Haïti
Les retards dans le déploiement de la police kényane montrent les intentions malveillantes de l'ingérence étrangère
Le plan qui prévoyait l'arrivée de 1 000 policiers kényans à Port-au-Prince, en Haïti, le 23 mai pour diriger une force d'intervention étrangère armée connue sous le nom de Mission multinationale de soutien à la sécurité (MSSM), leur arrivée coïncidant avec la visite officielle à Washington du président kényan William Ruto, a échoué. Le plan a échoué parce que le 17 mai, selon Reuters, la Haute Cour du Kenya a ordonné qu'une action en justice visant à empêcher le gouvernement de déployer la police en Haïti soit signifié à de hauts responsables gouvernementaux. Le tribunal a fixé l'audience de l'affaire au 2 juin. Les plaignants dans l'affaire, le Dr Ekuru Aukot et Miruru Waweru, dirigeants de Thirdway Alliance, un parti politique kényan, soutiennent que l'accord de William Ruto avec Haïti pour déployer des policiers est un outrage à une ordonnance du tribunal de janvier qui a jugé le déploiement inconstitutionnel et illégal parce qu'il n'y avait pas d'accord réciproque avec la partie haïtienne pour recevoir une telle force de police.
Suite à la décision de janvier, pour tenter de satisfaire la cour et légitimer le déploiement, William Ruto a signé en mars un accord de sécurité avec le premier ministre d'Haïti de l'époque Ariel Henry. En avril, un Conseil présidentiel de transition (CPT) a été mis en place par les États-Unis, le Canada et d'autres pays pour remplacer Ariel Henry. Ariel Henry a démissionné la veille de l'assermentation du CPT le 25 avril.
S'adressant aux médias, Ekuru Aukot a soutenu que la décision du gouvernement kényan de déployer sa police en Haïti continue de violer la constitution, car il n'y a pas d'accord valide avec une autorité haïtienne légitime, aucun gouvernement haïtien n'a fait la demande et accepté le déploiement de troupes étrangères en Haïti. Il a ajouté : « En tant que Kényan, je me demande pourquoi mon pays devrait être utilisé pour nettoyer les dégâts causés par les Français, les Américains et les Canadiens... ? »
Dans une entrevue avec la BBC le 27 mai, William Ruto a déclaré qu'il prévoyait que la police kényane serait envoyée en Haïti dans environ trois semaines, car il avait maintenant un accord écrit avec le CPT pour le déploiement et qu'il a été approuvé par les deux chambres du parlement kényan. Il reste à voir ce qu'il adviendra de la contestation judiciaire du déploiement le 2 juin.
La visite de William Ruto à Washington est clairement considérée comme un paiement pour services rendus aux États-Unis. Il s'agit de la première visite d'État d'un chef d'État africain en près de 20 ans, selon le conseiller à la sécurité nationale de Joe Biden, Jake Sullivan.
Un article publié dans Responsible Statecraft, le journal en ligne du Quincy Institute, un groupe de réflexion américain, qui a annoncé prématurément le déploiement, a déclaré : « [L]es experts soutiennent que cette intervention militaire est une solution à court terme à la crise plus large en Haïti. La situation d'urgence actuelle est le résultat d'inégalités profondément ancrées dans la société haïtienne, d'une crise économique et d'un gouvernement qui ne rend de comptes à personne. Les interventions militaires peuvent calmer la violence pendant une période limitée, mais elles ne contribueront guère à en éliminer les causes sous-jacentes. »
Robert Fatton Jr., professeur à l'Université de Virginie cité par le journal, a noté que même s'il s'agit de troupes kényanes sur le terrain en Haïti, cette mission est en fin de compte organisée par les États-Unis. « Après tout, ce sont les États-Unis qui ont coparrainé une résolution au Conseil de sécurité des Nations unies demandant l'approbation du Kenya pour diriger une opération multinationale de maintien de la paix, une initiative qui fait suite à des tentatives infructueuses visant à persuader le Canada et le Brésil de le faire », peut-on lire dans l'article. Il ajoute : « Washington s'est engagé à soutenir financièrement et logistiquement la mission dans le cadre d'un accord de défense signé avec le Kenya en septembre 2023. C'est alors que le Kenya s'est engagé à déployer 1 000 soldats à Port-au-Prince. »
La MSSM a été autorisée par le Conseil de sécurité de l'ONU le 2 octobre 2023, sous le prétexte de mettre fin à la « violence des gangs » pour justifier une nouvelle ingérence dans les affaires intérieures d'Haïti. La MSSM comprend également des troupes de plusieurs pays des Caraïbes entraînées par le Canada, ainsi que des forces du Bangladesh, du Bénin et du Tchad. L'approbation du Conseil de sécurité signifie que les troupes de la MSSM sont autorisées à utiliser la force, mais les États-Unis n'ont pas été en mesure d'obtenir l'approbation d'une mission de « maintien de la paix » pleinement sanctionnée et dirigée par l'ONU.
Jake Johnston, du Center for Economic and Policy Research, a qualifié la MSSM de « modèle sans précédent pour une opération de maintien de la paix ». Il a souligné que l'ONU autorise l'intervention multinationale, mais ne dirige pas la mission elle-même, ce qui signifie que l'ONU n'a pas de contrôle direct ni de responsabilité sur le déroulement de la mission. « Le gouvernement de transition d'Haïti étant encore fragile, on ne sait pas très bien qui sera tenu responsable de l'exécution de la mission », écrit le journal.
Gazette Haïti a rapporté que l'ONU n'a pas encore reçu ou confirmé les règles d'engagement de la MSSM. Le journal écrit que des représentants anonymes du gouvernement américain ont assuré au Miami Herald que le Kenya et le soi-disant gouvernement transitoire d'Haïti étaient parvenus à un accord sur les règles d'engagement, « cependant, cet accord n'a pas encore été formalisé par écrit ou soumis au Conseil de sécurité des Nations unies, une condition préalable au lancement de la mission multinationale de sécurité ».
Le journal ajoute : « Bien que la mission ait été présentée comme un déploiement dirigé par le Kenya, des collaborateurs du Congrès affirment qu'en pratique, il s'agit d'une mission dirigée par les États-Unis avec de multiples acteurs. Les États-Unis, qui se sont engagés à fournir 300 millions de dollars de soutien et qui assurent le transport des troupes à Port-au-Prince, fournissent « la grande majorité des fonds ».
Selon Gazette Haiti, dans une lettre adressée le 17 mai au secrétaire d'État des États-Unis, Antony Blinken, obtenue par le Miami Herald, le sénateur républicain Jim Risch de l'Idaho et le président de la Commission des Affaires étrangères de la Chambre, Michael McCaul, écrivent que l'administration Biden avait utilisé « une disposition pour lutter contre le trafic de drogue » dans la loi pour justifier le transfert de fonds à la mission. Ils disent : « En termes clairs, l'administration se précipite pour financer une intervention non définie et indéfinie en Haïti sans l'approbation du Congrès. »
En même temps, il y a une grande sympathie parmi les Kényans pour le peuple haïtien, tandis que la MSSM est considérée par de nombreux Kényans comme une « intervention américaine externalisée » en Haïti, selon le Professeur Kenneth Ombongi, historien à l'Université de Nairobi.
Cet article est paru dans
Volume 54 Numéro 5 - Mai 2024
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