Le gouvernement prépare les
élections fédérales de 2019
La mobilisation des
pouvoirs de police ne peut
qu'approfondir la crise de légitimité
- Anna Di Carlo -
Avec l'ouverture du Parlement le 28 janvier,
la
campagne pour les
élections fédérales de 2019 a pris une
place
centrale. Le gouvernement
Trudeau et les partis qui forment un système de partis
cartelisés au Parlement,
ainsi que les médias à leur service, ont
usurpé le
rôle des électeurs
dans l'identification des « enjeux
électoraux ».
Chaque parti et chef de parti prétend vouloir discuter des
« vrais
problèmes » qui préoccupent les
Canadiens. Ils
créent une diversion
pour empêcher les électeurs de démêler
la
situation eux-mêmes et les
laisser en proie aux luttes de factions, les différentes
factions de la
classe dirigeante qu'on appelle partis politiques se disputant le
pouvoir.
Parallèlement, au nom de la défense
de la
démocratie, le
gouvernement s'est employé à confier le processus
électoral aux forces
de police et aux services de renseignement. Il prétend
plus
spécifiquement que les pouvoirs de police sont
nécessaires pour
empêcher l'ingérence étrangère dans
une
élection et combattre les «
fausses
nouvelles ». Le fait que ce programme soit
entièrement motivé par
l'étranger, en particulier par les responsables de la
machine de
guerre
américaine et de l'aile politique de l'OTAN, le Conseil de
l'Atlantique, n'empêche pas le gouvernement de
prétendre
vouloir
protéger la démocratie canadienne contre toute
ingérence étrangère.
Loin de
nous défendre contre les « fausses
nouvelles »,
on ne fait que répéter
les justifications que ceux qui les propagent donnent et tout
cela n'a
rien à voir avec la
nécessité objective de
rénover la démocratie de manière à
investir
le peuple du pouvoir de
décider.
La dernière annonce à cet
égard a
été faite le mercredi 30 janvier
lorsque le gouvernement libéral a dévoilé
ses
opérations pour «
combattre l'influence étrangère et les fausses
nouvelles » pour les
élections fédérales de 2019. L'annonce
a
été faite lors d'un « exposé
technique » à Ottawa, avec la ministre des
Institutions démocratiques Karina Gould, le ministre de la
Défense
nationale Harjit Sajjan et le ministre de la
Sécurité
publique et de la
Protection civile Ralph Goodale. Dans une scène classique
de
« la dame
qui proteste trop de son innocence », la ministre
Gould a
tenu
à préciser
de manière emphatique que les mesures mises en place n'ont
rien à voir avec la violation du droit à la
liberté de parole et
d'expression. « Les mesures annoncées ne limitent en
aucune manière la
liberté d'expression des Canadiens », a-t-elle
déclaré. Elle est
revenue sur le sujet plus tard : « Soyons clairs, il
ne
s'agit pas
d'arbitrer les élections. »
L'une des mesures
annoncées est la création d'une police
électorale
appelée « Groupe de travail sur les menaces en
matière de sécurité et
de renseignements visant les élections ». Il
réunit le Service canadien
du renseignement de sécurité (SCRS), la Gendarmerie
royale du Canada
(GRC), le Centre de la sécurité des
télécommunications et
Affaires mondiales Canada. Dans le document d'information du
gouvernement on apprend que le groupe de travail est
chargé
d'«
empêcher que des activités secrètes,
clandestines
ou criminelles
n'influent sur le processus électoral au Canada ou ne
s'ingèrent dans
celui-ci en faisant mieux connaître les menaces
étrangères pesant sur
le processus
électoral du Canada ». Le gouvernement
définit
également les tâches de
divers services de renseignement et de police en ce qui concerne
les
élections :
« - Le CST continuera de protéger
les
systèmes et les réseaux du
gouvernement ainsi que d'offrir des cyberconseils et des
orientations
à
Élections Canada et aux partis politiques.
« - Le SCRS continuera de surveiller
activement
les menaces et de
les signaler au gouvernement, et de fournir des séances
d'information
classifiées aux partis politiques sur les menaces
potentielles.
« - Une équipe d'enquête
spécialisée de la GRC continuera de
détecter et de perturber les tentatives d'ingérence
étrangère, et
enquêtera sur les activités criminelles liées
à l'ingérence dans les
processus électoraux du Canada ou à la tentative de
les
influencer. »
Les libéraux ont également
annoncé
la création d'un « protocole
public en cas d'incident critique lié aux
élections », décrit comme «
un processus impartial, simple et clair par lequel les Canadiens
devraient être avertis d'une menace à
l'intégrité des élections
générales de 2019 ». Le protocole
sera
utilisé « en réponse à des
incidents graves atteignant un seuil d'intervention
élevé, qui se
produisent pendant la période électorale et qui ne
relèvent pas des
domaines de responsabilité d'Élections Canada pour
l'administration
efficace des élections ».
Cela soulève plus de questions que de
réponses. Élections Canada
administre tous les aspects de la Loi électorale, tandis
que le
commissaire aux élections fédérales est
chargé d'enquêter sur le
non-respect de la loi et d'engager des poursuites en cas de
violation
de la loi. Chaque domaine de la loi a des organes de poursuite
particuliers. Quels
sont alors les « incidents graves » qui ne sont
pas
couverts par la loi
électorale ou un autre ensemble de lois déjà
existant ? Des « incidents
graves » qui portent atteinte à quelle
loi ?
On nous dit que ces
«
incidents graves », bien que non définis,
seront traités par un groupe de cinq hauts
fonctionnaires :
le greffier
du Conseil privé, le conseiller national en matière
de
sécurité et de
renseignement, le sous-ministre de la Justice et sous-procureur
général, le sous-ministre de la
Sécurité
publique et le sous-ministre
d'Affaires mondiales Canada. Ces personnes, toutes nommées
par
le
gouvernement, sont décrites comme « un groupe de
hauts
fonctionnaires
canadiens chevronnés [...] qui amènent avec eux une
perspective unique sur la sécurité nationale, les
affaires étrangères, la gouvernance
démocratique
et l'aspect légal. Ils seront responsables de
déterminer
conjointement si le seuil d'intervention relatif à
l'information
des
Canadiens a été atteint, qu'il s'agisse d'un
incident
isolé ou de
l'aboutissement
de plusieurs incidents ».
En d'autres termes, étant donné que
les
postes du groupe doivent
être pourvus par des fonctionnaires, il faut croire que le
groupe
est
non partisan. Il sera toutefois guidé par un protocole
établi par les
libéraux et par les agences qui les dirigeront. Le
protocole
prévoit
des dispositions visant « à informer les candidats,
les
organismes ou
les
fonctionnaires électoraux s'ils ont été la
cible
d'une attaque, à
informer le groupe de hauts fonctionnaires au coeur du protocole,
à
informer le premier ministre et d'autres chefs de parti (ou leurs
remplaçants désignés) qu'une annonce
publique est
prévue ainsi qu'à
aviser le public ». Pour maintenir une apparence
d'impartialité,
l'impartialité
d'un organisme indépendant du gouvernement chargé
d'administrer les
élections,
les libéraux insistent pour dire que « le premier
ministre
ne peut pas
opposer son veto à la décision d'aviser les
Canadiens
d'un incident
majeur ». Encore une fois, les libéraux
protestent
trop de leur innocence.
Insistant sur cette conception d'un organisme
impartial, les
libéraux affirment que le protocole et le groupe qui
l'administrera
auront un « champ d'application limité ».
Le
protocole ne s'appliquera
que pour les incidents susceptibles de se produire pendant la
période
électorale et qui ne relèvent pas des domaines de
responsabilité
d'Élections Canada. Les incidents se produisant avant la
période
électorale « seront gérés dans le
cadre des
activités courantes du
gouvernement du Canada ».
Les libéraux déclarent que ce
groupe
d'experts du protocole, comme il appelle les cinq fonctionnaires,
est
conforme à la Convention de transition, selon
laquelle
le gouvernement doit faire preuve de retenue sur
« les
questions de politiques, de dépenses et de nominations
pendant
la
période électorale, sauf si cela est absolument
nécessaire pour l'intérêt
national ».
Le seuil d'intervention du groupe d'experts
durant les
élections
sera « très élevé »,
« il
se limitera à la résolution de circonstances
exceptionnelles qui pourraient entraver la capacité du
Canada de
tenir
des élections libres et justes ». À ce
titre,
le document d'information
énumère « quelques aspects potentiels
à
prendre en
considération » :
« - l'incidence
potentielle de l'incident sur
l'intérêt national ;
« - la mesure dans laquelle l'incident
ébranle les droits démocratiques des
Canadiens ;
« - le risque que l'incident mine la
crédibilité des élections ;
« - le degré de confiance des
fonctionnaires en matière de
renseignement. »
Ce sont probablement des mystères
d'État
sur lesquels les Canadiens
ne peuvent être informés, car cela mettrait en
danger la
sécurité
nationale.
Selon les informations mises à la
disposition du
public, lorsque le
groupe spécial du protocole estime que ce seuil
d'intervention a
été
atteint, « le greffier demandera au(x) responsable(s) des
organismes de
sécurité nationale compétents de tenir une
conférence de presse en vue
d'aviser les Canadiens de l'incident ».
Le « protocole » définit
le
contenu de ce qui sera déclaré. La
déclaration porterait uniquement sur les points
suivants :
«
communication de l'attaque ; ce que l'on sait de l'attaque
(si
cela est
jugé approprié) ; les mesures que les
Canadiens
devraient prendre pour
se protéger (s'assurer qu'ils sont bien informés,
cybersécurité, etc.), si
nécessaire ».
Enfin, le « protocole » stipule
que
« l'annonce n'abordera pas la
question de l'attribution (c'est-à-dire la source de
l'attaque)
et ne
contiendra pas de renseignements classifiés »
et que
« même si
l'annonce pouvait affirmer que des mesures sont prises pour
résoudre la
situation, elle ne fournirait pas nécessairement de
détails
concernant ces mesures ».
La police et la
bureaucratie
liées au Conseil privé sont chargées
de gérer les menaces perçues pour les
élections
pour donner
l'impression que tout cela est normal et fait de façon
responsable,
dans l'intérêt public. Que la police et les
bureaucraties
se voient
attribuer le pouvoir d'intervenir dans les élections n'a
rien de
normal
ou de responsable,
mais le gouvernement libéral continue néanmoins de
se
présenter comme
le champion d'un public averti. Il affirme que « le
meilleur
moyen de
défense du Canada est une population engagée et
informée ». Mais il ne
crée pas les conditions pour que les gens soient
engagés
ou informés.
Le seul rôle des électeurs est de donner à
d'autres
le
pouvoir d'agir en leur nom. Le but de la gouvernance est de
pouvoir
contrôler les décisions qui affectent votre vie.
Comment y
parvenir
n'est nulle part évoqué comme un problème
qui
appelle des solutions.
Le gouvernement libéral dit vouloir par
ces
mesures permettre à la
population d'être « mieux
informée ».
Dans la conception libérale,
voici ce que cela veut dire : « Si les Canadiens sont
conscients des
tactiques trompeuses utilisées en ligne, ils sont mieux
préparés pour
jeter un regard critique sur ce qu'ils lisent et partagent en
ligne. C'est la meilleure défense contre les efforts
déployés par des
acteurs étrangers pour manipuler les opinions sur les
médias sociaux et
les plateformes en ligne. » Ce qui constitue un acteur
étranger est un
autre sujet de préoccupation auquel le gouvernement ne
s'attaque
pas
sérieusement. Les mesures prises montrent que l'objectif
est de
faire progresser la lutte pour l'hégémonie des
joueurs
dominants et
d'éliminer la concurrence. Cela n'a rien à voir
avec la
protection de
la souveraineté canadienne et de la prise de
décision.
Le gouvernement a annoncé un
investissement
de 7 millions de
dollars dans « des programmes de connaissance
numérique,
médiatique et
civique » qui contribueront à «
réduire
l'incidence des efforts
déployés par les acteurs malveillants »
en
aidant les Canadiens à mieux
comprendre les pratiques trompeuses en ligne. Les
fonds serviront « au perfectionnement des
compétences,
à l'organisation
de séances de sensibilisation et d'ateliers et à la
production de
matériel d'apprentissage pour les Canadiens ».
Ces
activités aideraient
les citoyens :
« - à évaluer d'un oeil
critique
les articles et les éditoriaux ;
«
- à reconnaître comment et quand les acteurs
malveillants
exploitent
les plateformes en ligne ;
« - à acquérir des
compétences sur la façon d'éviter de faire
l'objet
d'une manipulation en ligne. »
Le gouvernement utilisera le site Web Pensez
cybersécurité
du ministère de la Sécurité publique pour
résoudre le problème des «
fausses nouvelles ». Cela signifie qu'il faut par
exemple
éviter les
escroqueries de fraude bancaire seront maintenant notées
au
même titre que les marqueurs
définis
par l'État pour déterminer le type d'informations
desquelles il faut
se méfier.
Enfin, le gouvernement indique que sa principale
agence
d'espionnage étrangère publiera un rapport pour
mettre
à jour son
rapport de 2017 sur les menaces cybernétiques au
processus
démocratique
du Canada. Selon le document d'information, « ce rapport
contribuera à
sensibiliser les Canadiens aux cybermenaces avant
l'élection
générale de 2019 ».
Tout cela est en effet très obscur et
l'objectif
évident est de maintenir
les Canadiens désinformés et de ce fait
privés de
pouvoir. Aujourd'hui,
l'idée que les élections sont « justes et
équitables » est ridicule.
Les pouvoirs de police sont des pouvoirs arbitraires, mais le
gouvernement prétend néanmoins,
effrontément,
qu'il intervient pour
faire
respecter la règle de droit. C'est absurde et cela ne
manquera
pas
d'approfondir la crise de crédibilité et de
légitimité dans laquelle
est plongé le processus politique dit démocratique.
Ce
système est dit
représentatif mais il est de plus en plus évident
qu'il
sert des
intérêts bien précis et ce ne sont pas ceux
du
peuple. Ce système a
besoin d'être
renouvelé pour que le droit des citoyens de choisir et
d'élire leurs
propres représentants soit facilité, pour que les
ressources
nécessaires soient consacrées pour informer le
public sur
qui se
présente aux élections et quelle vision il
défend
pour la société, pour
financer le processus plutôt que les partis, lesquels ne
devraient être
autorisés qu'à dépenser
ce qu'ils reçoivent de leurs membres. Sans cela,
répéter que les
élections au Canada sont libres et équitables et
que les
pouvoirs de
police font partie d'un état de droit civil, c'est
poursuivre
une cause
sans espoir.
Cet article est paru dans
Volume 49 Numéro 3 - 2 février
2019
Lien de l'article:
Le gouvernement prépare les
élections fédérales de 2019: La mobilisation des
pouvoirs de police ne peut
qu'approfondir la crise de légitimité - Anna Di Carlo
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