Numéro 22

27 mars 2024

L'urgence n'est pas «dans l'oeil du spectateur»

La Cour fédérale déclare inconstitutionnelle l'invocation de la Loi sur les mesures d'urgence contre le «Convoi de la liberté»

– Peggy Morton –

Les conceptions de l'«ordre public»

– Pauline Easton –

Pour une définition moderne de l'intérêt national

– Hilary LeBlanc –



L'urgence n'est pas «dans l'oeil du spectateur»

La Cour fédérale déclare inconstitutionnelle l'invocation de la Loi sur les mesures d'urgence contre le «Convoi de la liberté»

– Peggy Morton –


La police d'Ottawa disperse la manifestation du Convoi pour la liberté en vertu de la Loi sur les mesures d'urgence, 19 février 2022.

Le 23 janvier, la Cour fédérale du Canada a jugé que l'invocation de la Loi sur les mesures d'urgence par le gouvernement Trudeau le 14 février 2022, en réponse au « Convoi de la liberté », violait la Charte des droits et libertés et était donc inconstitutionnelle. Cette décision fait référence à la série de manifestations et de blocages qui ont eu lieu à différents endroits au Canada pour protester contre les obligations et les restrictions liées au vaccin COVID-19, qui ont commencé au début de l'année 2022, pendant la pandémie de la COVID.

Cette décision fait suite à un examen judiciaire de l'invocation par le gouvernement de la Loi sur les mesures d'urgence, effectué par le juge Richard Mosley de la Cour fédérale. Le juge Mosley a accepté les demandes de révision de la Proclamation déclarant une urgence d'ordre public, émise le 14 février 2022, du Règlement sur les mesures d'urgence et du décret PC 2022-108, ainsi que du Décret sur les mesures économiques d'urgence, pris le 15 février 2022, faites par quatre parties. L'Association canadienne des libertés civiles (ACLC) et la Fondation constitutionnelle du Canada (FCC) se sont vu accorder la qualité d'intervenant agissant dans l'intérêt public. Deux demandes de révision faites par des particuliers ont également été approuvées, ainsi que celles d'un policier à la retraite et d'un vétéran des Forces armées, qui ont tous deux participé au convoi et dont les comptes bancaires et les cartes de crédit ont été gelés.

Dans sa décision, le juge Mosley exprime sa sympathie pour le gouvernement fédéral, déclarant qu'il aurait pu prendre la même décision à l'époque. « À mon avis, les événements qui se sont produits à Ottawa et ailleurs, en janvier et en février 2022, dépassaient la manifestation légitime et dénotaient une rupture inacceptable de l'ordre public. », a-t-il déclaré. Néanmoins, il a conclu que la décision n'atteignait pas le seuil requis par la loi pour invoquer la Loi sur les mesures d'urgence[1].

« « J'arrive donc à la conclusion que la décision d'émettre la Proclamation ne possède pas les
caractéristiques d'une décision raisonnable – soit la justification, la transparence et
l'intelligibilité – et ne se justifiait pas au regard des contraintes factuelles et juridiques
pertinentes qui devaient être prises en considération. À mon avis, il ne peut y avoir qu'une
interprétation raisonnable des articles 3 et 17 de la Loi sur les mesures d'urgence et de
l'alinéa 2c) de la Loi sur le SCRS. Les demandeurs ont établi que les contraintes juridiques
applicables à l'exercice du pouvoir discrétionnaire du GEC de déclarer une urgence d'ordre
public n'ont pas été respectées. »[2]. »

En bref, le juge Mosley n'a pas accepté l'affirmation du gouvernement Trudeau selon laquelle ce qu'il a conclu comme étant un effondrement de l'ordre public répondait au critère d'une « urgence nationale ». En d'autres termes, il n'a pas accepté que la situation dépassait la capacité ou l'autorité d'une province pour y faire face et qu'elle n'aurait pas pu être réglée en appliquant les lois existantes. Il a également rejeté l'argument du gouvernement selon lequel il y avait « usage de la violence grave ou de menaces de violence ».

Le juge Mosley a toutefois conclu que le droit à la liberté d'association garanti par la Charte n'avait pas été violé, car il protège « la liberté de former et de maintenir une association, et non l'activité elle-même ». Il n'a pas non plus trouvé de violation du droit de réunion pacifique garanti par la Charte, étant d'accord avec le gouvernement fédéral pour dire que « les assemblées impliquant le recours à la force physique qui prennent la forme d'occupations de longue durée ou sans issue de l'espace public et qui entravent la capacité des résidents locaux de vaquer à leurs occupations quotidiennes dans le but d'obtenir par la contrainte l'adhésion aux objectifs des manifestants ne bénéficient pas de la protection constitutionnelle ».

Toutefois, il a conclu que les règlements interdisant la participation à des assemblées publiques violaient le droit à la liberté d'expression garanti par la Charte, parce qu'ils touchaient des personnes qui n'étaient pas engagées dans des actions illégales et qui voulaient « simplement se joindre à la manifestation en brandissant des affiches sur la colline parlementaire ». Il a également estimé que le gouvernement fédéral n'avait pas suivi une « norme objective » lorsqu'il a ordonné aux institutions financières de geler les comptes bancaires et les cartes de crédit, et que la GRC avait essentiellement inventé les choses au fur et à mesure, violant ainsi l'interdiction des perquisitions et saisies abusives inscrite dans la Charte.

La vice-première ministre Chrystia Freeland a réagi rapidement aux conclusions de la Cour fédérale, déclarant que le gouvernement ferait appel de la décision. L'appel a été déposé le 23 février. Radio-Canada rapporte que dans son appel, le gouvernement fédéral soutient que la Cour fédérale a appliqué le « critère du caractère raisonnable » de la Charte « d'une manière incorrecte » et qu'elle a adopté une « articulation trop étroite » de la Charte.

La décision du juge Mosley de la Cour fédérale est certainement une réprimande de l'utilisation par le gouvernement Trudeau de ses pouvoirs de police qui sont, par définition, au-dessus de l'état de droit. Il est donc entendu que les raisons invoquées par un gouvernement pour justifier une situation d'urgence doivent avoir une base matérielle et être convaincantes pour qu'un gouvernement puisse invoquer des pouvoirs de police – ce qui équivaut à déclarer un état d'exception et entraîne la suspension des libertés civiles et d'autres mesures draconiennes, et qui sont donc au-dessus de la loi.

La décision publiée comprend l'avis adressé au Cabinet l'incitant à invoquer la Loi sur les mesures d'urgence. Même dans sa forme très lourdement expurgée mise à la disposition du public, il est clair que de puissants intérêts privés et des pressions de l'administration Biden ont orienté la prise de décision. Cela inclut la définition de la « sécurité nationale » comme incluant les corridors de transport et d'énergie et les chaînes d'approvisionnement pour alimenter l'économie et la machine de guerre des États-Unis.

Il n'y a jamais eu de tentative de respecter la liberté d'expression et d'avoir une discussion nationale rationnelle sur les mesures prises par le gouvernement fédéral pendant la pandémie de COVID ou sur les raisons pour lesquelles la violence a été la méthode choisie pour traiter les graves différends qui ont surgi au sujet des mandats et des restrictions de COVID.

Pendant la pandémie, les Canadiens se sont engagés d'une seule volonté à se battre en première ligne dans le secteur de la santé, dans les maisons de retraite et dans les établissements d'enseignement, et les mesures qu'ils ont proposées ont été traitées avec le plus grand mépris et rejetées, bien que les travailleurs de première ligne aient été qualifiés de héros. Les travailleurs de l'industrie, des transports, des services publics et de l'industrie alimentaire, qui assurent le fonctionnement du pays, n'ont même pas été reconnus. La demande de certaines sections de la classe dirigeante de criminaliser la lutte de n'importe quelle section de travailleurs pour leurs droits a prévalu parce que cette lutte nuisait à l'objectif des dirigeants de faire un maximum de profits quoi qu'il arrive et parce que cela nuisait au fonctionnement de l'économie de guerre, qui est la raison pour laquelle le convoi a été ciblé de cette façon. La criminalisation de la parole et de la conscience, et les actions qui en découlent, en ont fait les plus grandes victimes dans cette affaire. Les travailleurs ont été contraints de travailler dans des conditions dangereuses et intenables en raison d'années d'offensive antisociale et des pertes liées à la COVID-19, qui ont entraîné une pénurie de personnel, en particulier dans le secteur de la santé.


Les travailleurs de la santé manifestent contre les atteintes à leurs droits et conditions de travail lors de la pandémie de la COVID-19, à Kenora, 27 août 2020

Les gouvernements qui fondent leurs décisions sur ce qu'ils appellent un système basé sur des règles succombent à leurs propres préjugés et croyances et blâment ensuite les autres pour ce qu'ils font eux-mêmes. Des préoccupations intéressées sont au centre des décisions, tandis que les dirigeants déclarent protéger les valeurs canadiennes, la sécurité nationale, l'économie, etc. Loin d'unir les factions rivales derrière ce qu'on appelle les intérêts nationaux, les contradictions s'enveniment et la violence est considérée comme le seul recours.

Après la décision de la Cour fédérale jugeant inconstitutionnelle l'utilisation de la Loi sur les mesures d'urgence, l'ACLC a publié un communiqué de presse intitulé : « La notion d'urgence doit être universelle : La Cour fédérale donne gain de cause à l'ACLC dans la contestation de la Loi sur les mesures d'urgence ».

« Dès le moment où la Loi sur les mesures d'urgence a été invoquée, l'ACLC a exprimé ses préoccupations », lit-on dans le communiqué. « La notion d'urgence doit être universelle. Les pouvoirs d'urgence sont nécessaires dans des circonstances extrêmes, mais ils constituent un danger pour la démocratie. Ils doivent être utilisés avec parcimonie et prudence. On ne doit pas y avoir recours, même pour faire face à une manifestation massive et perturbatrice qui aurait pu être gérée par les forces policières et les lois en vigueur. En effet, le seuil d'invocation de la Loi sur les mesures d'urgence est extrêmement élevé. Le gouvernement doit démontrer qu'il existe une situation d'urgence résultant de menaces pour la sécurité du Canada et que cette situation d'urgence a véritablement une portée nationale. La Cour fédérale a reconnu que ce seuil n'avait pas été atteint.

« L'ACLC s'est opposée au recours par le gouvernement à la Loi sur les mesures d'urgence et a poursuivi le gouvernement en justice. La décision de la Cour fédérale établit un précédent clair et déterminant pour tous les gouvernements qui suivront. »

Joanna Baron, directrice exécutive de la FCC a déclaré que cette décision était une bonne nouvelle pour tous les Canadiens. « L'invocation de la Loi sur les mesures d'urgence est l'un des pires exemples d'abus du gouvernement pendant la pandémie et nous sommes très heureux de voir le juge Mosley reconnaître que les droits garantis par la Charte ont été violés et que le Cabinet doit respecter la loi et n'utiliser cette Loi qu'en dernier recours. »

Christine Van Geyn, directrice du contentieux pour la FCC, s'est déclarée ravie de la décision. « il s'agit de motifs très détaillés et d'une justification complète de la position des organisations de défense des libertés civiles qui considéraient l'invocation de la Loi sur les mesures d'urgence comme illégale, injustifiée et anticonstitutionnelle », a-t-elle déclaré. « Nous savons que le gouvernement a déclaré qu'il avait l'intention de faire appel, et avec ces raisons, il a maintenant une montagne à gravir. Nous sommes impatients de nous battre. »

Chris Barber, un camionneur de Swift Current, en Saskatchewan, propriétaire d'une petite entreprise de camionnage indépendante et un des principaux organisateurs du Convoi pour la liberté, a intenté une action en justice contre le gouvernement fédéral pour avoir utilisé la Loi sur les mesures d'urgence pour geler ses comptes bancaires. Dans sa déclaration, il affirme que la décision sans précédent du gouvernement fédéral d'invoquer la loi constitue un abus de pouvoir.

Les comptes personnels et professionnels de M. Barber ont été gelés sans préavis le lendemain de l'appel à la Loi sur les mesures d'urgence. Il n'a pas pu accéder à l'argent nécessaire aux dépenses quotidiennes telles que la nourriture, le carburant ou les médicaments, et son salaire et les revenus de son entreprise ont été versés sur des comptes gelés auxquels il n'a pas pu accéder. Selon l'action en justice, M. Barber affirme que ses demandes de financement d'entreprises sont toujours rejetées et qu'on lui a dit que ses comptes bancaires seraient « entachés pour une durée indéterminée ».

Chris Barber et sa collègue organisatrice Tamara Lich ont été arrêtés le 17 février 2022 et accusés de méfait, d'obstruction à la police, d'avoir conseillé à d'autres personnes de commettre un méfait et d'intimidation. Leurs avocats soulignent que l'organisation d'une manifestation n'est pas une activité illégale et qu'elle est protégée par la Charte. Lors d'une conférence de presse organisée à la suite de la décision du juge Mosley, M. Barber a également contesté l'image sans fondement que les médias et le gouvernement donnent du Convoi pour la liberté et de ses participants, à savoir qu'ils enfreignent la loi et qu'ils sont dangereux.

La réponse du gouvernement Trudeau à la décision du juge Mosley indique qu'il va continuer de défendre l'utilisation arbitraire des pouvoirs exécutifs pour réaliser les objectifs des élites canadiennes et étrangères. À cela s'ajoute une série de fausses « consultations publiques », d'enquêtes et de sondages visant à justifier la révision de la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité, qui contient la définition de ce qui constitue une menace pour la sécurité nationale et qui doit être respectée pour invoquer la Loi sur les mesures d'urgence.

Tout en rejetant l'affirmation du gouvernement selon laquelle des « violences graves » ont été commises, le juge Mosley lui-même, dans sa décision, laisse entendre que le gouvernement avait la possibilité de réviser la définition de ce qui constitue une menace pour la sécurité nationale. Il a déclaré :

« Il se peut que le Parlement envisage de réexaminer la définition donnée dans la Loi sur le SCRS, qui répond aux divers objectifs énoncés par le législateur, afin de savoir si elle vise comme il se doit les différents préjudices qui peuvent découler d'une situation d'urgence mais ne constituent pas de la  'violence grave' contre des biens. Notre Cour a le devoir d'appliquer la loi comme elle est faite et non à discrétion. »

Le juge Mosley est parvenu à une conclusion différente de celle à laquelle était parvenu plus tôt le juge Paul Rouleau dans son Rapport de l'Enquête publique sur l'état d'urgence déclaré en 2022, rendu public le 17 février 2023. Le juge Rouleau a été nommé commissaire de la Commission sur l'état d'urgence pour enquêter sur l'invocation de la Loi sur les mesures d'urgence appliquée du 14 au 23 février 2022 et sur les mesures prises pour faire face à la situation d'urgence. Le décret 2022-0392 exige que le rapport de l'enquête publique soit déposé devant chaque chambre du Parlement au plus tard le 20 février 2023.

Dans sa conclusion, le juge Rouleau a déclaré qu'il était justifié d'invoquer la Loi sur les mesures d'urgence. Cependant, dans son rapport final, il a également recommandé que la loi soit révisée pour donner une nouvelle définition de ce qui constitue une situation d'urgence en matière d'ordre public. Il a suggéré que cette définition ne soit plus associée à la définition d'une menace à la sécurité nationale de la Loi sur le SCRS. Bien qu'il n'ait pas formulé de recommandations spécifiques concernant la Loi sur le SCRS, il a déclaré : « Les preuves présentées au cours des phases factuelles et politiques de la Commission montrent qu'il est nécessaire de se demander si le système de sécurité nationale et de renseignement du Canada est bien adapté aux réalités modernes. » En outre, le juge Rouleau a formulé un certain nombre de recommandations concernant la nécessité de redéfinir l'intérêt national et l'urgence de l'ordre public dans le but de protéger les routes commerciales, les couloirs d'approvisionnement et les infrastructures essentielles.

À première vue, il semble que les juges Mosley et Rouleau soient parvenus à des conclusions différentes. Le juge Rouleau a tenté de résoudre une quadrature du cercle en acceptant la définition du gouvernement de ce qui constitue une urgence nationale. En même temps, il a recommandé que la loi soit « mise à jour » en ce qui concerne les notions d'intérêt national et d'urgence d'ordre public. Le juge Mosley a déclaré que « la loi, c'est la loi » et que si c'est ce que l'on veut faire, et peut-être ce qu'il faut faire, alors il faut changer la loi.

Toutefois, au nom de la nécessité de veiller à ce que les lois actuelles répondent aux réalités actuelles, les deux juges approuvent la pratique actuelle qui consiste à utiliser les majorités gouvernementales au Parlement pour promulguer des lois qui lèvent toutes les limites jusqu'ici acceptées des pouvoirs ministériels. Rien de tout cela n'aborde la question fondamentale soulevée par l'ACLC, à savoir que ce qui constitue une situation d'urgence « n'est pas dans l'oeil du spectateur », qu'elle doit être universelle. Il n'aborde pas le fait que plus les gouvernements se donnent des pouvoirs arbitraires pour atteindre les objectifs intéressés des élites supranationales, plus les mesures qu'ils prennent et les moyens qu'ils utilisent pour les atteindre réduisent le débat au silence, criminalisent l'opinion et désinforment la cohérence du corps politique afin de s'assurer qu'il n'y a pas d'opposition organisée aux conditions imposées par les élites à la société.

Bien que la décision du juge Mosley semble contredire celle du juge Rouleau, toutes deux justifient le recours à des pouvoirs d'urgence arbitraires et préparent les conditions à l'adoption d'une loi plus draconienne dont l'objectif est de permettre à un gouvernement de guerre de donner l'impression d'agir dans le respect de la loi, alors même que l'état de droit est en lambeaux.

L'importance de la décision du juge Mosley est que cela montre que, partout au pays, nous devons tous discuter de ces questions, en particulier de la manière de lutter pour que nos droits soient garantis sur la base de définitions modernes. Malgré le blâme adressé au gouvernement, il est clair que pour la classe ouvrière et le peuple, leur sécurité réside dans leur propre lutte pour les droits de toutes et tous.

Notes

1. L'article 3 de la Loi sur les mesures d'urgence se lit comme suit :

Crise nationale
Pour l'application de la présente loi, une situation de crise nationale résulte d'un concours de circonstances critiques à caractère d'urgence et de nature temporaire, auquel il n'est pas possible de faire face adéquatement sous le régime des lois du Canada et qui, selon le cas :
a) met gravement en danger la vie, la santé ou la sécurité des Canadiens et échappe à la capacité ou aux pouvoirs d'intervention des provinces;
b) menace gravement la capacité du gouvernement du Canada de garantir la souveraineté, la sécurité et l'intégrité territoriale du pays.
L'article 17 dit :
Déclaration d'état d'urgence
Proclamation
17 (1) Le gouverneur en conseil peut par proclamation, s'il croit, pour des motifs raisonnables, qu'il se produit un état d'urgence justifiant en l'occurrence des mesures extraordinaires à titre temporaire et après avoir procédé aux consultations prévues par l'article 25, faire une déclaration à cet effet.
Contenu
(2) La déclaration d'état d'urgence comporte :
a) une description sommaire de l'état d'urgence;
b) l'indication des mesures d'intervention que le gouverneur en conseil juge nécessaires pour faire face à l'état d'urgence;
c) si l'état d'urgence ne touche pas tout le Canada, la désignation de la zone touchée.

2. L'article 2(c) de la Loi sur le SCRS identifie, comme menace pour la sécurité du Canada :

« les activités qui touchent le Canada ou s'y déroulent et visent à favoriser l'usage de la violence grave ou de menaces de violence contre des personnes ou des biens dans le but d'atteindre un objectif politique, religieux ou idéologique au Canada ou dans un État étranger ».

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Les conceptions de l'«ordre public»

– Pauline Easton –

Le 25 avril 2022, le gouvernement du Canada a créé la Commission sur l'état d'urgence avec pour mandat d'enquêter sur les circonstances qui ont mené à la déclaration d'urgence du 14 au 23 février 2022 et sur les mesures prises pour faire face à la situation d'urgence. Le juge Paul Rouleau a été nommé commissaire.

Le 17 février 2023, le juge Rouleau a publié le Rapport de l'Enquête publique sur l'état d'urgence déclaré en 2022. Après le dépôt du rapport au Parlement, le juge Rouleau a déclaré : « Après mûre réflexion, je suis arrivé à la conclusion que les critères très stricts à respecter pour pouvoir invoquer la Loi ont été remplis. Lorsque la décision a été prise d'invoquer la Loi le 14 février 2022, le Cabinet avait des motifs raisonnables de croire qu'il existait une crise nationale en raison de menaces pour la sécurité du Canada et que cette crise exigeait de prendre temporairement des mesures spéciales. »

Le juge Rouleau a présenté un argument pour justifier l'utilisation de la Loi malgré le fait que les raisons données par le premier ministre Justin Trudeau ne concordaient pas avec celles données par la vice-première ministre Chrystia Freeland, qu'il y avait des points de vue divergents au sein du cabinet sur ce qui constitue une urgence ou sur la question de savoir si le seuil requis pour l'invocation de la loi était atteint, ainsi que sur la définition de l'urgence telle que donnée dans la loi sur Loi sur les mesures d'urgence. La logique était tellement suspecte que la possibilité qu'elle soit contestée a été notée alors même que la loi était invoquée.

Prenons par exemple cette déclaration de Justin Trudeau lors de la commission d'enquête, lorsqu'il a été appelé à expliquer pourquoi il avait conclu à l'existence d'une menace pour le Canada qui ne pouvait être traitée par aucune loi existante : « Et si quelqu'un avait été blessé ? Et si un policier avait été hospitalisé ? Et si, quand j'avais eu l'occasion de faire quelque chose, j'avais attendu et nous avions eu un événement impensable... » Un argument du type « et si » est une spéculation non fondée, un sophisme contrefactuel. Il s'agit d'une affirmation mal étayée sur ce qui aurait pu se produire dans le passé ou qui pourrait se produire dans l'avenir si (la partie hypothétique) les circonstances ou les conditions avaient été différentes. Il s'agit au mieux d'une spéculation, qui n'est pas fondée sur des preuves et qui est infalsifiable. Il s'agit donc non seulement d'un sophisme spéculatif, mais aussi d'une façon très pitoyable pour le premier ministre d'un pays d'expliquer pourquoi la Loi sur les mesures d'urgence a été invoquée.

Il suivait peut-être les traces de l'ancien président américain George W. Bush et de ceux qui l'ont suivi, qui ont invoqué l'argument «et si» pour justifier la guerre terroriste menée par les États-Unis contre les peuples : « et si un autre 11 septembre était planifié », « et si les terroristes utilisaient les mosquées », « et si nous libérions ceux qui se trouvent à Guantánamo », même s'ils n'ont été ni inculpés ni jugés, et qu'ils commettaient à nouveau des actes de terrorisme, etc. C'est un moyen de semer la peur et le doute, tout en détournant l'opposition aux crimes commis.

C'est également vrai que Justin Trudeau, toujours enivré de l'image qu'il a de lui-même, toujours désinvolte et superficiel, passe complètement à côté de la théorie qui sous-tend l'argument des « freins et contrepoids » défendu par son père Pierre Trudeau lorsqu'il a invoqué la Loi sur les mesures de guerre en 1970. Ce concept met de l'avant la nécessité d'un contrôle des droits, qui doit être « mis en équilibré » avec les intérêts de la « sécurité nationale ». Il est utilisé pour justifier le sacrifice des droits comme étant nécessaire à la sécurité des dirigeants. En l'occurrence, il s'agit de répondre aux besoins et aux exigences de la machine de guerre américaine et de sa chaîne d'approvisionnement, comme l'ont directement soulevé les responsables américains. Il vise à contrer la position des peuples que la sécurité est dans notre lutte pour les droits.

Pour sa part, lorsqu'il parle des tensions entre l'ordre et la liberté, le juge Rouleau part de la perspective qui sous-tend la conception du monde juridique sur laquelle reposent ce qu'on appelle les institutions démocratiques du Canada. Il ne tient pas compte de la pratique actuelle qui consiste à adopter des lois pour supprimer les limitations aux pouvoirs de prérogative ministérielle, aussi appelés pouvoirs de police, pouvoirs prévus par la prérogative royale qui est protégée par la Constitution. Les ministres utilisent leurs pouvoirs arbitraires dans tous les domaines de la vie pour imposer des édits, des règlements et différents arrangements et pour criminaliser ceux qui ne les respectent pas. Cela détruit le tissu de la société civile, qui repose sur l'opinion publique, car les anciennes méthodes de prise de décision et d'orientation de la société n'impliquent plus du tout le public. La prise de décision a été privatisée.

Les institutions démocratiques libérales qui ont été importées d'Angleterre au Canada au XIXe siècle sont aujourd'hui obsolètes parce que le projet d'édification nationale entrepris par la classe dirigeante de l'époque, fondé sur la conception utilitaire du plus grand bien pour le plus grand nombre, n'existe plus. Les conditions matérielles de ce projet ont été supplantées par le néolibéralisme qui réunit des conditions très différentes. Ces conditions ont rendu obsolètes les pratiques fondées sur la conception de ce qu'on appelait le « bon gouvernement ». Cette conception avait été adoptée au milieu du XIXe siècle avec ses corollaires « paix » et « ordre ».

La « paix » désignait la pratique consistant à utiliser les armées coloniales et les services de police secrets pour réprimer brutalement les rébellions anticoloniales. L'« ordre » désigne le système pénal, les lois et les institutions, y compris la création de prisons et de tribunaux, destinés à punir ceux qui enfreignent les lois anti-ouvrières et antipopulaires ou qui sont sans ressources, sans éducation ou dérangés sans que ce soit de leur faute. La notion de « bon gouvernement » fait référence à la création d'une opinion publique sous la forme de médias qui informent la population des événements en cours et des décisions prises par les parlements et les assemblées législatives, de ce qui les sous-tend et de leurs ramifications, ainsi que de la position de chacun sur les questions à l'ordre du jour. Le système public d'éducation a permis à chacun d'acquérir les mêmes connaissances générales qui, à leur tour, ont imprégné la société de normes et de mesures sur la base desquelles il était possible de porter des jugements. Les partis politiques se sont développés en établissant des organisations primaires dans des circonscriptions de taille à peu près égale en termes de population et le système électoral qui les accompagnait, dont le but était de former un gouvernement de parti dit représentatif.

En bref, c'est ce système que l'on appelle « paix, ordre et bon gouvernement ». Il s'agissait d'un système démocratique fondé sur le service de la classe bourgeoise au pouvoir et, par le biais des élections, sur l'éloignement de la classe ouvrière du pouvoir en amenant les électeurs à voter pour quelqu'un d'autre qui les représenterait tout en prêtant serment d'allégeance au monarque du moment. Ce système assurait la cohésion et la cohérence de l'État, et les individus et les collectifs pouvaient s'y orienter.

Cet ordre de gouvernance n'existe plus. Ni les législatures, ni le système éducatif, ni les médias, ni les partis politiques ne sont informés par cette conception de paix, ordre et bon gouvernement, mais les élites dirigeantes, y compris les gouvernements, les partis cartellisés et les tribunaux, maintiennent les prétextes et justifient leurs actions et décisions intéressées au nom de ces préceptes défunts – ces règles générales destinées à réguler le comportement et la pensée.

Aujourd'hui, ce que l'on appelle les partis politiques n'ont plus d'adhérents, tous les membres de la société sont livrés à eux-mêmes du fait de la privatisation et de la destruction des services publics, et l'opinion publique a été détruite par les intérêts privés étroits qui ont usurpé le pouvoir de décision. Ces intérêts privés supranationaux donnent des définitions de l'intérêt national et de la sécurité qui sont fonction de leurs intérêts étroits de domination, de conquête de sphères d'influence, de répression des peuples et de ce qui leur permet de réaliser des superprofits à tout moment. Ils sont soutenus par les forces de police politique supranationales et leurs porte-parole locaux au service de blocs économiques et militaires tels que le système bancaire international sous le contrôle des États-Unis et l'OTAN et le NORAD également sous le contrôle des États-Unis.

Néanmoins, le juge Rouleau a déclaré dans sa conclusion que l'invocation de la Loi sur les mesures d'urgence en 2022 était appropriée :

« Les tensions entre l'ordre et la liberté sont au coeur de notre système de gouvernance », écrit-t-il. « La liberté ne peut exister sans ordre, car l'appareil de maintien de l'ordre – notamment les procédures, les lois, la police et les tribunaux – crée les conditions pour la protection de la liberté, la jouissance de la liberté et la médiation des libertés conflictuelles. Si l'ordre restreint la liberté – par exemple, si des lois limitent la gamme des actions permises – sans les contraintes de l'ordre, la liberté ne peut exister. »

Le juge Rouleau utilise le mot « ordre » dans son sens juridique tel que proposé par les dictionnaires : « 1. arrangement ou disposition de personnes ou de choses les unes par rapport aux autres selon une séquence, un modèle ou une méthode particulière. 2. état dans lequel chaque chose est à sa place 3. état dans lequel les lois et les règles régissant le comportement public des membres d'une communauté sont observées et l'autorité est obéie. » Le juge Rouleau s'appuie sur cette dernière définition lorsqu'il laisse entendre que la défense de l'état de droit était en cause. Les motifs invoqués pour sa suspension sont donc très importants, et fondés, mais ils détournent l'attention du fait que l'invocation des prérogatives de police place tout ce qui a été fait par la suite en dehors de l'état de droit, une fois que toutes les limitations ont été supprimées. Où est l'obligation de rendre des comptes si la proposition est de changer la loi ?

C'est ce qui est devenu courant aujourd'hui dans tous les domaines, qu'il s'agisse de l'économie, de l'environnement, du travail, du patrimoine, de l'éducation, des soins de santé, des affaires autochtones et de tout le reste. Néanmoins, cette pratique suscite aujourd'hui une réaction à l'invocation de la Loi sur les mesures d'urgence et aux autres lois proposées qui impliquent juger des gens sur la base des définitions données par la police politique de ce qu'est le terrorisme, la sécurité nationale, la haine, etc. C'est ce qui est en train de se produire en mode accéléré aujourd'hui avec les propositions de nouvelles lois pour appliquer ces définitions arbitraires. Les dirigeants s'efforcent de convaincre les gens qu'il est nécessaire de s'identifier à leurs conceptions de l'intérêt national et d'abandonner leur propre expérience et leurs conceptions de ce qui constitue la nation et les intérêts du peuple.

Les notions d'« ordre » et de « droits » sont présentées comme des abstractions. Ce qui n'est pas dit, c'est que la conception de l'« ordre » sur laquelle reposent les institutions démocratiques libérales du Canada ne permet plus de contenir tous les conflits entre des intérêts disparates dans les sociétés et le monde d'aujourd'hui. Loin de maintenir l'ordre, c'est l'anarchie et la violence qui prévalent aujourd'hui. Les anciennes méthodes de régulation des luttes de factions dans les cercles dirigeants ne permettent plus d'atteindre l'objectif désiré, qui est la négociation d'une trêve entre elles, alors que les élections et un parlement dysfonctionnel ne parviennent pas non plus à maintenir l'illusion de la démocratie au sein de la population. Il faut donc prendre des mesures pour marginaliser et écarter encore plus les citoyens, dont les demandes et les opinions sont étouffées.

L'ironie est qu'au nom de la préservation de la démocratie contre l'autocratie, ils établissent une sorte d'autocratie et de régime autoritaire qui leur est propre.

Selon le juge Rouleau, il y a l'autorité qui impose l'ordre et c'est la condition de la liberté. Il fait référence à une société civile qui reconnaîtrait des droits civiques dans des limites dites raisonnables. Pour préserver l'ordre, ceux qui accordent des droits doivent aussi avoir le pouvoir d'en priver les citoyens, mais ils doivent faire valoir qu'ils maintiennent un équilibre afin de ne pas éliminer la liberté. Le PCC(M-L) maintient que la sécurité de l'État ne peut être assurée que si les droits sont garantis, et non s'ils sont suspendus.

Mais rien n'est dit sur les droits – d'où ils viennent, à qui ils appartiennent, ce qu'ils sont ou comment ils sont défendus. L'idée que les droits peuvent être retirés dans certaines circonstances domine, alors que la conception moderne selon laquelle ils doivent être défendus dans toutes les conditions et en toutes circonstances, basée sur la mobilisation du peuple pour apporter des solutions aux problèmes, est absente. Ce qui n'est pas dit mais présupposé, c'est que l'autorité, c'est-à-dire l'ordre, est définitive, qu'elle ne peut être modifiée et que l'autorité reconnaît les droits dans la mesure où ils ne constituent pas une menace pour l'autorité.

Les droits sont un acte d'être. Ils appartiennent aux personnes en vertu de leur qualité d'être humain, lorsqu'elles font des réclamations à la société qui humanisent l'environnement naturel et social. Les droits ne peuvent être ni donnés, ni retirés, ni perdus de quelque manière que ce soit. Et la parole ne peut pas non être retirée car elle est beaucoup plus qu'un droit civil, elle un droit humain qui prend la forme d'un acte d'être, l'acte d'une personne humaine qui réclame à la société quelque chose qui lui appartient en vertu de son droit d'être.

Bien entendu, ce n'est pas la conception que défend le juge Rouleau. L'« ordre » dont il parle est celui d'un Canada intégré dans l'économie et la machine de guerre des États-Unis et tout ce qui menace ces intérêts doit être supprimé. Les menaces à l'« ordre » ou à la « sécurité » comprennent la perturbation des corridors commerciaux, des voies de transport, des corridors énergétiques, des chaînes d'approvisionnement, qui sont tous rapidement transformés pour répondre aux besoins de la machine de guerre de l'impérialisme américain. Les raisons de ces perturbations ne sont pas du tout analysées, alors que tout est fait pour justifier la criminalisation des citoyens et résidents et les réclamations qu'ils sont en droit de faire à la société.


Barrage ferroviaire à Toronto en soutien aux défenseurs de la terre wet'suwet'en, 9 février 2020. Ces barrages ont été présentés comme des menaces à l'« ordre » ou à la « sécurité ». 

Prenons l'exemple de ce que le juge Rouleau dit à propos du gel des comptes bancaires, une mesure draconienne. Sans rien dire de la facilité avec laquelle l'État a ordonné aux banques de saisir les biens des gens, il note que si l'intention était d'encourager les gens à quitter les manifestations, il aurait dû y avoir un mécanisme pour débloquer les comptes une fois que l'objectif de forcer ces gens quitter les manifestations par manque d'argent pour subvenir à leurs besoins avait été atteint. Les conséquences d'une décision qui laisse les gens sans argent pour la nourriture, le loyer et d'autres nécessités de la vie, sans avertissement, ne sont même pas abordées. Au lieu de cela, il s'inquiète pour les banques.

« L'absence de toute règle précise au sujet du déblocage des avoirs préoccupait les établissements financiers, qui ne savaient pas comment déterminer si une personne dont le nom figurait dans un rapport fourni par la GRC n'était plus une personne désignée », écrit-il.

Faisant référence au fait que des comptes conjoints ont été gelés, laissant des personnes n'ayant aucunement participé au Convoi de la liberté sans accès à leurs comptes, il écrit : « Il est évidemment injuste que des personnes sans lien avec les manifestations voient leurs comptes gelés. La difficulté, toutefois, est que cela semble avoir été inévitable. » Point à la ligne.

Mais ce n'est pas la fin de l'histoire. Les travailleurs canadiens et québécois et les personnes en quête de justice peuvent comprendre ce qui les attend sous ce type de régime autocratique.

Pour sa part, le juge Richard Mosley, qui a mené l'examen judiciaire sur l'invocation de la Loi des mesures d'urgence et des ordonnances connexes, n'accepte pas la désinvolture avec laquelle le gouvernement libéral a fait un pied de nez à la loi telle qu'écrite, au point de refuser de communiquer publiquement l'avis de son propre ministère de la Justice sur la légalité de son action. Le juge Mosley a déclaré que « la loi, c'est la loi ». Vous avez le pouvoir de changer la loi par l'intermédiaire du Parlement, mais vous n'êtes pas au-dessus de la loi. Il a réprimandé le gouvernement libéral, mais n'a pas parlé du fait que les partis du cartel, utilisant leur majorité ou tout autre accord concocté pour maintenir un gouvernement minoritaire au pouvoir, adopter des lois qui privent les Canadiens de leurs droits sous toutes sortes de prétextes, rendant ainsi ces actes « légaux ».

Du point de vue de la classe ouvrière et du peuple, la question n'est pas de savoir comment rendre légale la criminalisation des personnes qui défendent leurs droits. Ou qui exercent leur droit de conscience. Lorsque l'autorité ne fait pas son devoir, il y a un conflit entre l'autorité qui refuse de faire son devoir et l'acte d'être où le peuple fait son devoir en réclamant ce qui lui appartient de droit. Ce que les conditions exigent entre en conflit avec l'autorité. Au lieu d'arriver à des décisions par des discussions, en donnant des arguments convaincants et en parvenant à des conclusions justifiées, la violence d'État est utilisée au nom de grands idéaux. Il faut y mettre un terme.

Les droits sont affirmés lorsque la classe ouvrière conduira le peuple dans l'affirmation d'une autorité qui change les conditions en faveur du peuple et que le peuple accomplira son devoir en veillant à ce que les autorités le fassent. Les êtres humains ne peuvent accomplir leur devoir que s'ils exercent leur droit de conscience. Cette lutte est donc au coeur du renouveau démocratique du Canada.

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Pour une définition moderne de l'intérêt national

– Hilary LeBlanc –

La note au Cabinet demandant que la Loi sur les mesures d'urgence soit invoquée le 14 février 2022 et le témoignage de Chrystia Freeland et d'autres personnes à la Commission sur l'état d'urgence révèlent une élite dirigeante pour qui l'intérêt national ou la sécurité nationale signifie suivre les ordres d'intérêts privés supranationaux et servir la machine de guerre des États-Unis. Il n'y a rien de national là-dedans. C'est la destruction de la nation, non seulement pour le  Canada, mais aussi pour les peuples du monde qui luttent pour leur droit à l'autodétermination, l'indépendance et leurs propres projets d'édification nationale.

Que l'élite dirigeante parle d'« intérêt national », de « sécurité économique » ou de « sécurité nationale », il s'agit toujours de stratagèmes qui profitent à des intérêts supranationaux étroits. Cela vise surtout à désinformer l'opinion publique en détruisant les normes et les critères que le corps politique a utilisés comme mesure pour exercer son jugement dans le passé. Cela a un effet dévastateur sur la cohérence du corps politique, qui se retrouve à la dérive, sans orientation ni direction.

Un corps politique exige des normes et des mesures publiquement reconnues sur lesquelles les gens peuvent compter pour porter des jugements sur les questions qui se posent. Lorsque les définitions et les règlements sont donnés sur un coup de tête ou secrètement à la demande des forces policières politiques étrangères et de leurs porte-parole canadiens, l'ensemble du corps politique est exclu du discours. En limitant les consultations à des experts choisis provenant du milieu universitaire, du milieu des affaires, des médias et de ce qu'on appelle les parties prenantes, c'est le peuple et ses préoccupations qui sont exclus. Les opinions des Canadiens ne sont pas entendues si leur participation se résume à répondre à des sondages qui leur demandent seulement d'indiquer leurs préférences parmi des choix présélectionnés. Cela détruit la cohésion du corps politique qui tend à « décrocher » faute d'une alternative qui vienne de lui. Le fait que les règlements, les règles et les arrangements alimentent la machine de guerre des États-Unis et de l'OTAN rend les conséquences du soi-disant système fondé sur des règles très dangereuses.

Les témoignages recueillis lors des auditions de la Commission sur l'état d'urgences sur les raisons pour lesquelles la Loi sur les mesures d'urgence a été invoquée révèlent une image embarrassante et humiliante de ministres et d'hommes politiques qui, lorsque l'administration américaine, les PDG des grandes banques et institutions financières ou les propriétaires des plus grands oligopoles leur ordonnent de sauter, répondent : « À quelle hauteur ? ». Le plus embarrassant, c'est que ces ministres et politiciens affirment que c'est ainsi qu'on défend la sécurité et l'intérêt national du Canada.

Les échanges qui, selon les rapports, ont eu lieu au sein du cabinet fédéral sur l'invocation de la Loi sur les mesures d'urgence ont été en majeure partie expurgés (caviardés). Invoquant le « secret professionnel », le gouvernement Trudeau a même refusé de dire à la Commission Rouleau si son propre ministère de la Justice considérait qu'il agissait conformément aux exigences de la loi. Mais ce qui a été mis au jour révèle un misérable gouvernement de vendus qui a trahi le droit des Canadiens à l'autodétermination, ainsi que l'état de droit et les droits du peuple.

L'avis adressé au Cabinet indique :

« Plus précisément, bien que les autorités municipales et provinciales aient pris dans des zones touchées des mesures déterminantes, comme l'application de la loi au pont Ambassador à Windsor, le BCP [Bureau du Conseil privé] est d'avis qu'il a fallu déployer des efforts considérables pour rétablir l'accès au site et qu'il faudra faire de même pour y maintenir l'accès. La situation dans tout le pays demeure préoccupante et imprévisible. Bien qu'il n'y ait aucune preuve à l'heure actuelle que des groupes extrémistes ou des donateurs étrangers sont impliqués de manière significative, le BCP constate que les perturbations et le désordre public se font sentir partout au pays et au-delà des frontières du Canada, ce qui pourrait donner un nouvel élan au mouvement et entraîner des préjudices irréparables, notamment en ce qui concerne la cohésion sociale, l'unité nationale et la réputation du Canada sur la scène internationale. De l'avis du BCP, cela correspond aux paramètres législatifs qui définissent les menaces pour la sécurité du Canada, bien que cette conclusion soit susceptible d'être contestée. »

Les Canadiens et les Québécois sont bien conscients que les partis cartellisés jouent un rôle de premier plan dans les actes visant à diviser le corps politique et à détruire le discours politique dans la poursuite de leurs propres objectifs sectaires et pour satisfaire leur soif de pouvoir. Mais la réalité objective est que le Canada n'est pas composé d'individus aléatoires avec des valeurs aléatoires dont les valeurs sont fondées sur le racisme et le chauvinisme social et imprégnées de l'esprit des élites dirigeantes. Le Canada est un pays composé de gens venus de partout dans le monde ainsi que de la nation du Québec les nations autochtones, les nations inuite et métisse, celle-ci privée de son territoire depuis que son chef a été pendu et que nombre de ses autres chefs et membres ont été massacrés. Les réclamations que la classe ouvrière est en droit de faire à la société, fondées sur son rôle de producteur de toutes les richesses, et celles du peuple sans qui le Canada n'existerait pas, sont niées par les cercles dirigeants et les personnes privilégiées qui les servent dans le système des partis cartellisés. Prétendre que c'est par les pouvoirs de police qu'on peut renforcer la cohésion sociale et l'unité nationale est une véritable escroquerie. C'est fait pour détourner l'attention des responsables de la destruction de l'opinion publique.

La vice-première ministre et ministre des Finances, Chrystia Freeland, a fourni de plus amples informations sur la « menace pour la réputation internationale du Canada » lors de son témoignage devant la Commission sur l'état d'urgence. Elle a déclaré que le 10 février, lorsque le conseiller économique principal du président américain Joe Biden a demandé à être appelé, elle a senti que c'était un « moment dangereux pour le Canada ». Elle a dit : « Cette conversation a été déterminante pour moi. C'est à ce moment-là que j'ai réalisé qu'en tant que pays, nous devions trouver un moyen de mettre un terme à cette situation. » « Je crois vraiment que notre sécurité en tant que pays repose sur notre sécurité économique. Et si notre sécurité économique est menacée, toute notre sécurité est menacée. Et je pense que c'est vrai pour nous en tant que pays. Et c'est aussi vrai pour les individus », a-t-elle déclaré à la commission d'enquête. Sans oublier que c'est la sécurité économique des États-Unis qu'elle a à l'esprit, et non celle du Canada.

Chrystia Freeland a ajouté qu'après son entretien téléphonique avec Brian Deese, directeur du Conseil économique national du président américain, elle savait que les blocages avaient déclenché un « feu orange » aux États-Unis concernant les vulnérabilités de la chaîne d'approvisionnement avec le Canada, et que le ministère des Finances craignait que les blocages ne torpillent les négociations avec les États-Unis sur les crédits d'impôt pour les véhicules électriques. Elle a déclaré : « Le danger était que nous étions en train, en tant que pays, de causer des dommages à long terme et peut-être irréparables à nos relations commerciales avec les États-Unis. »

En passant, il convient de noter qu'après la pandémie, des « crédits d'impôt » ont été gratuitement distribués aux sociétés participant à la production de véhicules électriques.

Chrystia Freeland a également déclaré que les PDG des banques canadiennes lui avaient dit que la réputation internationale du Canada était menacée et que les investisseurs américains considéraient le Canada comme « risible ».

Enfin, Chrystia Freeland a établi un lien entre l'invocation de la Loi sur les mesures d'urgence et la nécessité de « paraître forte », car elle disposait d'informations selon lesquelles « la Russie avait l'intention d'envahir l'Ukraine » et qu'elle craignait que les convois n'affectent la réponse du Canada à la guerre.

Le résumé du témoignage de Chrystia Freeland indique : « Mme Freeland a également souligné que si la capitale du Canada avait encore été occupée lorsque la Russie a envahi l'Ukraine, une telle situation aurait, à son avis, complètement discrédité le Canada en tant qu'allié soutenant l'Ukraine. »

« Les médias russes se seraient concentrés 24 heures par jour et 7 jours par semaine sur ce qui se passait au Canada, ce qui aurait fait paraître le Canada très faible à un moment où il avait besoin d'être fort. De plus, il aurait été très difficile d'agir après l'invasion. »

Pour les Canadiens, une réputation internationale dont ils pourraient être fiers serait de faire du Canada une zone de paix, de faire respecter le droit international, de se ranger aux côtés des forces populaires du monde entier qui s'opposent à l'impunité, aux régimes néocoloniaux, à l'occupation, à l'apartheid et aux génocides. Une réputation internationale fondée sur le type de flagornerie, de servilité et de comportement obséquieux affiché par Chrystia Freeland n'est admirée que par ceux qui lui ressemble.

La cohésion sociale est forgée par toutes celles et ceux qui luttent pour la reconnaissance des réclamations qu'ils sont en droit de faire et d'obtenir. Elle ne s'obtient pas en imposant les diktats d'intérêts privés supranationaux étroits et de la machine de guerre des États-Unis. Faire les réclamations que le peuple est en droit de faire à la société et travailler ensemble à la garantie de ces droits, voilà comment un peuple trouve sa dignité, sa fierté et une voie d'avenir.

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