Cinquante ans après les élections de février 1974
Il y a cinquante ans, le 28 février 1974, le premier ministre de l'époque, Edward Heath, convoquait des élections anticipées en posant sa célèbre question : « Qui gouverne la Grande-Bretagne[1] ? »
Cette question avait en fait été imposée à son gouvernement conservateur par les mineurs, qui constituaient à l'époque une formidable force organisée. Leur mouvement de grève avait été si puissant qu'il avait conduit le gouvernement Heath à imposer une semaine de travail de trois jours pour économiser le combustible alors que les stocks de charbon s'épuisaient. Heath a convoqué les élections pour tenter de réaffirmer l'autorité du gouvernement, en supposant que l'électorat réagirait en lui donnant une majorité plus forte, renforçant ainsi l'emprise de son gouvernement sur le pouvoir de décision face au défi croissant de la classe ouvrière, de sa prise de conscience et de son organisation.
Les mineurs obtiennent des avancées lors de la grève des
mineurs
britanniques de 1972 (ci-dessus). D'autres succès ont
suivi en
1974.
Cependant, la réponse retentissante a été : « Pas lui ! ». Au lieu de cela, les élections aboutissent au premier parlement sans majorité depuis 1929. Bien que les conservateurs aient obtenu un peu plus de voix (37,9 % contre 37,2 % pour les travaillistes), les travaillistes, par les aléas du système uninominal à un tour, sont devenus le plus grand parti aux Communes, bien qu'avec seulement quatre sièges d'avance[2].
La participation à l'élection a été historiquement élevée, avec un taux de 78,7 %, le plus élevé depuis 1959. Pourtant, le vote combiné des deux grands partis est passé de près de 90 % à 75 %, ce qui constitue peut-être l'élément le plus significatif des résultats de l'élection, hormis son issue indécise[3].
|
À la suite de l'élection, Edward Heath tente de conclure un accord avec ce qui est alors le Parti libéral, mais n'y parvient pas. Il démissionne de son poste de premier ministre le 4 mars, le pouvoir passant ensuite au gouvernement travailliste minoritaire d'Harold Wilson. La lutte des mineurs pour la reconnaissance de leurs droits obligea à organiser de nouvelles élections en octobre de la même année[4], qui furent à nouveau à peine décisives, mais suffirent à donner à Wilson une courte majorité.
Les cercles dirigeants, en la personne d'Edward Heath, posent donc la question de « qui gouverne » et perdent. Les profondes répercussions de ce moment de l'histoire ont marqué le présent et n'ont toujours pas été résolues. Bien que le gouvernement ait été vaincu par sa propre question, le système de l'époque ne prévoyait pas que ce soit les mineurs qui gagnent[5]. Le rôle de la classe ouvrière a été affirmé pendant toute la période de ce grand conflit, un programme indépendant avec comme mission de jouer son rôle dirigeant dans la transformation de la société et d'imprimer sa marque sur la nation. En particulier, la conscience ouvrière autour de sa propre question « Quel type de société ? » s'est développée depuis cette époque, ainsi que la nécessité et la possibilité d'apporter une alternative moderne qui favorise la classe ouvrière et le peuple, et non les riches[6].
Les événements de 1973-1974 ont marqué la fin de la période sociale-démocrate qui avait fait l'objet d'un consensus depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale, un mode de gouvernance et d'adaptation aux exigences de l'économie qui traversait une grave crise à l'époque.
La réponse du gouvernement travailliste à la suite de ces événements a été d'instituer l'accord tripartite entre le gouvernement, les grands syndicats et les grandes entreprises sous la forme de ce que l'on appelle le contrat social, afin d'empêcher la conscience et l'organisation indépendantes des travailleurs de se développer davantage.
Mais cela devait être de courte durée. Toute la période sociale-démocrate devait être abandonnée avec le déclenchement de l'offensive antisociale menée par le gouvernement néolibéral de Thatcher à partir de 1979, et la grève tout aussi historique des mineurs de 1984, qui marque également son 40e anniversaire ce mois-ci. À l'époque, l'objectif était de faire taire complètement la voix des travailleurs et de mettre fin à tout accommodement raisonnable.
Aujourd'hui, l'époque de la « bière et des sandwiches au numéro 10 », l'époque où l'on obtenait le consentement des travailleurs organisés aux programmes du gouvernement, n'est plus qu'un lointain souvenir. Il est également révélateur qu'aucun premier ministre depuis Edward Heath n'ait à la fois pris et perdu son poste à la suite d'une élection : tous ont soit démissionné en raison de luttes intestines entre factions, soit été couronnés à la suite d'une telle démission, soit les deux à la fois. L'élection de 1974 a marqué le tournant du système bipartite des grands partis de l'après-guerre, à la suite duquel les grands partis ont commencé à se transformer en un système de partis cartellisés qui est aujourd'hui en crise. L'effondrement de l'ancien système bipartite a également marqué le début de la fin de la prévisibilité.
Aujourd'hui, le système dominé par les partis est en crise totale, tandis que le déséquilibre est devenu si grand que les syndicats sont confrontés à l'énorme défi de s'acquitter efficacement de leur rôle d'organisations de défense des travailleurs.
Wakefield, les bannières brandies, 2019
Aujourd'hui, c'est la lutte entre l'Ancien et le Nouveau qui apparaît de plus en plus clairement. L'oligarchie financière est dans une impasse, et les travailleurs, de plus en plus désillusionnés par la politique des partis cartellisés, ont pour tâche d'assumer leur rôle indépendant. La classe ouvrière est de plus en plus consciente du fait qu'elle seule détient les solutions à la crise généralisée. Les travailleurs sont conscients de leur propre valeur et sont déterminés à faire valoir leurs revendications, en déclarant que « ça suffit ! ».
L'époque exige que la classe ouvrière défende les définitions les plus modernes et les plus éclairées de la démocratie et des droits humains; sans elles, elle ne peut réussir à faire valoir ses revendications auprès de la société. Le rôle assigné aux travailleurs par l'histoire est de faire l'histoire en prenant en charge l'avenir de la société, en mettant fin à sa division en classes, entre gouvernants et gouvernés, en instaurant une société fondée sur les droits de toutes et tous et où l'individu et la collectivité ne font qu'un.
Face à cette tâche historique, la classe ouvrière est confrontée au défi immédiat de devenir une force politique organisée à part entière. Les travailleurs ne peuvent pas se permettre de remettre simplement leur pouvoir à des représentants qu'ils ne choisissent même pas et sur lesquels ils n'exercent aucun contrôle.
Comme cela a toujours été le cas dans le passé, les travailleurs savent aujourd'hui parfaitement qui gouverne. Le défi auquel est confronté le mouvement ouvrier est de priver l'élite dirigeante du pouvoir de les priver de ce qui leur appartient de droit, y compris leur droit de se gouverner eux-mêmes et d'exercer un contrôle sur les questions qui affectent leur vie.
C'est ce que nous rappellent les événements d'il y a 50 ans. Lors de cette élection, la classe ouvrière est une fois de plus prête à relever ce défi.
Notes
1. Après l'annonce des élections le 7 février, le parlement a été dissous un jour plus tard et les élections ont eu lieu 20 jours plus tard.
2. « Élections générales de février 1974 au Royaume-Uni », Wikipédia, 23 février 2024
3. Lewis Baston, « Who governs ? », The Guardian, 4 avril 2005
4. « Who Rules ? », Workers" Weekly, 14 juin 2017
5. « Election Material », Parti communiste révolutionnaire de Grande-Bretagne (marxiste-léniniste), avril 2001
6. « There Is a Way Out of the Crisis », Parti communiste révolutionnaire de Grande-Bretagne (marxiste-léniniste), 19 mars 1994
Cet article est paru dans
Volume 54 Numéro 5 - Mai 2024
Lien de l'article:
https://cpcml.ca/francais/Lml2024/Articles/SM540510.HTM
Site web : www.pccml.ca Courriel : redaction@pccml.ca