Le Marxiste-Léniniste

Numéro 129 - 12 octobre 2016

Discussion sur la fiscalité

D'où vient l'argent pour les programmes sociaux et les services publics?

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Un grand nombre de Canadiens sont d'accord pour dire qu'il faut augmenter les investissements dans les programmes sociaux. D'ailleurs, les suggestions abondent sur comment résoudre les nombreux problèmes sociaux, comme par exemple l'inclusion des garderies et des programmes parascolaires pour tous les âges dans le système d'éducation de la maternelle au secondaire. Ceci étant dit, deux problèmes se posent. D'abord, le peuple n'a aucun pouvoir politique qui lui permette de mettre ses bonnes idées à exécution. Ensuite, il y a le problème d'où trouver la richesse sociale nécessaire pour les investissements.

Le premier problème, celui de l'habilitation, est un problème d'organisation et de lutte pour le renouveau démocratique pour faire en sorte que le peuple puisse accéder au pouvoir politique. Le deuxième est davantage un problème de comment l'économie sociale est perçue, analysée et contrôlée. Les Canadiens se trouvent pris avec des vieux dogmes sur comment la valeur et la richesse sociale sont créées, circulées, réclamées et contrôlées. Les dirigeants politiques, qu'ils soient de droite ou de gauche dans l'éventail politique officiel, ont du mal à trouver des méthodes rationnelles d'amasser des fonds publics pour les programmes sociaux dans un système économique qui est de plus en plus antisocial et irrationnel.

Pourquoi y a-t-il si peu de discussion sur
les alternatives à la fiscalité ?

La politique au Canada est généralement perçue comme étant officiellement divisée en deux : la politique de droite et la politique de gauche. Cette division empêche d'analyser les questions concrètement, telles qu'elles se présentent. En général on dit de quelqu'un de la gauche en politique qu'il est pro-peuple tandis que la droite serait favorable aux grandes entreprises. Le gouvernement libéral de Trudeau, pour sa part, prétend être centriste et son rôle consisterait à assurer un équilibre entre l'option de gauche et celle de droite en politique canadienne. Pour embrouiller les choses et éviter toute analyse concrète, Trudeau présente à la fois l'option dite de droite et l'option dite de gauche sur toutes les questions. Cela s'exprime par une campagne massive de désinformation ou de relations publiques pour duper les naïfs et servir les intérêts des monopoles privés que son gouvernement représente. Le premier ministre souffle le chaud et le froid sur les mêmes questions, que ce soit l'environnement, les oléoducs, les relations avec les peuples autochtones, la santé et les transferts de paiement, la loi fasciste C-51 et d'autres questions liées à la sécurité, à la législation du travail, à l'engagement de troupes et de matériel de guerre au service des ambitions d'hégémonie mondiale de l'impérialisme américain, etc.

Le financement des programmes sociaux et la fiscalité en général sont eux aussi soumis à un débat gauche/droite, comme on pouvait s'y attendre, ce qui exclut en partant toute analyse concrète.

Devant le manque à gagner dans les revenus publics, la gauche soutient que l'augmentation des impôts est la seule façon de maintenir les programmes sociaux et les services publics. La droite, elle, propose la privatisation, les baisses d'impôt et les compressions dans les programmes sociaux et les services publics pour ne pas faire peur aux détenteurs de richesse sociale qui pourraient décider de ne plus investir dans l'économie.

La situation en Alberta montre à quel point la discussion sur le revenu public et la source du revenu public est devenue irrationnelle. Un gouvernement néodémocrate est au pouvoir dans cette province qui est aux prises avec un important déficit du revenu public dû en partie au fait que la baisse des prix du pétrole entraîne une baisse des redevances provenant des ressources énergétiques. Le manque à gagner annuel du revenu public de l'Alberta serait d'environ 10 milliards $. C'est 2 milliards $ de plus que les dépenses annuelles publiques en éducation de la maternelle au secondaire. Le système fiscal en Alberta, semblable en tous points au système des autres provinces canadiennes et du Québec, dépend de l'impôt sur le revenu des particuliers, de l'impôt des sociétés, des redevances sur les ressources non renouvelables, des frais d'usager, des paiements de transfert fédéraux, lesquels viennent surtout des impôts, et de moins en moins des entreprises publiques comme revenu direct. Les Albertains ne paient pas de taxe de vente provinciale mais paient la TPS fédérale de 5 %. L'impôt des sociétés actuel en Alberta représente 12 % des profits nets des entreprises tels que comptabilisés par les entreprises elles-mêmes. Une augmentation de 1 % de l'impôt des sociétés permettrait d'aller chercher entre 125 millions $ et 225 millions $ par année. Pour combler le manque à gagner annuel de 10 milliards $, ne serait-ce que pour maintenir le statu quo, sans les augmentations nécessaires dans les programmes sociaux, il faudrait augmenter l'impôt des sociétés de 50 % à 62 % des profits nets. Ni la gauche ni la droite officielle n'approuverait une telle hausse puisque, selon elles, elle serait impossible à appliquer parce que les entreprises et les investisseurs n'accepteraient pas de voir le rendement sur leur investissement chuter en deçà du taux acceptable pour eux.

Il faudrait donc plutôt augmenter les impôts sur le revenu des particuliers et les frais d'usager et créer une taxe de vente provinciale, toujours selon la politique officielle. Une augmentation de la taxe de vente albertaine de 5 % engendrerait entre 5 milliards $ et 8 milliards $ par année, selon l'état de l'économie. La gauche et la droite trouvent acceptable la taxe de vente mais ne s'entendent pas sur deux points. La gauche préconise la taxe de vente à condition qu'elle soit équitable, c'est-à-dire en offrant une sorte de compensation aux gens à faible revenu, tandis que la droite voudrait une taxe de vente provinciale axée surtout sur les articles de consommation plutôt que sur les moyens de production.

La gauche et la droite sont donc d'accord avec l'impôt sur le revenu des particuliers. La gauche préconise seulement que ces mesures soient de nature dynamique et progressiste, par exemple en imposant davantage les personnes à revenu supérieur, tandis que la droite préconise de façon générale des impôts à la baisse puisque, après tout, les gens devraient se débrouiller seuls plutôt que de dépendre d'un État providence qui veille aux programmes sociaux. Évidemment, pour la droite, il n'est pas question que les grandes entreprises se débrouillent seules puisqu'elles doivent demeurer concurrentielles sur les marchés mondiaux et que le Canada doit être concurrentiel pour assurer leur présence au pays par le biais d'incitatifs offerts par l'État providence des riches.

Pour la gauche et pour la droite, l'État a besoin de fonds publics, c'est clair, mais aucune des deux ailes de la politique officielle ne veut envisager la possibilité d'un changement radical du système fiscal ; ni l'une ni l'autre ne veut le mettre à la poubelle et repartir à zéro. Revoir le système de fond en comble voudrait dire que les gouvernements auraient à assumer ouvertement et directement leur rôle d'État moderne en tant que réclamants importants de la valeur que les travailleurs produisent. Ces réclamations viendraient directement de la valeur produite aux entreprises au même titre que les réclamations faites par les travailleurs et les détenteurs de la richesse sociale investie. Il s'agirait d'une réclamation directe et non d'une taxe indirecte sur la valeur déjà réclamée de la classe ouvrière et des détenteurs de la richesse sociale, ou sur la valeur qui est déjà en circulation. Le fait d'imposer des taxes sur l'argent que les travailleurs réclament en vendant leur capacité de travail ou lorsqu'ils achètent quelque chose a toujours été irrationnel. De même, les impôts des profits nets des entreprises ne sont rien d'autre qu'une réclamation indirecte à la valeur que les travailleurs produisent et peuvent facilement être manipulés et réduits à presque rien. Ces formes d'imposition sont périmées et ne servent qu'à obscurcir l'origine de la valeur ainsi que les trois principaux réclamants à la valeur que les travailleurs produisent.

Il serait important aussi de discuter du refus des tenants de la politique officielle de discuter de la possibilité de faire payer directement les entreprises pour leur consommation des infrastructures sociales et matérielles en tant que moyens de production sans lesquels elles ne peuvent fonctionner. Nous y reviendrons.

La gauche avance que même si le peuple n'est pas enchanté de payer des impôts, il les acceptera s'il reçoit en échange la valeur en programmes sociaux, tels des soins hospitaliers gratuits et une éducation publique gratuite pour les enfants peu importe le statut social ou économique de la famille. De toute façon, dit la gauche, si le peuple s'oppose aux augmentations des impôts, la seule alternative est de couper dans les programmes sociaux et dans les services publics, ce qui n'est pas acceptable pour la plupart des gens qui se disent de gauche. Cette approche et cette façon de voir sont en fait un refus de voir l'économie socialisée moderne telle qu'elle se présente, c'est-à-dire un champ de bataille où deux classes sociales opposées sont prises dans une relation sociale nommée capital. Le refus d'analyser les conditions économiques concrètes signifie à toutes fins pratiques le refus de contester le droit de monopole, le privilège de classe et le pouvoir de la classe dominante dans leur dialectique.

La gauche et la droite de la politique et du discours officiels ne remettent jamais en cause l'irrationalité du mode actuel de réclamation des revenus du gouvernement. Au lieu d'une méthode de réclamation directe à la valeur que les travailleurs produisent, le gouvernement s'engage dans un modèle de plus en plus complexe et incohérent d'imposition du revenu des particuliers pour faire une réclamation aux réclamations des travailleurs et d'imposition des entreprises pour faire une réclamation aux réclamations des propriétaires de la richesse sociale investie dans une entreprise soit à titre d'action ou de dette, puis il y ajoute des taxes de vente et des frais d'usager sur l'échange des biens et services, ce qui est une autre forme de réclamation indirecte. Ces taxes et impôts ont engendré une immense industrie non productive de comptabilité chargée ou bien de percevoir les taxes et impôts, ou bien de trouver les moyens d'éviter d'en payer.

Et si nous faisions table rase de toutes ces balivernes de l'aile gauche et de l'aile droite de l'élite dominante pour l'anticonscience que représente le refus de voir l'économie socialisée telle qu'elle existe. Les travailleurs produisent la valeur et en réclament une partie en échange de leur capacité de travail. Les propriétaires de la richesse sociale engagée dans une entreprise en réclament une partie en proportion de leur investissement. Le gouvernement en réclame une partie directement en fonction de ses besoins. Pour que ces trois principaux réclamants puissent faire ces réclamations objectives à la valeur produite, il faut placer le secteur de la vente en gros sous le contrôle d'une autorité d'État dans un gouvernement de droit où les prix de production sont déterminés de façon scientifique. L'élite dominante prétend que ces réformes empiéteraient sur leurs intérêts privés, puisqu'une autorité d'État dans une telle situation connaîtrait la vérité sur les livres comptables des entreprises et ce serait une atteinte à leur droit au secret. Mais c'est justement ce qui est contestable. L'économie socialisée moderne n'est pas une affaire privée puisque la sécurité et le bien-être de tous les citoyens et résidents et l'intérêt général de la société en dépendent. Il faut des réformes qui permettent aux citoyens et résidents d'exercer un contrôle et une supervision des affaires qui touchent directement leur bien-être, leur sécurité et leur avenir.

Pour préserver ses privilèges de classe, l'élite dominante bloque toute réforme véritable. Elle ne veut pas que les réclamations à l'économie socialisée se fassent objectivement, suivant une formule précise. Le droit de monopole et le privilège de classe lui permettent d'imposer ses intérêts privés étroits en répandant l'obscurantisme et la désinformation, en refusant de permettre tout discours officiel sur l'économie telle qu'elle existe et toute intrusion dans ses affaires privées, qui au fond ne sont pas privées mais très publiques car elles affectent toute la population et toute la société.

L'obscurantisme et les campagnes de désinformation et de relations publiques des riches impérialistes font obstacle au développement d'un mouvement et d'une pensée de la classe ouvrière pour résoudre les problèmes et faire avancer l'économie et la société. Ils entravent le développement d'un front populaire pour restreindre le droit de monopole, pour priver le droit de monopole de son pouvoir de refuser d'être restreint et soumis au contrôle des citoyens. Sans démolir l'obscurantisme et la désinformation de la politique officielle pour s'appuyer plutôt sur la capacité du mouvement ouvrier d'analyser les conditions concrètes avec sa propre pensée et politique indépendantes, aucun progrès n'est possible dans la résolution des problèmes économiques, politiques et sociaux et dans l'effort pour ouvrir une voie au progrès de la société.

L'échange de la valeur que les travailleurs produisent dans les infrastructures sociales et matérielles

Dans le système actuel, il faut l'échange de ce qui est produit, alors pourquoi la valeur des biens et services produits dans les infrastructures sociales et matérielles n'est-elle pas réalisée comme il se doit dans l'échange avec les entreprises qui la consomment ? Si cette valeur était échangée et réalisée (vendue), une bonne partie de l'imposition par le gouvernement ne serait plus nécessaire. L'argent nécessaire pour la reproduction d'une bonne partie des infrastructures sociales et matérielles proviendrait de l'échange (la vente) des biens et services produits par elles.

Par exemple, les entreprises publiques de santé et l'éducation des provinces et du Québec devraient percevoir leurs revenus directement par l'échange des biens et services qu'elles produisent, dont la valeur provient essentiellement de la capacité de travail de travailleurs éduqués et en santé. Les entreprises privées et publiques qui achètent ou consomment la capacité de travail doivent payer pour les soins de santé et l'éducation des travailleurs parce que ces derniers en ont besoin pour travailler. Le paiement doit se faire directement aux entreprises publiques qui produisent les biens et services en question et non par l'entremise du gouvernement, qui aujourd'hui agit pour le compte des monopoles en tant que gardien de leurs intérêts et obstacle à la réalisation de la valeur des infrastructures sociales et matérielles. Les travailleurs des entreprises publiques sont parfaitement capables de déterminer la valeur de ce qu'ils produisent et la portion que leur entreprise devrait recevoir en échange des biens et services produits, et quelles quantités ils doivent produire pour répondre aux besoins de l'économie, de la population et de la société.

Les Canadiens sont souvent les spectateurs de querelles fréquentes et totalement irrationnelles entre le Québec, les provinces et le gouvernement fédéral au sujet de la quantité d'argent de l'impôt à transférer pour la santé. Le gouvernement fédéral et les gouvernements provinciaux n'ont pas à intervenir dans la réalisation et la distribution de la valeur produite par les réseaux de la santé et de l'éducation. Ces entreprises publiques doivent voir à ce que la valeur que produisent leurs travailleurs de la santé et de l'éducation soit correctement réalisée dans l'échange avec les entreprises qui consomment la capacité de travail, prise comme une entité qui comprend la vie et les besoins du travailleur de la naissance à la mort. Le problème de la réalisation de l'échange des biens et services produits par les entreprises publiques comme partie des infrastructures sociales et matérielles doit être mis sur la table et résolu. Cela lèverait une bonne partie de la pression de l'imposition et dégagerait une partie du brouillard entourant l'économie.

D'autre part, une fois que la valeur produite par les entreprises publiques est échangée de façon objective, il devient évident que les entreprises publiques sont la façon la plus sûre et la plus efficace de générer les revenus publics nécessaires pour augmenter les investissements dans les programmes sociaux, les services publics, le vaste réseau d'infrastructures sociales et matérielles nécessaires à une économie moderne et les activités non productives comme le gouvernement, la police et l'armée.

En plus de réclamer à la valeur qu'elle produit ce qui est nécessaire pour réinvestir dans ses opérations, l'entreprise publique doit aussi prévoir une réclamation importante du gouvernement. Plus un secteur est déprivatisé, plus les réclamations des propriétaires privés de la richesse sociale sont réduites, ce qui permet qu'une plus grande partie de la valeur produite serve à répondre aux besoins des gouvernements et à l'intérêt général de la société. Par exemple, dans le secteur de la santé la création d'entreprises publiques de produits pharmaceutiques et de soins hospitaliers permettrait d'éliminer les énormes réclamations (et le contrôle) de propriétaires privés de la richesse sociale. La même chose peut être faite pour la construction des routes, des ponts et des produits de l'infrastructure matérielle. Une énorme richesse sociale pourrait ainsi être consacrée à la résolution des problèmes économiques, politiques et sociaux, sans parler d'ouvrir un espace et des possibilités pour que la classe ouvrière décide des choses qui concernent l'économie et la société. Les véritables producteurs peuvent ainsi jouer leur rôle essentiel au centre de la vie moderne, en contrôle de leur travail, des moyens de production, de l'économie, des affaires politiques et de la société.

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