Numéro 132 - 22 octobre 2016
Supplément
De la presse du Parti
L'anniversaire de la crise de Suez de 1956
Le Canada facteur de paix - un mythe
À l'occasion du 60e anniversaire de la
crise de Suez d'octobre 1956, LML publie dans ce
supplément un article sur les origines de la crise, la
création des « casques bleus » et le rôle
Canada. Cet article a été publié originellement
dans le numéro de juillet-août 1984 de La
voix du peuple, le journal
national du Front du peuple.
***
« Le Canada facteur de paix » est un
mythe entretenu par le gouvernement canadien, les politiciens
bourgeois, les médias de masse, les institutions
éducatives et les agences internationales dans le but de masquer
la participation du Canada et son aide à l'agression,
l'intervention et la subversion impérialistes et sa
participation aux
préparatifs de guerre impérialistes des deux
superpuissances. Le mythe a comme origine principale la glorification
des activités réactionnaires de l'ancien ministre
canadien des Affaires extérieures, Lester Pearson, durant la
crise de Suez de 1956. Pearson est crédité d'avoir
mis fin aux hostilités entre Israël, la France et la
Grande-Bretagne
d'un côté et l'Égypte de l'autre, au moyen de la
Force d'Urgence des Nations unies qu'il a proposée à
l'Assemblée générale des Nations unies le 4
novembre 1956. En conséquence, il a reçu le Prix
Nobel de la paix en 1957, le premier Canadien à qui ce prix
a été décerné, et a été
élu premier ministre du Canada.
Aujourd'hui, le gouvernement canadien fait revivre le
nom de Lester Pearson dans le contexte de sa démagogie de paix
impérialiste, particulièrement durant l'«
initiative de paix » du [premier ministre Pierre Elliot]
Trudeau. Durant sa « mission de paix », Trudeau a
rebaptisé l'aéroport international de Toronto du nom de
Lester
Pearson. De plus, le fils de Lester Pearson, Geoffrey Pearson, s'est vu
attribuer un rôle de premier plan dans l'« Initiative de
paix » de Trudeau et a été nommé
candidat au poste de directeur du nouvel « Institut canadien pour
la paix et la sécurité internationale ».
Pendant que la bourgeoisie essaie de rendre le nom de Lester Pearson
synonyme de paix, l'histoire prouve que son nom est synonyme de
domination et d'intervention impérialistes.
Le rôle de Pearson et de la FUNU dans la crise de
Suez
La création de la Force d'urgence des Nations
unies (FUNU) n'a pas permis de progrès vers la création
de conditions pacifiques au Moyen-Orient. Un tel progrès aurait
demandé en tout premier lieu de mettre un terme au
contrôle et à l'ingérence économique,
politique et militaire dans la région des puissances
impérialistes et colonialistes. En
fait, la FUNU a servi à maintenir et à renforcer ce
contrôle et cette ingérence étrangères.
Lester Pearson a travaillé en fait à
remplacer la domination française et britannique du Moyen-Orient
par la domination américaine. La FUNU, en réalité,
était un instrument des États-Unis pour chasser les
colonialistes anglo-français du Moyen-Orient sous couvert de
s'opposer à l'agression. Aussitôt que les forces
anglo-françaises se sont
retirées de l'Égypte, le président
américain Eisenhower, qui avait appuyé la FUNU, a
adopté la « doctrine Eisenhower » par laquelle
les États-Unis se donnaient le droit d'intervenir militairement
dans tous les pays du Moyen-Orient sous prétexte de s'opposer au
« communisme international » et de protéger les
« intérêts vitaux »
des impérialistes occidentaux, notamment les champs
pétroliers, les pipelines et le canal de Suez.
En même temps, la FUNU était
employée pour satisfaire les demandes et les réclamations
des agresseurs israéliens qui avaient été
l'instrument de la provocation française et britannique contre
l'Égypte en 1956 et qui devinrent plus tard l'outil des
États-Unis pour la répression des luttes de
libération nationale dans la région.
Lester Pearson et le gouvernement canadien se sont
opposés aux justes luttes des peuples du Moyen-Orient pour
l'indépendance et la souveraineté face au joug du
colonialisme. En 1956, Pearson et le gouvernement canadien ont
appuyé la position de la Grande-Bretagne, de la France et des
États-Unis de remettre le canal de Suez, que le
président égyptien Gamal Abdel Nasser avait
nationalisé, sous le soi-disant « contrôle
international » même si la zone du canal de Suez
appartenait à l'Égypte. Pearson et le gouvernement
canadien se sont opposés à l'agression
anglo-française seulement dans le but de renforcer la position
des États-Unis et du Canada dans cette région.
Le président égyptien Nasser est accueilli avec
enthousiasme dans les rues du Caire après l'annonce de la
nationalisation du canal de Suez, le 26 juillet 1956.
L'agression israélo-franco-britannique
Le 29 octobre 1956, Israël se
lançait dans une agression contre l'Égypte. Selon un
accord secret conclu entre la Grande-Bretagne, la France et Israël
lors des rencontres de Sèvres, en France, du 22 au 24
octobre 1956, Israël devait attaquer l'Égypte ce
jour-là et sembler menacer le canal de Suez. Les Britanniques et
les Français, agissant sous la façade de
protéger le canal de Suez et de séparer les combattants,
lanceraient l'ultimatum à Israël et à
l'Égypte de se retirer à 10 milles du canal de Suez
et à l'Égypte d'accepter une occupation
franco-britannique temporaire dans la zone du canal de Suez. Le rejet
de l'ultimatum par l'Égypte
servirait de prétexte à la Grande-Bretagne et à la
France pour envahir l'Égypte et réoccuper le canal de
Suez avec comme raison fallacieuse « l'arrêt des
combats » et la « protection du canal ».
Tel que
prévu par cet accord secret, la Grande-Bretagne et la France
lancèrent leur ultimatum le 30 octobre et
déclenchèrent leur
agression, forte de 100 000 soldats, le 31 octobre. Les
navires coulés le long du canal provoquèrent une
interruption de la navigation sur le canal de Suez.
Quel était le but de l'agression
anglo-française ? Le 26 juillet 1956, le
président égyptien, Gamal Abdel Nasser, nationalisait la
Compagnie du Canal de Suez et le canal de Suez qui appartenaient tous
deux à l'Égypte. Précédemment, le canal de
Suez était administré par un conseil de 32
administrateurs (18
Français, 10 Britanniques, 2 Égyptiens, 1
Américain et 1 Hollandais) et était exploité
par la Compagnie universelle du canal maritime de Suez, une compagnie
française dont 80 % des actions étaient
détenues par des investisseurs britanniques et français.
Nasser avait garanti l'indemnisation des actionnaires et le
fonctionnement normal du canal sans discrimination pour les usagers qui
étaient à l'époque principalement des navires
français et britanniques. Il avait déclaré son
intention de se servir des revenus provenant des droits et frais de
passage pour financer la construction du barrage d'Assouan sur le Nil.
Ces revenus allaient auparavant dans les coffres
des investisseurs étrangers. Ainsi, le canal de Suez passa d'un
soi-disant « contrôle international » au
contrôle égyptien et l'Égypte consolidait davantage
son indépendance.
Les militaires britanniques à Port-Saïd, novembre 1956
|
La Grande-Bretagne et la France s'opposèrent
à la nationalisation et planifièrent immédiatement
leur agression contre l'Égypte. La nationalisation de la
compagnie du canal était un prétexte pour
déclencher une offensive contre tous les pays arabes. La lutte
de l'Égypte et des peuples arabes pour l'indépendance
avait causé un grand tort aux
grandes puissances colonialistes, la Grande-Bretagne et la France, dont
les monopoles perdaient les surprofits colossaux qu'ils avaient
réalisés par le pillage des ressources immenses de ces
pays. La Tunisie et le Maroc avaient conquis leur indépendance
pendant que l'Algérie combattait pour renverser le joug du
colonialisme français. Ces pays du
Moyen-Orient possédaient les trois quarts des réserves de
pétrole du monde capitaliste. De 60 à 70 %
des besoins en pétrole de la Grande-Bretagne et 48 %
de ceux de la. France venaient du Moyen-Orient et passaient par le
canal de Suez. La nationalisation de la compagnie du canal de Suez par
l'Égypte a
grandement inspiré les peuples de cette région dans leur
lutte contre le colonialisme français et britannique.
En attaquant l'Égypte, les impérialistes
anglo-français voulaient la priver de la propriété
du canal de Suez, mettre fin à la résistance de
l'Égypte et, en écrasant la résistance d'un des
principaux peuples arabes, démoraliser les autres États
arabes, préparer le terrain pour les priver de leur
indépendance nationale et pour restaurer la domination
coloniale. L'assaut contre l'Égypte était le premier pas
de ce plan. Mais l'agression israélo-franco-britannique contre
l'Égypte a été un échec du point de vue de
rétablir le « contrôle international » du
canal de Suez, soumettre le peuple égyptien ou
démoraliser les États et les peuples arabes.
La réponse américaine et canadienne
Les États-Unis ont soutenu la volonté
française et britannique de rétablir le «
contrôle international » du canal de Suez mais se sont
opposés à l'emploi de la force contre l'Égypte.
Mais cela ne provenait aucunement d'un quelconque sens de justice. Le
président américain Eisenhower écrivait au premier
ministre britannique Eden
le 2 septembre 1956 :
« Nous avons deux problèmes, le premier
étant d'assurer le fonctionnement permanent et efficace du canal
de Suez et de façon juste pour tous les concernés. Le
deuxième est de s'assurer que Nasser ne deviendra pas une menace
à la paix et aux intérêts vitaux de l'Ouest.
À mon avis, il n'est pas nécessaire, et il n'est
peut-être pas possible, de
résoudre ces deux problèmes simultanément et par
les mêmes méthodes, bien que nous explorions des moyens
pour arriver à ce résultat. Le premier est le plus
important pour le moment et doit être résolu de telle
manière à ne pas rendre le deuxième plus ardu. Par
dessus tout, il ne doit y avoir aucun élément qui
amène les peuples de nos pays à
penser que quelqu'un se sert du problème du canal comme
prétexte pour recourir à la force contre Nasser. Et nous
avons des amis au Moyen-Orient qui nous disent qu'ils aimeraient voir
un recul de Nasser. Mais ils semblent unanimes à avoir
l'impression que la question de Suez n'est pas une question à
traiter par la force. »
Eisenhower continuait en déclarant qu'il y avait
plusieurs moyens de pression, dont la coopération des usagers du
canal, des mesures économiques, l'exploitation des
rivalités arabes et le développement de nouveaux
pipelines et pétroliers. « Même si cette
façon de faire, disait-il, peut échouer à faire
subir à Nasser le revers qu'il mérite tant,
nous serons mieux en mesure de rétablir notre position par la
suite que de recourir à la force militaire à la
hâte. » C'est là l'attitude des
États-Unis qui se présentaient comme un grand champion
des pays indépendants face au colonialisme dans les
années 1950.
La presse guerre de Grande-Bretagne
|
Avant l'agression anglo-franco-israélienne, les
États-Unis se sont ainsi efforcés de rétablir le
contrôle international sur le canal de Suez. Du 31 juillet
au 2 août 1956, les États-Unis ont
rencontré la Grande-Bretagne et la France, et le
secrétaire d'État américain, John Foster Dulles, a
proposé une agence internationale pour
contrôler le canal de Suez. Les trois puissances ont alors fait
des démarches pour organiser la Conférence de Londres
du 16 au 23 août 1956 au cours de laquelle 18
pays ont adopté la proposition de contrôle et
d'opération internationale du canal. Cette proposition est
connue sous le nom des Propositions des Dix-Huit
Puissances. L'Égypte les a rejetées.
Le 4 septembre 1956, le secrétaire
d'État américain Dulles proposa une association des
usagers du canal de Suez, une autre façon d'exercer le
contrôle sur le canal, mais ce plan fut aussi rejeté par
l'Égypte. Le gouvernement canadien appuya les Propositions des
Dix-Huit Puissances, montrant ainsi son hostilité envers
l'Égypte.
Le 29 août : 1956, le ministre canadien des
Affaires extérieures, Lester Pearson, déclara à la
presse que le gouvernement canadien croit que « ces propositions
sont raisonnables et satisfaisantes et méritent notre appui en
tant que base de négociations » et qu'elles
constituent une « mesure adéquate pour la protection, par
un
accord international de coopération... du caractère, de
l'usage et de l'entretien internationaux du canal. »
Le Canada aux Nations unies
Lester Pearson présente une résolution à l'ONU.
Le 2 novembre 1956, une résolution de
cessez-le-feu et de retrait des troupes était adoptée par
l'Assemblée générale des Nations unies. Pearson
proposa alors de lier le cessez-le-feu à un « accord
politique en Palestine et pour Suez », se plaignant qu'un
cessez-le-feu et le retrait des troupes anglo-françaises et
israéliennes ne
constitueraient qu'un retour au statu quo mais pas à la «
sécurité » ou à la «
paix ». Il proposa que le secrétaire
général des Nations unies soit autorisé à
faire les arrangements pour créer une force de l'ONU pour
maintenir la « paix » pendant qu'un « accord
politique » se constituerait. Dans ces mémoires,
Pearson a révélé
qu'il avait consulté John Foster Dulles avant de faire cette
proposition.
Pearson a écrit que Dulles a
déclaré à l'Assemblée
générale de l'ONU qu'il « accueillait avec plaisir
cette déclaration, et qu'il demandait au représentant
canadien de formuler et de présenter une proposition
concrète de force internationale. Je lui avais
suggéré auparavant qu'il pouvait faire cela s'il pensait
que c'était une bonne idée. »
Le 4 novembre 1956, Pearson présentait une telle
proposition à l'ONU.
Titre du 9 novembre 1956: «Le Canal reste bloqué, dit
Nasser»
|
La résolution canadienne demandait au
secrétaire général de l'ONU de soumettre dans
les 48 heures un plan pour la constitution, avec le consentement
des nations concernées, d'une force internationale d'urgence des
Nations unies pour garantir et superviser l'arrêt des
hostilités. À cause de la domination américaine
sur les Nations unies,
cette résolution illégale a été
adoptée. Selon la charte de l'ONU, seul le Conseil de
Sécurité a le pouvoir d'établir une telle force
militaire et d'autoriser son emploi. De plus, la résolution a
été entièrement élaborée en
collaboration avec le département d'État
américain. Dans ce qui suit, Pearson fait
référence à la discussion au sein du cabinet
canadien et avec les fonctionnaires du département d'État
américain qui a eu lieu entre le 2 et le 4
novembre :
« À la réunion du cabinet ce samedi
matin... le cabinet a approuvé le principe d'une
opération de police des Nations unies en deux étapes. La
première, ou l'étape à court terme, serait sous la
conduite des troupes immédiatement disponibles, mais pas
exclusivement britanniques et françaises. Nous essayerions
d'obtenir qu'un contingent
américain soit envoyé et le Canada aiderait aussi. La
force provisoire serait stationnée entre les forces
égyptiennes et israéliennes jusqu'à ce qu'une
force policière de l'ONU plus permanente puisse être
fournie. Si le gouvernement américain pensait que cette approche
puisse être en quelque façon prometteuse, nous essayerions
de convaincre les
Britanniques d'accepter et de garantir qu'il n'y aurait pas de
débarquements de troupes anglo-françaises avant que
l'assemblée de l'ONU n'ait passé la proposition requise
que nous proposions de prendre en charge avec l'appui des
États-Unis. Alternativement, s'ils acceptaient, elle pourrait
être prise en charge par les États-Unis.
« Pendant que le cabinet était encore en
réunion, Heeney a reçu l'instruction d'obtenir la
réaction du département d'État. Ils étaient
intéressés mais sceptiques. Bien qu'ils étaient
aussi désireux que nous de sortir la Grande-Bretagne de sa
situation actuelle, il était important qu'ils ne donnent pas
l'occasion de les accuser de collusion avec
d'autres à cette fin. Cela leur enlèverait l'influence
qu'ils avaient maintenant. De plus, ils doutaient que les
débarquements (des Britanniques et des Français) puissent
être arrêtés à ce point. L'addition de forces
symboliques à l'occupation franco-britannique pourrait
être considérée comme la légitimisation de
l'opération actuelle. Cela serait
interprété comme une tentative d'amener sous les auspices
de l'ONU une action à laquelle la majorité des nations
s'est opposée.
« En conséquence de l'attitude
américaine, le cabinet approuva en principe une approche quelque
peu différente. La nouvelle proposition serait que
l'assemblée crée un Comité des Cinq pour
considérer la question de l'établissement immédiat
d'une 'force internationale' et produire un rapport dans les 48
heures. »
Cet extrait des mémoires de Pearson
révèle que le gouvernement canadien planifiait en
réalité de proposer une force de « maintien de la
paix » de l'ONU comprenant les agresseurs
anglo-français contre l'Égypte et des troupes
américaines et canadiennes, mais à cause de l'opposition
certaine des pays afro-asiatiques un tel plan devait être
rejeté en faveur d'un plan moins évident.
Le retrait anglo-français
La réunion de l'ONU pour créer la FUNU
|
La Force d'Urgence des Nations unies a
été créée par l'ONU avec le mandat de
superviser le cessez-le-feu et le retrait du territoire égyptien
des troupes britanniques, françaises et israéliennes.
L'Égypte a consenti à l'entrée des troupes de la
FUNU sur son territoire en autant que sa souveraineté ne soit
pas violée, ce qui signifiait que le retrait
de son consentement entraînerait le retrait de la FUNU de
l'Égypte. Le secrétaire général des Nations
unies, Dag Hammarskjold, s'est opposé à cette position et
insista pour que la FUNU soit habilitée à rester
jusqu'à la fin de le tâche qui lui était
assignée. Un accord de « bonne foi » fut
atteint et la FUNU est entrée sur le territoire égyptien
le 12 novembre 1956 commandée par le
major-général canadien E.L.M. Burns. Mais à partir
de la tâche assignée à la FUNU de superviser le
cessez-le-feu et le retrait des troupes étrangères de
l'Égypte, tâche après laquelle elle aurait dû
cesser ses activités, les États-Unis, le Canada et le
secrétaire général de l'ONU étendirent son
rôle
pour en faire une armée permanente d'occupation de
l'Égypte qui ne se retira qu'en 1967.
Le 22 décembre 1956, la
Grande-Bretagne et la France avaient complété le retrait
de leurs troupes de l'Égypte qui s'étaient
avancées à vingt milles du canal de Suez. Le 31
décembre 1956, le dégagement du canal de Suez
commença sous les auspices de l'ONU. Les Britanniques et les
Français étant hors du chemin,
les États-Unis ont pris des mesures pour remplir ce
qu'Eisenhower appelait le « vide existant au
Moyen-Orient ». Les États-Unis avaient exercé
des pressions considérables pour créer ce «
vide ».
Avant 1940,1e pétrole du Moyen-Orient
était presqu'exclusivement exploité par des
sociétés britanniques, françaises et hollandaises.
Mais vers la période de guerre, les compagnies de pétrole
américaines ont augmenté leurs activités au
Moyen-Orient. Mobil et Exxon avaient des intérêts en Irak,
Gulf dans les champs nouvellement en
exploitation au Koweït, et quatre compagnies américaines --
Standard of California, Texaco, Mobil et Exxon -- sont devenues
partenaires dans la Compagnie américaine du pétrole arabe
en 1948 pour exploiter les ressources presqu'intouchées de
l'Arabie saoudite.
La rivalité entre les Américains et les
Anglo-Français pour le contrôle économique,
politique et militaire de cette région était très
prononcée durant cette période. Par la Déclaration
tripartite de la France, la Grande-Bretagne et des États-Unis
du 25 mai 1950, les États-Unis s'établissaient
en gendarme du Moyen-Orient où
précédemment les Britanniques et les Français
exerçaient leur domination militaire. Par un coup d'État
de la CIA en Iran, les États-Unis établissaient leur
domination politique dans ce pays et se servaient de leur position pour
remettre aux compagnies de pétrole américaines une part
de 40 % dans l'ancienne compagnie de pétrole
britannique, la Compagnie du Pétrole anglo-iranienne.
La crise de Suez était l'occasion pour les
États-Unis d'affaiblir leurs rivaux britanniques et
français au Moyen-Orient. Les réserves de pétrole
britanniques s'épuisaient rapidement suite au blocage du canal
de Suez, pourtant rien n'était fait par les États-Unis
pour mettre en place un plan d'urgence pour expédier du
pétrole américain vers
l'Europe pour remplacer le pétrole inaccessible du Moyen-Orient.
À cette époque, les États-Unis étaient le
plus grand producteur de pétrole au monde et n'étaient
pas dépendants du pétrole du Moyen-Orient. De plus, les
Britanniques faisaient face à une crise financière. Des
tentatives de recourir aux réserves du Fonds monétaire
international étaient
bloquées par les États-Unis qui refusaient de prendre en
considération une aide financière pour sauver la livre
à moins que la Grande-Bretagne n'abandonne l'invasion de Suez.
Un prêt de 1 milliard de dollars était promis
dès que la Grande-Bretagne déciderait de retirer ses
troupes de Suez.
Après le retrait britannique et français,
les États-Unis prirent leur place au Moyen-Orient. Le 5
janvier 1957, Eisenhower demandait au Congrès
américain de lui accorder l'autorité d'agir au
Moyen-Orient. Il demandait d'abord une « aide »
économique de 200 millions de dollars à toute nation
de la région. En second
lieu, il demandait une assistance militaire pour les mêmes pays.
Et finalement, il réclamait la permission d'employer les forces
armées pour « protéger » les nations du
Moyen-Orient contre le « communisme international ».
Cette « doctrine Eisenhower » fut approuvée par
le Congrès américain et mise en pratique lorsque les
États-Unis envahirent le Liban et aidèrent l'occupation
britannique de la Jordanie en 1958.
Ainsi, la FUNU a eu peu d'influence sur le retrait des
troupes anglo-françaises ou des troupes israéliennes. La
résistance du peuple égyptien, les luttes des peuples
arabes qui s'étaient mis en grève générale
dans tous les pays pour protester contre l'agression, et les
contradictions inter-impérialistes ont été les
facteurs principaux du retrait.
Le retrait israélien
Un avion de combat israélien abattu
|
Israël avait occupé la plus grande partie
de la péninsule du Sinaï, la bande de Gaza et les
îles à l'entrée du golfe d'Akaba. Les
États-Unis, desquels dépendait Israël
financièrement et militairement, appuyèrent les demandes
d'Israël de rendre conditionnel le retrait d'Égypte des
troupes israéliennes à la satisfaction des
réclamations d'Israël
envers l'Égypte en ce qui concernait la navigation
israélienne dans le golfe d'Akaba et sur canal de Suez et
l'administration de la bande de Gaza. C'était l'« accord
politique » que Pearson s'était empressé de
mettre de l'avant depuis le début. Les États-Unis et le
Canada, ensemble avec Dag Hammarskjold, s'assurèrent que la FUNU
serve
indéfiniment de force d'occupation des secteurs clés de
façon à satisfaire les demandes d'Israël. En
d'autres mots, ils travaillèrent à récompenser les
agresseurs au lieu de demander leur retrait inconditionnel du
territoire occupé.
Avec ces garanties, Israël retira ses troupes du
golfe d'Akaba, du détroit de Tiran et de la bande de Gaza
les 7 et 8 mars 1957. La FUNU resta en Égypte
jusqu'à ce que l'Égypte réclame son départ
et elle fut complètement retirée d'Égypte
le 17 juin 1967. Les États-Unis, bien que protecteurs
d'Israël, montèrent
une grande mise en scène d'opposition au maintien de
l'occupation israélienne, une pièce de
théâtre qu'ils jouent chaque fois qu'Israël commet
une agression contre un pays voisin. Ce jeu a été
très bien décrit par Pearson dans ses mémoires.
Rapportant au premier ministre canadien St-Laurent une discussion qu'il
avait eue avec le secrétaire d'État
américain John Foster Dulles, Pearson déclare :
« M. Dulles a discuté avec moi à
Paris la question des envois d'armes au Moyen-Orient. Il savait que
nous avions à statuer sur une demande de 24 avions de
chasse F86 de la part d'Israël et il désirait m'expliquer,
très franchement et confidentiellement, la politique de son
gouvernement concernant ces requêtes, puisque cela pourrait nous
aider à prendre notre décision.
« Les États-Unis avaient
décidé de permettre l'envoi imminent à Israël
de matériel et équipements militaires, mais pas d'avions
pour le moment... Le gouvernement américain n'avait pas permis
l'envoi de ces avions à cause de sa volonté de ne pas
être identifiés de façon concluante comme
étant du côté israélien et de ne pas
participer à une
course aux armements... Ces considérations ne s'appliquaient
pas, du moins pas dans la même mesure, aux autres pays. M. Dulles
espérait donc que leur incohérence manifestée par
leur refus de fournir à Israël de l'équipement,
qu'ils espéraient que d'autres pays seraient capables de lui,
fournir serait comprise.
« Il m'a alors confié une information
très confidentielle sur la politique américaine, laquelle
n'était connue que de très peu de personnes à
Washington et par personne d'autre' à l'exception, je crois, du
ministre des Affaires étrangères britanniques. Il me
révélait cette information parce qu'il pensait qu'elle
pouvait avoir une incidence sur la
demande israélienne de chasseurs canadiens. Alors que les
États-Unis n'enverraient pas pour le moment de F-86 à
Israël, ils avaient bien l'intention d'en rendre 2 ou 3
escadrilles disponibles à des bases aériennes sous
contrôle américain près d'Israël, de telle
sorte qu'elles pourraient atteindre Israël en moins d'une heure ou
deux si le
pays faisait l'objet d'une agression. Cependant, il serait peu utile
à Israël de voir atterrir 50 ou 60 F-86 à
Tel Aviv s'il n'y avait pas de pilotes israéliens
entraînés pour les piloter. Pour cette raison, les F-86 du
Canada pourraient être particulièrement importants pour
Israël à ce moment-ci ; il pourrait entraîner
des pilotes qui
seraient ainsi prêts les piloter à dès la
réception d'appareils supplémentaires si ceux-ci leur
étaient envoyés. »
Le « garçon de service »
Cela montre le genre d'hypocrisie dont font preuve les
grandes puissances et le rôle dans l'arène internationale
assigné au Canada par l'impérialisme américain. Au
parlement canadien, un porte-parole de l'opposition du Parti
conservateur a qualifié Pearson de « garçon de
service » des États-Unis durant la crise de Suez.
Bien que cette
remarque sorte de la bouche d'un défenseur du colonialisme
britannique, elle décrit avec précision le rôle
véritable de Pearson lors de la crise de Suez et celui qu'il a
joué tout au long de sa carrière politique.
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