Accroissement du contrôle de l'État dans l'espace politique au Québec

– Christine Dandenault –

L'utilisation d'une définition fallacieuse de ce qui constitue la « haine » comme instrument de contrôle de l'État dans l'espace public et politique au Québec est une affaire très préoccupante. Ce n'est pas nouveau. Nous avons l'exemple tristement célèbre de 2015, lorsque le gouvernement libéral de Philippe Couillard a mis au point tout un plan d'action pour lutter contre la radicalisation menant à la violence afin de justifier l'augmentation des pouvoirs de police. Intitulé La radicalisation au Québec : agir, prévenir, détecter et vivre ensemble, le plan d'action prévoyait des mesures qui ont notamment entraîné une présence policière musclée dans certains cégeps à forte population arabe. Elles ont incité les lanceurs d'alerte à dénoncer à la police des membres du corps politique vus comme non modérés ou suspects. Elles ont légitimé des allégations non fondées de discours haineux et d'incitation à la violence. Un jour, quatre étudiants musulmans qui, selon l'État, étaient « des jeunes radicalisés qui allaient rejoindre l'État islamique », ont été arrêtés lorsqu'ils ont tenté de quitter le pays pour des vacances. Il s'est avéré que les jeunes en question, qui étaient chiites et sunnites, essayaient de fuir contre la volonté de ceux qui ne voulaient pas que les chiites et les sunnites se mélangent. Rien à voir avec l'État islamique.  Rien à voir avec l'extrémisme violent.

Des musulmans ont été pris au piège de déclarations non fondées qu'ils allaient combattre aux côtés du djihad en Syrie. Il y a eu un battage médiatique sur les dangers de la radicalisation des jeunes, accompagné d'une intervention du libéral Denis Coderre, maire de Montréal à l'époque, qui a collaboré avec le gouvernement fédéral, les forces de police et la GRC pour mettre en place le Centre de prévention de la radicalisation menant à la violence, ciblant directement les jeunes.

En novembre 2023, le directeur général des élections du Québec (DGEQ) a lancé une consultation sur la modernisation de la Loi électorale du Québec, sur la base d'un document intitulé Pour une nouvelle vision de la Loi électorale. Ce document reprend les propositions du gouvernement libéral du Canada et des gouvernements des États-Unis, du Royaume-Uni, de la France et d'autres pays européens concernant l'interdiction des « entités qui incitent à la haine ou à la violence ». Il propose de les aborder sous l'angle de « veiller à ce que la Loi électorale reflète les valeurs de notre société ».

Le document note que si « la désinformation, l'intimidation, le harcèlement et les menaces ont pris de l'ampleur » au Canada et au Québec, « les signalements de discours et de crimes haineux ont augmenté de façons importantes depuis 2017 ». Il avertit que « plus ce genre de propos et d'actes prennent forme dans l'espace public, plus ils sont susceptibles de se refléter dans le milieu politique ». « La haine, lit-on dans le document de consultation, marginalise, exclut, déshumanise. »

Le DGEQ poursuit en disant que les privilèges qui viennent avec l'autorisation d'un parti politique « ne devraient pas servir à amplifier les discours haineux » et propose l'ajout de critères liés à la dénomination, aux objectifs, au discours et aux activités qui pourraient mener au retrait de l'autorisation d'un parti. Il cite des exemples de lois en Europe qui permettent l'interdiction et la dissolution d'un parti politique sur cette base.

Interdire un parti politique pour des motifs d'incitation à la haine ou à la violence, ou parce qu'il est considéré comme extrémiste, est une grosse affaire dans une société qui se dit démocratique. Une fois que cette porte est ouverte, c'est la liberté d'expression, le droit d'association et le droit de conscience qui sont sous le feu des attaques. C'est d'autant plus grave quand on reconnaît l'importance de l'exercice de ces droits dans l'expression de la volonté populaire, surtout lorsque ceux qui ont présentement accès au pouvoir et aux privilèges sont prêts à tout pour repousser tout ce qui viendrait les menacer.

Le problème avec ces interdictions de toutes sortes qui s'appliquent aux individus et aux organisations et sont appliquées par des pouvoirs de police est précisément qu'on ne s'intéresse pas à la source de ces actes et qu'on ne tient pas compte de qui a le pouvoir de décider sur ces questions. Qui décide de ce qui est haineux, violent et extrémiste et suivant quelle définition en fin de compte ? Surtout quand c'est fait au nom de « valeurs de la société québécoise » qui sont tout simplement proclamées d'en haut.

Le premier ministre du Québec François Legault se livre régulièrement à des propos qu'on peut qualifier de discours incitant à la haine et à la violence envers les immigrants, et il le fait justement au nom de ce qu'il appelle les valeurs québécoises. En voici un exemple mais quiconque suit l'actualité québécoise sait qu'il ne s'agit pas d'un cas isolé.

Parlant des défis de l'intégration des immigrants, le premier ministre déclarait il y a quelque temps : « Les Québécois sont pacifiques, ils n'aiment pas la chicane, ils n'aiment pas les extrémistes, ils n'aiment pas la violence, donc il faut s'assurer qu'on garde ça comme c'est là actuellement. [...] On a quand même des valeurs et on a parlé beaucoup de laïcité dans les dernières années; c'en est une des valeurs, aussi le respect. Il y a une façon de vivre chez nous et on veut la garder. » (Rapporté par Radio-Canada le 7 septembre 2022)

Tout cela laisse entendre que les valeurs québécoises sont des valeurs civilisées et qu'elles sont menacées par les nouveaux arrivants.

Des codes de bonne conduite ont d'ailleurs été établis à l'Assemblée nationale, une liste de mots à proscrire à l'Assemblée nationale a été créée, le commissaire à l'éthique et à la déontologie veille à la bonne conduite des membres de l'AN, tout cela visant à protéger nos « valeurs ». Pourtant, le gouvernement de la Coalition avenir Québec a refusé à maintes reprises de condamner le gouvernement d'Israël pour le génocide qu'il commet impunément contre le peuple palestinien. Il a refusé de répondre aux appels d'exiger un cessez-le-feu. Cela n'est pas considéré comme une approbation de la promotion de la haine dans les circonstances actuelles, pas plus que son refus de fermer la mission du Québec en Israël malgré la fermeture du bureau du Québec à Cuba sous le prétexte d'un manque de fonds pour le maintenir. Le gouvernement Legault accuse constamment les travailleurs du secteur public d'être à l'origine de la crise du système de santé, dans une tentative évidente de susciter l'opposition de la population à leur égard, mais cela non plus n'est pas considéré comme une forme d'incitation à la haine contre une partie de la population, une incitation à la division du corps politique.

En incitant eux-mêmes à la division de la société sur toutes les bases imaginables et en accusant les autres de « haine » et d'« extrémisme », le gouvernement et ses compagnons de route cherchent à détourner l'attention du fait qu'ils représentent une frange politique qui adopte des positions extrémistes avec leurs multiples stratagèmes pour payer les riches, avec leurs coupures dans les programmes sociaux et la privatisation des programmes sociaux, de la fonction publique, des forces policières et ainsi de suite. L'élite dirigeante s'affaire sans relâche à détourner l'attention du mécontentement, de la méfiance et de l'opposition croissants de la population à l'égard de ce système dominé par les partis, appelé démocratie représentative.

Une autre façon d'aborder la question de la lutte contre les discours incitant à la haine et à la violence est de dire que l'Internet et les médias sociaux sont des « incubateurs » pour ce type de discours. Et pourtant il peut être démontré que l'incubation se fait dans les girons de l'État, de ses agences de renseignement et d'intérêts privés. Le DGEQ affirme que l'avènement des plateformes numériques a entraîné « des défis complexes, notamment par rapport à la fiabilité, à la qualité et à l'égalité de l'information » que reçoit l'électorat. Il appelle à des mesures pour limiter la liberté d'expression sur les médias sociaux mais, encore là, il ne dit rien sur les intérêts privés qui sont à la base des problèmes sur ce front également.

Sur les médias sociaux, il y a très peu de responsabilité. Vous pouvez utiliser un faux nom, vous pouvez écrire des choses que vous ne diriez pas en personne ou qui peuvent être interprétées de différentes manières parce que le contexte et les références ne sont pas toujours évidents. C'est ce qui se passe lorsqu'on permet aux gouvernements et aux cartels d'abaisser le niveau du discours politique à celui de batailles de ruelle où ils s'en tirent en toute impunité avec la promotion de discours de haine et d'incitation à la violence. Cela fait partie de la réalité qui accompagne cette nouvelle technologie, ce nouvel outil de communication que nous devons maîtriser et qui ne peut être exclu de l'équation lorsqu'on discute des mesures à prendre contre les discours haineux et l'extrémisme violent. La classe dirigeante a créé un environnement qui repose sur l'anarchie et la violence et qui crache la haine contre celles et ceux qu'elle ne peut contrôler.

Les jeunes générations prennent la responsabilité et se concertent pour humaniser l'environnement naturel et social afin qu'il soit adapté à l'être humain et à toutes les espèces de la flore, de la faune et de la vie. Ceux qui ont un but dans la vie sont tout à fait capables de séparer le bon grain de l'ivraie, de s'éduquer les uns les autres, de se soutenir mutuellement et de fixer des règles qui favorisent le type de monde auquel ils aspirent.

L'illusion donnée est que le problème dans l'espace politique est le comportement d'individus malveillants et corrompus parmi nous, et non les dirigeants corrompus qui servent leurs intérêts et défendent par tous les moyens un système politique qui préserve leurs positions de pouvoir et de privilège. Ces élites appliquent cette politique intéressée lorsqu'il s'agit d'éradiquer la corruption. Lors de la Commission Charbonneau, établie pour enquêter sur la corruption dans l'industrie de la construction, ce ne sont pas les méga entreprises de corruption qui ont été accusées de corruption, mais quelques individus de moindre envergure qui ont été incités à accepter des pots-de-vin en leur nom. Le Parti marxiste-léniniste écrivait à l'époque : « De nos jours, le problème est que l'élite dominante corrompt tous les organes du pouvoir d'État en s'attaquant à l'autorité publique, et seuls restent les pouvoirs policiers. Tout cela sert des intérêts monopolistes privés, pas l'intérêt des citoyens. »

Cela montre que ce qui est nécessaire, c'est la politisation du corps politique, qui permet de résoudre ces problèmes d'une manière qui affirme le droit de parole et d'association de chacun. La multiplication des mesures de censure est très coûteuse et conduit finalement à la création d'un État policier. C'est le discours officiel qui reste la première source d'incitation à la haine et à la violence, et non des individus isolés ou leurs organisations.

Tant que les citoyens ne seront pas au centre de la résolution des problèmes qui les concernent, sur la base de leur propre expérience et de celle de leurs collectifs et de la société dans son ensemble, les problèmes continueront de grossir et avec eux les dangers.


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Volume 54 Numéro 23 - 28 mars 2024

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