Le projet de loi 66, Loi de 2018 visant à rétablir la compétitivité de l'Ontario

Le coût humain de la campagne du gouvernement Ford contre la «paperasserie tueuse d'emplois»


Manifestation à Toronto le 15 octobre 2018 contre le projet 47, adopté par le gouvernement Ford en novembre, qui porte atteinte aux droits des travailleurs.

Le gouvernement ontarien de Doug Ford a déposé le projet de loi 66, la Loi de 2018 visant à rétablir la compétitivité de l'Ontario, le 6 décembre 2018, le jour où l'Assemblée législative a ajourné ses travaux jusqu'au 19 février. Le projet de loi a passé l'étape de la première lecture le même jour et le gouvernement a affiché une page de commentaires en ligne du 6 décembre 2018 au 20 janvier.

Le gouvernement de l'Ontario décrit ce projet de loi comme le « deuxième d'une série présentée dans le cadre du Plan d'action pour un Ontario ouvert aux affaires visant à stimuler l'investissement commercial, à créer de bons emplois et à rendre l'Ontario plus concurrentiel en éliminant les règlements inutiles, rigides ou désuets. »

La première de ces lois a été la Loi de 2018 pour un Ontario ouvert aux affaires, ou Loi 47, qui a reçu la sanction royale le 21 novembre dernier. Entre autres choses, la Loi 47 a annulé l'augmentation du salaire minimum de 14 $ à 15 $ qui devait entrer en vigueur le 1er janvier et a gelé le salaire minimum au taux actuel jusqu'au 1er octobre 2020. En plus de s'attaquer aux travailleurs qui touchent le salaire minimum, la Loi a notamment annulé la norme légale de deux jours de congé de maladie payés pour tous les travailleurs et la mesure qui interdisait aux employeurs d'exiger que les employés fournissent une note du médecin pour prouver qu'ils sont malades.

Le projet de loi 66 est un projet de loi omnibus qui modifie 18 lois existantes.[1] Aucune consultation n'a été tenue avec les travailleurs et le public au sujet de ces changements qui vont profondément affecter la vie des Ontariens.

Voici certains des aspects principaux du projet de loi :

Changements à la Loi de 1995 sur les relations de travail

L'annexe 9 modifie la Loi de 1995 sur les relations de travail de sorte que les municipalités et certains conseils locaux, conseils scolaires, hôpitaux, collèges, universités et organismes publics soient réputés être des employeurs extérieurs à l'industrie de la construction.

Cela veut dire que les syndicats qui représentent des employés de ces agences et institutions publiques, qui sont employés ou susceptibles d'être employés dans l'industrie de la construction, ne les représentent plus. Toute convention collective qui lie l'employeur et le syndicat cesse de s'appliquer dans la mesure où elle s'applique à l'industrie de la construction. En agissant ainsi, le gouvernement se prépare à désyndiquer sur une échelle de masse les travailleurs actuels de la construction et le travail de construction qui se fait dans les institutions publiques et à annuler des conventions collectives ayant force de loi sans le consentement ou la permission des travailleurs concernés. Il s'agit d'une attaque frontale contre les salaires et les conditions de travail des travailleurs de la construction, contre le droit de s'organiser et d'être membre d'un collectif et de travailler dans le secteur de la construction dans des conditions salubres et sécuritaires. Et cela se passe au moment où les décès et les blessures continuent d'être en hausse dans le secteur de la construction en Ontario.

Changements à la Loi de 2000 sur les normes d'emploi

Le projet de loi 66 annule la clause de la loi selon laquelle les employeurs doivent obtenir l'approbation du directeur des normes d'emploi pour conclure des ententes autorisant leurs employés à travailler plus de 48 heures dans une semaine de travail, à l'intérieur d'une limite de soixante heures de travail par semaine. Le projet de loi prévoit l'abrogation de la limite de 60 heures de travail par semaine.

Le projet de loi 66 annule aussi l'exigence selon laquelle les employeurs doivent recevoir l'autorisation du directeur des normes d'emploi pour conclure des ententes leur permettant de calculer la moyenne des heures de travail d'un employé servant à établir la rémunération des heures supplémentaires à laquelle il a droit. Les travailleurs, surtout les travailleurs non organisés, ont déjà beaucoup de difficulté à faire appliquer les clauses actuelles de la loi. Le gouvernement Ford entend contourner cyniquement cette difficulté en éliminant purement et simplement les clauses en question.

Le projet de loi annule aussi l'exigence que l'employeur doit placarder à l'endroit de travail une affiche publiée par le ministre au sujet des droits et des obligations des employeurs et des employés en vertu de la Loi sur les normes d'emploi.

Changements à la Loi sur l'aménagement du territoire


Manifestation devant les bureaux de la ministre de l'Environnement
Lisa Thompson le 24 décembre 2018

Certaines des mesures les plus régressives et dangereuses qu'introduit le projet de loi 66 se retrouvent dans les changements apportés à la Loi sur l'aménagement du territoire. Cet article du projet de loi a provoqué la colère et un mouvement d'opposition dès qu'il a été déposé. Le 23 janvier, le ministre des Affaires municipales Steve Clark a écrit sur les médias sociaux que le gouvernement conservateur « a entendu les préoccupations soulevées par les députés, les municipalités et les citoyens concernant l'annexe 10 du projet de loi 66 et lorsque l'assemblée législative reprendra ses travaux en février, nous n'allons pas poursuivre avec l'annexe 10». Reste à voir si cet annexe va effectivement être retiré du projet de loi à la reprise des travaux.

La loi sur l'aménagement établit les règles de base de la planification de l'aménagement du territoire en Ontario. L'annexe 10 du projet de loi modifie la loi en ajoutant une nouvelle clause qui permet à une municipalité d'adopter un règlement « sur l'aménagement ouvert aux affaires ». Selon le gouvernement Ford, cette mesure aurait été « un outil de développement économique » qui permet aux municipalités « de faire en sorte qu'elles peuvent agir rapidement pour attirer des entreprises qui sont à la recherche de sites de développement ».

Un règlement sur l'aménagement ouvert aux affaires va faire partie des pouvoirs de zonage d'une municipalité. Le projet de loi tel que déposé prévoit toutefois qu'avant d'adopter un tel règlement, une municipalité doit demander l'approbation du ministre des Affaires municipales et du Logement.

La demande doit comprendre une résolution du conseil et tout « critère prescrit ». Cela comprend l'« information sur l'aménagement ouvert aux affaires, y compris les détails concernant l'opportunité d'emploi proposée et [la démonstration que le règlement] va constituer une source majeure d'emplois nouveaux ». Le seuil minimum est de 50 nouveaux emplois dans des municipalités de moins de 250 000 habitants et de 100 emplois dans des municipalités qui en comprennent plus de 250 000. Le « critère prescrit » doit aussi « identifier l'usage » et l'usage « résidentiel, commercial ou de commerce de détail » ne peut pas être « l'usage premier » du projet. Le processus ne prévoit aucun avis public et aucune audience publique avant que soit adopté un règlement d'aménagement ouvert aux affaires.

Une fois que le « règlement d'aménagement ouvert aux affaires » est approuvé par le gouvernement provincial et adopté, plusieurs clauses contenues dans la Loi sur l'aménagement du territoire et dans les lois suivantes ne s'appliqueront pas à quelque « projet de développement qui sera proposé » :

la Loi de 2006 sur l'eau saine ;
la Loi de 2015 sur la protection des Grands Lacs ;
la Loi de 2005 sur la ceinture de verdure ;
la Loi de 2008 sur la protection du lac Simcoe ;
la Loi de 2006 sur Metrolinx ;
la Loi de 2001 sur la conservation de la moraine d'Oak Ridges ;
la Loi de 1994 sur la planification et l'aménagement du territoire de l'Ontario ;
la Loi de 2005 sur les zones de croissance ;
la Loi de 2016 sur la récupération des ressources et l'économie circulaire.

Ces lois qui sont niées sont souvent chargées d'une histoire importante, qui comprend parfois des décès qui ont frappé les Ontariens et des dommages à l'environnement.

Par exemple, la Loi de 2006 sur l'eau saine a été adoptée en réponse à la tragédie de Walkerton de 2000. La contamination de l'eau potable de Walkerton, qui avait été causée par une purification et des tests de l'eau inadéquats à la suite de la privatisation du système, a causé la mort de 7 personnes et rendu des milliers d'autres très malades. À la suite de la tragédie de Walkerton, la Loi de 2006 sur l'eau saine a mis en place des plans de protection des sources d'approvisionnement en eau afin de protéger les installations d'eau potable à l'échelle de l'Ontario. Le projet de loi 66 s'attaque à ces mesures et ouvre la voie à d'autres tragédies de contamination de l'eau.

Selon le gouvernement Ford, un « emploi » ne comprend pas la protection de l'environnement pour les Ontariens, la santé et la sécurité des travailleurs, des conditions de vie et de travail adéquates ou encore le droit des travailleurs à s'organiser en collectif afin d'avoir une voix et de défendre leurs intérêts. Le gouvernement considère qu'un travailleur est un moyen de production semblable à une machine, et l'« emploi » qu'il occupe comme un simple instrument du profit privé. Tout ce qui se dresse devant cet « emploi », tel un degré de responsabilité sociale envers le bien-être du peuple et l'environnement, est condamné comme de la « paperasserie tueuse d'emplois ».

Changements à la Loi de 2014 sur la garde d'enfants et la petite enfance et à la Loi sur l'éducation

L'annexe 3 comprend une série de changements aux règles relatives à la garde d'enfants. Elle permet entre autres choses un nombre de trois enfants de moins de deux ans dans une garderie en milieu familial. La loi actuelle n'en permet que deux. Le projet de loi permet aussi à deux fournisseurs de services de garde en milieu familial de veiller sur six enfants de moins de deux ans, alors que la loi actuelle limite ce nombre à quatre. Les modifications apportées font aussi en sorte qu'une fois que leurs propres enfants atteignent l'âge de quatre ans, les fournisseurs de services de garde n'ont plus à les inclure dans le nombre total d'enfants dont ils ont la charge.

Tout ceci a été décidé derrière des portes closes, sans discussion publique ou voix au chapitre accordée pour les travailleurs de la petite enfance, aux parents et à leurs organisations, sous prétexte que c'est ainsi qu'on va créer plus de places abordables dans les services de garde d'enfants.

Le projet de loi comporte plusieurs autres modifications de nature semblable, par exemple l'abrogation de la Loi de 2009 sur la réduction des toxiques et de tous les règlements pris en vertu de la loi.

L'annexe prévoit l'abrogation de la Loi de 2009 sur la réduction des toxiques le 31 décembre 2021. L'annexe abroge aussi, le même jour, les règlements pris en vertu de la Loi. Ce changement significatif est annoncé sans un mot d'explication ou d'argument scientifique. La Loi de 2009 sur la réduction des toxiques traite de l'utilisation de substances toxiques aux endroits de travail et a comme objectif officiel de les réduire. Selon le gouvernement Ford, cette loi qui va être éliminée est un autre « coût » et un exemple de plus de « paperasserie tueuse d'emplois » qui entravent un régime d'« Ontario ouvert aux affaires ». Les travailleurs qui sont exposés en ce moment et ont été exposés à des substances toxiques et en ont souffert les conséquences diraient qu'écarter ces règlements est socialement irresponsable, surtout en l'absence de preuve scientifique et de sérieuses discussions reposant sur des arguments. Cela ne rend pas l'Ontario ouvert aux affaires socialement responsable, mais ouvert à la mort et aux maladies aux endroits de travail et dans les communautés environnantes.

Le projet de loi 66 est une usurpation de pouvoir sur la vie du peuple par des forces qui ne sont pas celles qui fournissent les services et produisent les biens dont le peuple et la société dépendent pour leur existence. Ces forces gouvernementales pernicieuses en position de contrôle sont aveuglées par leur mantra néolibéral de placer tous les avoirs de la société à la disposition des riches, peu importe les dommages que cela cause au peuple et à sa société. Cette vision arriérée et socialement irresponsable considère les conditions dans lesquelles vivent et travaillent les gens et leurs besoins comme un chiffre sur leurs livres comptables qui doit être réduit ou transformé en profit privé peu importe les conséquences.

Le projet de loi 66 est régressif et dangereux. Les travailleurs et leurs syndicats, les organisations à la défense de l'environnement et d'autres organisations sociales se sont engagées à s'opposer fermement à ce projet de loi, et des conseils de ville ont annoncé qu'ils ne vont pas mettre en oeuvre des choses comme des règlements sur l'aménagement ouvert aux affaires.

Les Ontariens organisés ne doivent pas laisser cela passer et doivent faire en sorte que le projet de loi soit retiré au moyen de la mobilisation politique de masse.

Note 

1. Le projet de loi 66 modifie les lois suivantes :

- Loi de 2002 sur la protection des employés agricoles
- Loi de 1993 sur l'inscription des entreprises agricoles et le financement des organismes agricoles
- Loi sur le ministère de l'Agriculture, de l'Alimentation et des Affaires rurales
- Loi sur le prêt sur gages
- Loi de 2014 sur la garde d'enfants et la petite enfance
- Loi sur l'éducation
- Loi de 1998 sur la Commission de l'énergie de l'Ontario
- Loi de 2009 sur la réduction des toxiques
- Loi sur les régimes de retraite
- Loi de 2000 sur les normes techniques et la sécurité
- Loi de 2013 sur les conventions de services sans fil
- Loi de 2007 sur les foyers de soins de longue durée
- Loi de 2000 sur les normes d'emploi
- Loi de 1995 sur les relations de travail
- Loi sur l'aménagement du territoire
- Loi de 2005 sur les collèges privés d'enseignement professionnel
- Loi sur les sûretés mobilières
- Code de la route


Cet article est paru dans

Volume 49 Numéro 2 - 26 janvier 2019

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Le projet de loi 66, : Le coût humain de la campagne du gouvernement Ford contre la «paperasserie tueuse d'emplois» - Pierre Chénier


    

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