La saga Northvolt compromet les régimes de retraite des Québécois
Depuis maintenant plusieurs mois, il se passe à peine un jour sans que l'entreprise de composantes de véhicules électriques suédoise Northvolt ne défraie les manchettes. La démonstration est faite chaque jour que l'empressement malavisé des gouvernements du Québec et du Canada à distribuer des tonnes d'argent public aux fabricants de batteries pour véhicules électriques est motivé par la corruption et facilité par un processus décisionnel mené par des intérêts privés étroits au service du Pentagone.
Le tout a débuté au printemps dernier lorsque la maison mère en Suède a annoncé une restructuration de ses activités en Europe et en Amérique du Nord. C'est suite à la perte d'un important contrat avec le constructeur automobile BMW qui avait annulé en juin une commande d'environ trois milliards de dollars en raison des retards de livraison des produits provenant de la giga-usine de Northvolt située, à Skelleftea, en Suède.
La saga Northvolt fait couler beaucoup d'encre, mais sans jamais faire un peu de lumière sur ce que les Québécois perdront parce que leurs fonds de pension ont été investis dans une entreprise opportuniste.
Jusqu'à maintenant, la Caisse de dépôt et placement du Québec (CPDQ) qui gère le bas de laine des régimes de pensions des Québécois a investi 200 millions de dollars sous forme de « dette convertible » dans la société mère de Northvolt, ainsi que 270 millions de dollars en « dette convertible » du ministère de l'Économie, de l'Innovation et de l'Énergie du Québec. Le gouvernement du Québec a avancé à la filiale de Northvolt au Québec la somme de 240 millions de dollars sous forme d'un prêt hypothécaire pour l'achat des terrains de l'usine au Québec qui, moins d'un an auparavant, étaient évalués à 40 millions de dollars. Le gouvernement a aussi déjà dépensé plusieurs millions de dollars pour bâtir les nouveaux accès routiers à la future usine. (La construction de logements sociaux prend des années et est tout à fait inadéquate, mais la construction des infrastructures requises par les intérêts étrangers dont les investissements au Québec sont présentés comme une garantie de prospérité est en effet rapide et sans difficulté.)
Le gouvernement a promis d'allouer à Northvolt un bloc de puissance de 354 megawatts. C'est maintenant remis en question par plusieurs entreprises de moindre importance qui veulent accéder à cette énergie qu'ils se sont vu refuser jusqu'à date par l'ancien « super ministre » de l'Énergie Pierre Fitzgibbon.
Le premier ministre François Legault prétend que le gouvernement du Québec ne perdra rien de cette somme de 270 millions de dollars advenant l'effondrement financier de Northvolt alors que la nouvelle « super ministre » de l'Économie, de l'Innovation et de l'Énergie, Christine Fréchette, parle plutôt d'un « risque calculé ».
Une dette convertible, même si elle n'est pas convertie en actions de Northvolt, représente un risque qui ne met pas le gouvernement à l'abri de pertes importantes. Dans une entrevue accordée à La Presse, le professeur de sciences comptables à l'Université du Québec à Montréal, Saïdatou Dicko, avait ceci à dire : « En cas de faillite ou de restructuration, on va souvent faire un calcul proportionnel. On prend l'ensemble des dettes avant de déterminer la proportion de chaque créancier. Par exemple, si la CDPQ représente 2 % de l'ensemble des dettes, elle ne récupérera que 2 % de l'argent disponible pour rembourser les créanciers. »
En date du 31 décembre 2023 – les plus récentes données disponibles –, les sommes empruntées par Northvolt s'élevaient à plus de 7,4 milliards de dollars.
L'institution financière privée IMCO, qui se définit comme « un investisseur indépendant à long terme pour les institutions du secteur public de l'Ontario » et gère entre autres le fonds de pension des employés municipaux de l'Ontario, a investi à deux reprises, en 2021 et 2022, dans la société-mère de Northvolt. En 2022 elle l'a fait avec l'Office d'investissement du régime de pensions du Canada et BlackRock pour une somme équivalente à 1,5 milliards de dollars sous forme aussi de titre d'emprunt convertible.
Dans un communiqué de presse publié le 23 septembre par la maison mère, Northvolt « redéfinit son champ d'opération » en Suède où il est question maintenant de 1600 mises à pied, dont 1000 travailleurs licenciés à sa seule usine de production à Skelleftea, 400 employés à son centre de recherche et innovations à Vasteras et 200 employés à Stockholm. Northvolt avait déjà annoncé durant la première semaine de septembre qu'elle suspendait la production de cathodes à son usine de Skelleftea. Elle a aussi renoncé à construire une autre usine à Borlänge, à 200 km au nord-ouest de Stockholm, où se trouve initialement un projet de matériaux cathodiques. Elle avait aussi annoncé le 20 août qu'elle fermait son centre de recherche et développement à San Francisco, en Californie, signifiant la perte d'emploi pour 200 ingénieurs, afin de « transférer ses activités » à son centre de recherche et développement à Vasteras. Les autres projets de co-entreprise qu'elle envisageait au Portugal, en Pologne et en Allemagne sont soit mis sur la glace, soit abandonnés[1].
Déjà, Goldman Sachs, le bailleurs de fonds principal américain de Northvolt, avait demandé au début de septembre à la firme américaine PJT Partners spécialisée dans les restructurations d'entreprise, d'« évaluer toutes les options », y compris la faillite possible de Northvolt. Volkswagen, le premier constructeur automobile européen et le plus important bailleur de fonds de Northvolt, a annoncé au début de septembre la possible fermeture de deux de ses usines en Allemagne, ce qui ne s'est jamais passé dans les 87 ans d'histoire du fabricant automobile [2]. Il a toujours pour l'instant son projet de giga-usine d'assemblage de voitures électriques à St. Thomas en Ontario, financé à coup de plusieurs milliards de dollars par les gouvernements du Canada et de l'Ontario[3].
Les Québécois et les Canadiens sont réduits au rôle de spectateurs de ce processus décisionnel motivé par des stratagèmes corrompus pour payer les riches, dont tous profitent sauf les Québécois et les Canadiens. Sous prétexte de « construire une économie verte », les régimes de retraite sont investis avec « risques calculés », tandis que le bien-être de la population est sacrifié sur l'autel du profit privé. Les gouvernements fédéral et provinciaux ne sont pas aptes à gouverner. C'est un fait que chaque Canadien et Québécois connaît instinctivement de sa propre expérience directe.
Notes
1. Démarrée en décembre 2021, la giga-usine de Northvolt à Skelleftea, en Suède s'étend sur 2 millions de mètres carrés. Elle est la première en son genre lancée par un groupe européen sur le vieux continent. Selon Northvolt et les analystes de l'économie mondiale, elle visait à concurrencer l'entreprise américaine Tesla et les producteurs asiatiques de batteries lithium-ion pour l'industrie automobile. À cette époque, Northvolt déclarait que le site devrait produire de quoi équiper 300 000 véhicules électriques chaque année, avec une capacité de production annuelle équivalente à 16 gigawattheures (GWh), lorsque l'usine atteindrait sa pleine capacité d'ici fin 2023.
Les médias suédois rapportaient récemment que l'usine fonctionnait à moins de 1 % de sa capacité prévue. La cible de production annuelle de cellules de batteries équivalente à 16 GWh, d'abord prévue en 2023, est maintenant repoussée en 2026. En effet, au moment où Northvolt négociait avec les gouvernements du Canada et du Québec pour obtenir des subventions de près de 2,7 milliards de dollars pour construire sa première usine de batteries en Amérique du Nord, l'usine de Northvolt à Skelleftea a livré pour 79,8 MWh de cellules de batterie, soit moins de 5 % de la capacité totale de production des installations, pour les neuf premiers mois de 2023. Selon Northvolt, si les livraisons ont été particulièrement faibles au troisième trimestre qui a pris fin en septembre, c'est en raison de travaux de mise à niveau et de maintenance.
Actuellement, Northvolt a des manques de liquidités d'environ 1,5 milliards de dollars puisqu'elle a eu un déficit d'opérations d'environ 1,4 milliard de dollars au cours des neufs premiers mois de 2023, soit plus de huit fois celui enregistré pendant la même période en 2022, selon le journal financier suédois Dagens industri.
Les principaux actionnaires de Northvolt sont Volkswagen (21 %), Goldman Sachs (19 %), Vargas Holding (7 %) et le fondateur de Northvolt, Peter Carlsson (6,7 %). Ils font partie des investisseurs privés et publics qui ont misé plus de 18 milliards de dollars sur Northvolt. En janvier 2024 seulement, l'entreprise a récolté près de 6 milliards de dollars en financement de toutes sortes.
2. Selon Le Devoir , « Volkswagen souffre depuis des mois de la chute des ventes, de l'affaiblissement du secteur automobile et de la concurrence croissante des constructeurs chinois, notamment en Chine, son principal marché. » La presse allemande parle du licenciement de 20 000 travailleurs allemands, bien que l'entreprise réalise toujours un bénéfice net de 3,71 milliards d'euros, au premier trimestre 2024. Les travailleurs de Volkswagen sont syndiqués avec la centrale syndicale des métallos, IG Metall. IG Metall rappelle qu'en 1994 un pacte social avait été signé entre les syndicats et les employeurs, dont Volkswagen, pour interdire les licenciements jusqu'en 2029. Maintenant Volkswagen veut déchirer cette entente.
Volkswagen a déjà fermé en 1988 son usine de Westmoreland aux États-Unis pour revenir ouvrir une usine d'assemblage en 2008 à Puebla au Mexique et en 2011, une usine de voitures électriques à Chattanooga, au Tennessee, où les travailleurs ont seulement pu finalement se syndiquer en avril 2024, après deux autres tentatives infructueuses.
3. Voir « Nouvelle subvention massive pour la construction d'une usine de batteries de Volkswagen à St. Thomas, en Ontario », LML Mensuel, Avril 2023
(D'après des informations de Gouvernement du Québec, Northvolt, OMERS, LML, Dagen industri, Radio-Canada, Le Devoir, La Presse, Journal de Montréal)
Cet article est paru dans
Volume 54 Numéro 48 - Septembre 2024 - Première partie
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