Une paix malheureuse

Trotski avait raison de dire : une paix peut être trois fois malheureuse, mais la paix qui met un terme à cette guerre cent fois infâme ne peut pas être infâme, déshonorante, malpropre.

Il est incroyablement, infiniment pénible de signer une paix malheureuse, extrêmement dure et humiliante, alors que le fort marche sur la poitrine du faible. Mais il n'est pas permis de tomber dans le désespoir, il est inadmissible d'oublier que l'histoire connaît des exemples d'humiliations plus grandes encore, de conditions de paix encore plus malheureuses et plus dures. Pourtant, les peuples écrasés par des vainqueurs féroces et cruels ont su se redresser et reprendre vie.

Napoléon 1er écrasa et humilia la Prusse infiniment plus que Guillaume n'écrase et n'humilie maintenant la Russie. Napoléon 1er fut pendant des années le vainqueur absolu du continent, sa victoire sur la Prusse fut beaucoup plus décisive que celle de Guillaume sur la Russie. Mais la Prusse se remit sur pied au bout de quelques années et, dans une guerre libératrice, secoua le joug de Napoléon, non sans être soutenue par le brigandage des États qui faisaient à Napoléon une guerre impérialiste, et nullement libératrice.

Les guerres impérialistes de Napoléon durèrent de longues années, embrassèrent toute une époque et firent apparaître un réseau extraordinairement complexe où s'entrelaçaient des relations impérialistes et des mouvements d'émancipation nationale. Le résultat fut qu'à travers toute cette époque étonnamment riche en guerres et en drames (en drames vécus par des peuples entiers), l'histoire marcha de l'avant, de la féodalité au capitalisme « libre ».

L'histoire avance maintenant plus vite encore, les drames vécus par des peuples entiers que la guerre impérialiste a écrasés et écrase encore sont infiniment plus affreux. L'interpénétration des tendances, des mouvements et des aspirations impérialistes et d'émancipation nationale subsiste également, avec cette énorme différence que les mouvements d'émancipation nationale sont infiniment plus faibles et les mouvements impérialistes infiniment plus puissants. Mais l'histoire avance sans fléchir et la révolution socialiste mûrit au sein de tous les pays avancés, mûrit malgré tout, infiniment plus profonde, plus populaire, plus puissante que la révolution bourgeoise d'autrefois.

C'est pourquoi, encore et encore : rien n'est plus inadmissible que le désespoir. Les conditions de la paix sont intolérablement dures. Mais l'histoire prendra le dessus, la révolution socialiste qui mûrit inéluctablement dans les autres pays nous viendra en aide, même si ce ne doit pas être aussi tôt que nous le voudrions.

Un rapace nous serre de près, nous écrase et nous humilie ; mais nous saurons faire face à toutes ces épreuves. Nous ne sommes pas seuls au monde. Nous avons des amis, des partisans, des appuis très sûrs. Ils sont en retard, pour des raisons indépendantes de leur volonté, mais ils viendront.

Au travail pour l'organisation, l'organisation et l'organisation. En dépit de toutes les épreuves, l'avenir est à nous.

(Source : Lénine, Oeuvres , t. 27, Éditions Sociales - Paris, Éditions en langues étrangères - Moscou, 1961, p. 46-47)

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