Les travaux d'excavation du site de l'usine de batteries de Northvolt vont de l'avant malgré l'opposition grandissante

Le vendredi 26 janvier, le juge David Collier de la Cour supérieure du Québec a refusé d'accorder une injonction interlocutoire provisoire pour faire cesser les travaux d'abattage des arbres et de remplissage des milieux humides pour une période de 10 jours, sur le site de la future usine de batteries de Northvolt située à cheval sur les municipalités de Saint-Basile-Le-Grand et McMasterviile, au Québec. L'injonction interlocutoire provisoire demandée par le Centre québécois du droit de l'environnement (CQDE) et trois citoyennes de McMasterville visait à forcer le gouvernement du Québec qui est un partenaire dans la construction de l'usine à fournir toutes les informations de l'évaluation environnementale effectuée par le ministère de l'Environnement, de la Lutte contre les changements climatiques, de la Faune et des Parcs qui a conduit à accorder la permission à Northvolt de commencer les travaux sur le site de la future usine.

La soi-disant transparence et reddition de compte
du ministère de l'Environnement

En 2017, le gouvernement libéral de Philippe Couillard a réformé la Loi sur la qualité de l'environnement. Il promettait « zéro perte nette » pour les milieux humides. La réalité est tout autre.

Selon La Presse, « pas moins de 98 % des demandes de remblayage sont autorisées. La vérification est déficiente – dans 70 % des cas, on ne vérifie pas si un autre lieu de construction était disponible. Le suivi est aussi inadéquat. La majorité des chantiers ne sont pas visités par des inspecteurs et les délinquants ne perdent pas leur permis.

« La compensation ne fonctionne pas non plus. Les promoteurs peuvent créer ou protéger un milieu d'égale valeur ou verser une pénalité. Ils préfèrent payer. L'argent doit financer la restauration de milieux humides. Or, à peine 3 % de la cagnotte est utilisée.

« Le ministère de l'Environnement n'a pas non plus protégé les milieux 'd'intérêt' reconnus par ses fonctionnaires. Au contraire, il a augmenté le nombre des dérogations et réduit les pénalités financières dans certaines régions. [...] Le registre public en ligne des projets, qui avait été promis en 2017, n'a pas été implanté. Cette mesure de transparence était pourtant un compromis offert aux écologistes pour les rallier à cette réforme[1]. »

Cela explique les demandes incessantes des journalistes et des environnementalistes d'accès à l'information auprès du ministère de l'Environnement et les délais de plusieurs semaines avant qu'on leur réponde. Une fois les documents reçus, ces mêmes journalistes constatent souvent que les textes sont caviardés au point qu'on ne peut rien conclure sur leur contenu.

Alors pourquoi le juge Collier a-t-il refusé d'accorder une injonction interlocutoire provisoire qui aurait fait cesser pendant 10 jours les travaux de défrichage et de remblayage des milieux humides où, selon son propre aveu, « il y aura perte d'un milieu naturel à la fois rare et important pour l'environnement de la région » ?

Le préjudice sérieux et la balance des inconvénients

Parmi les raisons invoquées dans le jugement de 13 pages du juge David Collier pour refuser d'accorder une injonction, il mentionne que « comme pour l'autorisation ministérielle, le permis délivré par la municipalité [de Ste-Baile-Le-Grand] jouit d'une présomption de validité et est censé avoir été adopté dans l'intérêt public » et que le CQDE et les trois citoyennes de McMasterville « n'ont pas réussi à faire valoir des arguments sérieux permettant de douter, à première vue, de la validité de l'autorisation ministérielle et du permis municipal. [...] »

Malgré cela, le juge ne peut s'empêcher d'émettre deux commentaires qui donne raison au CQDE et aux citoyennes de McMasterville quant à la validité de leur demande même si « les demanderesses n'ont pas réussi le test de l'apparence de droit »[2].

Le juge poursuit en affirmant que la perte des arbres et des milieux humides sera compensée par Northvolt qui va payer la somme de 4,7 millions de dollars qui « servira à la restauration ou à la préservation d'autres milieux humides » et « à planter 24 000 arbres, en grande majorité sur son site ».

Le juge rappelle la menace et le chantage de Northvolt : « Pour sa part, Northvolt soutient qu'elle subira un énorme préjudice économique si son projet est retardé ou ultimement abandonné en raison des délais. »

Après avoir rappelé que « le gouvernement du Québec estime que le projet Northvolt est d'une grande importance pour l'économie de la province[...] » et que « c'est un projet 'vert' et structurant pour la province », le juge conclut que « s'il y a un intérêt public à la protection de l'environnement, il y a également un intérêt public à protéger la sécurité juridique des activités autorisées par l'administration publique » et que « vu l'ensemble des facteurs, la balance des inconvénients ne favorise pas la délivrance d'une injonction interlocutoire ».

En d'autres mots, le juge ne remet pas en question le fait que le gouvernement du Québec, par les pouvoirs de police accordés au ministre de l'Environnement, peut à loisir changer la réglementation pour accommoder de grands intérêts privés, tout cela au nom de grands idéaux, tels que bâtir une économie verte.

De nouvelles poursuites judiciaires entreprises contre Northvolt

Le 5 avril, le Centre québécois du droit de l'environnement (CQDE) appuyés par trois résidentes de McMasterville et Saint-Basile-le-Grand a annoncé une demande de révision judiciaire devant la Cour supérieure du Québec contre le ministère de l'Environnement du Québec et Northvolt pour justement « contester la modification réglementaire ayant écarté la tenue d'un BAPE [Bureau d'audiences publiques] pour le projet de giga-usine de Northvolt ». Ces changements réglementaires ont été apportés en juillet 2023 juste avant l'annonce du projet de Northvolt en septembre 2023.

Lors de l'annonce, l'avocate au CQDE a dit : « On ne peut laisser les gouvernements modifier les normes à la tête du client : un tel passe-droit constituerait un dangereux précédent. À la lumière des informations révélées au cours des dernières semaines, il nous apparaît d'autant plus important d'assurer le respect de l'état de droit et de nos processus démocratiques. »

Ce n'est pas la fin de la saga Northvolt puisque le Conseil mohawk de Kahnawake (MCK) a aussi annoncé le 23 janvier qu'une action en justice « a été déposée auprès de la Cour supérieure du Québec pour exiger des ordonnances obligeant les gouvernements provincial et fédéral à engager une consultation avec les Mohawks de Kahnawake concernant le projet d'usine de batteries Northvolt dans la région de la Montérégie ».

La déclaration publiée par le MCK poursuit en disant : « Le MCK demande une déclaration selon laquelle le Québec et le Canada ont manqué à leur obligation de consultation, tant en ce qui concerne leur décision de financer le projet que, dans le cas de l'usine de batteries Northvolt, en ce qui concerne la décision de la province de financer le projet et, dans le cas du Québec, en autorisant la destruction des milieux humides sans mener à bien la consultation. Le MCK conteste également la législation qui régit les travaux dans les zones humides, arguant que ces lois ne prennent pas en compte, et encore moins ne respectent, les droits des autochtones[3]. »

Ils rappellent par la même occasion les obligations constitutionnelles des gouvernements fédéral et du Québec de consulter au préalable les peuples autochtones sur toutes les questions relatives à la protection de l'environnement, comme c'est le cas pour l'agrandissement du port de Montréal vers la région de Contrecoeur.

Notes

1. Paul Journel, « Un boomerang contre Northvolt », La Presse, 27 janvier 2024

2. Demande en injonction interlocutoire provisoire, Jugement numéro 500-17-128496-240, juge David R. Collier, Cour supérieure du Québec, district de Montréal, 26 janvier 2024

« Il y a sans doute un préjudice sérieux causé à autrui lorsqu'un arbre est coupé ou un milieu humide est détruit ou endommagé sans droit. Par ailleurs, il est incontestable que, sans la délivrance d'une ordonnance d'Injonction interlocutoire dans la présente instance, il existera un état de fait qui rendra le jugement au fond inefficace. Ce critère penche en faveur des demanderesses [CQDE et les 3 citoyennes de McMasterville] dans cette affaire. »

et

« La question de la balance des inconvénients est moins claire. Si l'injonction n'est pas délivrée, il y a lieu de croire que des milieux humides ayant une superficie de 13,8 ha (138 162 mètres carrés) seront détruits ou dégradés sur le site de Northvolt. Il y aura perte d'un milieu naturel à la fois rare et important pour l'environnement de la région. »

3. « Environmental Talking Points for the Northvolt development project », Conseil mohawk de Kahnawake.

(Avec des informations de la Cour supérieure du Québec, le Centre québécois du droit de l'environnement, le conseil mohawk de Kahnawake, Le Devoir, La Presse, Actualités, Journal de Montréal)


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Volume 54 Numéro 27 - 20 avril 2024 2024

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