La Communauté des Caraïbes tient une réunion des «parties prenantes» pour répondre aux demandes des États-Unis
La récente réunion de « haut niveau » de la Communauté des Caraïbes (CARICOM), qui s'est tenue le 11 mars à Kingston, en Jamaïque, a révélé l'ampleur des pressions exercées par les États-Unis, le Canada et d'autres acteurs étrangers sur les pays membres. Ces pays ont été incités à se soumettre à l'objectif des États-Unis de prendre le contrôle d'Haïti. Cet objectif ne peut être atteint que s'ils parviennent à étouffer les efforts du peuple haïtien pour se débarrasser de tous les exploiteurs étrangers, fonctionnaires corrompus et voleurs de tout acabit qui ont plongé leur pays dans l'anarchie et la violence.
Le but prétendu de la réunion de la CARICOM était de « discuter de la situation sécuritaire en Haïti ». En réalité, c'était pour discuter de comment avancer les projets de prise de contrôle d'Haïti.
Selon la CARICOM, la réunion, à laquelle assistaient des « parties prenantes haïtiennes », faisait suite à une série de discussions, y compris celles facilitées par le « Groupe de personnalités éminentes », un groupe de trois personnes établi par les chefs de gouvernement de la CARICOM en mai 2023 « pour les représenter afin d'offrir les bons offices de la Communauté au gouvernement d'Haïti et aux parties prenantes haïtiennes ».
Les « parties prenantes » étaient représentées à Kingston par des délégations du Brésil, du Canada (l'ambassadeur des Nations unies Bob Rae en présentiel et le premier ministre Justin Trudeau via zoom), de la France, du Mexique, des Nations unies et des États-Unis, sans que soit précisé en quoi ils sont des « parties prenantes haïtiennes ».
Les discussions ont porté sur le dernier projet des États-Unis pour installer un gouvernement en Haïti en violation du droit du peuple haïtien de se gouverner lui-même sans ingérence étrangère. Le département d'État américain, représenté à la réunion par le secrétaire d'État Antony Blinken, a indiqué que la réunion « examinerait une proposition élaborée en partenariat avec la CARICOM et les parties prenantes haïtiennes afin d'accélérer la transition politique en Haïti par la création d'un collège présidentiel indépendant à large assise, ainsi que le déploiement d'une mission multinationale de soutien à la sécurité pour faire face à la crise sécuritaire en cours ».
La situation en Haïti, qui préoccupe tant les États-Unis, le Canada et d'autres pays, est le résultat direct de décennies d'ingérence étrangère visant à mettre en place un régime fantoche qui favorisera leurs intérêts et privera le peuple haïtien de ses droits. Des mesures spécifiques pour formaliser cette domination étrangère sur Haïti sont en place depuis 2004, lorsque le gouvernement démocratiquement élu de Jean-Bertrand Aristide a été renversé par un coup d'État organisé par le Canada, la France et les États-Unis. À l'époque, les États-Unis ont orchestré la création, par le Conseil de sécurité des Nations unies, de la Mission des Nations unies pour la stabilisation en Haïti (MINUSTAH) et d'un « groupe restreint » (Core Group) chargé de faciliter la mise en oeuvre de son mandat.
Le « Core Group » est composé de représentants du Brésil, du Canada, de la France, de l'Allemagne, de l'Espagne, de l'Union européenne, des États-Unis et de l'Organisation des États américains, et est présidé par le représentant spécial de l'ONU en Haïti. Ariel Henry, le très méprisé premier ministre intérimaire d'Haïti qui a récemment démissionné dans l'attente d'un remplaçant, a été installé par le Core Group en 2021 après l'assassinat de Jovenel Moïse, le 43e président d'Haïti qui a également été installé par le Core Group.
Les décisions adoptées lors de la réunion de « haut niveau » de la CARICOM indiquent explicitement que les puissances étrangères dirigées par les États-Unis, y compris le Canada, se sont donné le droit de décider qui gouvernera Haïti et imposeront leur diktat par la force militaire, avec l'assentiment de ce qu'elles appellent les « parties prenantes haïtiennes ». Il s'agit d'une fraude de premier ordre. Le peuple haïtien a rejeté à maintes reprises l'ingérence étrangère et le déploiement d'armées étrangères qui dans le passé n'ont apporté à Haïti que violence, abus sexuels et maladies. Aucun « accord » imposé au peuple haïtien contre sa volonté, par une version modernisée du « fardeau de l'homme blanc » selon laquelle le peuple haïtien est incapable de se gouverner lui-même, ne sera jamais accepté.
Les Canadiens se tiennent fermement aux côtés du peuple haïtien et s'opposent à l'ingérence militaire et politique des puissances étrangères, y compris du Canada. Le gouvernement canadien doit rendre des comptes pour sa complicité avec les crimes en cours contre Haïti et son peuple.
La déclaration finale de la CARICOM annonce
un « accord de gouvernance transitoire »
La déclaration publiée par la CARICOM le 11 mars indique : « Nous sommes heureux d'annoncer l'engagement en faveur d'un accord de gouvernance transitoire, qui ouvre la voie à une transition pacifique du pouvoir, à la continuité de la gouvernance, à un plan d'action pour la sécurité à court terme et à l'organisation d'élections libres et équitables. »
Sans la moindre honte, les ennemis du peuple haïtien qui n'ont apporté à Haïti que l'anarchie et la violence, accompagnées de la famine, de la maladie, du chômage, du sans-abrisme et du désespoir, parlent de garantir la démocratie haïtienne, d'une « transition pacifique du pouvoir » et de la « continuité de la gouvernance », qui n'existe pas à l'heure actuelle à cause des régimes corrompus qu'ils ont mis en place à maintes reprises, et tout le reste.
La « réunion des parties prenantes » a « pris acte » de la démission du prétendu premier ministre Ariel Henry « de la mise en place d'un conseil présidentiel de transition et de la nomination d'un premier ministre intérimaire ».
Le soi-disant « Core Group » a établi un « conseil présidentiel de transition » composé de sept membres votants, chaque groupe candidat disposant d'une voix, ainsi que de deux observateurs sans droit de vote portant l'étiquette de représentants de la « société civile » et des communautés « interconfessionnelles ».
Les critères d'adhésion excluraient toute personne s'opposant à la résolution 2699 du Conseil de sécurité des Nations unies qui l'autorise à « former et déployer une mission multinationale d'appui à la sécurité (MSS) en Haïti », une intervention et une occupation étrangères contre la volonté du peuple haïtien et en violation de souveraineté de la nation haïtienne.
La déclaration de la CARICOM répète les phrases usées à propos de grands idéaux du Core Group et du maintien de son occupation d'Haïti, exprimant son engagement envers « une transition fondée sur l'inclusivité, encourageant la participation de toutes les parties prenantes et ouvrant la voie à des élections dès que possible. C'est la seule voie durable vers un avenir fait d'institutions démocratiques fortes, de résolution pacifique des conflits, de sécurité et de prospérité pour tous les Haïtiens ».
Des noms sont soumis à la CARICOM pour le « Conseil de transition » sans passer par le peuple haïtien
Le Nouvelliste rapporte que « la grande majorité des organisations politiques et sociétales engagées dans les négociations avec les chefs de gouvernement de la CARICOM ont déjà soumis le nom de leur représentant au Conseil présidentiel de transition ». Aucune de ces propositions n'a été soumise ou même annoncée au peuple haïtien; elles sont toutes soumises seulement à la CARICOM et au Core Group.
Les représentants confirmés sont : Edgard Leblanc Fils, qui s'est imposé comme le représentant du Collectif des partis politiques du 30 janvier au Conseil présidentiel; Laurent St-Cyr pour représenter le secteur des affaires dans le cadre de l'Accord du 21 décembre; Leslie Voltaire aurait été proposé comme représentant du directoire de Fanmi Lavalas; le comité d'appui aux négociations de l'Accord de Montana est dans l'embarras pour savoir s'il doit participer ou non. Le professeur Dunois Erick Cantave, coordonnateur de l'Accord de Montana, a déclaré : « Je suis toujours indigné et sceptique à l'égard de ce processus », mais, a-t-il ajouté, « il y a un courant qui pense que nous devons être présents dans toutes les batailles malgré nos réserves... ». Les groupes de l'alliance réactionnaire connue sous le nom d'Accord du 21 Décembre ont soumis au moins trois nominations différentes, chacun cherchant à obtenir les faveurs du groupe central dans sa tentative de restructurer ses accords de gouvernance sur le peuple haïtien.
Appel aux organisations populaires pour qu'elles prennent le contrôle de la situation volatile
Le 10 mars, le Mouvement national pour la liberté et l'égalité des Haïtiens pour la fraternité (MOLEGHAF) a publié une déclaration appelant les organisations populaires à prendre le contrôle de la situation volatile au pays. Le MOLEGHAF rejette notamment « toute proposition visant à une transition sous la domination de l'impérialisme américain » comme « un pacte avec la mort des masses ». « Tous les partis et organisations politiques progressistes-révolutionnaires qui embrassent l'impérialisme, le Core Group, l'OÉA, le Conseil de sécurité des Nations unies, sous l'administration de Biden, se déclarent ennemis de la classe exploitée du pays. [...] Toute alliance qui n'est pas alignée sur le peuple, sur les masses, est une alliance qui mettra fin aux politiques néolibérales, pour continuer à semer la discorde parmi les masses populaires, comme c'est le cas actuellement. La conspiration monte, et elle se terminera par une élection pour placer leurs satellites au pouvoir sous le couvert de la démocratie populaire. »
Dans une déclaration publiée le 13 mars, l'Alliance noire pour la paix aborde ce qui se cache derrière les gros titres en Haïti. Elle souligne que la réalité est que la crise en Haïti est une crise de l'impérialisme. Les pays qui réclament une intervention militaire – les États-Unis, la France, le Canada – ont créé les conditions qui font que l'intervention militaire semble nécessaire et inévitable. Les pays qui appellent à l'intervention sont les mêmes qui en bénéficieront. Ce n'est pas le peuple haïtien qui en bénéficiera. Et pendant vingt ans, ces pays qui considèrent Haïti comme un État en faillite ont activement travaillé à la destruction du gouvernement haïtien tout en imposant une domination coloniale étrangère, souligne la déclaration.
Plus précisément, l'Alliance noire pour la paix écrit : « Au cours des quatre dernières années, les masses haïtiennes se sont mobilisées et ont protesté contre un gouvernement illégal, l'ingérence impériale, la suppression des subventions au carburant entraînant une hausse du coût de la vie, et l'insécurité causée par des groupes armés financés par l'élite. Cependant, ces manifestations ont été étouffées par le gouvernement fantoche mis en place par les États-Unis. »
L'Alliance noire pour la paix souligne que les groupes armés (les « gangs ») présents principalement dans la capitale d'Haïti doivent être considérés comme des forces « paramilitaires », car ils sont constitués d'anciens (et d'actuels) éléments de la police et de l'armée haïtiennes. Ces forces paramilitaires sont connues pour travailler pour une partie de l'élite haïtienne, y compris, selon certains, pour Ariel Henry (l'ancien premier ministre de facto d'Haïti). Il convient également de noter qu'Haïti ne fabrique pas d'armes; les armes et les munitions proviennent principalement des États-Unis et de la République dominicaine, et les États-Unis ont toujours rejeté les appels à un embargo sur les armes. Lorsque nous parlons de « gangs », « nous devons reconnaître que les véritables gangs les plus puissants du pays sont les États-Unis, le Core Group et le bureau illégal de l'ONU en Haïti, qui ont tous contribué à créer la crise actuelle », indique la déclaration.
La déclaration souligne qu'aujourd'hui, Haïti est importante pour la viabilité géopolitique et économique des États-Unis. Haïti occupe une position clé dans les Caraïbes pour la stratégie militaire et de sécurité des États-Unis dans la région. Elle souligne que l'importance économique d'Haïti « découle de ce que les entreprises occidentales perçoivent comme un vaste réservoir de main-d'oeuvre bon marché, ainsi que de ses terres inexploitées et de ses richesses minérales ».
L'Alliance noire pour la paix a dénoncé les dirigeants de la CARICOM, et en particulier la première ministre de la Barbade, Mia Mottley, « pour avoir non seulement soutenu l'intervention armée planifiée par les États-Unis en Haïti et offert leur police et leurs soldats pour la mission, mais aussi pour avoir suivi les diktats des États-Unis et du Core Group sur la marche à suivre en Haïti ». Elle dénonce également le rôle du président brésilien, Luiz Ignacio « Lula » da Silva, « non seulement pour avoir maintenu le rôle du Brésil dans le Core Group, mais aussi pour avoir mené la charge, avec le gouvernement criminel des États-Unis, en faveur d'une invasion militaire armée étrangère en Haïti ».
En solidarité avec les groupes haïtiens, l'Alliance noire pour la paix dénonce « l'invasion militaire étrangère approuvée par l'ONU, financée par les États-Unis et dirigée par le Kenya et l'occupation d'Haïti ». « Nous sommes convaincus qu'une intervention armée étrangère menée par les États-Unis et l'ONU en Haïti n'est pas seulement illégitime, mais aussi illégale. Nous soutenons le peuple haïtien et les organisations de la société civile qui ont toujours été contre une intervention militaire armée étrangère », précise la déclaration.
Note
Les pays membres de la CARICOM : Antigua-et-Barbuda, Bahamas, Barbade, Belize, Dominique, Grenade, Guyana, Haïti, Jamaïque, Montserrat (un territoire britannique d'outre-mer dans les îles Sous-le-Vent), Saint-Kitts-et-Nevis, Sainte-Lucie, Saint-Vincent-et-les-Grenadines, Suriname et Trinité-et-Tobago.
(Avec des informations de la CBC, du CARICOM, du PMO et du Département d'État américain)
Cet article est paru dans
Volume 54 Numéro 3 - Mars 2024
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