Le mépris du gouvernement Legault envers les scientifiques employés par l'État

Le vendredi 5 avril, Ghislain Côté, un biologiste à l'emploi depuis six ans du ministère de l'Environnement, de la Lutte contre les changements climatiques, de la Faune et des Parcs du Québec a démissionné de son poste de coordonnateur de l'équipe d'analyse et d'expertise et de directeur régional par intérim pour la région du Bas-Saint-Laurent du ministère.

Ghislain Côté a écrit les 21 et 25 février deux lettres adressées au ministre de l'Environnement, Benoit Charette, qui sont restées sans réponse. Dans les lettres, il dit que la décision du gouvernement du Québec d'aller de l'avant avec l'autorisation de construire l'usine de Northvolt sur des terrains qui appartenaient jusqu'en juillet dernier à un groupe de promoteurs immobiliers, MC2, était « une commande politique ».

Comme preuve, il souligne que le ministre de l'Environnement Benoit Charette avait déclaré publiquement en novembre dernier que le projet de construction de la méga-usine irait de l'avant alors que les études d'analyses des impacts environnementaux du projet par les scientifiques du ministère n'étaient même pas complétées.

Dans une de ses lettres envoyées au ministre Charette, Ghislain Côté lui rappelle qu'en tant que ministre il a toute la latitude d'accepter ou pas un projet : « Je vous somme d'être transparent [...]. Si c'est une décision qui relève du ministre, assumez-la. La Loi sur la qualité de l'environnement vous en donne le droit, mais ne faites pas porter de fardeau aux équipes qui oeuvrent, normalement, en toute indépendance. » Ce à quoi il fait allusion est au rapport produit en mars 2023 par l'analyste principale et biologiste employée par le ministère qui a conclu que la proposition de projet immobilier de MC2 sur le même site où l'usine de Northvolt sera construite était non conforme alors que le rapport produit en janvier 2024, par la même fonctionnaire du ministère a jugé que le projet de Northvolt était conforme.

De grands intérêts privés supplantent les conclusions
des analyses scientifiques

Dans le rapport de mars 2023 pour rejeter la demande du groupe immobilier MC2, la fonctionnaire a cité 23 références dont neuf articles scientifiques qui démontraient la valeur écologique du site et de l'impact néfaste sur l'environnement du projet immobilier, dont la destruction des milieux humides. Dans le rapport de janvier 2024, la conclusion est que le projet de Northvolt est conforme, avec seulement 11 références conservées et dans lequel aucun des articles scientifiques n'y apparaît. (Voir le tableau ci-dessous).


Tableau comparatif des conclusions des rapports d'analyse du ministère de l'Environnement des projets MC 2 et Northvolt. Source Radio-Canada

Comme l'indique un article de Radio-Canada, « le terrain convoité pour les deux projets est un site industriel désaffecté, en partie contaminé, qui a été exploité par l'ancienne usine d'explosifs Canada Industries Limited (CIL) jusqu'en 1999. Plusieurs des milieux humides sont issus d'excavations, mais la faune et la flore y ont repris leurs droits depuis.

« 'L'origine des milieux humides n'a pas d'incidence sur leurs rôles et leur importance', écrit le ministère de l'Environnement dans ses analyses. Une phrase a toutefois disparu d'un paragraphe copié-collé entre le premier et le second rapport : 'Ils sont donc considérés comme des milieux naturels' [1].

De même, dans l'analyse du projet immobilier de MC2, il est mentionné ceci qui n'apparaît pas dans l'analyse du projet industriel de Northvolt :

« Le site constitue un stepping stone [tremplin] permettant de relier deux massifs forestiers d'importance, soit le mont Saint-Bruno et le mont Saint-Hilaire [...]. Ultimement, ceci est susceptible de compromettre la dispersion des individus et la connectivité (COVABAR 2015) et d'avoir un impact négatif sur la viabilité et la persistance des populations et, par le fait même, sur la biodiversité (Hanski 2011). »

Le rapport d'analyse du projet de MC2 mentionne des milieux humides qui se sont « renaturalisés ». Cela a été « presque occulté dans le second rapport », constate Stéphanie Pellerin, professeure associée au département de sciences biologiques de l'Université de Montréal, qui a comparé les deux documents.

« Ce qui m'a sauté aux yeux, c'est que tout l'aspect sur l'importance des milieux humides, notamment l'évaluation régionale qui était dans l'analyse de MC2, est complètement disparu de l'analyse de Northvolt. C'est vraiment frappant, » rajoute Stéphanie Pellerin.

Un rapport interne du Bureau de stratégie législative et réglementaire du ministère de l'Environnement, montre que le ministre Charette n'avait pas l'appui de ses fonctionnaires pour exempter Northvolt d'un examen du Bureau d'audiences publiques sur l'environnement (BAPE) pour sa production de batteries. Les employés du ministère recommandaient un examen complet, disant que « puisque les impacts de ce type d'usine sont peu documentés, le principe de précaution prévaut ».

Ce principe de précaution est important puisque les travaux d'excavation vont de l'avant sur le site de Northvolt et le ministère de l'Environnement n'a aucune idée des rejets dans l'atmosphère que produira le futur complexe industriel. Les fonctionnaires ne savent pas non plus ce qui sera rejeté dans la rivière Richelieu ni les quantités d'eau qui seront prélevées pour refroidir le procédé industriel. Le Richelieu est la source d'eau potable de plusieurs municipalités de la région.

Le principe de précaution avait aussi été soulevé en février 2023 lorsque le gouvernement Legault avait proposé de modifier la réglementation environnementale pour accommoder la nouvelle filière des batteries. À l'époque, sa proposition était que toute usine d'assemblage de batteries d'une capacité de 30 gigawattheures (GWh) ou plus, serait soumise à un examen du BAPE

Des consultations publiques ont été tenues au printemps 2023 et le ministère avait reçu deux commentaires sur cet aspect dont celui de l'Ordre des chimistes du Québec qui jugeait que c'était une bonne idée. Par contre, Northvolt a suggéré de faire passer le seuil à 40 Gwh. Les fonctionnaires ont recommandé de rejeter la modification proposée par Northvolt. « Le seuil doit demeurer à 30 Gwh », selon leur rapport. On apprend en juillet 2023 que le gouvernement Legault a adopté un règlement sans aucun seuil pour les usines d'assemblage de batterie. En d'autres mots, il n'y aura donc pas de BAPE pour les usines de composantes de batteries au Québec, quelle que soit leur capacité.

Cela a fait réagir l'ancien vice-président du BAPE et ex-journaliste spécialisé en environnement, Louis-Gilles Francoeur qui qualifie cette décision politique de « mépris » de la « démarche scientifique » de la part du ministre de l'Environnement et un « rejet de la fonction publique » [2].

Un scientifique et fonctionnaire du Québec congédié pour avoir exposé l'ingérence au ministère de l'Agriculture

En janvier 2019, l'agronome de 32 ans d'expérience et réputé, Louis Robert, a été congédié brutalement par le ministère de l'Agriculture pour avoir transmis aux médias des documents qui démontraient l'ingérence du secteur privé dans la recherche publique sur les pesticides. Malgré la protection que la loi garantit, en principe, aux lanceurs d'alerte, il a été congédié.

Dès octobre 2017, Louis Robert avait transmis à la haute direction du ministère de l'information sur des conflits d'intérêts et d'ingérence au sein du Centre de recherche sur les grains (CÉROM), par des membres du conseil d'administration favorables aux pesticides et une crise dans la gestion de l'organisme financé par le public qui devait trouver des solutions pour réduire l'utilisation des pesticides en agriculture. Le sous-ministre et ses adjoints étaient au courant depuis au moins juin 2016 de la crise au Centre de recherche sur les grains.

En mars 2018, une sous-ministre adjointe du ministère de l'Agriculture, des Pêcheries et de l'Alimentation du Québec (MAPAQ) félicite Louis Robert en lui écrivant que « Votre divulgation à l'égard du CÉROM était empreinte de la volonté de corriger une situation que vous considériez à l'encontre de l'intérêt public ». Cela n'empêche pas que des pressions sont exercées par des membres du conseil d'administration du CÉROM pour faire taire Louis Robert. Un des membres du conseil d'administration était le président de l'Association des producteurs de grains. Moins d'un mois avant l'élection d'octobre 2018 qui a mené la CAQ au pouvoir, Louis Robert est suspendu avec salaire. Il est congédié en janvier 2019, accusé d'avoir transmis des informations confidentielles à Radio-Canada sans autorisation et d'avoir « fait preuve d'un manque de loyauté ».

Moins d'une semaine après, le ministre de l'Agriculture André Lamontagne déclare que c'est lui qui a décidé de congédier Louis Robert. Il dit : « C'est ma décision, je suis très à l'aise avec ma décision » et que « cette décision n'est en aucun cas une mesure de représailles contre un lanceur d'alerte ». Louis Robert a répondu une semaine plus tard en déposant un recours pour « congédiement illégal et abusif ». L'Union des producteurs agricoles du Québec et le Syndicat des professionnels du gouvernement du Québec qui représente 26 000 fonctionnaires l'appuient. La protectrice du citoyen lance une enquête et conclut que le congédiement de Louis Robert est injuste.

La protectrice du citoyen a conclu que le MAPAQ a commis une violation de confidentialité majeure en dévoilant à plusieurs reprises l'identité de Louis Robert, allant même jusqu'à fournir son nom au ministère chargé d'enquêter sur une fuite dans les médias et à le publier en ligne à la suite d'une demande d'accès à l'information. Louis Robert a été réintégré à son poste au sein du MAPAQ en juillet 2019.

Notes

1. « Northvolt : Québec a retiré des arguments scientifiques de son analyse », Thomas Gerbet, Radio-Canada, 23 février 2024

2. « BAPE pour Northvolt : Québec a éclipsé la recommandation des fonctionnaires », Thomas Gerbet, Radio-Canada, 9 avril 2024


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Volume 54 Numéro 27 - 20 avril 2024 2024

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