La Conférence sur le redressement met l'accent sur la reconstruction de l'Ukraine en tant qu'opportunité d'investissement

La Conférence sur le redressement de l'Ukraine 2024 (URC2024) s'est tenue à Berlin, en Allemagne, les 11 et 12 juin, en présence du président ukrainien Volodymyr Zelensky. Il s'agit de la deuxième conférence de ce type, la première ayant eu lieu à Londres, en Angleterre, en juin 2023. L'événement se proclame « dédié au redressement rapide et à la reconstruction à long terme de l'Ukraine » avec pour objectif principal de « mobiliser un soutien international continu pour le redressement, la reconstruction, la réforme et la modernisation de l'Ukraine ». Il s'agit notamment « de fournir une aide d'urgence pour répondre aux besoins immédiats, de mettre en oeuvre des projets de redressement rapide et de créer des conditions attrayantes pour les entreprises afin de débloquer les investissements du secteur privé en Ukraine, et pour la société civile afin qu'elle s'engage activement dans le processus de reconstruction ».

La Conférence sur le redressement n'a pas abordé la nécessité de négociations de paix comme base de tout projet de reconstruction, mais elle est présentée comme faisant « partie intégrante des efforts diplomatiques internationaux tels que le prochain sommet du G7 en Italie, ainsi que le sommet sur la paix pour l'Ukraine organisé par la Suisse ».

Comme ce fut le cas en 2023, la conférence de cette année était structurée sur l'avancement des intérêts commerciaux privés comme base de la reconstruction de l'Ukraine, plutôt que sur l'avancement des intérêts du peuple ukrainien et de ce qui est nécessaire pour assurer son bien-être. La conférence portait sur quatre « dimensions thématiques » :

- la dimension commerciale : mobilisation du secteur privé pour la reconstruction et la croissance économique;

- la dimension humaine : redressement social et capital humain pour l'avenir de l'Ukraine;

- la dimension locale et régionale : redressement des municipalités et des régions;

- la dimension de l'Union européenne : adhésion à l'UE et réformes connexes.

Un communiqué publié à l'issue de la conférence indique qu'elle « a offert aux représentants des entreprises un forum leur permettant de saisir de nouvelles opportunités, d'annoncer de nouvelles collaborations et de renforcer les partenariats existants ». Avec le soutien de ses partenaires internationaux, le forum a présenté « un ensemble complet de mesures et d'incitations, existantes et nouvelles, destinées à faciliter et à réduire les risques liés aux investissements et au commerce dans les circonstances actuelles. Ces mesures comprennent des garanties des pays du G7 et de l'UE, des outils d'assurance politique et de couverture des risques, des projets de réassurance commerciale, des programmes de soutien à l'investissement parrainés par l'État, des processus rationalisés pour les projets de construction et d'infrastructure, des financements de logements à long terme, des incitations fiscales et l'accès à des financements de projets abordables ». La conférence a fait la promotion de « projets phares d'entreprises internationales [qui] ont présenté leurs réussites commerciales en Ukraine dans des secteurs clés tels que la défense, l'industrie manufacturière et l'énergie ».

L'approche néolibérale de la reconstruction, centrée sur le capital, est soulignée par la déclaration suivante : « Pour la première fois, l'URC2024 a également placé la dimension humaine au centre de la discussion. » On affirme que « l'URC2024 a promu des solutions pour la mobilisation du capital humain pour la reconstruction, ainsi que pour les questions de cohésion sociale et d'inclusion ». Les participants « ont discuté de sujets tels que l'éducation, les soins de santé et la fourniture de services sociaux et d'infrastructures, ainsi que de l'avancement de la lutte contre les mines, du rôle du secteur culturel et de l'intégration des anciens combattants, des personnes déplacées à l'intérieur du pays et des rapatriés ». Ce qui n'est pas dit, c'est que la priorité donnée aux intérêts des entreprises privées n'est pas compatible avec une bonne fourniture de services d'éducation, de soins de santé, de services sociaux et d'infrastructures, comme l'a montré l'offensive néolibérale antisociale dans le monde entier.

En ce qui concerne la « dimension locale et régionale », la déclaration indique que « l'URC2024 a également engagé pour la première fois environ 200 acteurs locaux et régionaux, reconnaissant ainsi leur rôle crucial dans la reconstruction ». « Les participants ont discuté de la manière dont une distribution accrue et saine des ressources financières, le renforcement des capacités et les partenariats peuvent stimuler la reprise. Les participants ont présenté leurs besoins, leurs propositions de projets de reconstruction et leurs meilleures pratiques pour créer des communautés résilientes et vivables en promouvant le développement urbain durable, le logement, l'efficacité énergétique et thermique, des solutions d'hivernage rapides et intelligentes, et en renforçant l'autonomie locale pour l'intégration dans l'UE et l'activité économique. »

En ce qui concerne la « dimension européenne », elle vise à maintenir l'Ukraine en conformité avec les valeurs européennes et les exigences de l'UE pour parvenir à l'adhésion sur la base « de réformes, de la croissance économique, de la sécurité des investissements et du redressement durable d'une économie compétitive ». Elle soutient également des institutions politiques stables et garantit les droits humains et l'État de droit, ainsi que des institutions de service public qui fonctionnent. L'intégration de l'Ukraine dans l'UE, affirment les organisateurs de la conférence, « contribuerait de manière significative à la stabilité régionale et à la paix, à la justice, à la liberté et à la sécurité dans toute l'Europe ». Les progrès réalisés par l'Ukraine sur la voie de l'intégration à l'UE « illustrent le pouvoir de transformation des valeurs et des normes de l'UE et renforcent le rôle de l'UE dans la promotion de la stabilité, de la prospérité et de la gouvernance démocratique dans la région ».

Toutes ces discussions sur la reconstruction se font sans mentionner l'éléphant dans la pièce : la dette massive de l'Ukraine et sa prise de contrôle total par des intérêts privés étroits.

Le 18 juin, les médias ont rapporté que l'Ukraine « a subi un revers dans ses efforts pour achever les grandes lignes d'une restructuration de la dette avant l'expiration, fin août, d'un gel des paiements de deux ans convenu par les détenteurs privés de près de 20 milliards de dollars d'obligations internationales en circulation ».

Cette situation fait craindre, selon Reuters, que le pays ne se retrouve en situation de défaut de paiement.

« Les obligations internationales émises avant février 2014, y compris une euro-obligation de 3 milliards de dollars émise en vertu du droit anglais et due à la Russie, font l'objet d'une procédure judiciaire », précise Reuters. Rien qu'au cours des deux dernières années, des obligations ont été émises :

2023

Mars - Le Groupe des créanciers de l'Ukraine (GCU), composé du Canada, de la France, de l'Allemagne, du Japon, de la Grande-Bretagne et des États-Unis, fournit des garanties de financement à l'appui d'un prêt attendu du Fonds monétaire international. Cela inclut la prolongation jusqu'en 2027 d'un moratoire sur les paiements précédemment convenu.

Mars - Le conseil d'administration du FMI approuve un programme de prêt de 15,6 milliards de dollars sur quatre ans pour l'Ukraine afin de soutenir l'économie du pays.

Novembre - Dans son budget 2024, l'Ukraine détaille un déficit prévu de 44 milliards de dollars.

2024

Mars - Reuters rapporte que les détenteurs d'obligations ukrainiennes à l'étranger sont en pourparlers pour former un comité de créanciers avant les négociations sur le réaménagement de la dette. La formation du groupe est officialisée en avril.

Avril - Le Congrès américain adopte, après des mois de retard, un vaste programme d'aide à l'étranger, ouvrant la voie à un financement de 61 milliards de dollars pour l'Ukraine.

Mai - L'Ukraine s'efforce de parvenir à un accord sur une restructuration avec ses créanciers privés avant l'expiration d'un gel des paiements.

Juin - Le Groupe des Sept accepte d'accorder à l'Ukraine un prêt de 50 milliards de dollars en utilisant les intérêts perçus sur les avoirs russes gelés.

Juin - L'Ukraine déclare qu'elle n'est pas parvenue à un accord lors des discussions officielles avec un groupe de détenteurs d'obligations sur la restructuration de sa dette commerciale, ce qui rapproche le pays d'un défaut de paiement. Le ministre des Finances, Serhiy Marchenko, déclare que les pourparlers se poursuivent et qu'il s'attend à ce que le gouvernement parvienne à un accord d'ici le 1er août.

Tout cela rend absurde le discours sur la souveraineté de l'Ukraine, puisque le pays a été pris en charge par des intérêts privés étroits. Ce qui n'appartient pas aux banques et aux détenteurs d'obligations appartient à d'autres oligopoles tels que ceux qui se sont emparés de la production agricole de l'Ukraine. En octobre 2023, Open Democracy a révélé que dix entreprises privées contrôlaient 71 % du marché agricole ukrainien, dont, « outre l'oligarchie ukrainienne, des multinationales telles que Archer Daniels Midland (ADM), Bunge, Cargill, Louis Dreyfus et la société d'État chinoise COFCO ». Il ne s'agit là que d'une petite partie de l'histoire de la prise de contrôle néolibérale de l'Ukraine.


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Volume 54 Numéro 37 - 18 juin 2024

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