Le recrutement des peuples autochtones
Lorsque la guerre a éclaté le 28 juillet 1914, le Canada n'avait pas de politique officielle concernant le recrutement des autochtones dans l'armée, car ceux-ci n'avaient pas le statut de citoyens. Cependant, en 1915, alors que les pertes commençaient à augmenter, le gouvernement britannique ordonna aux dominions de recruter activement des soldats autochtones pour l'effort de guerre. L'Australie, la Nouvelle-Zélande et le Canada ont recruté des soldats autochtones pour combattre aux côtés de l'impérialisme britannique pendant la guerre. On estime que 4 000 hommes et femmes autochtones ont servi dans le Corps expéditionnaire canadien pendant la Première Guerre mondiale sur un total d'environ 600 000 soldats. Environ le tiers des hommes des Premières Nations âgés de 18 à 45 ans ont servi dans la guerre. Il n'y a pas de statistiques connues sur les Métis et les Inuits car le gouvernement canadien n'a reconnu que les « Indiens inscrits » dans les archives.
Beaucoup de Premières Nations, qui constituaient la principale source de recrues autochtones avec un nombre beaucoup plus réduit de Métis et d'Inuits, ont protesté contre la tentative de les recruter dans l'armée coloniale canadienne et se sont opposées à l'arrivée des recruteurs et des agents des Indiens dans leurs réserves. D'autres Premières Nations ont refusé d'y participer à moins de se voir accorder le même statut de nation souveraine et d'être traitées de nation à nation par la Couronne britannique avec qui elles avaient signé leurs traités.
Certains dirigeants et anciens autochtones ont également rappelé au gouvernement qu'ils avaient reçu l'assurance, au moment de la signature des traités numérotés avec la Couronne, que leurs jeunes ne serviraient dans aucune guerre, en particulier à l'étranger.
De nombreuses femmes autochtones ont également écrit au ministère des Affaires indiennes pour exiger du gouvernement canadien qu'il ne touche pas à leurs fils et leurs maris parce qu'on en avait besoin chez eux.
De nombreuses raisons ont été données pour expliquent la participation des Autochtones à la Première Guerre mondiale. L'une d'elles est la promesse d'une paye régulière, une autre est le sentiment qu'au sein des Premières Nations, les sociétés de guerriers devraient jouer leur rôle en aidant la Couronne, car leurs relations étaient avec la Couronne, et non avec le Canada. D'autres encore croyaient qu'après avoir apporté leur contribution, leurs relations avec l'État canadien s'amélioreraient à leur retour.
Les soldats autochtones ont pris part à toutes les grandes batailles auxquelles l'armée canadienne a participé et se sont distingués comme éclaireurs, tireurs d'élite et combattants de première ligne et gagné l'admiration et le respect de leurs camarades et officiers non autochtones. Au moins 50 Autochtones ont été décorés de médailles pour leur bravoure et leur héroïsme durant la Première Guerre mondiale. Au cours de la guerre, 300 hommes ont été tués au combat et beaucoup d'autres ont été blessés et d'autres sont décédés après leur retour à la suite de blessures subies, des effets du gaz moutarde et de maladies qu'ils avaient contractées en Europe, notamment la tuberculose et la grippe.
La Loi du service militaire adoptée par le gouvernement conservateur de Borden en 1917 qui imposait la conscription, notamment pour les « Indiens inscrits ». La conscription a provoqué une vive opposition non seulement au Québec, mais aussi chez les Autochtones qui ont dénoncé cette manoeuvre du gouvernement contraire à leur statut de peuple autochtone. Face à cette opposition, le gouvernement a été contraint d'accorder aux peuples autochtones une exemption de service à l'étranger.
D'autres injustices ont été également commises contre les peuples autochtones. En 1917, Arthur Meighen, ministre de l'Intérieur et responsable des Affaires indiennes, a lancé le programme de « grands efforts de production », qui visait à accroître la production agricole. Dans le cadre de ce programme, les terres situées dans des réserves qui n'étaient pas « utilisées » ont été reprises par le gouvernement fédéral et cédées à des agriculteurs non autochtones pour « une utilisation appropriée ». Lorsque des non-autochtones et des membres des Premières Nations ont protesté contre le fait qu'il s'agissait d'une violation de la Loi sur les Indiens, le gouvernement a modifié la Loi sur les Indiens en 1918 pour légaliser ces mesures illégales !
Le traitement brutal des anciens combattants autochtones après la guerre
À la fin de la guerre, les soldats de retour au pays, y compris les anciens combattants autochtones, avaient de grands espoirs que leurs contributions à l'effort de guerre se traduiraient par un meilleur avenir pour eux-mêmes et pour leurs communautés. Les anciens combattants autochtones pensaient que leur statut de « pupilles » de l'État serait changé et qu'ils seraient traités sur un pied d'égalité. Au lieu de cela, ils ont constaté que rien ne changeait et que les attitudes raciales et coloniales du gouvernement canadien restaient inchangées.
De nombreux anciens combattants autochtones avaient contracté à l'étranger une maladie, notamment la pneumonie, la tuberculose et la grippe. Ceux qui avaient subi des attaques aux gaz sont revenus avec des poumons affaiblis et étaient plus susceptibles de contracter la tuberculose et d'autres maladies respiratoires
À l'instar de leurs camarades soldats non autochtones, les anciens combattants autochtones souffraient également des traumatismes de la guerre, qu'on appellerait aujourd'hui troubles de stress post-traumatique, ainsi que d'autres formes de maladie, comme l'alcoolisme, ce qui a ruiné leur vie et entraîné des problèmes pour leurs familles et leurs collectivités. En fait, le niveau de vie dans les communautés autochtones a diminué au cours des années qui ont suivi la guerre, car les anciens combattants de retour au pays avaient beaucoup de mal à conserver un travail régulier et à reprendre leur vie d'avant-guerre. Devant ces problèmes complexes, le Canada a fourni peu d'aide aux anciens combattants autochtones.
Les avantages accordés aux anciens combattants et le soutien du gouvernement canadien par la Loi d'établissement de soldats de 1917 et 1919 des terres et des prêts pour encourager l'agriculture, ne s'étendaient pas aux anciens combattants autochtones. Pour aggraver encore les choses, le gouvernement fédéral a confisqué 85 844 acres dans les réserves afin de fournir des terres agricoles aux anciens combattants non autochtones dans le cadre de cette loi.
L'objectif de l'État colonial canadien raciste d'exterminer les autochtones en les assimilant était bien vivant, comme le montre Duncan Campbell Scott, architecte du système des pensionnats canadiens et surintendant général adjoint des Affaires indiennes qui a écrit dans un essai :
Ces soldats qui ont été épanouis au contact du monde et des affaires extérieures, qui ont été mêlés à des hommes d'autres races et qui ont été témoins des multiples avantages et merveilles de la civilisation ne voudront pas retourner à leur ancien mode de vie indien. Chacun d'eux sera un missionnaire du progrès... Cette guerre aura hâté le jour, ... où les vieilles coutumes, les cérémonies bizarres et pittoresques... deviendront désuètes tout comme le bison et le tomahawk et lorsque le dernier tipi des contrées sauvages du Nord sera remplacé par une maison de ferme moderne.
L'ancien combattant haudenosaunee Frederick Loft a fondé la Ligue des Indiens en 1919 |
L'abandon des anciens combattants autochtones à leur sort et d'autres abus des Autochtones par l'État canadien ont amené l'ancien combattant haudenosaunee, Frederick Loft, de la réserve des Six Nations de Grand River qui avait servi comme lieutenant avec le Corps forestier canadien pendant la guerre, à créer la Ligue des Indiens du Canada 1919. Avant son retour au Canada, Loft avait rencontré le King and Privy Counil à Londres et exprimé ses préoccupations quant à la façon dont les peuples autochtones du Canada étaient traités. Sous sa direction, la Ligue s'est battue pour protéger les terres et les droits issus de traités des peuples autochtones.
La Ligue s'est notamment battue pour préserver les droits des peuples autochtones et a lutté contre les modifications de la Loi sur les Indiens portant sur l'« émancipation involontaire », orchestrée par Duncan Campbell Scott et adoptée en 1920, qui avait pour but d'éteindre le titre d'Autochtone en donnant le droit de vote aux « Indiens inscrits », tout en cherchant à saper et à saboter le travail de la Ligue des Indiens et à isoler et à criminaliser Loft.
La Ligue a également lancé des contestations judiciaires pour établir, entre autres, les revendications des peuples autochtones en matière de droits de chasse, de pêche et de piégeage. La Ligue des Indiens a été la première tentative des peuples autochtones canadiens d'établir une organisation nationale pour résister attaques de l'État colonial canadien contre leurs droits et revendications. Elle a inspiré la formation d'autres organisations politiques autochtones pour lutter contre l'État colonial canadien et ses politiques racistes.
(Sources : Affaires autochtones et du Nord, L'Encyclopédie Canadienne, Anciens combattants Canada et Bibliothèque et Archives Canada.)
Cet article est paru dans
Volume 54 Numéro 52 - 11 novembre 2024
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