Numéro 17 - 16
février 2016
Non au recours à la force pour
résoudre les problèmes!
Non à la stratégie de changement de régime!
Ne laissons pas la politique des grandes
puissances décider du sort du monde
- Pauline Easton -
Depuis que le Parti libéral et Justin Trudeau
sont arrivés au pouvoir suite à l'élection
fédérale du 19 octobre 2015, il est devenu
très
clair que ce gouvernement, comme celui de Harper avant lui, est un
gouvernement de guerre. À l'heure où les
impérialistes américains réajustent leurs
politiques pour mener à bien leur quête
d'hégémonie mondiale, le Canada s'accroche encore une
fois à leur char de guerre et leur emboîte le pas entre
autres sur les mesures prises pour contrôler ce qui se passe en
Europe et dominer l'Asie. À la lumière des dangereux
développements qui ont lieu, il est important de rappeler que si
les politiques des grandes puissances ont toujours joué
un rôle important, le rôle décisif appartient aux
peuples et aux travailleurs du monde.
Un bref survol de l'histoire du monde depuis que le
peuple de Russie a accompli la Grande Révolution d'Octobre
confirme ce fait. Le peuple russe a établi un gouvernement
antiguerre qui a sorti la Russie de la
Première Guerre mondiale et résolu les
contradictions interimpérialistes de la période en
faveur des
peuples.
Durant la Deuxième Guerre mondiale, la coalition
qui a été formée pour combattre le fascisme devait
aussi être renforcée et ce sont les peuples et les
travailleurs qui y ont joué le rôle central. Cela aussi
est
un fait, comme c'est un fait qu'après la guerre, le rôle
des peuples dans la victoire sur le fascisme est petit à petit
passé au
second plan. C'est que la coalition formée pour combattre le
fascisme était constituée de pays qui avaient des
systèmes diamétralement opposés et qu'en
conséquence une scission s'est produite dès la fin de la
guerre. Deux problèmes distincts ont été
mélangés, le premier étant la résolution
des
grandes contradictions de la période et le second
étant la poursuite des visées géopolitiques des
grandes puissances.
L'Union soviétique a joué un rôle
colossal dans la libération des peuples durant la
Deuxième Guerre mondiale. Son aide aux luttes de
libération nationale en Europe et en Asie l'a distancée
de ses alliés de guerre, surtout les États-Unis, la
Grande-Bretagne et la France. Ces grandes puissances ont poursuivi
leurs intérêts géopolitiques plutôt que
de contribuer à la résolution des grandes contradictions
de l'époque. L'aspect géopolitique, la politique des
grandes puissances de décider à elles seules du sort du
monde, les a amenées en collision avec l'URSS en moins de deux
ans après la guerre. Pour justifier leur abandon de la cause
pour laquelle les peuples du monde avaient tant sacrifié,
elles ont lancé la Guerre froide et déclaré qu'il
fallait établir des blocs impérialistes. Elles ont
présenté l'appui de l'Union soviétique aux luttes
de libération nationale et antifascistes, aux luttes
anticoloniales et au mouvement émancipateur de la classe
ouvrière comme une conspiration communiste visant la
conquête du monde. Cette campagne a
placé l'anticommunisme des États-Unis, de la
Grande-Bretagne, du Canada et d'autres pays contre l'Union
soviétique sur une base encore plus réactionnaire
qu'avant la guerre. En plus des guerres secrètes et des
opérations subversives pour renverser le communisme, elles ont
repris à leur compte les méthodes de
désinformation mises au point par
les hitlériens durant la guerre pour justifier les crimes
qu'elles allaient commettre contre les peuples du monde après la
guerre.
Depuis la fin des années 1950, les
grandes puissances ont établi leur emprise sur les affaires du
monde et elles les monopolisent, mais malgré leurs efforts pour
maintenir les peuples du monde sous leur diktat et malgré les
crimes qu'elles ont commis, les peuples du monde ont continué
leurs luttes de libération nationale et leurs luttes de
résistance. Celles-ci ont démontré maintes et
maintes fois, tantôt par leur succès, tantôt par
leur échec, qu'en établissant leurs objectifs et en
s'organisant pour les réaliser les peuples du monde jouent
toujours un rôle décisif dans le dénouement des
crises en leur faveur.
Aujourd'hui, au lieu de renouveler les principes qui
régissent les relations internationales pour réaliser le
désir de paix des peuples du monde, les grandes puissances
persistent à bloquer la voie au progrès en imposant leur
conception du monde dite géopolitique. Cette conception du monde
est d'abord apparue à la fin du XIXe et au début du XXe
siècles, lorsque l'époque du capitalisme du laissez-faire
a fait place à la domination des monopoles et à
l'époque de l'impérialisme et de la révolution.[1]
En tant que doctrine politique, la géopolitique
cherche à justifier l'expansion impérialiste par des
références à la géographie
économique et politique. En tant que doctrine
stratégique, elle a été reprise par des
États fascistes et leurs penseurs durant la Deuxième
Guerre mondiale comme moyen de justifier les conquêtes
territoriales. Après la
Deuxième Guerre mondiale, elle est devenue le domaine des
acolytes de l'impérialisme américain qui ont
épousé la « théorie du
heartland »[2] et ses
variantes que l'on retrouve dans les doctrines présidentielles
aux États-Unis et qui ont servi notamment à justifier
l'« endiguement du communisme » et des luttes de
libération nationale.
Depuis l'effondrement de l'Union soviétique et
des anciennes démocraties populaires en 1989-1990, les grandes
puissances ont persisté à promouvoir cette conception du
monde géopolitique qui place la concurrence entre les blocs
impérialistes et entre les grandes puissances et les puissances
régionales au premier plan et leur permet de
mobiliser toutes leurs ressources en conséquence. La
géopolitique cherche à expliquer cette concurrence, la
guerre et l'agression en invoquant des facteurs extérieurs,
comme le fait que telle ou telle puissance a besoin de contrôler
certaines zones géographiques stratégiques au nom
d'idéaux supérieurs.
Avec le repli de la révolution, l'analyse
géopolitique a gagné en popularité non seulement
dans les cercles dirigeants officiels mais aussi parmi la gauche et les
analystes indépendants. L'élément central de cette
conception du monde géopolitique est d'accorder la
première place à l'impérialisme ou aux conflits
internationaux plus généralement,
c'est-à-dire à la rivalité entre les blocs
impérialistes ou entre les blocs impérialistes et les
puissances mondiales et régionales pour le contrôle de
territoires névralgiques, de zones stratégiques, de
marchés, de corridors énergétiques, commerciaux et
sécuritaires, où on ne doit pas laisser les peuples jouer
un rôle indépendant et où leur résistance
doit
être écrasée.
Cette conception du monde rejette
avant tout la conception du monde dialectique et matérialiste
historique qui reconnaît la base interne du changement, du
développement et du mouvement de la société et le
rôle crucial que jouent les peuples dans la détermination
du résultat, notamment sur les grandes questions de la guerre et
de la paix. Des
théories ont été inventées en opposition au
besoin de gouvernements antiguerre qui placent l'initiative entre les
mains des grandes puissances. L'analyse géopolitique nie
à cet égard que l'époque de l'impérialisme
renferme en elle la révolution prolétarienne, que la
révolution prolétarienne en est une partie
intégrale. On présente ainsi l'impérialisme
comme étant tout puissant et on nie la nécessité
du Front prolétarien pour établir des gouvernements
antiguerre qui se chargent de faire prévaloir la cause de la
paix. Partant de l'analyse géopolitique des
événements, des théories de la
multipolarité de l'après-guerre sont offertes comme
alternative à l'unipolarité de la superpuissance
impérialiste
américaine sur la base de la raison du plus fort.
Une conception du monde géopolitique est
proposée pour inciter les peuples à remettre l'initiative
aux grandes puissances dans la recherche de la paix, bien qu'on sache
que la poursuite des intérêts géopolitiques
mène à la guerre. Tout est fait pour inciter les peuples
à faire leur la conception du monde géopolitique des
grandes puissances pour
qu'ils ne puissent pas jouer leur rôle décisif. C'est pour
cette raison que la désinformation du nouveau gouvernement
libéral et de ses agences, des médias monopolisés
et des groupes de réflexion à caractère officiel,
qu'ils fassent partie de la droite ou de la gauche officielle,
présentent les événements non pas dans le contexte
des grandes
contradictions de la période et de la nécessité de
les résoudre en faveur des peuples, mais bien dans le contexte
des intérêts géopolitiques des grandes puissances.
Le rôle réservé aux peuples est d'appuyer les
politiques des grandes puissances d'un côté ou de l'autre
et tout est fait pour les priver de leur pensée et de leur
capacité de bâtir un front uni
pour réaliser leur désir d'un gouvernement antiguerre qui
verra à la défense de leurs intérêts.
Il est important que ceux qui chérissent la cause
de la paix discutent de ces questions et s'assurent de ne pas laisser
passer les préparatifs de guerre du nouveau gouvernement
libéral sans opposition.
Notes
1. La conception du monde
géopolitique qui voit les différents pays comme des
organismes luttant pour le lebensraum, ou l'espace vital, fut
d'abord proposée par le géographe allemand Friedrich
Ratzel au lendemain de la Première Guerre mondiale. Ses autres
promoteurs à l'époque étaient Halford Mackinder
(Grande-Bretagne) et
l'amiral Alfred Mahan (États-Unis).
Le mot géopolitique fut par la suite
utilisé par Rudolf Kjellen, un chercheur suédois, qui,
dans son Staten som Lifsform reprend les arguments du
malthusianisme pour justifier la conception impérialiste de
l'espace géographique. En 1923-27 un groupe d'étude
établi sous la direction du journal allemand Geopolitik
proclama la géopolitique une science à part, distincte de
la géographie politique conventionnelle. Karl Haushofer et Erich
Obst, les dirigeants de ce groupe, appliquèrent les principes de
la géopolitique aux objectifs politiques du nazisme.
Après la Deuxième Guerre mondiale, la
géopolitique gagna des adhérents aux États-Unis
(Nicholas J. Spykman, etc.), au Canada (Thomas Greenwood) et surtout en
Allemagne fédérale (Carl Schmitt, Hans Grimm, Alfred
Hettner, Adolf Grabowski, etc.)
(Dictionary of Philosophy, Progress Publishers,
Moscou, 1967. Traduit de l'anglais par LML)
2. Halford Mackinder a formulé
la « théorie du heartland » (Terre du
Milieu) comme suit :
« Qui contrôle l'Europe de l'Est contrôle le
heartland ;
Qui contrôle le heartland contrôle l'Île du
monde ;
Qui contrôle l'Île du monde contrôle le
monde. »
Gerald Roe Crone explique la contribution de Mackinder
comme suit dans l'Encyclopaedia Britannica :
« Étudiant les conditions
nécessaires à l'établissement d'une paix durable
durant la Première Guerre mondiale, Mackinder formula une
thèse de géographie politique dont il avait d'abord
dessiné les grandes lignes dans son article 'Le pivot
géographique de l'histoire' lu à la Royal Geographical
Society en 1904. Il y soutient que l'Asie
intérieure et l'Europe de l'Est (le heartland) étaient
devenues le centre stratégique de 'l'Île du monde' en
conséquence du déclin relatif du pouvoir maritime par
rapport au pouvoir terrestre et du développement
économique et industriel dans le sud de la Sibérie. Ses
idées furent plus tard détaillées dans le livret Democratic
Ideals
and
Reality, publié en 1929 pendant que la
Conférence de paix de Paris tenait séance. Il soutenait
que le rôle de la Grande-Bretagne et des États-Unis
était d'établir un équilibre entre les pouvoirs
rivalisant pour le contrôle du heartland. Il appelait à la
création d'un ensemble d'États indépendants pour
séparer l'Allemagne et la Russie, à peu
près selon les lignes de démarcation finalement
imposées par le traité de paix, comme facteur de
stabilisation additionnel. L'ouvrage attira peu l'attention en
Grande-Bretagne mais beaucoup plus aux États-Unis. Cela eut par
contre une conséquence imprévue, puisque le
géopoliticien allemand Karl Haushofer saisit le concept du
heartland pour
soutenir son grand dessein de contrôle de l'Île du monde.
Aussi a-t-on laissé sous-entendre durant la Deuxième
Guerre mondiale que Mackinder, par l'entremise de Haushofer, avait
inspiré Hitler. Une évaluation plus sobre écarta
cette notion absurde et, bien que les développements historiques
aient infirmé une partie de son argumentaire, la thèse de
Mackinder est reconnue comme un point de vue important de la
stratégie mondiale. En 1924, tirant les leçons de la
Première Guerre mondiale, il publia sa théorie
prophétique de la communauté atlantique qui devint
réalité après la Deuxième Guerre mondiale
et qui prit une forme militaire avec la création de
l'Organisation du traité de l'Atlantique
Nord (OTAN). Dans son hypothèse, qui attira quand même peu
d'attention à l'époque, Mackinder soutient que l'Europe
de l'Ouest et l'Amérique du Nord, qui 'constituent à
plusieurs égards une seule communauté de nations',
peuvent faire contrepoids à la puissance du heartland eurasien.
[...]
« En 1919, il se rendit dans le sud de la
Russie à titre de haut-commissaire britannique pour tenter
d'unir les forces de la Russie blanche et il fut fait chevalier
à son retour en 1920. »
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