Inde
Des élections qui ne résoudront rien
Rassemblement de fermiers à Barnala, Pendjab, 26 mai
2024
Des élections générales ont lieu en Inde et, comme c'est le cas dans tous les pays où le processus électoral n'assure plus l'équilibre et la stabilité du système de gouvernance, elles n'apporteront pas de solution viable à un seul des problèmes auxquels est confrontée le corps politique indien.
Sur le plan intérieur, le gouvernement Modi est connu pour son niveau élevé de corruption, ses pogroms contre les musulmans, les sikhs du Pendjab, les dalits et les adivasis, ainsi que pour ses services aux oligopoles mondiaux dont l'objectif est de déposséder les fermiers et les adivasis et de se débarrasser de tous les travailleurs qu'ils considèrent comme jetables.
À l'étranger, l'Inde est prise entre le marteau et l'enclume pour ce qui est de savoir à qui s'allier. Ses espoirs de relier ses corridors de transport, de communication, d'énergie et de sécurité à ceux du « grand Israël » de Netanyahou ne se concrétisent pas, tandis que les relations historiques avec la Russie couvent toujours, tout comme les problèmes avec la Chine, ce qui signifie que les peuples du Pakistan, du Cachemire, du Pendjab, du Népal et d'autres pays situés à cheval sur les frontières des deux pays continuent de souffrir.
Que le Bharatiya Janata Party (BJP) de Modi forme le prochain gouvernement ou qu'il soit remplacé par l'Indian National Developmental Inclusive Alliance (INDIA), une coalition du Parti du Congrès et de 16 autres partis d'opposition, avec Rahul Gandhi comme premier ministre, ces problèmes devront toujours être abordés, ce que ces élites dirigeantes font sur le dos des peuples de l'Inde qui prennent de nouveaux virages dans leur longue lutte pour affirmer leurs droits en adoptant des méthodes démocratiques de masse qui placent le pouvoir de décision entre leurs mains.
Par exemple, loin de diviser leurs rangs derrière tel ou tel parti de cartel, les fermiers de toute l'Inde posent aux politiciens des questions sur leur bilan et leurs promesses. Ils ont lancé la campagne Jawab do hisaab do (Répondez-nous, rendez des comptes). Dans des milliers de villages, ils ont installé des panneaux sur lesquels figurent 11 questions auxquelles ils demandent aux politiciens de répondre. S'ils n'y répondent pas, ils ne sont pas autorisés à entrer dans les villages.
Au Pendjab, le gouvernement du parti Aam Aadmi (AAP) a ordonné à la police d'attaquer les fermiers, les femmes et les autres personnes qui posent des questions aux candidats des différents partis politiques. Harinder Singh Lakhowal, membre du comité de coordination national de Samyukta Kisan Morcha (SKM), a déclaré : « La répression des fermiers par la police du Pendjab indique clairement que l'AAP agit comme l'équipe B du BJP. Nous avertissons le gouvernement de l'État de libérer les fermiers, faute de quoi nous intensifierons notre lutte. »
À la suite de l'arrestation des dirigeants des syndicats agricoles, des effigies du premier ministre Narendra Modi et du ministre en chef du Pendjab, Bhagwant Mann, ont été brûlées dans de nombreux villages de l'État. Dans l'Haryana et le Rajasthan également, les gens chassent les candidats des villages car ils ne veulent pas engager de discussions avec la population. Le 12 mai, lors d'un mahapanchayat (assemblée de masse) à Haryana, des milliers de fermiers ont adopté une résolution à l'effet de continuer à poser des questions. Les femmes, les jeunes et les dalits posent des questions aux députés et aux autres dirigeants sur ce qu'ils ont fait au cours des cinq dernières années. Ils demandent également aux candidats pourquoi ils demandent maintenant le vote des fermiers après les avoir traités d'antinationaux, de khalistanais, de terroristes et de bien d'autres choses encore lors des morchas des fermiers.
Lors d'un mahapanchayat de fermiers à Sisauli, Muzaffarnagar, Uttar Pradesh (UP) le 15 mai, les fermiers ont une fois de plus décidé d'intensifier leur lutte pour jal, jungle et jameen (eau, forêt, terre), quelle que soit l'issue des élections. Appelant cette journée Sankalp Diwas (jour de détermination), les fermiers ont souligné qu'une bande d'oligarques représentant des intérêts privés mondiaux étroits a pris le contrôle du gouvernement central et de l'État et mènent la danse. Ils ont également déclaré qu'ils continueraient de se battre jusqu'à ce qu'ils obtiennent, à court terme, la garantie du prix minimum de soutien (MSP), tout en se battant pour que « l'agriculteur décide de la récolte » à long terme.
Lors d'une conférence de presse tenue le 18 mai, les fermiers ont averti les dirigeants du BJP de ne pas les menacer s'ils posent des questions. Ils faisaient référence à une déclaration d'un membre du parlement du BJP qui avait dit qu'ils s'occuperaient des fermiers après les élections et qu'ils leur donneraient une leçon. Les fermiers ont déclaré que ces dirigeants se comportaient comme des rois et pensaient qu'ils pouvaient écraser la population. Tout ce que nous voulons, ce sont des réponses à nos questions. Dans cette optique, les fermiers du Pendjab ont invité les représentants de tous les partis politiques à répondre à leurs questions lors d'un rassemblement à Jagraon le 21 mai.
Des milliers de fermiers se sont rassemblés à Kaithal, dans l'Haryana, le 19 mai, pour discuter de leur lutte contre l'élite dirigeante et ses tentatives de voler leurs terres. Une jeune agricultrice a souligné qu'il y a une lutte à la vie à la mort entre deux visions de l'avenir. La vision des entreprises et de l'OMC consiste à voler les terres, à pratiquer une agriculture industrielle, à transformer les fermiers en ouvriers sur leurs propres terres, à les forcer à aller dans les villes et à vivre dans des bidonvilles. Cette vision est promue par tous les partis politiques : le BJP, le Congrès, l'AAP et d'autres. La deuxième vision de l'avenir est celle des fermiers et des autres travailleurs qui veulent protéger leurs terres, recevoir un prix équitable pour leurs produits agricoles, contrôler le coût des intrants, améliorer le niveau de vie de chacun afin qu'ils ne soient pas transformés en cas de charité en recevant 5 ou 10 kilos de céréales par mois. Elle a déclaré que c'était aux fermiers et aux travailleurs de le faire. Aucun des partis politiques n'est intéressé à le faire car ils sont tous financés par les entreprises et défendent leurs intérêts.
Des milliers de fermiers ont manifesté avec des drapeaux noirs, des pancartes et des écriteaux lors des rassemblements électoraux du premier ministre Modi à Patiala, Jalandhar et Gurdaspur au Pendjab. L'armée, les forces paramilitaires et la police ont assiégé ces villes avant les rassemblements et de nombreux dirigeants des fermiers ont été arrêtés et confinés dans leurs villages. Les fermiers ont franchi les barricades et se sont rendus dans les villes. Ils voulaient poser des questions au premier ministre, mais celui-ci n'a rien voulu savoir. Comme d'habitude, il a fait de grandes déclarations, des mensonges complets, des incitations à la haine et a même prétendu que sa lignée provenait de l'un des Panj Pyaras de Guru Gobind Singh (cinq sikhs baptisés Amritdhari Khalsa qui agissent en tant que leaders institutionnalisés pour l'ensemble de la communauté sikhe). Il revendique ainsi constamment des origines divines.
Le rassemblement qui s'est tenu le 21 mai à Jagraon, au Pendjab, a été massif. Les fermiers avaient invité les candidats de tous les partis politiques à venir répondre à leurs questions, mais aucun des candidats du BJP, du Congrès, de l'AAP ou des Akalis ne s'est présenté. Les fermiers ont déclaré qu'ils poseraient des questions à Modi lorsqu'il viendrait faire de la sollicitation pour le BJP. Le 22 mai, dans une chaleur étouffante de 50 degrés Celsius, plus de 200 000 fermiers se sont rassemblés aux frontières de Shambhu, Khanauri, Ratanpuri et Dabwali, au 100e jour de leur protestation pour la garantie du MSP et d'autres revendications. Les fermiers ont déclaré que s'il fallait 100 mois pour que leurs demandes soient satisfaites, ils resteraient sur place. Ils ont décidé de poser des questions à Modi.
Rassemblement de fermiers à Jagraon, au Pendjab, le 21
mai 2024
Une fermière a fait remarquer que Modi et Rahul Gandhi prétendent tous deux qu'ils nous donneront ceci et cela. Qui sont-ils ? Nous sommes les producteurs de toutes les richesses, alors qui sont-ils pour faire ces affirmations comme s'ils nous faisaient une faveur ? Un autre fermier a déclaré que certaines personnes bien intentionnées oublient que le BJP n'est au pouvoir que depuis dix ans, alors qu'auparavant le Congrès et d'autres étaient au pouvoir depuis 60 ans; ce sont eux qui ont signé des accords avec l'Organisation mondiale du commerce et décidé de voler les terres des fermiers.
Les promesses de toutes sortes pleuvent de la part des dirigeants des partis de cartel. Modi a commencé avec ses « garanties », suivi par les « garanties » de Rahul Gandhi et aussi celles de Kejariwal une fois qu'il a été libéré de prison sous caution, les larmes aux yeux. Il y a longtemps, lors de sa « rencontre avec le destin » de 1947, Nehru a « garanti », les larmes aux yeux, qu'il essuierait les larmes de tous les yeux de l'Inde. Auparavant, la reine Victoria elle-même, qui s'était déclarée impératrice de l'Inde, avait donné la « garantie » de « la paix, l'ordre et le bon gouvernement ». Les peuples de l'Inde n'ont eu droit qu'au pillage, au saccage, aux massacres et à l'oppression. Telle est l'expérience du peuple indien depuis 166 ans. Kejariwal, Modi et Rahul Gandhi s'amusent une fois de plus à tenter en vain de détourner l'attention du corps politique. Pour prétendre représenter les peuples de l'Inde et affirmer que son parti, le Congrès, fait partie de la solution, Rahul Gandhi s'est rendu à l'évidence en déclarant qu'il acceptait que 90 % de la population n'ait pas bénéficié des politiques mises en oeuvre au cours des 70 dernières années.
En matière de gouvernance, l'État indien actuel a d'abord été créé en 1858 par les Britanniques et leurs collaborateurs locaux, les Maharajas et les Jagirdars tels que Patiala, Sindhia, les Jagat Seths et des industriels tels que Tata, Birla et d'autres. Dans le domaine économique, la Compagnie britannique des Indes orientales a créé une organisation totalitaire de haut niveau, appelée « corporation », qui a détruit les infrastructures locales et assuré la production et l'extraction pour engranger d'énormes profits. L'État indien est resté dominé et contrôlé par ces intérêts privés après l'indépendance, si bien que les populations sont plus que jamais dans une situation désespérée. Les populations sont plus déterminées que jamais à créer de nouvelles formations et de nouveaux mécanismes qui répondent à leurs besoins et à leurs intérêts. Elles ont intensifié leur lutte pour l'affirmation des droits de tous.
Les travailleurs, les femmes, les fermiers, les ouvriers, les adivasis, les castes opprimées ont demandé un contrôle communautaire des ressources, où les gens décident eux-mêmes ce qui doit être produit, en quelle quantité et à quel prix cela doit être échangé. Dans leurs réunions de masse, les partis cartellisés n'interviennent pas dans le processus électoral et les gens participent à la prise de décision sur la ligne de conduite à adopter. C'est devenu une nécessité historique.
Lors des élections actuelles, ils cherchent à faire échouer le système actuel. S'ils parviennent à arracher quelques concessions, ils éprouveront un certain soulagement. Deuxièmement, ils sont clairs sur le fait qu'ils ne peuvent pas se faire d'illusions sur un parti ou une coalition qui arriverait au pouvoir. Au contraire, ils s'efforcent de bâtir leur unité et les organisations qui leur donnent du pouvoir et affaiblissent l'emprise des entreprises. Aucun parti de cartel n'est intéressé par cette démarche. Tous font partie du système des partis de cartel dont l'objectif est de les tenir à l'écart du pouvoir de décision.
Kisan Morcha, que les fermiers appellent l'Université Kisan, a présenté un prototype que les gens peuvent reproduire et réajuster en fonction de leurs besoins selon les conditions concrètes. L'expérience de la Self Employed Women's Association (SEWA) est un autre modèle qui a vu le jour grâce aux efforts des femmes elles-mêmes et qui offre une alternative d'économie et de prise de décision collective. Dans les zones tribales, les populations ont également créé des formations d'auto-organisation pour protéger leur accès à la terre, à l'eau et aux ressources forestières, pour la production, l'échange et la distribution. Tous ces modèles reposent sur le fait que les gens s'appuient sur leurs propres forces et tiennent l'État néocolonial, les entreprises et les cartels à l'écart de leurs formations. Ils ouvrent la voie à un avenir dont le peuple a besoin.
Les deux visions de l'Inde s'affrontent dans cette élection. Celle promue par les médias corrompus est remplie de rapports sur la suppression d'électeurs, les truquages et la violence contre le peuple.
Cet article est paru dans
Volume 54 Numéro 5 - Mai 2024
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