Sous prétexte de combattre la haine

La criminalisation et la persécution de la lutte palestinienne a pour cible le droit humain fondamental de résister

– Pierre Soublière –


Depuis le début du mouvement de masse en cours des peuples du Canada, du Québec et du monde entier exigeant un cessez-le-feu, de mettre fin au génocide et une Palestine libre, les manifestants ont été accusés par les représentants des gouvernements et les médias monopolisés de « célébrer le terrorisme ». Les appels à une Palestine libre, du fleuve à la mer, ont été étiquetés d'antisémites. Ces accusations ont été accompagnées d'une vague de persécution politique menant au congédiement et à la suspension d'employés et d'étudiants ou d'appels aux employeurs à ne pas embaucher les personnes ayant pris une position politique contre le génocide mené par Israël contre le peuple palestinien. Le 23 novembre, un groupe de rapporteurs spéciaux de l'ONU ont fait part de leur inquiétude devant le fait de « faussement interpréter toute critique d'Israël comme étant un appui au terrorisme ou à l'antisémitisme ».

Les rapporteurs ont souligné que des artistes, des journalistes, des universitaires, des athlètes et des manifestants avaient été censurés, suspendus, mis sur une liste d'éléments indésirables ou menacés de mesures disciplinaires pour avoir exprimé leurs opinions. Aussi des avocats ont-ils souligné que ce harcèlement est plus souvent qu'autrement le résultat de sources anonymes communiquant avec les employeurs ou les institutions en question et faisant part de leurs préoccupations vis-à-vis le comportement de ces personnes, ou vis-à-vis quelque chose qu'elles ont dit ou auraient dit.

Il y a aussi eu des cas d'attaques individuelles contre des organisateurs des manifestations hebdomadaires qui ont lieu partout au Canada et au Québec, comme celle qui a eu lieu en Alberta et les contraventions imposées aux manifestants d'Ottawa, évoquant un règlement municipal sur le bruit. La police s'est rendue au domicile des gens suite aux manifestations pour les harceler et, dans au moins un cas, une des organisatrices, une jeune femme du Mouvement de la jeunesse palestinienne, a été suivie jusque dans un stationnement sous-terrain où elle a été physiquement entourée par des agents municipaux et harcelée au sujet de ces règlements.

La réponse des manifestants propalestiniens et de leurs alliés a été : Nous ne nous laisserons pas bousculer ! La récente manifestation à Ottawa a été la 23e action hebdomadaire très réussie et, à chaque fois, les manifestants affirment qu'ils ne se laisseront pas intimidés, que les gens ne font qu'assumer leurs responsabilités sociales et morales envers le peuple de Gaza, que rien ne les empêchera de se faire entendre et que la résistance palestinienne est sacrée et invincible, exprimé dans le slogan : « Notre existence est résistance ! » À chaque manif, la discipline est de rigueur et consiste à ne pas répondre aux provocations sionistes. Les responsables de la sécurité des manifestants ont appris à discrètement repousser les provocateurs potentiels pour éviter que le message fondamental des manifestations ne soit pas diminué ou détourné.

L'impasse de la démocratie libérale et de ses institutions démocratiques a été bien mise en lumière lors du débat du 18 mars à la Chambre des communes sur la motion du NPD sur la Palestine. Les différentes dimensions de leur crise sont ressorties : comment, par exemple, ils sont paralysés et ne peuvent résoudre des questions aussi urgentes que le génocide en cours à Gaza, comment toute notion d'immédiateté, malgré les meilleures intentions, est abandonnée, et comment le discours prédominant dans les cercles dirigeants est imprégné de colonialisme.

C'était frappant de constater les nombreux points communs dans les interventions, tant celles des libéraux et conservateurs que du NPD et du Bloc. Le plus fréquent était le fait de nier le droit du peuple palestinien de résister à Israël en tant que force d'occupation, de résister à toute ingérence étrangère et à toutes attaques contre son droit à l'autodétermination.

En ce sens, le chef du NPD a fait preuve d'un bellicisme particulièrement virulent. Il a balbutié les vieilles rengaines au sujet de « cycles de violence qui perdurent depuis des décennies » et que les Israéliens continuent de vivre dans la crainte de se « faire attaquer par des terroristes, y compris des groupes appuyés par l'Iran tels que le Hamas et le Hezbollah » et comment « les deux groupes terroristes veulent la destruction d'Israël ». Le point commun a été énoncé ainsi par ce soi-disant chef : « Avec un gouvernement de l'extrême droite en Israël, et un manque de leadership démocratique en Palestine et la dangereuse influence d'États extrémistes comme l'Iran, il est difficile de discerner le chemin qui mène à la paix. »

La ministre des Affaires étrangères Mélanie Joly a fait écho à ces déclarations en affirmant que « nous entendons des voix terroristes et extrémistes des deux côtés ».

Il est frappant de constater comment, de pair avec ce que dit la police politique, la question des « voix extrémistes » est évoquée par rapport à Israël. Les discussions au sujet d'une droite, présumément légitime, et d'une extrême droite, reflètent les efforts des impérialistes américains de maintenir leur contrôle de la situation tout en embrassant de tout coeur le projet sioniste. Il s'agit de désinformation pour détourner l'attention de leur propre refus d'appliquer les mesures de la Cour internationale de justice (CIJ) pour mettre fin au génocide et laisser entrer l'aide humanitaire à Gaza. Prétendre que le problème c'est des « groupes extrémistes des deux côtés » est la marque de commerce de l'idéologie libérale de la guerre froide, mais cela ne veut rien dire pour les peuples du monde. En dépit des faits, le problème au Canada est présenté comme venant d' « extrémistes » qui seraient antisémites, et de d'autres, qui seraient « islamophobes », une situation dans laquelle l'État serait appelé à intervenir pour régler le problème de ces « extrémismes ». Cela était visible pendant le débat au Parlement avec des appels de députés du Parti conservateur à criminaliser davantage la lutte des Palestiniens au Canada et au Québec, appels qui résonnent depuis la toute première manifestation en octobre contre le massacre israélien en Palestine.

Cela met aussi en évidence comment la principale préoccupation de l'élite dirigeante au Canada à l'heure actuelle, en tant qu'extension de la politique américaine, est comment tout contrôler en sa faveur en éliminant ses rivaux. Si elle doit retenir quelque chose de la lutte de résistance actuelle, c'est que tout rêve de supprimer la résistance palestinienne n'est que cela, un rêve. Il en sera ainsi pour les tentatives d'imposer une fois de plus un gouvernement qui accepte l'occupation d'Israël. Plusieurs orateurs au cours du débat parlementaire ont invoqué les jours heureux des forces du maintien de la paix et comment le Canada devait à nouveau jouer un rôle de « négociateur » s'il espère détruire la résistance palestinienne au nom d'apporter la « paix et la sécurité au Moyen Orient ».

La lutte palestinienne en ce moment affirme clairement le droit du peuple de parler, d'organiser, de résister, ainsi que le droit à son autodétermination et la non-ingérence dans ses affaires intérieures. C'est ce que réclament tous les jours les peuples du monde, comme nous le voyons, entre autres, à Cuba et en Haïti. C'est ce qui est bien exprimé par les jeunes Palestiniens, les Canadiens et les Québécois lorsqu'ils affirment que la lutte du peuple palestinien est partie intégrante de la lutte anticoloniale et antiimpérialiste des peuples du monde. Le niveau actuel est tout autre que ce que mijote cette malheureuse élite et est un rappel vivant que notre sécurité est dans la lutte pour les droits de tous et toutes.


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Volume 54 Numéro 23 - 28 mars 2024

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