Numéro 134 - 29 octobre 2016
Relations Cuba-États-Unis
Entretien de Josefina Vidal, directrice
générale chargée des États-Unis
au ministère des Relations
extérieures de Cuba
Le 17 octobre,
Josefina Vidal, directrice
générale chargée des États-Unis au
ministère
des Relations extérieures de Cuba (MINREX), s'est entretenue
avec des étudiants à l'Université de La Havane au
sujet du blocus. Voici le texte intégral de son intervention.
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*
Bonjour à tous.
Je vous remercie pour l'invitation qui m'a
été faite de participer avec tous les jeunes
réunis ici, avec tout le peuple de Cuba, et de me joindre, comme
je l'ai fait auparavant à travers Internet et les réseaux
sociaux, au vote contre le blocus. Car le blocus porte préjudice
au peuple cubain, il porte
préjudice à Cuba dans son ensemble, il nuit au
fonctionnement de notre économie, aux relations de Cuba avec des
pays tiers et des pays tiers avec Cuba, et il nuit même aux
relations que nous pourrions avoir avec les États-Unis. C'est
pourquoi nous allons tous voter contre le blocus, et ceux qui ne l'ont
pas
encore fait peuvent le faire à travers la page web de
« Cuba contre le blocus » [www.cubavsbloqueo.cu].
Avant de poursuivre cette conversation avec vous -
parce que mon intention ici est d'engager une conversation, et je suis
à votre disposition pour répondre à vos questions,
en évitant que cet échange prenne la forme d'un monologue
-, j'aimerais que vous me permettiez de formuler
quelques brèves réflexions en guise d'introduction. Je ne
serai pas trop longue, compte tenu du fait qu'il n'y a que trois jours
que des annonces ont été faites de la part des
États-Unis vis-à-vis de Cuba. Il y a eu deux
annonces : la première, une directive présidentielle
de politique
intitulée « Normalisation des relations entre les
États-Unis et Cuba », et la deuxième, la
cinquième série de mesures visant à modifier
l'application de certains aspects du blocus.
J'ai abordé ce sujet vendredi dernier au
siège de notre ministère, et cette question a
été relayée par la presse cubaine et les sites
Internet, tels que Cubadebate. Mais j'estime qu'il est important,
puisque nous avons disposé d'un peu plus de temps cette fin de
semaine pour
réfléchir - ces mesures ont été
annoncées le vendredi 14 octobre -, de partager avec vous
quelques réflexions et quelques conclusions préliminaires
auxquelles nous sommes arrivés après l'étude et
l'analyse de ces deux annonces.
J'aimerais parler d'abord de
la directive
présidentielle de politique sur Cuba. Il s'agit de la
première directive sur Cuba adoptée et émise par
le président Barack Obama qui, comme vous le savez, est sur le
point de quitter le gouvernement, dans quelques mois, exactement
le 20 janvier 2017,
lorsque la présidence de ce pays sera assumée par la
nouvelle administration qui sortira des élections prévues
le 8 novembre, soit très bientôt.
Comme je l'ai signalé à plusieurs des
organes de presse que nous avons convoqués aussitôt au
siège du Minrex vendredi dernier pour leur faire part de notre
première réaction à l'annonce de cette directive,
et je le répète aujourd'hui, nous estimons que ce
document
constitue un pas significatif dans le processus vers la levée du
blocus et vers l'amélioration des relations avec Cuba.
C'est la deuxième fois qu'un président
des États-Unis émet une directive donnant des
instructions aux différentes branches du gouvernement
fédéral pour entamer et conduire un processus vers la
normalisation des relations avec Cuba. Le premier à le faire fut
le président
James Carter en 1977. J'ai ici la copie du document original.
À travers cette directive, il enjoignait à entreprendre
des démarches exploratoires en vue d'une normalisation des
relations avec Cuba. Ce document resta secret jusqu'en 2002,
lorsqu'il demanda à sa bibliothèque de le
déclassifier, l'apporta à Cuba et nous le remit dans le
contexte de sa visite dans notre pays à l'époque.
C'était une directive simple, d'à peine une page et demie
et, comme chacun sait, en raison de ce qui s'est passé dans
l'histoire des relations avec Cuba, qui se sont
dégradées, il
fut impossible sous son mandat présidentiel d'avancer vers la
normalisation des relations.
À présent, le président Obama
vient d'émettre un document un peu plus long, dont la traduction
espagnole fait 15 pages et sur lequel j'aimerais donner mes
impressions.
Ce document émis par Obama sert de guide pour
mener un processus qui, à l'avenir, devrait conduire à la
normalisation des relations. Mais il faut tenir compte du fait qu'il a
été rédigé dans l'optique du gouvernement
des États-Unis, si bien que le document en soi ne peut se
départir de la vision d'ingérence qui a historiquement
marqué la position des États-Unis vis-à-vis de
Cuba.
J'aimerais procéder à une brève
analyse de son contenu et, pour ce faire, je vais d'abord me
référer à ce que nous considérons comme
certains éléments favorables consignés dans cette
directive. En premier lieu, c'est un effort - il faut le
reconnaître - pour tenter d'assurer à l'avenir la
continuité de la
politique actuelle, amorcée le 17
décembre 2014, mais uniquement au cas où le futur
président des États-Unis déciderait de maintenir
ce même cap. Il s'agit d'une directive de la présidence
actuelle, de
sorte que les futurs gouvernements des États-Unis ne seront pas
tenus de la suivre au pied de la lettre. Certains le feront-ils
peut-être, d'autres non, d'autres la suivront en partie, et
peut-être que d'autres la révoqueront tout simplement en
émettant une directive complètement différente...
Quoi qu'il
en soit, il faut reconnaître qu'il s'agit d'un pas visant
à offrir un guide qui permette de préparer le terrain au
cas où un futur président de ce pays voudrait assurer la
continuité de cette politique.
Pour la première fois - nous pensons que c'est
la première fois, selon les études que nous avons
réalisées pendant de nombreuses années -, un
document officiel du gouvernement des États-Unis parle de
reconnaissance de l'indépendance, de la souveraineté et
de l'autodétermination de Cuba, des éléments qui,
pour nous, depuis que nous avons rétabli les relations avec ce
pays, doivent être et restent des principes essentiels qui
serviront de base à nos liens à l'avenir.
Il y a aussi dans cette directive, pour la
première fois, une reconnaissance de la légitimité
du gouvernement cubain. Il ne faut pas oublier que pendant plus
de 55 ans la politique des États-Unis, dans tous ses
volets, n'a absolument pas voulu reconnaître le gouvernement
cubain comme un interlocuteur
légitime. Ils ont toujours nié la
légitimité de Cuba, c'est un trait commun à toutes
les politiques adoptées pendant plus de cinq décennies.
Ainsi, cette directive reconnaît le gouvernement
cubain comme un interlocuteur valable, un interlocuteur sérieux,
légitime et égal du gouvernement des États-Unis,
et il y a également une reconnaissance des avantages que les
deux pays et les deux peuples pourraient recueillir d'une relation de
coexistence civilisée, malgré nos profondes divergences,
qui, certes, continueront d'exister à l'avenir.
La directive propose notamment de continuer de
développer les liens avec le gouvernement cubain et la
coopération dans des sphères d'intérêt
mutuel. Le document confirme les propos tenus à plusieurs
reprises par le président Obama, à savoir que le blocus
est obsolète et
doit être levé, et il invite une nouvelle fois le
Congrès à oeuvrer dans ce sens.
Telles sont, jusqu'ici, les composantes essentielles
que
nous considérons comme ayant un caractère favorable dans
cette directive. Mais le document contient aussi une série
d'éléments qui s'apparentent à de
l'ingérence.
La directive ne cache pas - c'est visible dès
les premiers paragraphes - que l'objectif de la politique des
États-Unis est de faire avancer leurs intérêts
à Cuba, autrement dit de promouvoir des changements dans l'ordre
politique, économique et social de notre pays.
Parallèlement, le document manifeste un intérêt
pour le développement du secteur privé à Cuba -
nous savons pourquoi ils mettent un accent particulier sur ce sujet -,
et remet profondément en question le système politique
dont les Cubains se sont dotés.
Cette directive ne renonce pas - en fait elle
reconnaît qu'ils continueront à recourir à l'avenir
aux vieux instruments de la politique du passé, de la politique
hostile vis-à-vis de Cuba -, et mentionne en particulier la
poursuite des transmissions illégales radiophoniques et
télévisées contre Cuba, des programmes soi-disant
appelés à « promouvoir la
démocratie » à Cuba, qui ne sont rien d'autre
que des programmes de nature subversive visant à provoquer des
changements dans notre pays, et ils persistent dans leur intention
d'impliquer de vastes secteurs de la société cubaine dans
ces programmes.
Réponse de Cuba aux aspects subversifs de la directive du 14
octobre 2016 du président Obama: « L'avenir de Cuba
appartient aux Cubains - Cuba est à nous. »
Finalement, et c'est très important - le
document n'en reste pas là, mais ce sera la dernière
réflexion que je vous ferai -, il est dit clairement que les
États-Unis n'ont pas l'intention de modifier le traité
qui donna lieu à l'occupation d'une partie du territoire cubain
par la base navale de Guantanamo.
En résumé, nous pouvons conclure de
l'analyse que nous avons faite de la Directive présidentielle de
politique pour la normalisation des relations avec Cuba : elle
instaure une nouvelle politique, à partir de la reconnaissance
que la politique précédente a échoué. Mais
en quoi
a-t-elle échoué ? Et bien, il est clairement
indiqué que cette politique a échoué à
provoquer des changements à Cuba répondant aux
intérêts des États-Unis. Aussi, une modification
intervient-elle dans la politique, mais pas dans l'objectif
stratégique des
États-Unis qui est de promouvoir des changements dans notre
pays. Pour ce faire, on a recours aux vieilles méthodes, aux
méthodes du passé, dont je vous parlais. En d'autres
mots, ils vont continuer à appuyer cette politique à
travers un éventail d'instruments comme les programmes
subversifs,
les transmissions illégales de radio et de
télévision, les restrictions du blocus qui pourraient
être levées par décret exécutif mais ne le
sont
pas, alors que l'étendue des pouvoirs exécutifs du
président est loin d'être épuisée.
Parallèlement, ces instruments du passé
sont combinés à des méthodes nouvelles, en accord
avec la nouvelle réalité bilatérale,
marquée par les échanges en tout genre entre Cuba et les
États-Unis, le commerce toujours limité, car à ce
jour les
changements ont été insignifiants, et le dialogue et la
coopération avec le gouvernement cubain sur des questions
d'intérêt mutuel.
Le document réitère au Congrès son
appel à la levée du blocus, arguant que c'est un fardeau
lourd et obsolète qui pèse sur le peuple de Cuba. Mais en
même temps, il affirme clairement qu'il est important de lever le
blocus parce qu'il empêche les États-Unis de faire
progresser leurs intérêts à Cuba.
Le document reconnaît, comme je l'ai dit,
l'autodétermination et l'indépendance de Cuba, la
légitimité du gouvernement cubain, et il va
jusqu'à affirmer que les États-Unis ne prétendent
pas imposer un nouveau modèle à notre pays, et qu'il
revient au peuple cubain de
prendre ses propres décisions. Cependant et
parallèlement, cette directive montre qu'ils n'ont pas
renoncé à leurs intentions d'ingérence ni à
leur
comportement habituel de vouloir s'immiscer dans les affaires
intérieures de notre pays.
En résumé, on retrouve dans cette
directive les conceptions et buts qui s'opposent à l'objectif
déclaré de normaliser les relations avec Cuba.
Nous tenons à réaffirmer ici, une fois de
plus, que la volonté du gouvernement de Cuba est de
développer des relations respectueuses et de coopération
avec les États-Unis. Mais ceci doit se faire sur les bases de la
pleine égalité et de la réciprocité, du
respect absolu
de l'indépendance et de la souveraineté de Cuba, et sans
ingérence d'aucune sorte.
En nous rapprochant du sujet qui nous occupe
aujourd'hui, c'est-à-dire le blocus, et dans le cadre de la
directive présidentielle, une nouvelle série de mesures a
été adoptée par les départements du
Trésor et du Commerce des États-Unis pour modifier
l'application de certains
aspects du blocus.
Ces mesures entrent en vigueur à partir
d'aujourd'hui. Les mesures, comme nous l'avons signalé vendredi
dernier dans des déclarations préliminaires à la
presse, sont positives, mais d'une portée très
limitée. Il suffit de jeter un coup d'oeil à leur contenu
pour s'en
convaincre aussitôt. Pour la plupart, elles sont destinées
à élargir des transactions qui avaient été
approuvées auparavant. Or, en général, il a
été très difficile de les mettre en oeuvre dans la
pratique, parce qu'une série de restrictions toujours en
vigueur ne permettent pas de les appliquer.
En guise de synthèse concernant ces
dispositions, je vous citerai les principales limitations que nous
avons rencontrées.
En premier lieu, les investissements à Cuba
restent interdits, quelque chose que le président Obama pourrait
autoriser. Rappelons qu'en janvier 2015 et dans le cadre d'une
succession de mesures, le président Obama avait approuvé
et autorisé les investissements à Cuba dans la
sphère
des télécommunications, ce qui prouve que c'est possible,
paraphrasant le slogan de campagne du président Obama.
Cependant, jusqu'à présent il n'a pas voulu faire usage
de ses prérogatives pour permettre aux investissements des
sociétés étasuniennes à Cuba de toucher
beaucoup plus de secteurs de notre économie, et pas seulement
les télécommunications.
Il n'y a pas d'expansion des exportations des
États-Unis vers Cuba, à part quelques ventes très
limitées qui furent approuvées dans les trains de mesures
précédents et qui excluent la possibilité que ces
produits des États-Unis soient destinés aux branches
essentielles de
l'économie cubaine.
Afin que vous puissiez vous faire une
idée : les exportations des États-Unis vers Cuba ne
sont autorisées ni pour le tourisme, ni pour la production
énergétique, ni pour le forage et l'exploration
pétrolière, ni pour l'industrie minière. Comme
vous pouvez le constater, il
s'agit là de certaines des principales branches de notre
économie.
D'une manière générale, les
interdictions sur les importations de produits cubains aux
États-Unis sont toujours en vigueur. Une seule exception a
été approuvée dans le nouveau paquet de mesures de
vendredi dernier, finalement, à la suite de nombreuses
réclamations de
certaines entreprises étasuniennes très
intéressées par la possibilité que
dorénavant des produits pharmaceutiques cubains puissent
être exportés vers les États-Unis. Il s'agit de la
seule exception accordée à une entreprise cubaine
d'État. Autrement dit, les
entreprises cubaines d'État sont frappées par
l'interdiction d'exporter leurs produits aux États-Unis,
à l'exception désormais des produits pharmaceutiques. Une
nouvelle très bienvenue ! Bien entendu, il faudra attendre
que l'agence des États-Unis chargée des produits
alimentaires
et médicamenteux certifie ces produits cubains pour
concrétiser et matérialiser leur commercialisation et
leur distribution dans ce pays. Mais, je tiens à le souligner,
nous estimons qu'il s'agit là d'une mesure vraiment positive.
J'attire votre attention sur le fait curieux que tout
de suite après l'annonce de ce paquet de mesures, une
information a fait le tour du monde : dorénavant, les
ressortissants étasuniens en visite à Cuba pourront
rapporter chez eux, pour leur consommation personnelle, autant de rhum
et de cigares qu'ils
veulent. Cette nouvelle a fait le tour du monde. Bienvenue aux
Étasuniens qui pourront enfin acheter des cigares et du rhum
à Cuba ! Il me semble que l'on met fin ici à une
interdiction ridicule, en vertu de laquelle les citoyens des
États-Unis en visite à Cuba ne pouvaient acheter qu'un
disque de
musique, un livre et une oeuvre d'art, grâce à une
exception approuvée à la fin des années 80
qui permettait l'acquisition de produits liés à
l'information et à la culture. Cependant, jusqu'à
présent ils ne pouvaient acheter ni rhum, ni cigares, ni
café, ni bien
d'autres produits cubains susceptibles de les intéresser. Cette
interdiction a enfin été supprimée. Ils pourront
le faire, mais, attention ! Cela ne veut pas dire que les
entreprises cubaines du rhum et des cigares sont autorisées
à vendre leurs produits aux États-Unis. Aussi, l'impact
de cette
mesure sera-t-il très limité quant aux
bénéfices qu'elle pourrait apporter à
l'économie cubaine.
Par ailleurs, aucune nouvelle mesure n'a
été annoncée dans le domaine financier. Comme
chacun sait, la marge de manoeuvre de Cuba dans le secteur financier
dans ses relations avec les États-Unis et le reste du monde est
extrêmement réduite. Bien que Cuba ait été
autorisée
à utiliser le dollar dans les transactions internationales au
mois de mars dernier, je tiens à souligner que jusqu'à
aujourd'hui - j'ai fait le point samedi avec les contreparties
cubaines -, Cuba n'a pas encore pu faire de dépôt en
espèces
dans cette monnaie, ni effectuer des paiements
à des pays tiers en dollars étasuniens. Par
conséquent, cette mesure est toujours en attente d'application,
notamment parce que les banques du monde sont toujours effrayées
par les risques que signifient travailler et avoir des relations avec
Cuba et la possibilité de sanctions. Rappelons que plusieurs
d'entre
elles ont été condamnées ces dernières
années à de lourdes amendes pour avoir
réalisé, entre autres, des transactions avec Cuba. Et il
est toujours interdit à notre pays d'ouvrir des comptes de
correspondants auprès d'institutions bancaires
étasuniennes.
C'est pourquoi nous estimons, et je le
répète une nouvelle fois aujourd'hui, pour conclure, que
les nouvelles mesures qui entrent aujourd'hui en vigueur
bénéficient davantage aux États-Unis qu'à
Cuba et au peuple cubain. Le blocus reste une réalité. Le
président Obama vient
de répéter dans la directive présidentielle qu'il
a signée vendredi dernier que le blocus doit être
levé, mais la réalité, c'est qu'il n'a pas
épuisé toutes ses prérogatives exécutives
pour contribuer de manière décisive au
démantèlement du blocus. Le président Obama
achève son mandat dans trois mois. Il s'en va, mais le blocus
reste. Tant que cette situation persistera, Cuba continuera de
présenter sa Résolution exigeant la levée du
blocus aux Nations unies. Nous le ferons une nouvelle fois dans neuf
jours, le
mercredi 26 octobre. Nous vous invitons tous à suivre la
couverture de cet événement au siège des Nations
unies, à New York. Et nous espérons, comme cela s'est
produit ces dernières années, que le monde votera, comme
nous venons de le faire, contre le blocus.
Je vous remercie (Applaudissements) .
Je vous invite à présent... Je pense
avoir tenu parole, puisque je vous avais promis de ne pas trop
m'étendre sur ce sujet assez complexe et sur lequel il y a
encore bien des choses à dire. Mais j'avais
précisé au début que ce serait une conversation,
si bien qu'à présent, je
serai vraiment ravie que vous me posiez toutes vos questions, n'importe
lesquelles, afin d'éclaircir ce que vous n'avez pas bien compris.
Rachel (Institut
supérieur des Relations
internationales) : Vous parliez au début des
nouvelles
normes ou directives annoncées récemment. Nous sommes en
pleine campagne électorale aux États-Unis, avec des
élections qui ressemblent plutôt à un cirque
qu'à
autre chose. Nous sommes face à un spectacle entre Hillary
Clinton et le Parti républicain, dans ce cas
représenté par Donald Trump qui dit ne pas vouloir
poursuivre les mesures d'Obama, tandis qu'Hillary serait tentée
de maintenir ces avancées dans les relations entre nos deux
pays. Ces nouvelles
dispositions auraient-elles par conséquent un impact
éphémère ? Quelle serait, dans ce cas, la
position du gouvernement étasunien à partir de ces
nouvelles dispositions ? Postérieurement, quelle serait la
position du gouvernement des États-Unis par rapport à ces
nouvelles dispositions ? Quelle serait la position dans ce sens
des républicains et des démocrates concernant ces
dispositions ? Quel serait alors le point de vue, après ces
élections, par rapport aux relations entre Cuba et les
États-Unis ? Ces progrès se maintiendront-ils ou y
aura-t-il
un autre type de relations ?
Josefina Vidal :
Le 8 novembre, plus
tôt ou plus tard dans la nuit, selon que les résultats de
ces élections soient serrés ou non, nous saurons tous
quel sera le prochain président des États-Unis qui
prendra ses fonctions le 20 janvier 2017.
Je le répète, la Directive
présidentielle est du président Obama. En principe, elle
est donc valide et c'est une instruction à son gouvernement pour
travailler dans les relations avec Cuba. Le prochain président
n'a aucune obligation d'y donner suite. Il peut l'abroger totalement et
émettre une
nouvelle directive ou l'amender pour y introduire des
changements ; il peut même ne pas y toucher, la ranger au
fond d'un tiroir, et ne rien faire. Autrement dit, tout dépendra
de la volonté du prochain gouvernement par rapport à la
politique à l'égard de Cuba. Je crois effectivement qu'il
s'agit
d'une Directive qui doit être mise en oeuvre par le gouvernement
du président Obama, mais au cas où un prochain
président, maintenant ou plus tard, souhaiterait donner
continuité au processus de normalisation des relations avec
Cuba, je pense que ce document pourrait servir de point de
référence pour s'inspirer des expériences
positives, et également de ce qui ne fonctionne pas, afin
d'avancer dans cette direction. Je le répète, c'est une
directive de ce président que le suivant n'est pas obligé
de maintenir, mais qui peut servir de guide pour l'avenir.
Il est curieux que lorsque
cette Directive a
été annoncée, on a déclaré qu'elle
en abrogeait beaucoup d'autres qui étaient en vigueur par le
passé. Nous sommes en train de faire une étude et nous
avons demandé l'aide de collègues
spécialisés en la
matière. Nous procédons à une sorte d'étude
historique afin de déterminer quelles sont ces autres directives
du passé qui étaient toujours en vigueur et qu'aucun
président postérieur n'avait révoquées,
mais qui n'étaient tout simplement pas
appliquées, ce qui peut nous donner la mesure de ce qui peut se
passer à l'avenir.
Je me souviens qu'en 1985 le président
Reagan avait émis une directive présidentielle
instruisant le Département d'État de ne délivrer
de visa à aucun membre du Parti communiste cubain ni à
aucun Cubain travaillant pour le gouvernement de Cuba. Cette directive
était encore en vigueur, semble-t-il. C'est l'une de celles dont
l'abrogation reste à confirmer. À-t-elle
été appliquée ou non tout au long de ces
années ? Reagan l'a appliquée avec la plus grande
rigueur et pratiquement aucun Cubain qui voulait se rendre aux
États-Unis pour
des échanges culturels, scientifiques, éducatifs, y
compris des fonctionnaires du gouvernement n'a pu visiter ce pays. Par
la suite, d'autres administrations ont assoupli son
interprétation et ne l'ont pas appliquée. Cela vous donne
la mesure de la façon dont on peut jouer avec ce genre
d'instrument. Mais,
à n'en pas douter, c'est une directive d'Obama, il n'y a aucune
obligation de la maintenir dans l'avenir, mais elle peut servir de
référence au cas où le nouveau président
souhaiterait prendre une voie similaire.
Jorge Serpa (Faculté de géographie,
Université de La Havane) : Ma question concerne la
proximité du vote [aux Nations unies], le 26 octobre.
J'aimerais savoir quel est le climat en ce moment à l'ONU et, en
particulier, si on sait quelque chose sur la position qu'Israël
adoptera cette année.
Josefina Vidal : La position des pays,
surtout de celui auquel vous faites allusion, nous la saurons le jour
du vote. Mais ce que je voulais vous dire, c'est que même si
notre ministre a présenté officiellement le rapport de
Cuba sur le blocus au mois de septembre, ici, à La Havane, notre
gouvernement l'avait déjà remis en juin au
Secrétaire général des Nations unies. De
très nombreux pays du monde et des organismes de l'ONU ont
également présenté leurs propres rapports pour
expliquer comment ils avaient subi les retombées
négatives de
l'application collatérale, extraterritoriale du blocus. Notre
Mission à l'ONU a été très active, en
informant de façon permanente toutes les représentations
auprès de cette organisation des dernières manifestations
du blocus qui se sont présentées encore tout
récemment.
La semaine dernière, nous avons appris qu'une
banque avait refusé d'effectuer un virement représentant
le paiement de l'inscription de Cuba à l'Union
interparlementaire. Cela fait des mois que Cuba ne peut pas payer son
inscription à l'Association des États de la
Caraïbe, des
banques internationales ayant refusé de procéder à
ce virement, alors qu'il s'agit pourtant d'organisations membres de
l'ONU et qu'il est effectué dans des monnaies autres que le
dollar. Ce qui prouve que le blocus reste en vigueur et continue de
porter préjudice à Cuba. Nous espérons -
sans anticiper sur le vote, attendons le 26 octobre - que la
communauté internationale sera aux côtés de Cuba et
demandera la levée du blocus.
Greisy (ISRI) : Professeure, nous avons
souvent entendu dire que le président Obama ou tout autre
président est investi de prérogatives lui permettant de
vider le blocus de son contenu sans attendre que le Congrès ne
déroge à cette Loi. Pouvez-vous nous rappeler une
nouvelle fois
quelles
sont ces prérogatives dont dispose Obama ou tout autre
président des États-Unis dont il n'a pas encore fait
usage ?
Josefina Vidal : Vous le savez
certainement, depuis le temps que nous abordons cette question, que le
blocus a démarré sur décision du président
Kennedy, qui avait émis une directive établissant au
départ ce qu'ils appelaient dans leur langage : l'embargo
sur le
commerce avec Cuba, à savoir qu'au départ ce fut le
commerce avec Cuba qui fut interrompu. Puis, ils ont ajouté les
autres éléments en termes de relations
financières,
services, jusqu'à aboutir au blocus : autrement dit un
enchevêtrement de réglementations qui
empêchent pratiquement la moindre relation normale dans le
domaine économique, commerciale et financier entre Cuba et les
États-Unis.
En 1996, dans le cadre d'une lutte entre les
secteurs opposés à la levée du blocus et ceux qui
exerçaient des pressions en faveur de l'élimination de
cette politique, et par suite de tensions dans les relations
bilatérales et de la décision du gouvernement de
l'époque de durcir le
blocus, le Congrès adopta la Loi
Helms-Burton, qui fut
entérinée en mars de cette même année par le
président William Clinton.
La Loi Helms-Burton a introduit un
changement important
dans le blocus. Dans quel sens ? Elle a retiré au
président la prérogative de l'éliminer par une
simple signature. Jusque-là, n'importe quel président
étasunien pouvait mettre fin de lui-même au blocus.
À partir
de 1996, le président a cessé de jouir de cette
prérogative, qui est passée aux mains du Congrès.
Ainsi, pour que le blocus disparaisse un jour
totalement, c'est le Congrès qui doit en voter la levée.
Et vous pouvez imaginer la complexité d'un vote de ce
genre au Congrès, qui compte 435 représentants
à la Chambre et 100 sénateurs. Cependant, c'est un
travail auquel
de nombreuses personnes se sont attelées, et je pense que
tôt ou tard le mur du blocus s'effondrera.
Par contre, très important. De la même
façon que la Loi Helms-Burton
a privé le
président de la prérogative qui lui permettait de
supprimer définitivement le blocus d'un simple trait de plume,
elle affirme dans un autre paragraphe :
« Ceci n'élimine pas les
prérogatives du président pour que, par le biais de
licences, il puisse autoriser certaines transactions avec
Cuba ». Aussi, le président conserve-t-il d'autres
prérogatives qui lui permettent, - pour le dire plus simplement
-, d'enlever des
briques du mur du blocus. En fait, Clinton l'avait fait. Deux ans
après l'adoption de la Loi
Helms-Burton, Clinton avait permis
pour la première fois de nouveau, après quelques
va-et-vient, de faciliter quelque peu les voyages de citoyens des
États-Unis à Cuba, les visites familiales des Cubains
résidant aux États-Unis, certains envois d'argent, des
échanges qualifiés de « peuple à
peuple », des échanges éducatifs. Clinton l'a
fait et personne ne s'y est opposé, car la Loi le lui
reconnaissait comme une prérogative. Et Obama l'a fait à
son
tour, peu à peu, au début de son mandat, lorsqu'il a
autorisé à nouveau les visites familiales à Cuba,
les envois d'argent, puis d'une manière plus suivie,
depuis 2015, il a adopté cinq trains de mesures. Mais Obama
peut aller plus loin, il n'a pas épuisé toutes ses
prérogatives.
Je vais vous résumer les choses qu'Obama ne peut
pas changer parce qu'elles sont écrites dans la pierre dans les
différentes lois du blocus. Rappelez-vous que le blocus, ce
n'est pas une seule loi, elles sont nombreuses.
Premièrement - je l'ai déjà dit -
Obama ne peut pas mettre fin au blocus de sa propre initiative. Cette
décision incombe au Congrès. Deuxièmement,
à partir de 1996, selon la
Loi Helms-Burton, il ne peut
autoriser aucune transaction concernant des biens
étasuniens nationalisés à Cuba. Je prends un
exemple hypothétique, qui pourrait être très
réel : si demain une entreprise étasunienne
était autorisée à investir à Cuba, ni Obama
ni aucun autre président ne pourrait - la Loi Helms-Burton
l'interdisant - permettre à une entreprise d'investir dans une
usine qui aurait appartenu avant 1960 à une
société étasunienne nationalisée par la
suite. La Loi le lui interdit.
Troisièmement, la Loi Torricelli, qui a
précédé la Loi
Helms-Burton de 1992, qui est
l'une des premières datant de cette dernière étape
de recrudescence du blocus, interdit aux filiales de
sociétés étasuniennes dans des pays tiers de faire
du commerce avec Cuba.
Et là non plus le président ne peut rien y faire.
Par exemple, si demain une filiale de la compagnie
General Electric au Mexique voulait vendre à Cuba des panneaux
solaires - selon les réglementations d'Obama, il lui faudrait
de
toute façon disposer d'un financement, ce qui relève de
l'impossible car jusqu'à ce jour, même si c'est
maintenant autorisé, aucune banque n'en offre - elle ne le
pourrait d'ailleurs pas et c'est la maison mère de la General
Electric aux États-Unis qui devrait s'en charger. Et là,
nous sommes face à une contradiction, à savoir que la
maison mère le peut, mais pas la filiale dans d'autres
pays, car la Loi Torricelli l'interdit.
Et
ce
n'est
pas par
hasard : jusqu'en 1992 Cuba achetait beaucoup de
médicaments, d'aliments et d'équipements à des
filiales de sociétés étasuniennes dans des pays
tiers, et la Loi Torricelli a
coupé court à ce commerce
comme un
moyen de renforcer le blocus.
Quatrièmement, et cela est établi dans
une loi qui date de l'an 2000 : la Loi de Réforme aux
sanctions et d'expansion du commerce, qui interdit les voyages
touristiques à Cuba, tout en permettant des ventes
limitées d'aliments à notre pays. Ainsi pour venir
à Cuba, les
citoyens des États-Unis doivent faire partie de douze
catégories de voyageurs autorisées par la Loi :
échanges universitaires ou culturels, journalistes,
fonctionnaires de l'administration, Cubains ayant une famille dans
l'île, etc. Par conséquent, même si Obama voulait
libéraliser
totalement les voyages à Cuba, il ne le pourrait pas puisque la Loi Torricelli
interdit les voyages touristiques.
Cinquièmement, cette même loi
de 2000, qui a autorisé pour la première fois les
ventes d'aliments étasuniens à Cuba, mais en imposant de
nombreuses conditions, entre autres l'interdiction d'octroyer à
notre pays à cette fin des crédits publics ou
privés, et
l'obligation, pour la partie cubaine, de payer en espèces et
à l'avance, ce qui met le secteur agricole des États-Unis
en désavantage par rapport à ceux d'autres pays qui
pourraient nous accorder des crédits privés pour
faciliter ces importations d'aliments autorisées, à
condition,
bien entendu, qu'une banque soit prête à nous en octroyer.
Ce sont des choses qu'Obama ou tout autre
président ne pourrait pas faire, parce que la Loi le lui
interdit. Mais, comme vous le voyez, il reste un très vaste
espace où il pourrait user de ses prérogatives, ce qu'il
n'a pas fait à ce jour. Pourquoi ne l'a-t-il pas fait ? Le
gouvernement des
États-Unis insiste sur le fait que le président a atteint
les limites légales fixées par ses prérogatives,
cependant de nombreux avocats étasuniens, notamment ceux qui
conseillent le gouvernement cubain, affirment que ce n'est pas le cas,
qu'il reste encore une large gamme de mesures que le
président pourrait adopter, ce qu'il n'a pas fait.
Nilexys (Faculté de Droit, Université
de La Havane) : Je fais partie du Modèle des Nations
Unies de La Havane. Je tiens tout d'abord à vous remercier, au
nom de nous tous, d'être venue partager avec nous cet espace
informel qui nous a apporté de nombreux
éclaircissements au sujet du blocus. Mais j'aimerais que vous
nous parliez un peu de la Loi du
commerce avec l'ennemi, qu'Obama,
malgré le rétablissement des relations, a pourtant
prorogée en septembre 2015, ratifiant les sanctions qu'elle
implique. Existe-il des possibilités qu'Obama, si c'était
possible maintenant, ou le prochain président, ne renouvelle pas
les sanctions découlant de la Loi
du
commerce
avec
l'ennemi, qui
date de 1917 ?
Josefina Vidal : Comme c'est une
étudiante de Droit qui me pose cette question, je vais en
profiter, en m'excusant auprès des autres, pour vous expliquer
un point qui est assez compliqué.
J'ai toujours affirmé que la mère de
toutes les lois du blocus est la Loi
du commerce avec l'ennemi, qui
remonte à 1917 et qui interdisait de faire du commerce avec
les ennemis des États-Unis. Vous pouvez imaginer : une loi
pour ne pas faire de commerce avec les ennemis des États-Unis
durant, mais c'est cette loi qui a permis aux différents
présidents étasuniens, en se fondant sur une situation
d'urgence, d'imposer des sanctions à différents pays.
C'est de cette loi dont ils se sont servis dans les
années 50 pour imposer des sanctions à la
Corée du Nord, qu'ils ont
ensuite utilisée pour imposer des sanctions à Cuba et,
plus tard, au Vietnam.
Par la suite, d'autres lois sont venues renforcer le
blocus : la Loi d'aide
extérieure, de 1961 ; la Loi de gestion des
exportations, de 1979 ; la Loi Torricelli,
de 1992 ; la Loi
Helms-Burton de 1996, et la Loi de
réforme des sanctions, de 2000, qui sont les plus
importantes.
Depuis lors, de très nombreuses dispositions ont
découlé de toutes ces lois.
Or, pour que vous compreniez un peu la
complexité de
cette question : en 1973 le Congrès des
États-Unis a commencé à contester le fait que les
présidents des États-Unis, en vertu de cette Loi du
commerce avec l'ennemi, sans même invoquer de situations
d'urgence
nationale, imposaient des sanctions à n'importe quel pays, ce
qui portait préjudice aux intérêts
économiques des États-Unis, si bien que ce Congrès
décida d'adopter une nouvelle loi, dite des Pouvoirs
économiques d'urgence - en 1973 -, et c'est alors que se
posa un problème : que faire des sanctions
déjà établies à cette date ? En effet,
cette loi stipulait clairement que pour qu'un président puisse
annoncer et imposer des sanctions à de nouveaux pays, il devait
décréter, cas par cas, une situation d'urgence
spécifique et ne pouvait pas se fonder de façon
générale sur une situation d'urgence du passé pour
continuer à imposer des sanctions.
Pour que vous compreniez bien, Kennedy
décréta le blocus à Cuba sans partir d'une
situation d'urgence particulière avec Cuba. Il a utilisé
celle qui avait été utilisée pour la Corée
du Nord, à l'époque de la guerre dans cette
péninsule dans les
années 50. Ce sont des choses étranges qui arrivent,
mais c'est sur la base de cette urgence que les autres
sanctions ont été imposées. C'est alors que le
Congrès a dit : Non, désormais, pour appliquer des
sanctions, le président doit décréter, cas par
cas, une situation d'urgence nationale.
C'est ce que les États-Unis ont fait contre le
Venezuela, vous vous souvenez ? L'an dernier, avant d'annoncer les
sanctions à plusieurs fonctionnaires
vénézuéliens, le président Obama a dû
décréter une situation d'urgence et affirmer qu'il
régnait au Venezuela
une situation qui menaçait les intérêts des
États-Unis.
Donc, durant la discussion de 1973, le
Congrès se demanda : que faire des anciens systèmes
de sanctions contre Cuba, la Corée du Nord, le Vietnam ? La
décision fut de ne pas y toucher, de les laisser tels quels,
qu'ils continuent d'exister en vertu de la Loi du commerce avec
l'ennemi. Par
conséquent, le Congrès décida qu'à partir
de ce moment-là, pour que les sanctions contre Cuba, le Vietnam
et la Corée du Nord se poursuivent, chaque année, le
président devait confirmer qu'il convenait aux
intérêts des États-Unis de maintenir ces sanctions.
Ce fut
le cas pour la Corée du Nord, jusqu'à ce que George W.
Bush décide d'éliminer les sanctions dans le cadre d'un
engagement à cette époque, dans le contexte du conflit
nucléaire avec ce pays. Cela fut également le cas avec le
Vietnam, jusqu'en 1995 où Clinton
décida de lever le blocus, car Clinton pouvait supprimer les
sanctions contre le Vietnam d'un trait de plume. Aucune loi ne l'en
empêchait. Or, le blocus contre Cuba se maintient, et c'est
pourquoi, chaque année, en vertu de cette loi de 1973, le
président des États-Unis doit confirmer que les sanctions
contre Cuba sont maintenues en vertu de la Loi du Commerce avec
l'ennemi.
Très intéressant, - et je conclus ici
cette explication complexe. Les avocats du gouvernement des
États-Unis affirment qu'il convient de maintenir les sanctions
contre Cuba conformément à la Loi de commerce avec
l'ennemi, parce que, estiment-ils, cette loi de 1917 est
l'origine
des
prérogatives exécutives qui, même si cela est
reconnu par la Loi Helms-Burton
de 1996, permettent au
président d'autoriser, par le biais de licences, des
transactions interdites.
Pardonnez-moi cette explication complexe, mais ce n'est
pas une question qu'on nous pose tous les jours, et je pense que la
réponse peut vous avoir intéressés.
Par ailleurs, il convient de signaler que si un jour un
président décidait d'agir différemment, et de ne
pas proroger les sanctions imposées à Cuba en vertu de la
Loi du commerce avec l'ennemi, cela n'impliquerait pas la
disparition
du blocus pour autant, car rappelez-vous que d'autres lois en vigueur
le
sous-tendent.
Lin Maria (ISRI) : En fait, Obama a
confirmé la Loi durant toutes ces années...
Josefina Vidal : Effectivement. Pas
seulement Obama. Depuis 1973, tous les présidents ont
dû le faire chaque année. Ce qui se passe, c'est
qu'à l'époque d'Obama, tout le monde y a
prêté plus d'attention. Parce que, bien sûr, il y a
une sorte de contradiction lorsque
le président Obama dit que le blocus est obsolète, que le
blocus porte préjudice à Cuba, qu'il porte
préjudice aux intérêts des États-Unis et
qu'il faut le supprimer, et qu'en même temps, année
après année, il signe un document qui dit qu'il convient
aux
intérêts des États-Unis de maintenir les sanctions
contre Cuba au terme de la Loi du
commerce avec l'ennemi. Ce sont les
grandes contradictions que nous constatons encore dans la politique des
États-Unis et qui, comme je l'ai signalé, se
reflètent dans la Directive présidentielle qu'il vient de
signer.
Lin Maria : Professeure, quand on parle de
ce sujet, on fait comme s'il y avait deux camps, n'est-ce pas ?
Pour comprendre le débat entre le président et le
Congrès. Mais au sein du Congrès, quelles sont les
positions par rapport au blocus ? Quels sont les
intérêts
économiques en jeu ? Quels sont les intérêts
qui font qu'au Congrès, une grande majorité vote pour le
maintien du blocus ?
Josefina Vida : Au Congrès, il y a
des secteurs de plus en plus visibles, je dois le dire, qui s'opposent
au blocus, et ceci dans les deux partis. Auparavant, on avait tendance
à dire, parce que c'était la règle
générale, que les démocrates étaient en
faveur de la
levée du blocus, et que les républicains étaient
contre. Aujourd'hui, on ne peut plus le dire.
De plus en plus, nous voyons un groupe aussi bien de
démocrates que de républicains qui s'opposent au blocus.
Mais attention ! La plupart d'entre eux ne s'opposent pas au
blocus - et c'est très important d'en tenir compte - parce
qu'il
fait du tort à Cuba ou à l'économie
cubaine. Ils s'opposent au blocus, en premier lieu, parce qu'ils
estiment qu'il porte préjudice aux intérêts
économiques des États-Unis et aux intérêts
stratégiques des États-Unis par rapport à Cuba.
Mais, quoi qu'il en soit, on constate que le débat
s'élargit et
que de nouvelles forces se joignent à ce rejet du blocus.
Actuellement, il existe plus d'une vingtaine de
propositions de loi visant à modifier certains aspects du
blocus, et très curieusement, la plupart d'entre elles sont
promues par les républicains, aussi bien à la Chambre des
représentants qu'au Sénat. Mais au Congrès, la
situation est complexe.
Pour qu'une loi soit soumise au débat, il ne suffit pas qu'il
existe une masse critique qui la soutienne ; il faut que les
dirigeants du parti qui contrôle le Sénat ou la Chambre
des représentants permettent d'inclure ce projet à
l'ordre du jour du vote. Et ce qui se passe, c'est qu'en dépit
du soutien
croissant, de l'existence de projets, les chefs de parti, surtout
à la Chambre, s'opposent à la levée du blocus et
n'ont rien voulu faire pour que ces propositions législatives
soient discutées et soumises au vote en séance
plénière.
Mais je dois vous dire qu'en même temps, il y a
une série de propositions législatives qui visent
à renforcer le blocus ou qui prétendent annuler, par la
voie législative, les décisions exécutives prises
par Obama. Par conséquent, je crois que cette situation va se
maintenir encore
un certain temps. Des élections doivent avoir lieu prochainement
au Congrès, et je pense que nous devrons attendre l'année
prochaine pour voir comment avance ce débat.
Je crois que la pluie va mettre fin à nos
échanges. D'autres questions ?
Un étudiant : Professeure, le
rapport sur les dommages occasionnés par le blocus a
été présenté à l'ONU. Nous aimerions
en savoir plus au sujet des préjudices causés l'an
dernier, l'augmentation ou la diminution des pertes infligées
à notre
économie, dans le secteur de la santé, etc.
Josefina Vidal : Le Rapport de Cuba sur le
blocus contient de très nombreux chiffres ; je ne peux pas
vous les citer de mémoire. Seulement cette année, les
pertes se sont élevées à plus de 4 milliards
de dollars (4,68 milliards), et celles accumulés depuis
l'instauration du blocus dépassent 125 milliards de dollars
(125 873 000 000). Des pertes qui, si l'on tient compte
de la dévaluation du dollar face à l'or sur le
marché international, se montent à plus de 700
milliards de dollars (753 688 000 000). Les
exemples de dommages causés à la santé publique,
à l'alimentation, aux transports, à la biotechnologie
sont extrêmement nombreux. Enfin, lisez le Rapport, vous y
trouverez de très nombreux renseignements intéressants
qui démontrent que le blocus porte préjudice
à toute l'économie et à tous les secteurs de notre
société.
Je crois que nous devons nous arrêter là.
Merci à tous. (applaudissements).
Au revoir.
Lisez Le
Marxiste-Léniniste
Site web: www.pccml.ca
Courriel: redaction@cpcml.ca
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