Dangereux désarroi à l'OÉA



Le secrétaire général de l'OÉA Luis Almagro et le secrétaire d'État américain Mike Pompeo à la réunion de l'OÉA sur le Venezuela tenue à Washington le 24 janvier 2019

Depuis quelques jours, Luis Almagro outrepasse, et de beaucoup, son autorité en tant que secrétaire général de l'Organisation des États d'Amérique (OÉA). Si M. Almagro continue d'outrepasser son autorité, qui est clairement décrite dans la Charte de l'OÉA, l'organisation, qui est déjà mise à l'épreuve par de nombreuses divisions, pourrait s'en trouver gravement affectée.

La responsabilité du secrétaire général de toute organisation multinationale ou internationale est de représenter les décisions du collectif des membres de l'organisation suite à une directive des instances gouvernantes compétentes ou à une discussion avec elles par laquelle un consensus a été obtenu. Dès son entrée en fonction ou presque, M. Almagro a résolument fait fi de ces exigences.

Le plus récent outrepassement de M. Almagro a été de décider unilatéralement et publiquement de conférer le titre de « président par intérim » du Venezuela à Juan Guaido qui a été élu par l'Assemblée nationale — composée uniquement de représentants des partis de l'opposition — en tant que président « pour la durée d'un an ». Il a fait cette déclaration spontanée lors d'une réunion tenue le 15 janvier au Centre d'études stratégiques et internationales (CÉSI), un groupe de réflexion basé à Washington.

Aucun organe officiel de l'OÉA n'a pris une décision en ce sens ou n'en a même discuté, et aucun organe n'a autorisé M. Almagro à le faire.

Cette déclaration non autorisée sur des questions touchant au Venezuela est la plus récente d'une série de déclarations émises par Almagro et dirigées contre le gouvernement vénézuélien qui le disqualifient, lui et l'OÉA, en tant que médiateurs crédibles dans la quête de solutions aux divisions politiques qui sévissent au Venezuela depuis cinq ans.

Le secrétaire général a aussi recours aux gazouillis pour exprimer ses opinions personnelles, qu'il présente de façon trompeuse comme étant celles de l'OÉA, qui regroupe 34 pays. Dans un gazouillis du 11 janvier, Luis Almagro affirme : « Nous appuyons l'entente conclue à l'Assemblée nationale du Venezuela où Maduro est accusé d'usurpation et où est affirmée la nécessité d'appliquer l'article 233 de la constitution sur la mise en place d'un gouvernement de transition et la convocation d'élections. »

Qui est ce « nous », dont il est question dans l'affirmation d'Almagro, reste nébuleux puisqu'il ne mentionne personne. Mais ce qui est clair est qu'il ne s'agit d'aucun organe officiel de l'OÉA, ni du Conseil permanent, la plus importante instance décisionnelle représentant tous les États membres au niveau des ambassadeurs.

Il semblerait qu'Almagro travaille avec une poignée de pays qui, selon les déclarations de leurs propres gouvernements, s'opposent au gouvernement de Nicolas Maduro au point de recourir à tous les moyens pour le faire tomber. En agissant ainsi, il ne représente ni l'OÉA, ni la volonté collective des États membres. Les gouvernements sont libres de poursuivre leurs propres politiques nationales face au Venezuela. Par contre, ils n'ont aucune autorité pour imposer ces politiques à l'OÉA.

En fait, les membres de l'OÉA sont profondément divisés, non pas par rapport à l'inquiétante crise humanitaire, politique et financière qui sévit au Venezuela, mais aux réactions suscitées par cette crise.

Aucun État membre ne cautionne l'impasse politique engendrée par les partis dirigeants et dans l'opposition, ni la pénurie alimentaire et médicinale, ni les difficultés que vivent un grand nombre de Vénézuéliens, ni l'exode actuel de réfugiés vers les pays limitrophes. La source du différend est la façon dont 14 pays, qui se nomment le « Groupe de Lima », ont organisé des réunions privées pour en arriver à des décisions qu'ils tentent ensuite d'imposer par le biais du Conseil permanent de l'OÉA sur la base d'un vote majoritaire de 18.

Cette approche qui fait en sorte qu'une majorité de 18 membres puisse faire adopter une résolution ou une déclaration sans que les autres n'aient été consultés et sans qu'ils ne soient d'accord avec ces décisions laisse un goût amer aux 15 autres États membres, surtout lorsque ceux-ci apprennent que la majorité de 18 a été obtenue à force de cajolerie et de pression sur les gouvernements en question.

Il est triste qu'en Amérique les gouvernements de pays qui ont su profiter de la sagesse des pères fondateurs des États-Unis font fit de l'observation de Thomas Jefferson, un des auteurs de la constitution américaine : « Nous tous, aussi, garderons à l'esprit ce principe sacré, que bien que la volonté de la majorité dans tous les cas doit l'emporter, cette volonté doit être légitime et raisonnable ; que la minorité possède son égalité des droits que le droit égal doit protéger, et toute violation serait de l'oppression. » Outre le mépris du secrétaire général Almagro pour les organes officiels de l'OÉA, il y a sa décision de briguer un deuxième mandat, bien qu'il ait indiqué qu'il ne le ferait pas. Sa position sur le Venezuela, en particulier, aurait attiré la sympathie de ces pays membres dont les gouvernements aimeraient qu'il demeure en poste en raison du rôle important qu'il joue dans l'avancement de leurs intérêts particuliers.

Par contre, si on ne met pas un frein aux élans et aux outrepassements de M. Almagro, plusieurs pays membres ne pourront les tolérer et l'organisation subira des dommages irréparables. Les gouvernements, à l'exception des gouvernements timides et craintifs, ne resteront pas les bras croisés pendant que leurs droits sont minés et leurs voix écartées. Selon la plus récente et dangereuse déclaration émise nonchalamment lors d'une réunion du CÉSI le 15 janvier, si celui qu'il appelle le « président par intérim » du Venezuela, Juan Guaido, un des dirigeants de l'opposition, délègue des représentants à l'OÉA, Almagro acceptera leur accréditation et les fera siéger suite au possible évincement des délégués actuels.

Une telle autorité ne relève pas du secrétaire général. Aucune instance de l'OÉA ne lui accorde un tel pouvoir. Et si M. Almagro prépare le terrain pour qu'un quelconque groupe de l'OÉA avec des intérêts particuliers force l'adoption d'un tel plan par un vote majoritaire de 18, alors l'OÉA, dans sa forme actuelle, ne pourra en sortir indemne.

De toute évidence, l'objection à une telle action ne sera pas le résultat d'un appui aveugle au gouvernement Maduro au Venezuela, mais du fait que le précédent ainsi créé serait dangereux et lourd de conséquences pour tout autre pays qui serait ciblé, peu importe la raison.

Les règles des organisations internationales et du droit international doivent être respectées et défendues, ou ce sera la débâcle. Le Venezuela a besoin d'une solution négociée et durable dans l'intérêt de son peuple et de la stabilité de la région. La promotion de divisions au Venezuela et le cloisonnement de son gouvernement de facto et de la voie diplomatique ne peuvent que faire perdurer la situation difficile à laquelle le peuple fait face.

Sir Ronald Sanders est l'ambassadeur d'Antigua-et-Barbuda aux États-Unis et à l'OÉA et maître de conférences à l'Institut des Études du Commonwealth, à l'Université de London, et au collège Massey à l'Université de Toronto.

(Caribbean News Now, le 18 janvier 2019. Traduit de l'anglais par LML)


Cet article est paru dans

Volume 49 Numéro 2 - 26 janvier 2019

Lien de l'article:
Dangereux désarroi à l'OÉA - Sir Ronald Sanders, ambassadeur d'Antigua-e


    

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