Une paix malheureuse
- Lénine, 1918 -
Trotski avait raison de dire : une paix peut
être trois fois malheureuse, mais la paix qui met un terme
à cette guerre cent fois infâme ne peut pas être
infâme, déshonorante, malpropre.
Il est incroyablement, infiniment pénible de
signer une paix malheureuse, extrêmement dure et humiliante,
alors que le fort marche sur la poitrine du faible. Mais il n'est pas
permis de tomber dans le désespoir, il est inadmissible
d'oublier que l'histoire connaît des exemples d'humiliations plus
grandes encore, de conditions de paix encore plus
malheureuses et plus dures. Pourtant, les peuples écrasés
par des vainqueurs féroces et cruels ont su se redresser et
reprendre vie.
Napoléon 1er écrasa et humilia la
Prusse infiniment plus que Guillaume n'écrase et n'humilie
maintenant la Russie. Napoléon 1er fut pendant des
années le vainqueur absolu du continent, sa victoire sur la
Prusse fut beaucoup plus décisive que celle de Guillaume sur la
Russie. Mais la Prusse se remit sur pied au bout de quelques
années et, dans une guerre libératrice, secoua le joug de
Napoléon, non sans être soutenue par le brigandage des
États qui faisaient à Napoléon une guerre
impérialiste, et nullement libératrice.
Les guerres impérialistes de Napoléon
durèrent de longues années, embrassèrent toute une
époque et firent apparaître un réseau
extraordinairement complexe où s'entrelaçaient des
relations impérialistes et des mouvements d'émancipation
nationale. Le résultat fut qu'à travers toute cette
époque étonnamment riche en guerres et en drames (en
drames vécus par des peuples entiers), l'histoire marcha de
l'avant, de la féodalité au capitalisme «
libre ».
L'histoire avance maintenant plus vite encore, les
drames vécus par des peuples entiers que la guerre
impérialiste a écrasés et écrase encore
sont infiniment plus affreux. L'interpénétration des
tendances, des mouvements et des aspirations impérialistes et
d'émancipation nationale subsiste également, avec cette
énorme différence que les
mouvements d'émancipation nationale sont infiniment plus faibles
et les mouvements impérialistes infiniment plus puissants. Mais
l'histoire avance sans fléchir et la révolution
socialiste mûrit au sein de tous les pays avancés,
mûrit malgré tout, infiniment plus profonde, plus
populaire, plus puissante que la révolution bourgeoise
d'autrefois.
C'est pourquoi, encore et encore : rien n'est plus
inadmissible que le désespoir. Les conditions de la paix sont
intolérablement dures. Mais l'histoire prendra le dessus, la
révolution socialiste qui mûrit inéluctablement
dans les autres pays nous viendra en aide, même si ce ne doit pas
être aussi tôt que nous le voudrions.
Un rapace nous serre de près, nous écrase
et nous humilie ; mais nous saurons faire face à toutes ces
épreuves. Nous ne sommes pas seuls au monde. Nous avons des
amis, des partisans, des appuis très sûrs. Ils sont en
retard, pour des raisons indépendantes de leur volonté,
mais ils viendront.
Au travail pour l'organisation, l'organisation et
l'organisation. En dépit de toutes les épreuves, l'avenir
est à nous.
(Source : Lénine, Oeuvres ,
t. 27, Éditions Sociales - Paris, Éditions en
langues étrangères - Moscou, 1961, p. 46-47)
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