le Canada a sa façon unique de promouvoir la démocratie et que « nous ne devons pas hésiter à nous distinguer des États-Unis dont l'attachement à la démocratie s'est affaibli ». [4] Le fait que le Canada déploie sa « promotion de la démocratie » dans le monde entier, en particulier au Venezuela depuis la présidence d'Hugo Chávez, jette un certain éclairage sur cette histoire.

Le point de référence qui détermine si la politique du Canada est démocratique ou non en ce qui concerne l'adhésion aux principes démocratiques et au droit international est déterminé par rapport aux principes et aux normes énoncés dans la Charte des Nations unies et les résolutions et déclarations qui en découlent, que tous les pays ont le devoir d'appliquer. Lorsqu'on fait cet examen, on constate que l'approche « canadienne unique de la promotion de la démocratie » équivaut au numéro du bon flic canadien et du mauvais flic américain sur comment faire un changement de régime.

Notes

 1. Orlando Viera-Blanco a été nommé ambassadeur du Venezuela au Canada par Juan Guaidó. Viera-Blanco est un avocat et un résident canadien que l'Assemblée nationale du Venezuela, contrôlée par l'opposition, avait désigné « conseiller externe » de son Comité des Affaires étrangères et de la Souveraineté. Il est l'ancien président de la Fondation de l'engagement canadien vénézuélien, un groupe qui prétend représenter les « Vénézuéliens en exil » et dont la mission serait de défendre, par le biais de ses relations avec le gouvernement du Canada, les droits humains des Vénézuéliens qui vivent toujours au pays. Le Venezuela n'a pas d'ambassadeur au Canada depuis le 25 décembre 2017, quand la ministre des Affaires étrangères Chrystia Freeland avait déclaré que Wilmer Barrientos « n'était plus le bienvenu au Canada ». Il s'agissait d'un geste de représailles du Canada suite à l'expulsion par le Venezuela de l'ambassadeur canadien Craig Kovalik à cause de son ingérence continuelle dans les affaires intérieures du Venezuela. C'est le chargé d'affaires Luis Acuna qui dirige présentement la mission diplomatique du Venezuela au Canada.

Viera-Blanco a pris la parole devant le sous-comité des droits internationaux de la personne le 6 avril 2017, où il a prétendu qu'il y avait un « coup d'État continuel » au Venezuela, et où il a affirmé que « C'est pourquoi tout le monde parle aujourd'hui d'une rupture de l'ordre constitutionnel et d'un coup d'État ». Il a aussi prétendu que « l'altération de l'ordre constitutionnel du Venezuela » étaient la cause de la souffrance du peuple vénézuélien « depuis les 18 dernières années », en d'autres mots, depuis l'élection de Hugo Chavez à la présidence du Venezuela qui a contribué à des améliorations monumentales indiscutables aux conditions de vie et sociales du peuple vénézuélien. Son « témoignage » a été une litanie de demi-vérités, d'accusations diffamatoires et de mensonges purs et simples dans le but de « prouver » que le peuple vénézuélien est dans le besoin et vit une crise humanitaire et souffre d'abus si massifs des droits humains que la « communauté internationale » doit intervenir de façon urgente contre le gouvernement du pays. L'objectif était aussi de cacher les nombreuses réalisations de la Révolution bolivarienne en fait de droits humains et dans un grand nombre de domaines au cours des dernières 18 années pendant lesquelles ont été rejetées les soi-disant « solutions » néolibérales.

2. Rowswell est le président du Conseil international du Canada (CIC), qui se fait appeler le Conseil canadien des relations étrangères. On lit dans son curriculum vitae qu'il a été l'envoyé du Canada en Irak au début de l'occupation américaine en 2003 et a dirigé l'équipe de reconstruction provinciale de l'OTAN à Kandahar, à l'apogée de l'engagement militaire du Canada en Afghanistan occupé.

Il a également travaillé avec le US National Democratic Institute (NDI), qui relève du National Endowment for Democracy (NED), une organisation créée pour prendre en charge le travail précédemment effectué par la CIA lié au recrutement et au financement d'agents au sein de pays pour mener des activités déstabilisatrices dans les pays ciblés par les États-Unis pour un changement de régime. Dans l'article sur Rowswell paru en 2017 dans le Ottawa Citizen , il y déclare qu'une des plus grandes satisfactions de sa carrière a été de créer une unité aux Affaires étrangères pour « favoriser la démocratie à l'étranger ».

Parmi ses autres emplois, il a été conseiller en « stratégie internationale » auprès du Conseil privé des gouvernements de Jean Chrétien et de Stephen Harper, ainsi qu'au Centre américain d'études stratégiques et internationales, un groupe de réflexion basé à Washington. Rowswell a fait la plus grande partie de sa formation professionnelle aux États-Unis, à la School of Foreign Service de l'Université de Georgetown à Washington, (1989-1993), et il a fait des études et d'autres projets liés à la promotion de la démocratie et à la recherche sur les « révolutions des couleurs » à l'Université de Stanford en Californie. Il a également fait des études supérieures à l'Université d'Oxford à Londres.

Rowswell est un des principaux partisans de la « diplomatie numérique », spécialisée dans l'utilisation des médias sociaux pour nouer directement le dialogue avec la « société civile » en contournant leurs gouvernements - ce qu'il a mis en pratique avec des opposants au gouvernement et des « activistes des droits de l'homme » en Égypte et en Iran avant d'atterrir au Venezuela en tant qu'ambassadeur du Canada de 2014 à 2017. Un des principaux projets de l'ambassade du Canada au moment où il était ambassadeur au Venezuela a été de nouer des liens avec les « défenseurs des droits de l'homme » et de leur décerner des prix lors des concours annuels parrainés par l'ambassade. Rowswell a dit à ce sujet : « Nous sommes devenus l'une des ambassades les plus actives en prenant position sur la question des droits de l'homme et en encourageant les Vénézuéliens à s'exprimer ». Un examen des lauréats révèle qu'un bon nombre d'ONG et d'individus honorés et récompensés par des voyages aller-retour, toutes dépenses payées, au Venezuela et au Canada, pour rencontrer des organisations de « défense des droits de l'homme » et d'autres acteurs, ont généralement critiqué le gouvernement de Nicolás Maduro.

 3. « Déclaration du Groupe de Lima », Affaires mondiales Canada, le 4 février 2019.

 4. « In Venezuela, Canada Promotes Democracy. The U.S. Does Not », Ben Rowswell, Globe and Mail, 28 janvier, 2019.


Cet article est paru dans

Volume 49 Numéro 4 - 9 février 2019

Lien de l'article:
Réunion du Groupe de Lima à Ottawa et développements : L'approche « canadienne unique » de la promotion de la démocratie par le gouvernement Trudeau - Margaret Villamizar


    

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