Le Marxiste-Léniniste

Numéro 13 - 10 février 2016

Des questions importantes de guerre et de paix

Les préoccupations du nouveau conseiller du
premier ministre en matière de politique étrangère

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Halifax dit NON ! à la guerre devant le Forum sur la sécurité internationale d'Halifax,
le 17 novembre 2012.
(Halifax médias Coop)

Roland Paris est l'un des conseillers principaux du premier ministre Justin Trudeau. Il a été nommé à ce poste en novembre 2015. Paris a joué un rôle important dans les efforts de l'intelligentsia libérale et des groupes de réflexion pour résoudre les problèmes de la politique étrangère libérale pour le Canada contemporain. En tant que commentateur régulier de la politique étrangère canadienne et collaborateur de l'OTAN et d'autres institutions de l'impérialisme américain, comme le Forum sur la sécurité internationale d'Halifax, ses préoccupations sont une source d'inquiétude pour les Canadiens qui souhaitent que le Canada et son gouvernement soient une force pour la paix.

Roland Paris a été avec Taylor Owen l'organisateur du Forum 2014 d'Ottawa : repenser la stratégie internationale du Canada. Owen est professeur adjoint de Digital Media and Global Affairs à l'Université de la Colombie-Britannique, rédacteur en chef de la revue du Conseil international canadien appelée OpenCanada,[1] membre du conseil d'administration du Centre de la gouvernance internationale en innovation[2] et corédacteur avec Paris de la collection « The World Will Not Wait : Why Canada Needs to Rethink its Foreign Policies » (Le monde ne va pas attendre : pourquoi le Canada doit repenser ses politiques étrangères).

En 2013, Paris est devenu l'un des deux Canadiens recrutés par le Forum sur la sécurité internationale d'Halifax basé aux États-Unis afin de participer à son « Groupe de travail sur un programme » pour formuler des priorités en vue de sa réunion annuelle.

En mars 2014, il a été choisi par l'ex-secrétaire général de l'OTAN Anders Fogh Rasmussen pour se joindre à « un groupe d'experts chargé d'élaborer des recommandations visant à renforcer le Partenariat transatlantique ».

Le conseiller du premier ministre est un promoteur de la « démocratie numérique », une forme de cyberguerre où les gouvernements utilisent les médias sociaux pour s'ingérer dans les affaires internes de pays souverains. Il a salué le partenariat entre le ministère des Affaires étrangères, du Commerce et du Développement (maintenant Affaires mondiales Canada), sous la direction alors de John Baird, et l'école Munk afin d'utiliser les médias sociaux pour déstabiliser le gouvernement iranien en février 2014.

La crise de l'internationalisme libéral, avouée par ses tenants

Paris, Owen et d'autres participants à des groupes de réflexion sur la politique étrangère réagissent à la crise profonde des vieilles théories libérales utilisées pour justifier l'alignement du Canada sur le modèle américain d'agression impérialiste. Dix jours après les élections fédérales du 19 octobre 2015, Owen écrit dans Vers une nouvelle politique étrangère libérale, publié sur le site Web d'OpenCanada : « Le monde a changé depuis que les libéraux ont été au pouvoir la dernière fois. En conséquence, Trudeau doit repenser un programme internationaliste libéral pour le Canada. »

Owen et Paris avouent par exemple que la théorie de la responsabilité de protéger (R2P), l'idéal élevé au nom duquel des crimes ont été commis par le Canada à partir des années 1990 et par la suite, est discréditée. Roland Paris dit qu'elle « est prise au piège de sa propre logique interne » et que « l'intervention en Libye a été problématique pour R2P ».

Owen dit que les institutions internationales de l'après-guerre, qui faisaient partie d'un « système mondial ouvert et transparent fondé sur des règles, dont le but est de protéger et d'améliorer la liberté de l'individu », sont maintenant incapables de « satisfaire aux mandats pour lesquels elles ont été mises sur pied ». Owen appelle le Parti libéral à « imaginer un internationalisme du XXIe siècle ». Sa préoccupation, que les promesses électorales des libéraux aient été sensées ou pas, est « qu'il n'y ait pas de philosophie sous-jacente qui les soude ensemble ».

Owen se demande : « Comment les États qui ont construit le système international d'après-guerre continuent-ils de promouvoir et de protéger l'individu dans un monde où le pouvoir de ces États diminue ? » Il appelle à une nouvelle ère dans laquelle l'État « travaille à protéger les réseaux par lesquels les individus se donnent du pouvoir ».

Dans leurs réflexions sur le Forum 2014 d'Ottawa, Owen et Paris ont écrit que « des stratégies internationales efficaces nécessitent souvent des coalitions d'acteurs étatiques et non étatiques, des organisations privées, des groupes de défense des droits et des individus, à l'intérieur et à l'extérieur du Canada ... Des réseaux publics-privés peuvent être ' des multiplicateurs de force ' diplomatique pour le Canada ».

Accroître les dépenses militaires

Le 18 juin 2014, dans un des textes reproduits sur le site Web du Centre d'études en politiques internationales (CÉPI), Paris écrit que : « L'année dernière, les dépenses en matière de défense ont augmenté dans toutes les régions du monde, sauf trois : l'Amérique du Nord, l'Europe occidentale et centrale et l'Océanie. Alors que les États-Unis sont encore aujourd'hui la première puissance militaire, si ces modèles d'investissement persistent, les forces militaires occidentales finiront par perdre l'avantage technologique qu'elles ont longtemps invoqué pour leur efficacité. »

L'OTAN appelle tous ses États-membres à consacrer au moins 2 % du produit intérieur brut (PIB) aux dépenses militaires. Cet objectif a été fixé en 2006 à l'insistance des États-Unis qui consacrent au secteur militaire plus de 3,5 % du PIB, bien plus que d'autres membres de l'OTAN. On estime que seulement le Royaume-Uni, la Turquie, la Grèce et l'Estonie ont atteint la cible de 2 % en 2015. En 2014, le Canada a dépensé environ 1 % du PIB pour ses forces militaires. Selon un article de Robert Greenhill [3] et Megan McQuillan pour OpenCanada, les dépenses du Canada en ce qui a trait à son « engagement mondial », soit les dépenses combinées des programmes officiels « d'aide au développement » et de défense ont été en 2014 d'environ 1,2 % du PIB.

Le 24 septembre 2015, Paris a rédigé un autre article sur le site de CIPS où il discute les dépenses militaires du Canada par rapport à son PIB. Paris fait référence à une « tendance à long terme remarquable » à ce que Greenhill et McQuillan appellent « l'écart en matière d'engagement mondial » du Canada où les « dépenses du Canada en matière de défense selon le pourcentage du PIB sont en baisse depuis les années Mulroney ».

Le niveau des dépenses militaires par rapport au PIB « reste important », a déclaré Paris. « Les membres de l'OTAN ont décidé que c'est un indicateur significatif et il sert de point de référence pour examiner les tendances des dépenses canadiennes en ce qui concerne à la fois les années précédentes et les niveaux de dépenses en matière de défense d'autres pays. »

Paris a déploré que « seuls cinq pays de l'OTAN ont dépensé moins que le Canada en matière de défense selon le pourcentage du PIB. Dans le cadre d'une alliance de 28 [...] L'un d'eux est le Luxembourg ».

« Adapter le système mondial des règles et des institutions »

Paris a publié le 20 juin 2014 un article dans le Globe and Mail dans lequel il dit que l'OTAN « a besoin de faire un grand ménage afin de faire face à un monde plus dangereux ». Il a exposé la situation que, selon lui, les responsables politiques « des deux côtés de l'Atlantique doivent décrire » à « leur public ». Ils « doivent expliquer que le monde est de plus en plus dangereux et que le fait d'ignorer [les] risques n'est pas une solution. Si nous ne réinvestissons pas aujourd'hui à la fois dans nos capacités diplomatiques et militaires, nous allons probablement payer un prix beaucoup plus élevé plus tard ».

Les risques auxquels Paris fait allusion s'appellent les « quatre grands changements qui ont lieu à l'échelle mondiale ». Ce sont la prétendue menace à un « ordre fondé sur des règles » posée par la Russie, « les dénouements soudains qui frappent les États et l'ordre politique dans certaines régions du Moyen-Orient et en Afrique du Nord », « l'escalade rapide des tensions entre la Chine et ses voisins » et « le système de plus en plus tendu des règles et des institutions internationales, qui semblent de moins en moins en mesure de gérer les problèmes de sécurité découlant des trois premiers changements ».

Paris n'a pas un mot à dire quant à savoir si les actions de l'impérialisme américain ont posé un défi à l'ordre « fondé sur des règles ». Selon le point de vue qu'il avance, tous les problèmes et toutes les crises internationales proviennent de l'extérieur du système impérialiste d'États et sont celles auxquelles le système impérialiste doit répondre et s'adapter. Les « solutions » toutes prévisibles de Paris comprennent son appel à l'OTAN « d'adopter une position ferme face à la Russie », ce qui comprend « des exercices réguliers des forces de combat de l'OTAN dans les régions de l'est de l'alliance », et « la préparation de la Force de réaction de l'OTAN afin de la déployer dans un court délai », ainsi que la concentration d'équipements militaires le long des frontières de la Russie.

Paris dit aussi que les pays de l'OTAN doivent « développer les doctrines, les instruments et les techniques » pour lutter contre « les types non-linéaires d'agression » et réduire la consommation de produits énergétiques russes en Europe. Bien sûr, l'OTAN doit aussi se concentrer sur le Moyen-Orient et « la posture plus agressive » de la Chine.

« Les pays de l'OTAN, y inclus le Canada, ont énormément profité de l'ordre international relativement pacifique et ouvert qui a prévalu pendant près de 70 ans », a écrit Paris. « S'ils s'engagent à le faire, les alliés occidentaux et leurs partenaires internationaux devraient être en mesure de prolonger cette période de plusieurs décennies. Mais cela ne se fera pas tout seul et des fissures dans les fondations de cet ordre sont déjà visibles. »

« Une approche plus globale de résolution des problèmes posés par
les États fragiles et en déroute »

Paris appuie la mission militaire en Irak et en Syrie. Cependant, dans un mémoire de janvier 2015 au CÉPI, il évoque les « défis » et les « leçons assez difficiles » qu'ont apportés les interventions impérialistes précédentes.

Une de ces « leçons assez difficiles » selon lui est que les « efforts de déploiement de forces occidentales massives dans des combats sur le terrain dans les pays islamiques [...] peuvent avoir des effets contreproductifs dû à la méfiance et au ressentiment généralisés des puissances occidentales, même parmi nos alliés nominaux ». Peut-être Paris s'imagine-t-il que les pays non musulmans accueillent le « déploiement de forces occidentales massives dans des combats sur le terrain » avec ballons et serpentins. A-t-il oublié le Vietnam, la Corée ou la Guerre antifasciste, pour ne nommer que ces quelques exemples ? Selon lui, le problème ne réside pas dans le « déploiement de forces occidentales massives dans des combats sur le terrain » mais dans la méfiance et le ressentiment exprimés par les « pays islamiques », autrement dit dans la résistance des peuples à l'occupation impérialiste.

Selon Roland Paris, « le Canada peut et se doit d'être chef de file d'une campagne internationale visant une approche plus globale de résolution des problèmes posés par les États fragiles et en déroute ». En plus de « l'insécurité », « les lacunes en matière de gouvernance et le manque d'avenues de développement économique peuvent être les déclencheurs de ces troubles », dit-il. Il ajoute qu'il faut donc promouvoir « la création d'emplois pour les jeunes, l'éducation contre la radicalisation, l'investissement promouvant la croissance durable des marchés, ainsi que des gouvernements qui servent leurs citoyens plutôt que de les opprimer ».

Nous ressert-il la fable de la « construction d'écoles » en Afghanistan ? « Évidemment, dit-il en guise de clarification, le Canada se trouve également dans l'obligation de maintenir des forces militaires aptes au combat, ce qui constitue en quelque sorte une police d'assurance dans le monde marqué par l'incertitude dans laquelle nous vivons. En outre, nous devrions réinvestir dans nos forces armées et annuler les récentes coupures militaires. Qui plus est, nous devons être disposés à déployer ces forces, y compris dans le cadre de missions de combat lorsque cela sert nos intérêts ».

Pour nous rassurer, il dit qu'« à plus long terme, toutefois, nous ne pouvons assurer notre sécurité que de la bouche de nos canons ».

En conclusion, Roland Paris écrit qu'en ce qui a trait à la mission en Irak, « cela serait politiquement difficile pour le gouvernement canadien » de retirer ses forces et que le gouvernement a plutôt « l'obligation de s'assurer que sa campagne au sens plus large est bien conçue et réalisable ».

Notes

1. Le Conseil international canadien (CIC) a été créé en 1928 sous le nom d'Institut canadien des affaires internationales. Son secrétaire national était Escott Reid qui est devenu plus tard le conseiller en chef du premier ministre Lester Pearson au moment de la création de l'OTAN et a occupé différents postes diplomatiques plus tard. C'est en 2007 qu'il a pris son nom actuel. L'institut canadien en études stratégiques, un autre groupe de réflexion libéral, a été absorbé par le CIC en 2008. Le CIC comprend des groupes de travail en études stratégiques, sur la souveraineté et la sécurité de l'Arctique, sur les questions frontalières, le Canada et les Amériques, les relations Canada-Inde, la Chine et l'énergie. Les membres de son Comité de direction sont Bill Graham, chancelier du Trinity College et ancien ministre des Affaires étrangères et de la Défense du gouvernement libéral précédent ; Janice Stein, directrice de l'École Munk des affaires globales de l'Université de Toronto ; Jodi White, agrégée supérieure de recherche à l'École d'affaires internationales Norman Paterson d'Ottawa ; Scott Burk, un dirigeant d'une firme de gestion en investissement et Gerald Wright, ancien président du Conseil atlantique du Canada, vice-président de l'Association du Traité atlantique et vice-président de la Fondation canadienne Donner.

Ses anciens directeurs comprennent Perrin Beatty, président et chef de la direction de la Chambre de commerce du Canada ; Jim Balsillie, ancien PDG de Research in Motion ; Raymond Chrétien, avocat, diplomate et neveu de Jean Chrétien et Doug Horswill, vice-président principal du monopole minier Tech Resources.

OpenCanada est une publication en ligne qui a été fondée par le CIC en juin 2011 en collaboration avec Taylor Owen. OpenCanada est produit en partenariat par le Centre de la gouvernance internationale en innovation, le Conseil international canadien et le Centre Bill Graham en histoire contemporaine internationale.

2. Le Centre de la gouvernance internationale en innovation (CIGI) est un « groupe de réflexion indépendant non partisan spécialisé en gouvernance internationale. Dirigé par des praticiens éminents et des personnalités académiques respectées, le CIGI appuie la recherche, forme des réseaux, met de l'avant le débat sur les politiques et génère des idées pour l'amélioration de la gouvernance multilatérale ». Son fondateur et président est Jim Balsillie, l'ancien PDG de Research in Motion, qui est aussi le principal bienfaiteur de l'école qui porte son nom, l'École Balsillie d'affaires internationales à Waterloo en Ontario.

Les principales organisations qui parrainent le CIGI sont la Fondation canadienne pour l'innovation ; l'Agence canadienne de développement international ; Environnement Canada ; le Conseil de recherches en sciences humaines ; le Centre de recherche en développement international ; le ministère des Affaires étrangères et du Commerce international ; Industrie Canada ; le gouvernement de l'Ontario ; le ministère de la recherche et de l'Innovation de l'Ontario ; le Fonds pour la recherche en Ontario ; le ministère du Développement économique et de l'Innovation de l'Ontario ; le ministère de la Formation et des Collèges et Universités de l'Ontario et la ville de Waterloo.

Les organisations internationales qui le parrainent comprennent le Conseil de recherche économique et sociale ; le Centre de Genève pour le contrôle démocratique des forces armées et le département du Royaume-Uni pour le développement international.

Parmi les organisations privées qui le parrainent, on compte Encana Corporation ; Power Corporation ; Banque Scotia ; TD Friends of the Environment Foundation ; la Fondation Rockefeller ; Jim Balsillie ; Mike Lazaridis ( le fondateur de Blackberry) et Brookfield Asset Management (l'ancien Brascan).

3. Robert Greenhill est le président-exécutif de Global Canada Initiative et agrégé supérieur au CIGI. Greenhill est l'ancien directeur-exécutif et chef de la Direction des affaires au Forum économique mondial, vice-ministre et président de l'Agence canadienne de développement international et président et chef de l'exploitation de Bombardier International. Greenhill siège aussi au Comité de direction du UN Global Compact, un soi-disant organisme des Nations unies qui est composé de hauts dirigeants de monopoles mondiaux qui travaillent à « transformer le monde par les affaires » et appelle les entreprises à « aligner leurs stratégies et leurs pratiques avec les principes universels en matière de droits humains, de travail, d'environnement et de non-corruption, et à agir pour l'avancement des objectifs sociaux ».

Le Global Canada Initiative se décrit comme « une organisation d'intervenants multiples sans but lucratif » basé sur l'idée que « la capacité du Canada d'avoir une influence dans les affaires mondiales ne doit pas être prise pour acquis » et que « d'accroître son influence mondiale correspond à l'intérêt stratégique du Canada. » Il décrit son mandat de la façon suivante :

« Dans un monde marqué par la multiplicité des intervenants, la responsabilité en matière d'influence mondiale ne revient pas au seul gouvernement. Tous les intervenants, incluant le secteur privé, les universités, les entrepreneurs sociaux et les philanthropes, ont un rôle important à jouer. »

Il dit chercher à créer « une communauté enthousiaste de 'Canadiens d'esprit mondial', des Canadiens qui tiennent des positions de direction au pays et à l'étranger et qui sont passionnés par le rôle mondial du Canada », « un discours fait pour aujourd'hui sur l'engagement mondial du Canada » et à déterminer « les questions sur lesquelles le Canada peut réellement avoir un impact mondial ».

Le Global Canada Initiative est financé par le secteur privé et son Comité de direction comprend des dirigeants de Bell Canada, de la firme de télécommunications BCE Nexxia, de la firme de capital-risque BDC Advantage, de la firme-conseil américaine McKinsey, de la firme de marketing Zed Graphic Communications et du Conseil canadien des affaires (anciennement le Conseil canadien des chefs d'entreprise).

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