La lutte des cheminots pour des conditions de travail sécuritaires

« Joignez-vous à notre lutte et allons jusqu'au bout », disent les Teamsters


Piquetage en appui aux travailleurs ferroviaires au bureau du député Randy Boissonnault
à Edmonton, 29 août 2024

Chaque jour, plus d'un milliard de dollars de marchandises sont transportées par rail au Canada. Il s'agit d'un secteur très important de l'économie, mais les barons du rail ne s'intéressent qu'à l'argent qu'ils font et pas du tout au bien-être des Canadiens ou des Américains, dont ils traversent également le territoire.

Les deux principales compagnies ferroviaires du Canada n'ont jamais connu d'arrêt de travail simultané. Les négociations contractuelles entre le syndicat des chemins de fer et le Canadien National (CN) et le Canadien Pacifique Kansas City (CPKC, anciennement Canadien Pacifique) ont généralement lieu à un an d'intervalle. Mais en 2022, après l'introduction par le gouvernement fédéral de nouvelles règles sur la fatigue, le CN a demandé une prolongation d'un an de l'accord existant plutôt que d'en négocier un nouveau. Après un an d'absence de négociation de bonne foi, le syndicat des deux compagnies ferroviaires a entamé une grève en même temps et, en moins de 17 heures, le Conseil canadien des relations industrielles (CCRI) a ordonné le retour au travail de 9 300 travailleurs du rail.

Lorsque le ministre du Travail, Steve MacKinnon, a contourné le processus de négociation collective et renvoyé le différend à l'arbitrage final, il s'est contenté de dire que le gouvernement était « confronté à des circonstances exceptionnelles » et que la décision de renvoyer l'affaire devant le CCRI avait été prise dans l'intérêt de tous.


Devant les bureaux du député Randy Boissonnault à Edmonton, le 29 août 2024

Il est resté silencieux sur le refus des barons du rail d'aborder la question majeure qui bloque les négociations contractuelles depuis des mois, à savoir la sécurité des travailleurs et la sécurité du public qui en découle. Le syndicat a fait savoir que les barons du rail tentaient de remédier à une pénurie de main-d'oeuvre en faisant travailler les employés plus longtemps et plus loin de leur domicile. Le CN et le CPKC insistent sur le fait que leurs offres garantissent la sécurité, malgré les nombreuses preuves que les travailleurs apportent qui montrent que ce n'est pas le cas.

« Tout cela remonte à un certain Hunter Harrison, qui est devenu cadre supérieur du CN [en 2003] », explique Bruce Curran, professeur agrégé à la faculté de droit de l'Université du Manitoba, dans un entretien accordé à la série de podcasts The Decibel, diffusée par le Globe and Mail. Il a mis en place ce que l'on appelle l'« exploitation ferroviaire à horaires fixes », un système de gestion allégé dans lequel les chemins de fer fonctionnent avec le moins d'employés possible pour éliminer les inefficacités du système. Cela a entraîné des licenciements massifs dans les chemins de fer et a forcé les travailleurs qui restent à faire de plus longues heures et au-delà du point de prise de décision, où la fatigue peut être un problème. »

En ce qui concerne le rôle de la fatigue dans les accidents ferroviaires, Bruce Curran écrit : « Depuis 1990, il y a eu plus de 30 catastrophes ferroviaires au Canada. Dans la quasi-totalité des cas, les enquêtes ont montré que la fatigue était un facteur contributif majeur. En juillet 2013, un wagon transportant 72 citernes d'huile de schiste volatile a déraillé et explosé à Lac-Mégantic. Il a tué 47 personnes, déversé un volume record de 6 millions de litres de pétrole et incendié le centre-ville. Des preuves substantielles indiquent que la fatigue est un facteur important. L'ingénieur qui était le principal responsable – parce qu'il aurait mal serré le frein – était resté éveillé pendant plus de 17 heures. Et cela a un impact important sur les fonctions cognitives et la prise de décision. »

Un autre facteur balayé sous le tapis est la corruption de la « porte tournante » entre l'industrie et le gouvernement. L'ancien député conservateur John Baird siège actuellement au conseil d'administration du CPKC. Il a rejoint le conseil d'administration du Canadien Pacifique en 2015 après avoir démissionné du gouvernement Harper en février de cette année-là, avant les élections fédérales qui ont porté les libéraux au pouvoir. Il est aussi actuellement président du comité de gouvernance d'entreprise, de nomination et de responsabilité sociale de CPKC et de son comité de risque et de durabilité.

Sous le gouvernement Harper, M. Baird a été ministre des Affaires étrangères, ministre de l'Environnement, ministre des Transports, de l'Infrastructure et des Collectivités, et président du Conseil du Trésor. C'est le gouvernement Harper, alors que M. Baird était ministre des Transports de 2008 à 2010, qui a donné aux barons du rail le pouvoir de rédiger leurs propres règles de surveillance sécuritaire et d'effectuer leurs propres inspections, limitant ainsi le mandat de Transports Canada à la simple surveillance des activités des compagnies de chemin de fer[1][2].


Piquet d'information à Hornepayne, 29 août 2024

Faisant référence au refus des barons du rail de négocier avec leur syndicat, le président de la Conférence ferroviaire de Teamsters Canada (CFTC), Paul Boucher, a déclaré dans un communiqué de presse :

« Tout au long de ce processus, le CN et le CPKC se sont montrés prêts à compromettre la sécurité ferroviaire et à déchirer des familles pour gagner un peu plus d'argent. Les compagnies ferroviaires ne se soucient pas des agriculteurs, des petites entreprises, des chaînes d'approvisionnement ou de leurs propres employés. Leur seul objectif est d'augmenter leurs bénéfices, même si cela signifie mettre en péril l'ensemble de l'économie.

« Ce qu'ils ont fait aux cheminots [...] pour mettre fin aux arrêts de travail prive fondamentalement les travailleurs de leur droit à la libre négociation collective, et c'est contre cela que nous protestons », a déclaré Paul Boucher lors d'une interview.

Le président de la CFTC a également déclaré que le syndicat collaborerait avec d'autres organisations syndicales pour contester juridiquement la décision qui a mis fin aux arrêts de travail dans les deux plus grandes compagnies ferroviaires du pays et imposé un arbitrage.

Une décision obligeant plus de 9 000 cheminots canadiens à rester au travail est une victoire pour les chemins de fer et pourrait avoir un impact sur les négociations dans d'autres secteurs réglementés par le gouvernement fédéral, comme l'aviation, a expliqué Paul Boucher.

Toute entreprise réglementée par le gouvernement fédéral est gagnante à ce stade », dit-il, en ajoutant : « C'est désastreux pour les syndicats et les travailleurs. »

Les Teamsters prévoient de faire appel de la décision devant la Cour fédérale. D'autres syndicats pourraient participer au procès et les soutenir, explique le président syndical. Il indique également qu'il est en contact avec l'Association des pilotes de ligne du Canada (ALPA), le syndicat représentant plus de 5 400 pilotes d'Air Canada qui ont voté à 98 % en faveur de l'autorisation d'un recours au travail en vertu du Code canadien du travail le 22 août dernier.

« Ce moment historique est si important que les syndicats doivent s'impliquer, et ils le feront, dit Paul Boucher. Nous allons demander à tous les syndicats du Canada de se joindre à notre lutte et d'aller jusqu'au bout. »

Pour sa part, le président de l'ALPA, Tim Perry, a déclaré : « Le nouveau ministre du Travail ne fait pas confiance aux lois canadiennes régissant la négociation collective et le gouvernement qu'il représente ne respecte pas les droits constitutionnels des travailleurs. »




Les cheminots font du piquetage devant la retraite du cabinet libéral à Halifax, le 27 août 2024.

Notes

1. Mémoire portant sur la sécurité ferroviaire et le transport des marchandises dangereuses par train au Canada, présenté par les Citoyens et Organismes engagés pour la sécurité ferroviaire à Lac-Mégantic aux audiences du Comité permanent des transports, de l'infrastructure et des collectivités de la Chambre des communes, 17 juin 2021.

2. L'ancien premier ministre du Québec, Jean Charest, est également devenu membre du conseil d'administration du CN en janvier 2022. Il a démissionné deux mois plus tard pour se présenter sans succès à la direction du Parti conservateur du Canada.

(Avec des informations de The Globe and Mail Canadian Press, Thomson Reuters, Teamsters Canada, CBC News, EnergyNow, CN, CPKC, Parlement du Canada, CTV News)


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Volume 54 Numéro 40 - 1er septembre 2024

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