Les gardiens du secret
d'État
- Pauline Easton -
Soumettre les dirigeants de partis politiques et
les
« hauts
fonctionnaires désignés » à une
évaluation de sécurité représente une
direction dangereuse pour le corps politique. Pour se qualifier,
l'individu censé représenter un parti politique
doit
accepter de garder
ce qu'on appelle des secrets d'État. Cela signifie qu'il
est
redevable
à l'État
et non aux membres de son parti. S'il révèle ce qui
est
considéré comme
un secret d'État aux membres de son parti ou au corps
politique,
il
sera réputé avoir commis un acte de trahison.
Bien qu'il ne soit
pas
étonnant que dans un pays comme le Canada,
les services de renseignement de sécurité de
l'État veuillent enquêter
tout chef de parti ou tout haut responsable désigné
avant
de partager
des renseignements secrets avec eux, cela pose effectivement
problème.
Ce nouveau processus de partage des renseignements de
sécurité
avec certains chefs de parti pendant la période
électorale représente
un élargissement du rôle des agences de
renseignement de
l'État dans le
déroulement des campagnes électorales et les
informations
mises à la
disposition des citoyens au cours du processus de
sélection de
leurs
représentants. Cela évoque la création d'un
corps
d'opinion
officiellement sanctionné par la police et de partis
politiques
défendant des opinions politiques conformes à la
conception de l'État
en matière de sécurité nationale.[1]
Bref, c'est un pas en avant vers la création d'un
État
policier, au nom
de la sécurité nationale mais dans
l'intérêt
d'un régime de classe bien
défini et d'une rivalité inter-monopole et
inter-impérialiste pour les
zones d'exportation de capitaux, les ressources et la
main-d'oeuvre bon
marché.
Accepter de compromettre sa conscience de cette
manière et
qualifier cela de démocratique dépasse
l'entendement. La
conception
d'une attestation de loyauté est enracinée dans un
système de
représentation censé représenter le peuple,
mais
qui en réalité
représente un État. Au Canada, la personne
d'État
s'appelle « la
Couronne » et elle
est synonyme d'intérêt public. La destruction des
organisations et des
arrangements de la société civile comprend la
cartellisation des partis
politiques, qui n'ont plus pour fonction d'agir comme
organisations
politiques primaires liant le peuple à la gouvernance. De
plus,
pendant
la guerre froide les impérialistes anglo-américains
ont
créé une
catégorie d'individus et d'organisations appelés
«
ennemis de l'État »
et, depuis le 11 septembre, le pouvoir d'exception de
l'exécutif est
devenu la nouvelle normalité.
Dans ses évaluations de la menace pesant
sur le
processus électoral
et politique, le Service canadien du renseignement de
sécurité (SCRS)
parle d'« acteurs étatiques » et
mentionne
« les profiteurs, les
personnes en quête d'un statut, les entreprises du
spectacle et
les
vrais croyants » en tant qu'ennemis potentiels. Il n'y
aurait pas de
citoyens et résidents du Canada qui exercent leur droit
à
la liberté de
parole, d'expression et de pensée. Les « acteurs
indépendants » et les
« vrais croyants » sont ceux qui
représentent
un danger pour l'État,
car ils deviendraient les dupes d'« acteurs
étatiques ». Le SCRS décrit
les communications dans les médias sociaux et sur
Internet comme un « système complexe »
dans
lequel « il est difficile
de savoir dans quelle mesure et par qui les activités sont
orchestrées ».[2]
La ministre des Institutions démocratiques, Karina Gould,
a
repris le
même thème dans son entrevue avec CPAC lorsqu'elle a
dit
que
l'ingérence
étrangère est difficile à détecter,
car
« ce qui semble être des
acteurs nationaux légitimes est en fait des acteurs
étrangers se
faisant passer pour des acteurs nationaux" »[3]
Tout cela vise à justifier la soumission
des
partis politiques et
l'opinion politique à des contrôles de
sécurité et à des évaluations.
C'est un anathème pour une société qui
défend la liberté de conviction
et de conscience politiques. L'expérience des
autorisations de
sécurité
du SCRS depuis les attentats du 11 septembre a exposé
l'injustice du régime de preuve secrète dans le cas
des
certificats de sécurité. Le droit
de connaître les accusations portées contre soi a
été violé impunément
et cela a eu des conséquences graves desquelles les
responsables
n'ont jamais été forcés de
répondre.
On veut maintenant reprendre cette approche pour
décider quelle
opinion est légitime et laquelle ne l'est pas dans une
campagne
électorale, c'est-à-dire sur la base du secret
d'État, et quels partis
politiques sont légitimes et lesquels ne le sont pas. Cela
rappelle le
refus du gouvernement Trudeau d'appliquer la réforme
électorale suivant
les
recommandations du Comité parlementaire pour un scrutin de
représentation proportionnelle. Trudeau a dit que cela ne
ferait
qu'amplifier les voix extrémistes.[4]
Et maintenant il impose ce contrôle des
pouvoirs
de police.
L'ensemble du processus est de plus en plus circonscrit par un
ordre
émanant de l'OTAN et subordonné à celle-ci,
et
supervisé par les
agences de sécurité de l'État et la police
politique au Canada. Les
raisons invoquées par la ministre des Institutions
démocratiques,
Katrina Gould,
pour justifier l'application de ces dernières mesures sont
des
raisons
intéressées. Elles ne sont pas un argument
démocratique sérieux. Rien
de tout cela n'est décidé par le peuple, pendant
que tout
favorise de
la façon la plus intéressée qui soit des
intérêts privés qui rivalisent
pour la domination. On dit que les critères
utilisés sont
dépourvus
d'idéologie, mais ce n'est bien sûr pas le cas.
C'est
l'idéologie d'une
caste dirigeante dirigée par l'OTAN et les agences de
renseignement des
impérialistes anglo-américains, au service de leur
rivalité
interimpérialiste pour la domination du monde. Appeler
cela
démocratie
et état de droit équivaut à une duperie
criminelle.[5]
Faire accepter un État policier au nom de
la
démocratie est la
fraude du XXIe siècle. La classe dirigeante manipule et
déforme en
toute impunité le sens de concepts tels que consultation,
respect,
démocratie, adhésion aux traités,
état de
droit, paix et protection.
Dire que, puisque nous n'avons pas accès au secret
d'État, nous devons
faire
confiance à ceux qui l'ont mène droit au gouffre
dans
lequel les
libéraux et les autres qui font la promotion de cette
approche
veulent
nous faire sombrer à jamais. Voilà le fond de cette
affaire et c'est un
sujet qui doit préoccuper le corps politique.
Notes
1. L'article 2 de la Loi sur le Service
canadien du renseignement de sécurité
définit
les « menaces envers la sécurité du
Canada » comme suite :
« a) l'espionnage ou le sabotage visant le
Canada
ou préjudiciables
à ses intérêts, ainsi que les
activités
tendant à favoriser ce genre
d'espionnage ou de sabotage ;
« b) les activités
influencées par
l'étranger qui touchent le
Canada ou s'y déroulent et sont préjudiciables
à
ses intérêts, et qui
sont d'une nature clandestine ou trompeuse ou comportent des
menaces
envers quiconque ;
« c) les activités qui touchent le
Canada
ou s'y déroulent et
visent à favoriser l'usage de la violence grave ou de
menaces de
violence contre des personnes ou des biens dans le but
d'atteindre un
objectif politique, religieux ou idéologique au Canada ou
dans
un État
étranger ;
« d) les activités qui, par des
actions
cachées et illicites,
visent à saper le régime de gouvernement
constitutionnellement établi
au Canada ou dont le but immédiat ou ultime est sa
destruction
ou son
renversement, par la violence.
« La présente définition
ne vise toutefois pas les
activités
licites de défense d'une cause, de protestation ou de
manifestation
d'un désaccord qui n'ont aucun lien avec les
activités
mentionnées aux
alinéas a) à d). » (Notre
souligné)
2. « Qui dit quoi ? Défis
sécuritaires découlant de la désinformation
aujourd'hui », Service canadien du renseignement de
sécurité,
Publication no. 2018-02-01 de la série Regards sur le
monde : avis
d'experts.
3. Entrevue avec CPAC, 30
janvier 2019
4. Le 1er février 2017,
répondant à une question de la chef du
Parti vert Elizabeth May, le premier ministre Justin Trudeau a
justifié
la décision de son parti de renoncer à sa promesse
électorale en
disant : « Je comprends avec quelle passion et
intensité la députée
d'en face croit à cela, et bien des Canadiens sont tout
aussi passionnés à ce sujet, mais il n'y a pas de
consensus. Il ne se
dégage aucun moyen de faire les choses de la meilleure
façon possible
et, bien franchement, un référendum qui diviserait
la
population et
ferait s'élever les opinions extrémistes à
la
Chambre serait bien
malvenu en ce moment et ne servirait pas les
intérêts du
Canada. » (Journal des débats)
5. La Loi sur le Service canadien du
renseignement
de sécurité
définit l'« évaluation de
sécurité » comme étant «
l'évaluation de la
loyauté d'un individu envers le Canada et, à cet
égard, de sa
fiabilité ».
Il y a plusieurs types de « cotes de
sécurité », dont quatre qui
nécessitent
une évaluation de sécurité du
SCRS :
- Accès à un site
- Secret (niveau II)
- Très secret (niveau III)
- Très secret avec filtrage approfondi (niveau III)
Le site Web du SCRS nous informe que « la
Loi
fédérale sur la responsabilité
confère aux ministères et à des organismes
le
pouvoir exclusif de
demander, d'accorder, de révoquer et de suspendre les
cotes de
sécurité
et les autorisations d'accès à un site. Ainsi,
l'évaluation du SCRS
n'est qu'un des éléments du processus de filtrage
de
sécurité. Pour connaître l'avancement d'une
demande
de cote de
sécurité, il convient donc de s'adresser au
ministère ou à l'organisme
qui parraine la demande. »
La « loyauté envers le
Canada »
permet de déterminer qu'« un
particulier n'a pas participé, ne participe pas, ni ne
participera
vraisemblablement à des activités qui constituent
une
menace à la
sécurité du Canada au sens de l'article 2 de
la Loi
sur le Service canadien du renseignement de
sécurité
. »
Le SCRS utilise différents
mécanismes
pour évaluer la loyauté d'un individu. Une «
entrevue de sécurité » par exemple peut
servir
à « évaluer l'honnêteté et la
fiabilité d'un particulier » en posant des questions
sur
« le comportement, les
idéologies ou les associations passés et actuels
pouvant
être vérifiés ». (Notre souligné)
- Nick Lin -
Les libéraux ont noyé leur
engagement de
promulguer des réformes
démocratiques dans un discours sur l'ingérence
étrangère. Mis à part
tout le reste, cela n'a rien à voir avec la
démocratie et
tout à voir
avec les cyberattaques menées par des gangs rivales qui
cherchent à
dominer et à contrôler les produits de
l'intelligence
artificielle
telle
que la technologie sans fil G5.
Radio-Canada rapportait le 24 janvier que le
ministre de
l'Innovation, Navdeep Bains, à Davos, en Suisse, pour le
Forum
économique mondial, a finalisé un accord de 40
millions de dollars avec
la société de haute technologie finlandaise Nokia
pour
des recherches
sur la technologie sans fil de classe 5G au Canada. C'est
l'un des événements en cours qui coïncide avec
l'arrestation de Meng
Wanzhou, directrice financière de Huawei, la plus
importante
société 5G
au monde, que les États-Unis tentent d'interdire sur le
marché
canadien. L'arrestation de Meng sur mandat d'extradition a eu
lieu sur
ordre des États-Unis et dans le contexte où le
réseau d'agences de
renseignement des Cinq Yeux exerçait des pressions sur le
Canada
pour
qu'il ne permette pas à Huawei de pénétrer
le
marché canadien. Tout
cela indiquerait que là où les
intérêts
nationaux se terminent et
commencent les intérêts internationaux, la
démarcation n'est pas
claire. Mais surtout, cela indique que les rivalités entre
monopoles et
entre
impérialistes pour les sphères d'influence sont
très vives. Les
tentatives de l'OTAN et d'agences internationales d'espionnage,
telles
que les Cinq Yeux, d'inciter le gouvernement du Canada et ses
propres
services de sécurité à contrôler cette
rivalité en faveur d'une partie
au lieu d'une autre ne peuvent que provoquer plus de ravages.
Cependant,
intervenir dans cette rivalité au nom de la protection de
la
démocratie
est pour le moins inapproprié.
L'analyse de sécurité contre
l'«
ingérence étrangère », dans
laquelle la Russie et la Chine seraient les principaux coupables,
est
le mantra d'une démocratie prise dans une
compétition
inter-impérialiste et inter-monopole. Que ceux au pouvoir
qui
sont
redevables à la demande de l'OTAN et de
l'impérialisme
américain de
demander
impérativement au public canadien de consentir à
confier
à la police le
pouvoir d'intervenir dans les campagnes politiques et de remettre
les
fonds du trésor public au « bon
côté », c'est fomenter des guerres
civiles, comme celle que nous voyons aux États-Unis.
Maintenant
que
l'économie canadienne est intégrée à
l'économie américaine et à
la machine de guerre, elle est entraînée ipso
facto
dans la guerre civile.
Qu'est-ce qui, selon les agences de
sécurité, ne devrait pas être
révélé publiquement lorsqu'ils
découvrent
qu'un « acteur étatique »
étranger s'immisce dans les élections au
Canada ?
S'il s'agit de la
concurrence inter-impérialiste sur la technologie dans le
domaine de
l'intelligence artificielle, fournir cette information uniquement
aux « privilégiés » dans le
contexte
d'une campagne politique constitue
une intervention injustifiée dans les affaires du corps
politique.
Étant donné la concurrence entre monopoles dans le
secteur de la haute
technologie, où est la responsabilité lorsqu'un
côté de la concurrence
est privilégié par rapport à un autre ?
La
politique
devrait-elle suivre un scénario de guerre civile en
fonction de
tels
intérêts concurrents au nom de la protection de la
démocratie ?
Aujourd'hui, ce qui est national et ce qui est international est
difficile à séparer. Cela ne favorise en rien le
peuple
que le corps
politique soit amené à prendre parti dans cette
concurrence entre
monopoles et entre
impérialistes.
Cet article est paru dans
Volume 49 Numéro 4 - 9 février
2019
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d'État - Pauline Easton
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