Brésil

Le président lance une attaque en règle
contre les droits


Manifestation des résidents de Sao Carlos contre les politiques réactionnaires de Jair Bolsonaro pendant la campagne électorale présidentielle, le 29 septembre 2018

Le nouveau président du Brésil issu du coup, Jair Bolsonaro, a été assermenté le 1er janvier 2019 dans la capitale du Brésil, Brasilia. Selon les agences de presse, la cérémonie d'assermentation été le plus fort déploiement de forces de sécurité depuis les Jeux olympiques de 2016 et la Coupe du monde de 2014. L'assermentation a réuni des dirigeants ultra-réactionnaires comme le premier ministre israélien Benyamin Netanyahou et le premier ministre hongrois Viktor Orban.

Dans son discours, Bolsonaro a réitéré des promesses de campagne comme son appui à la possession d'armes par les civils, au secteur agro-industriel et à la privatisation des entreprises publiques. Il a dit que le Brésil était maintenant « libéré du socialisme » et qu'il allait sauver la famille, restaurer les valeurs judéochrétiennes et lutter contre l'idéologie du genre.[1] En plus de s'engager à « stimuler les investissements », il a dit qu'il allait empêcher que les « saletés marxistes » soient enseignées dans les écoles et les universités

Bolsonaro était à peine entré en fonction qu'il a émis des décrets et adopté des lois pour appliquer ses politiques. « Juste quelques heures après son assermentation, Bolsonaro a annoncé une série de décrets en vertu de la Mesure provisoire numéro 870 et trois autres décrets qui modifient la structure institutionnelle de la république brésilienne », a indiqué Peoples Dispatch. « Il a éliminé sept ministères : Transports, Ports et Aviation civile, Industrie, Commerce extérieur et services, Sports, Villes, Culture, Travail et Sécurité publique. »

« En vertu de la même mesure, il a aussi annoncé que la règlementation et la création de nouvelles réserves autochtones et de quilombos (territoires ancestraux des personnes d'ascendance africaine) soient maintenant sous le contrôle du ministère de l'Agriculture qui est fortement influencé par le puissant lobby agro-industriel. Cela fait trente ans que la démarcation des terres autochtones est faite par la Fondation nationale de l'Indien (Funai) et le changement fait planer sur les territoires autochtones et les populations d'ascendance africaine le danger d'une plus grande exploitation et appropriation aux mains des entreprises nationales et transnationales. »

Bolsonaro a annoncé son plan sur Twitter quand il a écrit : « Plus de 15 % de notre territoire national est démarqué au profit des groupes autochtones et des quilombos. Moins d'un million de personnes vivent sur ces territoires isolés qui, en fait, sont exploités et manipulés par les ONG. Nous allons assimiler ces citoyens et valoriser tous les Brésiliens. »

Selon les agences de presse, Bolsonaro a aussi autorisé le licenciement d'environ 300 fonctionnaires à contrat temporaire considérés comme des « gauchistes ». Dans son discours inaugural, Bolsonaro a dit que maintenant qu'il est au pouvoir, son pays sera « libéré du socialisme et de la rectitude politique ».

Le gouvernement va « faire le ménage dans sa maison », a dit le chef de cabinet Onyx Lorenzoni lors d'une conférence de presse après la première réunion du cabinet. « C'est la seule façon de gouverner selon nos idées et nos concepts et d'accomplir ce que la majorité de la société brésilienne a décidé », a ajouté Lorenzoni. La purge idéologique des employés à contrat avait comme objectif d' « éliminer les idées socialistes et communistes qui, pendant 30 ans, nous ont menés au chaos dans lequel nous vivons », a dit Lorenzoni.

« Il ne serait pas logique qu'un gouvernement avec un profil comme le nôtre garde des gens qui appuient une autre façon de penser et un autre système politique », a dit Lorenzoni, qui a ajouté que les fonctionnaires congédiés pourraient être réengagés s'ils passent une « évaluation » de leurs orientations idéologiques de même qu'un « concours de recrutement et ils sont protégés de la partisanerie politique par la constitution ».

Le rapport de Peoples Dispatch poursuit : « Les mesures stipulent aussi que le secrétaire de l'Intérieur va 'superviser, coordonner, surveiller et accompagner les activités et les actions des organisations internationales et des organisations non gouvernementales sur le territoire national '. Plusieurs organisations nationales et internationales ont dénoncé cette mesure qui pourrait bien paver la voie à des restrictions des libertés pour ces organisations. Ceci, combiné à la déclaration sur Twitter de Bolsonaro que les ONG « manipulent » les communautés autochtones et d'ascendance africaine, montre que les tensions vont probablement s'accroître.

« Le salaire minimum est tombé à 998 réaux, un montant inférieur à celui adopté par le congrès et le gouvernement précédent de Michel Temer qui était de 1006 réaux.

« En vertu de la nouvelle mesure, on a confié un super-ministère au ministre de la Justice Sergio Moro, le juge qui avait mené la croisade juridique contre l'ancien président et actuel prisonnier politique Luiz Ignacio Lula da Silva et l'avait éliminé comme candidat à la présidence, et les pouvoirs du ministre ont été décuplés. Comme le ministère du Travail a été aboli, le ministère de Moro sera responsable de la légalisation des syndicats. Le ministère de la Sécurité publique a aussi été incorporé dans ce super-ministère, de même que le conseil de contrôle des activités financières, un organisme qui analyse les transactions financières suspectes.

« L'attaque attendue contre les personnes LGBTQ au Brésil a été rapide. Le ministère des Droits de l'homme, de la Famille et des Femmes, qui est dirigé par Damares Alves, un pasteur évangélique, ne s'occupera plus des questions relatives aux personnes LGBTQ et aucun autre ministère ne le fera. Dans une vidéo affichée le 3 janvier, elle a déclaré : « Attention, attention ! Une nouvelle ère commence. Les garçons s'habillent en bleu, les filles en rose. »

« Cette mesure provisoire semble annoncer des mesures encore plus fortes. Elle est aussi une affirmation que Bolsonaro représente les intérêts des secteurs les plus puissants bien qu'il prétende être un politicien antisystème qui lutte pour le peuple brésilien.

« De nombreuses organisations craignent que des mesures encore pires ne soient prises. Pendant sa campagne, Bolsonaro a dit que des groupes comme le Mouvement des sans terres (MST) et le Mouvement des sans-abri (MTST) devraient être classés comme des organisations terroristes. Si une telle chose se produit, les implications vont être graves. En ces moments d'attaques et de peur, les organisations brésiliennes ont renforcé leur engagement de lutter et ne vont pas reculer. »

João Pedro Stedile, membre du conseil national du MST, a déclaré dans une interview accordée au Brasil de Fato : « Tous les militants du MST sont conscients que nous devons faire attention à ne pas nous exposer à cette haine. Mais ceux qui se lancent dans la lutte ne doivent pas avoir peur, car nous nous battons pour la justice, pour que nos gens améliorent leurs conditions de vie ... Je pense que ces menaces devraient être un signe avant-coureur pour nous, tout en nous poussant à faire plus travail de base et d'éducation politique. » À cet égard, il a déclaré que le Front populaire du Brésil prévoyait de tenir une assemblée à la fin janvier ou début de février afin de mieux concevoir sa tactique. « Nous devons maintenant encourager le vaste secteur des mouvements et organisations populaires à rejoindre le front et à organiser des comités populaires dans toutes les villes pour organiser des assemblées populaires et discuter de l'action à mener dans la lutte réelle pour de meilleures conditions de vie. »

Au Brésil, les gens prennent toutes les mesures nécessaires pour se protéger contre cet assaut ultraréactionnaire. L'expérience vécue des souffrances et des crimes commis sous la dictature militaire, que le peuple a renversée en 1985, est encore bien vivante dans la mémoire du peuple et lui est très précieuse en ce moment. Dans des villes du Canada également, des Canadiens de tous milieux se joignent à la diaspora brésilienne pour appuyer la lutte de résistance qui se forme au Brésil.

Note

1. L'idéologie du genre est une expression inventée qui n'a pas de fondement académique. Elle a beaucoup été utilisée par le camp du « NON » lors du référendum de 2016 sur l'accord de paix conclu entre le gouvernement de la Colombie et les Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC). Le camp du « Non », qui était appuyé par de vastes secteurs de l'église évangélique, par les grands propriétaires fonciers et par les partis de l'extrême-droite, a répandu sur une vaste échelle le mensonge que les accords de paix visaient à promouvoir l'homosexualité, comprenaient une « idéologie du genre » et allaient détruire les enfants et les familles. En fait, les accords de paix reconnaissaient officiellement que le conflit armé avait affecté de manière disproportionnée les femmes et les personnes de la communauté LGBTQ. Cette campagne de haine, de peur et de fausse information a réussi à influencer une partie de la population. Le « Non » l'a emporté. Aujourd'hui, les références à l'« imposition d'une idéologie du genre » appartiennent à un discours utilisé par les conservateurs en Amérique latine pour exprimer leur rejet des mouvements, des programmes et des politiques qui font avancer les droits des femmes et des personnes LGBTQ, rapporte Peoples Dispatch.

(Peoples Dispatch, AFP, EFE)


Cet article est paru dans

Volume 49 Numéro 1 - 19 janvier 2019

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