Opposition à la conscription au Canada et au Québec

En août 1914, quand la Grande-Bretagne déclare la guerre à l'Allemagne, le Canada, en tant que dominion de l'Empire britannique, était automatiquement tenu d'y participer.

Robert Laird Borden, alors premier ministre conservateur du Canada, s'active avec enthousiasme pour y engager le Canada. « Dès le dimanche 9 août, les principaux arrêtés en conseil avaient été promulgués et une session parlementaire débuta deux semaines après le début des hostilités. On adopta rapidement des lois pour protéger les institutions financières du pays et l'on augmenta les tarifs douaniers sur certains articles de consommation très en demande. Le projet de loi sur les mesures de guerre, qui donnait au gouvernement des pouvoirs de coercition exceptionnels sur les Canadiens, fut adopté à la hâte après trois lectures[1]. »

C'est l'homme d'affaires William Price (de la Price Brothers and Company ancêtre de Produits forestiers Résolu) qui reçoit le mandat de créer de toutes pièces un camp d'entraînement à Valcartier, près de Québec. Les terres de cent vingt-six cultivateurs sont expropriées pour étendre la superficie du camp à 12 428 acres (50 km2). « Dès le début du conflit, on y construit un champ de tir de 1500 cibles, comprenant abris, positions de tir et affiches, ce qui en fit, dès le 22 août 1914, le plus important et le plus réussi des champs de tir au monde. Le camp accueillit 33 644 hommes en 1914[2]. » Valcartier demeure pendant tout ce temps la plus grande base militaire du Canada.

Au début de la guerre, le premier ministre Borden avait promis de ne pas imposer la conscription pour le service militaire à l'étranger. Cependant, à l'été 1917, le Canada était en guerre depuis près de trois ans. Plus de 130 000 Canadiens du Corps expéditionnaire canadien avaient été tués ou blessés[3]. Le nombre de volontaires continuait de baisser en raison du refus croissant de servir de chair à canon pour les puissances impérialistes et l'évidence de l'impact profond des efforts de guerre sur l'économie canadienne. Une grande pression est exercée sur tous les pays du Commonwealth et des colonies britanniques pour qu'ils continuent de contribuer des troupes à l'effort de guerre impérialiste, mais malgré tout le gouvernement est incapable de convaincre les travailleurs se de sacrifier pour l'empire.

L'absence d'enthousiasme pour la guerre est tel que le gouvernement recourt à la conscription des soldats. Le 29 août 1917, la Loi du service militaire est sanctionnée. Elle stipule que « tous les habitants mâles du Canada âgés de dix-huit ans et plus, et de moins de soixante ans, non exemptés ni frappés d'incapacité par la loi, et sujets britanniques, peuvent être appelés à servir dans la milice; dans le cas d'une levée en masse, le gouverneur général peut appeler au service toute la population mâle du Canada en état de porter les armes ». Elle reste en vigueur jusqu'à la fin de la guerre.

Borden décide que le meilleur moyen de réaliser la conscription est d'avoir un gouvernement de coalition en temps de guerre. Il offre donc aux libéraux un nombre égal de sièges au Cabinet en échange de leur soutien à la conscription. Après des mois de manoeuvres politiques, il annonce en octobre un gouvernement d'union, composé de fidèles conservateurs, d'une poignée de libéraux favorables à la conscription et de députés indépendants.

Borden est dans la sixième année de son premier mandat. Au cours des mois qui précèdent l'élection, il parvient à faire passer deux textes de loi qui assureront des votes supplémentaires pour le camp unioniste.

Aux termes des lois antérieures, les soldats ne peuvent voter en temps de guerre. La nouvelle Loi des électeurs militaires permet aux 400 000 soldats canadiens, y compris ceux qui n'ont pas encore l'âge de voter et qui sont nés Britanniques, de voter à la prochaine élection.

Puis, la Loi des élections en temps de guerre donne par ailleurs, pour la première fois, le droit aux femmes de voter lors d'un scrutin fédéral, mais ce droit n'est accordé qu'aux femmes qui sont de la famille d'au moins un soldat canadien engagé à l'étranger.

Une fois ces deux lois entrées en vigueur, un grand nombre de personnes, dont la majorité soutiennent l'effort de guerre et la conscription, deviennent du jour au lendemain des électeurs en puissance juste avant la tenue du scrutin. Les unionistes de Robert Borden remportent l'élection de 1917 avec une majorité de 153 sièges, dont seulement trois du Québec.

Affiches pour la mobilisation des femmes pour la guerre impérialiste. Celle de gauche
appelle les femmes qui avaient le droit aux termes de la Loi sur les élections en temps de guerre
à voter pour le gouvernement de l'Union.

Conscription

La conscription entre en vigueur le 1er janvier 1918. Des tribunaux d'exemption sont ouverts partout au pays parce qu'un pourcentage important d'hommes appelés à servir font appel de la décision. Outre la grande opposition au Québec, de nombreux Canadiens partout au pays s'opposent également à la conscription, notamment des anti-impérialistes, des agriculteurs, des syndiqués, des chômeurs, des groupes religieux et des militants de la paix. En février 1918, 52 000 recrues avaient demandé d'être exemptées. Le manque d'appui à la guerre a encore une fois été démontré quand, sur les plus de 400 000 personnes appelées, 380 510 ont interjeté appel en profitant des différentes options d'exemption prévues dans la Loi du service militaires

En fin de compte, quelque 125 000 Canadiens – un peu plus du quart des personnes admissibles à être enrôlées – sont enrôlés dans l'armée. De ce nombre, à peine plus de 24 000 sont déployés en Europe avant la fin de la guerre.

De nombreux appelés ne se présentent tout simplement pas. Winnipeg se classe juste derrière Montréal pour ce qui est du pourcentage d'hommes n'ayant pas répondu à l'appel, soit près de 20 % des personnes inscrites, contre environ 25 % à Montréal, selon des informations parues dans le Winnipeg Telegram à l'époque. Ces hommes sont traqués par la police et risquent de lourdes peines d'emprisonnement s'ils sont arrêtés et jugés.

Opposition à la guerre et à la conscription au Québec


Affiches visant à inciter les Québécois à s'engager dans l'armée britannique lors
de la Première Guerre mondiale.

Des exemples de tentatives maladroites de l'État canadien de recruter des Québécois sur la base du chauvinisme anglo-canadien, pour une cause injuste, dans une guerre impérialiste, les exhortant à s'enrôler par fidélité à la vieille puissance coloniale, la France. Puis un appel à combattre la tyrannie en soutenant la nouvelle puissance coloniale, la Grande-Bretagne. Et enfin, un appel à se défendre contre l'invasion étrangère.

Le 15 octobre 1914, le 22e Régiment est officiellement créé pour renforcer la participation des Canadiens français. En tant que seule unité combattante du Corps expéditionnaire canadien (CEC) dont la langue officielle est le français, le 22e bataillon d'infanterie (franco-canadien), qui est communément appelé le « Van Doos » en anglais (de vingt-deux), fait l'objet d'un examen plus minutieux que pour la plupart des unités canadiennes au cours de la Première Guerre mondiale. Après des mois d'entraînement au Canada et en Angleterre, le bataillon arrive finalement en France le 15 septembre 1915[4].

En avril 1916, le 22e Régiment participe à l'une des missions les plus dangereuses de toute la guerre, la bataille des cratères de Saint-Éloi. L'affrontement a lieu sur un terrain étroit et détrempé du théâtre de guerre en Belgique et les pertes sont très lourdes. Après Saint-Éloi, le bataillon se prépare à prendre le village de Courcelette dans le secteur de la Somme en France. Des centaines d'hommes tombent au combat. Pour beaucoup, c'est un premier constat de la violence extrême de cette guerre. Dans les mois qui suivent les opérations de la Somme, le bataillon est frappé par un grand nombre de désertions et d'absences sans permission. Selon des officiers de bataillon, les mois qui ont suivi Courcelette ont été témoins d'une démoralisation totale des troupes. Au cours des dix mois suivants, 70 soldats sont traduits en cour martiale (dont 48 pour absence illégale) et plusieurs affrontent le peloton d'exécution[5].

Malgré la création du 22e Régiment, les Québécois, fidèles à leurs sentiments antiguerre, sont aux premiers rangs de l'opposition à la conscription. L'establishment canadien de l'époque blâme alors les Québécois pour le « manque d'engagement des Québécois francophones à l'endroit de la Grande Guerre[6]. »

Des 3 458 individus de la ville de Hull appelés par les autorités militaires et n'ayant pas obtenu d'exemption, 1 902 hommes devinrent insoumis et ne furent pas appréhendés, soit un taux d'insoumission de 55 %, le plus élevé de tous les districts d'enregistrement du Canada, suivi de près par Québec à 46,6 % et Montréal à 35,2 %. D'ailleurs, 99 % des appelés de la ville de Hull firent des demandes d'exemption, soit le plus important taux de demandes de tout le Canada[7].

Promulgation de la Loi sur les mesures de guerre

Les Québécois organisent de grandes manifestations contre les tentatives du gouvernement canadien d'utiliser les pouvoirs policiers pour imposer la conscription aux travailleurs et aux jeunes du Canada et du Québec. Le gouvernement Borden répond en invoquant la Loi sur les mesures de guerre pour réprimer l'opposition. Il proclame donc la loi martiale et déploie plus de 6 000 soldats à Québec du 28 mars au 1er avril 1918.

Le soir du 28 mars 1918, des policiers fédéraux font une razzia dans une salle de quilles et procèdent à l'arrestation de jeunes qui s'y trouvent. Devant l'arbitraire et la violence des policiers, 3000 personnes assiègent le poste de police et poursuivent leur manifestation dans les rues durant la nuit.


Des milliers de personnes manifestent sur la Place Montcalm à Québec le 29 mars 1918.

Le lendemain, une foule de près de 10 000 personnes se rassemble devant l'Auditorium de la Place Montcalm (endroit actuel du Capitole de Québec), là où on administre les dossiers des conscrits. Les militaires, baïonnettes au canon, sont appelés et il s'en faut de peu pour que l'acte d'émeute ne soit lu, leur donnant l'autorisation de tirer.

Dans les conditions de l'époque, l'élite dirigeante du Canada s'est heurtée à un mur de résistance de la part du peuple québécois qui refusait d'être conscrit pour la guerre. Les aspirations des Québécois à leur statut de nation avaient été bafouées avant la Confédération par la force des armes britanniques. De pair avec la subjugation des peuples autochtones et des colons dans le Haut-Canada, cette répression allait être la base de la création d'un État et d'une Confédération anglo-canadiens. Il n'est pas difficile de s'imaginer que la classe ouvrière du Québec n'ait pas considéré d'un bon oeil le fait d'être envoyée sur les champs de bataille de l'Europe pour servir l'Empire britannique.

Notes

1. « Sir Robert Laird Borden », greatwaralbum.ca

2. Article de Pierre Vennat, « Les débuts du camp de Valcartier et d'une armée improvisée de toutes pièces », tiré du site « Le Québec et les guerres mondiales », 17 décembre 2011

3. Richard Foot, « L'élection de 1917 », Encyclopédie canadienne, 2015

4. Maxime Dagenais, « Les 'Van Doos' et la Grande Guerre », Encyclopédie canadienne, 2015

5. Ibid

6. « La Première Guerre mondiale », Sean Mills (sous la direction de Brian Young, University McGill), site web du Musée McCord.

7. Claude Harb, « Le droit et l'Outaouais pendant la Première Guerre mondiale », Bulletin de l'Institut Pierre Renouvin, 2017/1 (No 45), UMR Sirice.


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Volume 54 Numéro 45 - 11 novembre 2024

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