Six failles dans la nouvelle guerre
judiciaire menée contre Lula

Le 6 février, la juge par intérim Gabriela Schmidt, qui a récemment remplacé Sergio Moro dans l'enquête Opération Lave-Auto, a reconnu Luiz Inacio Lula da Silva coupable de corruption à la suite d'accusations liées à de présumées réformes illégales liées à une propriété de villégiature à Atibaia, une petite ville rurale de Sao Paolo. Elle l'a condamné à une peine d'emprisonnement de 12 ans et 11 mois. Il s'agissait du deuxième de trois procès pour corruption qui ont été entamés par Sergio Moro, le nouveau ministre de la Justice du président de l'extrême droite Jair Bolsonaro. Moro fait présentement des pieds et des mains pour protéger le fils de son patron, Flavio, contre qui pèsent des allégations de blanchiment d'argent et de liens avec une escouade de la mort paramilitaire qui fait présentement l'objet d'une enquête relativement à l'assassinat de la conseillère municipale Marielle Franco. Tout comme le jugement par lequel Lula a été tenu à l'écart des élections présidentielles, ce procès a plus de failles qu'il y a de trous dans un fromage suisse. En voici quelques exemples :

1) Comme dans le cas de l'appartement au bord de mer de Guaruja qui a servi de prétexte pour arrêter Lula au début de la saison électorale de 2018, les enquêteurs n'ont pu prouver que la propriété en question appartenait à Lula. En fait, la propriété est légalement enregistrée au nom de Fernando Bittar. Bittar est un homme d'affaires et le fils de l'un des plus anciens amis de Lula, Jaco Bittar, un ancien dirigeant syndical et l'ancien maire de Campinas, qui a une population d'un million d'habitants et est la onzième ville la plus riche du Brésil en termes de PIB. Les familles Bittar et Da Silva passent leurs vacances ensemble depuis les années 1970. L'équipe d'enquêteurs prétend que la famille Bittar a été impliquée malgré elle dans une opération répréhensible mais n'a pas pu présenter des preuves à cet effet. Aussi la valeur de la relativement modeste propriété en question n'a rien d'inabordable pour Fernando Bittar.

2) Comme dans le cas des rénovations liées à l'appartement de Guaruja, ce n'est pas clair, en termes juridiques, pourquoi un tribunal local de Curitiba a compétence sur l'État voisin de Sao Paolo, qui a ses propres tribunaux de district et son propre ministère public. Ce facteur à lui seul est en violation de l'article 70 du Code criminel du Brésil et constituerait une raison suffisante pour qu'un juge impartial mette fin au procès une fois pour toutes. Cependant, en 2018, la procureure générale fédérale, Rachel Dodge, contre qui pèsent les accusations de la Police fédérale de protéger l'ex-président Michel Temer, dans un geste de pure partisanerie politique, a rejeté la requête des avocats de la défense de Lula qui demandaient que le procès ait lieu dans le district compétent, le système judiciaire de Sao Paulo.

3) L'accusation de corruption qui pèse contre Lula repose sur un abus d'autorité en échange de services. Comme dans le cas précédent de l'Opération Lave-Auto et des accusations portées contre Lula, l'enquêteur Sergio Moro n'a pas pu prouver quelles étaient les faveurs en question, puisque dans les deux cas les rénovations ont été mises en oeuvre après que Lula ait quitté son poste de président et alors qu'il n'exerçait aucune fonction publique.

4) En vertu d'une échappatoire dans la loi brésilienne qui date de l'époque de l'Inquisition, un juge peut parfois entreprendre sa propre enquête et la présider sans jury. Le juge Sergio Moro a mené une enquête sur Lula pendant plusieurs années et sa carrière dépendait de la condamnation de Lula. C'est pourquoi il a rejeté toutes les preuves présentées par la défense et déclaré la suprématie de sa propre enquête. Il fut autorisé à statuer sur un procès dont il était lui-même l'instigateur, bien que la Cour suprême ait mis fin à des procès de cette nature en raison de problèmes d'impartialité.

Après qu'il eut été présenté pendant des années dans les médias de l'Amérique du Nord comme le héros impartial de la lutte contre la corruption, Moro a laissé tomber son masque et a agi ouvertement en tant que partisan politique de la droite lorsqu'il s'est joint au gouvernement néofasciste de Bolsonaro en tant que ministre de la Justice. Il a alors annoncé des mesures visant à attaquer les syndicats et faciliter les assassinats extrajudiciaires perpétrés par les policiers. Lorsque Moro a quitté l'Opération Lave-Auto et s'est joint au cabinet de Bolsonaro, il a confié l'opération à sa protégée locale, Gabriela Schmidt. Suivant les traces de son mentor, celle-ci a rejeté du revers de la main les 1 643 pages de preuves colligées par les avocats de la défense pour prouver l'innocence de Lula.

5) Comme dans le cas de l'accusation antérieure de Lula, celle-ci repose entièrement sur le résultat d'une négociation de plaidoyer avec un homme d'affaires corrompu qui, en échange de son témoignage, a pu conserver une partie de ses actifs et bénéficier d'une réduction de sa peine d'emprisonnement.

6) L'Opération Lave-Auto est une enquête issue d'un partenariat entre le département de la Justice des États-Unis, une cour du district fédéral et le Bureau du ministère public de Curitiba, à Parana. Le département de la Justice est intervenu dans l'opération en vertu de la Loi sur la corruption dans les transactions à l'étranger qui ne s'applique pas relativement aux accusations portées contre Lula puisqu'il n'a jamais été confirmé qu'il possédait des comptes bancaires américains ou qu'il participait à des pots-de-vin versés en dollars. Néanmoins, pas moins de quatre fois, les fonctionnaires du département de la Justice des États-Unis se sont vantés publiquement de la condamnation de Lula.

Si Lula est présentement incarcéré, c'est en raison d'une décision exceptionnelle de la Cour suprême qui a permis son arrestation avant que son processus des appels ne se mettent en marche, mais aussi des menaces publiques proférées par le général Vilas Boas contre les ministres, et ce, au début d'une période électorale qui voyait Lula à la tête des sondages et jouissant d'une popularité deux fois plus importante que celle de Bolsonaro. En fait, il devrait être en toute liberté en attendant l'issu de son processus des appels. Ces processus des appels peuvent durer plusieurs années et l'aboutissement de celui-ci peut tirer en longueur. Pendant ce temps, Lula continue de croupir en isolement cellulaire - en violation des Règles Nelson Mandela - suite à une condamnation obtenue par une guerre judiciaire appuyée par les États-Unis qui avait comme objectif, comme l'a fait valoir Glen Greenwald l'année dernière, de tenir Lula à l'écart des élections. Cette action a ouvert la porte à la mise en place d'un État-client fasciste qui appuie les interventions des États-Unis au Venezuela, remet les ressources naturelles entre les mains du capital du Nord et attaque brutalement les droits humains et syndicaux. En collaboration avec ses maîtres capitalistes internationaux, il tente maintenant de détruire le legs du président le plus populaire de l'histoire du Brésil.

(Brasil Wire, 7 février 2019. Traduction LML)


Cet article est paru dans

Volume 49 Numéro 4 - 9 février 2019

Lien de l'article:
Six failles dans la nouvelle guerre judiciaire menée contre Lula - Brian Mier


    

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