Guatemala

Le gouvernement s'apprête à adopter une loi pardonnant les crimes de guerre


Marche pour les disparus

Le Congrès guatémaltèque étudie un projet de loi visant à réformer la Loi de 1996 sur la réconciliation nationale afin de garantir l'impunité absolue pour les crimes commis durant la guerre civile au Guatemala de 1960 à 1996. Au moins 33 officiers et membres de milices ont été reconnus coupables de crimes de guerre depuis 2008. Si la réforme est approuvée, toutes les personnes reconnues coupables et tous les prévenus en attente de leur procès seront libérés dans les 24 heures. Tout procès et toute enquête seraient annulés.

Le Congrès nord-américain sur l'Amérique latine, basé aux États-Unis, a déclaré : « Cette législation violerait le droit international, qui prescrit que les violations graves des droits humains ne doivent pas faire l'objet d'amnisties, de délais de prescription ou d'autres mécanismes couvrant leurs auteurs d'impunité. » Le 31 janvier, le projet de loi était en première lecture. Les amendements peuvent être introduits en troisième lecture puis un vote final est pris. S'il est approuvé à la majorité simple, il est soumis au pouvoir exécutif pour approbation et promulgation.

Photos des disparus brandies devant le ministère de la Défense en 1999

L'amnistie proposée s'inscrit dans le cadre des efforts concertés du président Jimmy Morales et d'autres élites dirigeantes pour se donner l'impunité pour les crimes commis pendant la guerre civile et la corruption actuelle. Cela comprend notamment le blocage des travaux de la Commission internationale contre l'impunité au Guatemala (CICIG), soutenue par les Nations unies, et l'affaiblissement de la Cour constitutionnelle qui s'est prononcée pour que la CICIG puisse mener ses travaux face aux ingérences du gouvernement.

La guerre civile guatémaltèque a été le résultat du coup d'État soutenu par les États-Unis en 1954 contre le président démocratiquement élu Jacobo Árbenz, à la suite duquel une série de dictatures militaires ont été au pouvoir. Les États-Unis ont aidé ces dictatures à faire la guerre à la guérilla et à réprimer brutalement les autres forces progressistes. Les crimes contre la population ont compris le génocide, les exécutions extrajudiciaires, la torture et l'esclavage sexuel, et 200 000 personnes ont été tuées ou sont disparues, dont 5 000 enfants. Quatre-vingt-treize pour cent des violations des droits de la personne ont été perpétrées par les forces gouvernementales soutenues par les États-Unis, contre 3 % par des groupes de guérilla, selon la Commission de clarification historique de l'après-guerre.

Parmi les criminels de guerre condamnés figurent l'ancien chef des forces armées Benedicto Lucas García et l'ancien chef des services de renseignement Manuel Callejas y Callejas, qui purgent une peine de 58 ans pour crimes contre l'humanité, la disparition forcée en 1981 de Marco Antonio Molina Theissen alors âgé de 14 ans et l'agression sexuelle grave contre sa soeur aînée Emma Guadalupe. García est également l'un des huit officiers supérieurs de l'armée accusés de crimes contre l'humanité commis à la base militaire de Creompaz, où 550 corps ont été exhumés des fosses communes. Parmi les autres criminels figurent deux officiers de l'armée condamnés en 2016 pour avoir asservi sexuellement 15 femmes Mayas Q'eqchi dans le village de Sepur Zarco après la disparition de leurs maris. Heriberto Valdez Asij, ancien commissaire militaire, a été condamné à 240 ans de prison pour crimes contre l'humanité et la disparition forcée de sept des maris de ces femmes. Le lieutenant-colonel Esteelmer Reyes Girón a été condamné à 120 ans de prison pour crimes contre l'humanité et pour le meurtre de Dominga Cuc Cocand, âgée de 20 ans, et de ses deux filles.

La possibilité que tous ces criminels soient libérés si l'amnistie est promulguée a été décriée par les survivants et les familles des victimes. « L'amnistie totale viole notre droit et celui du peuple guatémaltèque à la justice et à la vérité. Elle détruirait l'espoir des victimes de retrouver un peu de paix dans nos âmes », a déclaré Lucrecia Molina Theissen, la soeur aînée de Marco Antonio Molina Theissen au Guardian. Michelle Bachelet, la commissaire aux droits de l'homme des Nations unies, a qualifié cette mesure de « régression radicale pour l'État de droit et les droits des victimes ».

L'esprit revanchard envers le peuple du Guatemala qu'exprime la réforme proposée est exacerbé par la clause du projet de loi qui permet une poursuite judiciaire contre les militants des droits humains considérés comme une menace à la loi et à l'ordre public, ce qui selon les militants pourrait mener à des représailles contre ceux qui ont témoigné lors des procès de crimes de guerre de haut niveau. La commissaire aux droits de l'homme des Nations unies, Michelle Bachelet, s'est dite « très inquiète que l'adoption de l'amendement ne mène à des représailles contre toutes les victimes et tous les témoins, juges, procureurs publics, avocats et organisations pleins de courage qui ont promu la justice pour les crimes du passé au Guatemala. »

(Sources : Centre de presse de l'ONU, AFP, NACLA, Guardian, thehill.com)


Cet article est paru dans

Volume 49 Numéro 4 - 9 février 2019

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