Numéro 49 - 9 décembre 2017
Supplément
Journée internationale des droits de l'homme
Les droits : une définition moderne
- Hardial Bains -
LML
reproduit ici cet important article de Hardial Bains originalement
publié dans Le Marxiste-Léniniste les 11, 12 et 13 décembre 1992.
* * *
Par définition, un droit se rapportant aux
êtres humains est quelque chose qui apparaît à une
étape donnée de l'évolution des humains et de la
société. Les droits apparaissent historiquement ;
ils sont une expression concentrée de l'ensemble des
qualités de l'individu et de la société humaine
à une époque donnée. On ne saurait
concevoir un droit qui transcende le développement historique et
les conditions des êtres humains et de la société
humaine. Aussi les droits sont-ils une expression de la nature de la
société. Ici l'attitude formaliste ne ferait qu'obscurcir
l'étude des conditions dans lesquelles les droits existent. La
lutte pour les droits humains aujourd'hui révèle que la
société est suffisamment avancée pour que ces
droits trouvent leur expression et que les êtres humains sont
désireux de combler le manque. Or, certaines conditions
continuent de poser un obstacle à leur épanouissement et
les êtres humains s'efforcent de changer ces conditions.
Les droits des êtres humains ne s'expriment pas
uniquement par le fait qu'ils sont accordés par tel ou tel
pouvoir économique ou politique, par telle ou telle institution
sociale ou culturelle. Ces droits doivent être examinés tels qu'ils existent
dans une société donnée et
dans des conditions internationales données, afin que l'on
puisse déterminer
dans quelle mesure la société doit progresser.
Évidemment, les droits humains, comme tous les autres droits,
doivent être garantis, mais cela n'est pas possible s'il n'existe
pas préalablement des conditions favorables à leur
épanouissement. Par exemple, on ne saurait parler de droits
humains si le droit à un moyen d'existence n'est pas
réalisé par la
société ou si cette société est constamment
menacée par une autre. Pour déterminer la mesure dans
laquelle existent les droits humains dans une société
donnée, il faut tenir compte du degré de
développement social et économique de la
société, des rapports entre les États et de
l'ensemble des conditions nationales et internationales.
Par définition un droit ne peut être
accordé ou retiré. À une étape
donnée du développement de la société, le
droit est ; il est reconnu du fait de l'existence de la
société comme telle. Différents États,
notamment les plus puissants, comme les États-Unis, ne veulent
pas garantir les droits humains. D'abord ils créent de la
confusion
au sujet de la définition des droits humains, leur attachant une
condition autre que celle d'appartenir aux êtres humains, soit
une condition de nature politique, idéologique, religieuse,
culturelle ou morale. Armés de leur définition, ils
s'ingèrent dans ces droits et légifèrent à
leur sujet sans s'occuper des conditions existantes de la
société. Ces États ne
reconnaissent pas les droits humains en les garantissant par la
loi ; ils garantissent plutôt ce qui profite aux plus
puissants du point de vue économique et politique. Le cas de
Ross Perot qui en raison de sa richesse jouit d'un plus grand droit
d'élire et d'être élu que la presque
totalité des autres citoyens américains, fait mentir les
prétentions
démocratiques de l'État américain.[1]
L'intervention
des privilèges et de la richesse dans le processus politique
porte atteinte au droit de tous les citoyens d'être égaux
devant le processus politique et de participer en tant qu'égaux
à l'administration de leurs affaires.
Lorsque l'être humain vient au monde, il ou elle
est une personne définie par l'étape du
développement de la société à laquelle il
ou elle appartient. Des droits humains lui sont reconnus dans la mesure
où la société les favorise. Il est possible de
déterminer le sort de cette personne en examinant la
société à laquelle elle appartient. II y a
très
peu ou pas d'État aujourd'hui qui commence par l'étude
des droits tels qu'ils sont, tels qu'ils existent dans la
société. Il y a des États qui interdisent la
reconnaissance des droits, bien qu'il n'y ait aucun obstacle à
leur existence du point de vue du développement social. C'est le
cas du Koweït où n'existe même pas le suffrage
universel. Pourquoi
n'y a-t-il pas de suffrage universel au Koweït ? Pour quelle
raison nie-t-on aux Koweïtiens le droit au suffrage
universel ?
L'obstacle est-il le pouvoir et les privilèges de
l'émir ? L'étude des conditions dans d'autres pays
démontre qu'il existe des obstacles bien précis à
la pratique du suffrage universel. Dans la plupart des pays
dont la société est divisée entre riches et
pauvres, le suffrage universel n'a qu'une valeur nominale. Ce sont les
plus riches qui décident du genre de gouvernement, de sa
composition et de sa politique.
Y a-t-il une raison pour laquelle les droits tels
qu'ils existent sont niés aux citoyens du monde
aujourd'hui ? Quelle est-elle ? Pourquoi nie-t-on aux
êtres humains les droits tels qu'ils existent ?
Pourquoi n'y a-t-il aucune société au monde aujourd'hui
où les droits humains existent entièrement ? Les
droits tels qu'ils existent est une abstraction, une
définition du caractère de la société qui
affirme que ses membres peuvent faire des réclamations à
la société en raison du fait qu'ils sont des êtres
humains. Cependant, le membre individuel de la société ne
peut jouir de ce droit, ne peut faire de réclamation à la
société, s'il n'existe pas
les conditions préalables. La condition première,
décisive, est que l'ensemble du collectif, la
société comme telle, doit lutter pour
l'intérêt général de la
société et pour l'intérêt individuel de
chacun de ses membres. Ce qui appartient d'abord à l'individu, les
droits
tels
qu'ils
existent,
appartient alors aux conditions. Les
droits tels qu'ils
existent ne peuvent pas devenir une réalité
à moins que ces conditions existent. Depuis la Renaissance
jusqu'à la révolution démocratique du
XVIIIe siècle, la société
était la condition de l'expression de ce droit. Par la suite,
cependant, cette même société est devenue
l'obstacle à l'expression du droit et c'est le collectif au sein
de la
société qui est devenu la condition. La
société d'aujourd'hui est passée par de grandes
transformations. De la liberté de l'entreprise à la
naissance des monopoles et des oligopoles, la société
bourgeoise n'accepte plus l'expression de ce droit. Elle agit comme la
vieille société qu'elle a renversée, la
société féodale qui avait concentré les
privilèges et
le pouvoir entre les mains de la noblesse qui s'en servait pour priver
le reste de la population de ses droits. La société
moderne ressemble à cette vieille société à
plusieurs égards.
Si la société n'est plus la condition de
l'expression des droits tels qu'ils existent, quelle est
cette condition ? On ne saurait dire que les droits tels
qu'ils existent trouvent leur expression dans la destruction de
la société. On pourrait dire que leur expression se
trouve dans la destruction du caractère bourgeois de la
société.
Mais il y a plus. Si dans la société féodale la
libre entreprise était l'arme contre l'absolutisme et
l'aristocratie, dans la société moderne il y a autre
chose, propre à cette société, qui sert de base
à l'expression des droits tels qu'ils existent. C'est
le collectif ou, en termes politiques, la cellule de base par laquelle
l'individu lutte pour
l'expression de ses droits tels qu'ils existent. En termes
économiques, les travailleurs s'unissent dans des associations,
des syndicats et des organisations, comme peuvent le faire tous les
autres individus. Le collectif est la condition qui élimine ce
caractère de la société qui fait obstacle à
l'expression des droits tels qu'ils existent
pour tous.
Le problème tel qu'il existe à
l'échelle mondiale
Aujourd'hui, qu'il s'agisse du Canada, de l'Inde ou
d'un autre pays, le problème des droits se pose de
manière spécifique. De cette considération, on
peut dire qu'il se pose
partout de la même façon. Il n'est pas rare que soit
contesté le droit d'un gouvernement de faire telle ou telle
chose. Tout en étant conscients de ce que l'individu doit ou ne
doit pas faire,
aujourd'hui les citoyens se préoccupent surtout de ce que
l'État peut ou ne peut pas faire. L'État a-t-il le droit
de réprimer ceux qui s'insurgent contre lui ? Voilà
qui est devenu une des questions les plus cruciales. Le peuple a-t-il
le droit de renverser un gouvernement ou un État qui
l'opprime ? On admet généralement que s'il n'y a
pas d'autre recours contre l'oppression, la force est la seule voie.
Mais à l'époque moderne, les nations les plus puissantes
se servent de cet argument à leurs fins.
Le problème tel qu'il existe dans le
monde est que les conditions existantes à différents
endroits dans le monde expriment la condition qui est faite à
certaines classes ou couches de la société. Ces
conditions révèlent une tendance non
refrénée à l'enrichissement des riches et à
l'appauvrissement des pauvres. Les riches ont-ils le droit
de devenir plus riches et les pauvres ont-ils le droit de ne pas
être appauvris ? Comment faut-il aborder ces problèmes
qui
existent ?
Un employeur a-t-il le droit de fermer une
usine si elle ne lui rapporte plus suffisamment de profits ? Les
travailleurs ont-ils le droit de ne pas être mis à
pied ? Les conditions
indiquent que le développement économique a
engendré des superstructures économiques et politiques
qui rendent impossible l'expression des droits tels qu'ils
existent. À sa place se trouve l'expression des problèmes
tels
qu'ils
existent.
La définition d'un droit qui part du droit
tel qu'il existe est consumée dans
les problèmes tels qu'ils existent. Qu'en pensent les
spécialistes des droits ?
Certains droits assument un caractère
général et universel, comme le suffrage universel. Le
suffrage universel existe au Canada. Tous ceux qui ont dix-huit ans
révolus ont le droit légal d'élire et d'être
élu. Or il existe un mécontentement collectif devant
l'incapacité de l'ensemble des citoyens de jouir de ce droit.
L'électorat ne jouit pas des
fruits de ce suffrage universel autant que ceux qui jouissent du droit
d'être élus, surtout s'ils appartiennent à
l'exécutif. L'électorat a-t-il le droit de changer les
mécanismes qui donnent aux élus le mandat de faire ce
qu'ils veulent ? Le gouvernement a-t-il le droit de retirer ou
d'accorder ce droit à l'électorat ? Tels sont les problèmes
tels
qu'ils
existent.
Et il y en a beaucoup d'autres. Dans ces
conditions, comment les droits sont-ils définis ? Il doit y
avoir une définition moderne, puisque les conditions qui
existent aujourd'hui au pays et à l'échelle
internationale ne sont pas les mêmes qu'avant. En
général on peut dire que ce sont les conditions de la
concentration à outrance du capital et de la production. Il
existe un déploiement massif des forces productives qui, une
fois orientées, peut donner des résultats qu'on n'aurait
jamais pu s'imaginer auparavant. L'exploration de l'espace en est un
exemple. Des exemples semblables peuvent être tirés de
toutes les facettes de la vie.
Les solutions s'offrent lorsqu'on s'efforce de
définir les problèmes tels qu'ils existent
Il est une qualité propre à l'être
humain de pouvoir concevoir ce qui manque dans les conditions, ce qui
est nécessaire à son bien-être. En ce moment les
gens ont le sentiment général que quelque chose manque
sur le plan des droits. Certes la solution au problème est de
changer les conditions, mais il y a plus encore. Au fond la solution
est
que les droits tels qu'ils existent de tous les êtres
humains doivent être reconnus. On aura résolu un des plus
importants problèmes de l'époque lorsqu'on aura reconnu
ces droits. Mais comment y arriver ? Un système pourrait-il
reconnaître comme allant de soi qu'il n'est pas nécessaire
d'enchâsser les droits tels qu'ils existent dans une
constitution ? Possiblement, mais puisque ces droits peuvent
être enchâssés dans une constitution, ils peuvent
aussi en être soustraits, ce qui prouve que ce n'est pas une
solution.
La solution doit partir non pas des droits tels
qu'ils existent mais du droit du collectif de lutter pour les
droits tels qu'ils existent de l'individu dans
l'intérêt général de la
société. Si la production se fait entièrement sur
une base collective et que la société fonctionne de
manière collective dans tous les domaines, il s'ensuit que
la lutte pour les droits tels qu'ils existent doit se mener
collectivement. Bref, le premier pas est de reconnaître les
droits du collectif. Par exemple, en tant que collectif les êtres
humains ont le droit de s'épanouir en tant qu'êtres
humains. C'est l'épanouissement de l'aspect humain qui
détermine dans quelle mesure ce droit existe dans la
société. Ce droit interdit tout acte allant à
l'encontre de l'avancement de l'aspect humain. Le droit de tous les
êtres humains d'être reconnus en tant qu'égaux au
sens politique doit faire l'objet d'une garantie politique de sorte que
tous puissent bénéficier du suffrage universel. Le droit
de ne pas être victime de la famine ou de la guerre, ou le droit
de vivre dans un environnement sain, doivent aussi faire l'objet de
garantie politique. En d'autres mots, les droits doivent d'abord
être définis en termes des individus constituant un
collectif.
La notion qu'en tant qu'être vivant l'homme est
égal à tous les autres hommes est d'abord apparue dans la
pensée de ceux qui luttaient contre les privilèges et
le pouvoir de la société féodale, mais cette
notion n'a pas été réalisée. Seuls les
hommes
de propriété ont acquis l'égalité de
droits.
L'ouvrier aussi, propriétaire de sa force de travail, avait le
droit de négocier le prix de son
travail avec les propriétaires du capital. Les femmes, les Noirs
et les peuples colonisés ne se virent reconnaître des
droits
et l'égalité de droit que beaucoup plus tard. En d'autres
mots, la reconnaissance des droits ne partait pas du fait que tous sont
des êtres humains. L'égalité était
politiquement garantie pour les hommes de propriété.
La définition moderne des droits doit partir de
la reconnaissance des êtres humains comme tels puisqu'aujourd'hui
les êtres humains existent en collectifs. Tous les êtres
humains doivent être égaux devant la loi, aussi bien
à titre individuel que collectif. Les femmes étant des
êtres humains ne doivent pas être victimes de
discrimination à cause
de leur sexe. Cette définition doit également
prévaloir dans les domaines de l'économie et de la
culture. Elle doit prévaloir dans les conditions nationales et
internationales, c'est-à-dire dans les rapports à
l'intérieur d'une nation et entre les nations.
À l'époque moderne, les droits ne peuvent
être reconnus que par un collectif et, par définition, le
droit que le collectif garantit ne doit pas aller à l'encontre
de l'intérêt général de la
société ou de l'intérêt individuel du membre
du collectif ou de la société. Cette définition
des droits part de ce qui ne doit pas être fait,
c'est-à-dire
qu'elle conçoit abstraitement ce qui est à l'origine du
problème, ce qui fait mal à l'intérêt
général de la société et à
l'intérêt individuel du membre de la
société. Le mouvement pour les droits ne saurait se
détacher de ces points cardinaux. La définition des
droits ne peut plus demeurer une abstraction ou être
donnée par un individu. Elle doit être
concrète et doit être donnée par le collectif. Par
ailleurs, le collectif doit s'assurer de renverser tout ce qui va
à l'encontre de l'intérêt général de
la société et de réaliser tout ce qui est
nécessaire pour défendre cet intérêt. La
même considération doit être accordée
à l'intérêt individuel.
Une définition claire des droits :
la première condition de la démocratie moderne
La démocratie moderne ne peut se satisfaire de
la simple reconnaissance du suffrage universel. Les conditions telles
qu'elles existent aux États-Unis, au Canada, en Grande-Bretagne,
en France et ailleurs prouvent que ces pays invoquent le suffrage
universel pour nier le droit de tous les êtres humains de se
gouverner. Le pilier d'une démocratie doit être
l'intérêt collectif, qui lui doit veiller à
l'intérêt général de la
société et à l'intérêt individuel de
chacun de ses membres. La démocratie moderne qui se veut
respectueuse des droits humains doit habiliter le collectif à
exercer ce droit.
Le
monde a été témoin de diverses luttes pour la
démocratie ces derniers temps. Or un collectif s'est-il
emparé du pouvoir pour défendre ses intérêts
en veillant à
l'intérêt général de la
société et à l'intérêt individuel de
chacun de ses membres ? Il y a beaucoup de prétentions
à cet effet, mais les conditions témoignent du contraire.
Sur le plan de l'économie, quel est l'intérêt
général de la société ? Quel est
l'intérêt du membre individuel ? La même
question exige une réponse dans le domaine politique, surtout en
rapport avec le
processus politique, et dans le domaine culturel. On se rend facilement
compte que cette condition n'est pas satisfaite aujourd'hui, ne
serait-ce que par un examen sommaire de la situation mondiale.
Un groupe de défense des droits ne constitue pas
un collectif dans le sens strict du terme. Un collectif surgit
généralement d'intérêts communs dans les
conditions existantes, qu'il s'agisse des conditions économiques
ou autres. Le groupe de défense des droits a aussi des
intérêts communs mais seulement dans la mesure où
il s'agit de droits. Il
ne va pas plus loin. Le collectif reflète les conditions
objectives. Le collectif de travailleurs fait face aux mêmes
conditions que le collectif de petits producteurs agricoles ou de
pêcheurs ou de professionnels et d'intellectuels. Le collectif
lutte pour l'intérêt général de la
société et l'intérêt individuel de chaque
membre s'il en va de son propre intérêt.
Différents partis politiques sont à la
tête de
différentes classes, différentes couches et
différents groupes de gens et leurs intérêts
à tous ne concordent pas dans les conditions actuelles. Ce qui
fait la différence, ce n'est pas lorsque tel ou tel parti
politique ou groupe de partis politiques arrive au pouvoir, mais, en
dernière analyse, lorsqu'un collectif
arrive au pouvoir dont l'intérêt est de défendre
l'intérêt général de la
société et l'intérêt individuel de chacun de
ses membres. Ce collectif proclamerait que les droits sont tels
qu'ils sont : ils n'ont pas besoin d'être
définis autrement.
Note
1. Ross Perot est un milliardaire américain et
une des personnes les plus riches des États-Unis. Il a
été candidat indépendant à
l'élection présidentielle de 1992 et a par la suite
créé le Reform Party pour se représenter à
nouveau à l'élection de 1996.
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