Non à la criminalisation des demandeurs d'asile

Le premier ministre du Québec blâme les demandeurs d'asile pour les manquements de son gouvernement en matière de logement, d'éducation et de services

Pour la deuxième année consécutive, le premier ministre du Québec, François Legault, a écrit une lettre au premier ministre Trudeau, dans laquelle il accuse les demandeurs d'asile d'être à l'origine du manque de logements à Montréal et de mettre à mal l'éducation et les autres services que son gouvernement est responsable de fournir à tous les Québécois.

Il écrit dans sa lettre du 17 janvier :  « Nous nous occupons des demandeurs d'asile qui frappent à notre porte avec toute l'humanité qui nous caractérise. Nous les aidons à trouver un logement, à se nourrir, à bien s'intégrer à notre société en leur donnant accès à des cours de français. Nous les soignons, nous scolarisons leurs enfants. Les Québécois sont très fiers de cela. »

« Malheureusement, nous sommes très près du point de rupture en raison du nombre excessif de demandeurs d'asile qui arrivent au Québec, mois après mois. La situation est devenue insoutenable », a-t-il déclaré. Ce que les Québécois considèrent comme insoutenable, c'est le fait que ni le gouvernement fédéral ni le gouvernement du Québec ne finance le droit au logement et à l'éducation au niveau nécessaire pour garantir ces droits, alors qu'ils financent plutôt les stratagèmes pour payer les riches et alimenter la machine de guerre américaine.

En 2022, le premier ministre Legault informe que « le Québec a accueilli plus de demandeurs d'asile que le reste du Canada réuni. Depuis le début de l'année 2023, le Québec a accueilli près de la moitié de tous les demandeurs d'asile arrivés au Canada. Sur une base par habitant, le Québec a accueilli trois fois plus que le reste du Canada.  Face à des nations comparables, le Québec figure en haut de la liste de ceux  qui accueillent le plus de demandeurs d'asile en proportion de sa population ».

Rappelant la fermeture du chemin Roxham en mars 2023, le premier ministre fait remarquer qu'elle n'a permis qu'une réduction momentanée du flux constant de demandeurs d'asile. Peu de temps après, les arrivées par avion en provenance d'autres pays ont continué à s'accentuer, dit-il. « Le nombre de personnes qui arrivent avec un visa de visiteur et déposent une demande est également en augmentation importante. Seulement en novembre dernier, près de 6000 nouveaux demandeurs d'asile ont été enregistrés au Québec. » Cette fermeture a été largement contestée, car elle était injuste et mettait encore plus en danger la vie des réfugiés.

Le premier ministre ensuite informe que durant les deux dernières années, le Québec a reçu plus de 120 000 demandeurs d'asile et que l'arrivée d'un si grand nombre « génère une pression très importante ». Il a dit que cela « fait en sorte que les demandeurs d'asile ont du mal à se trouver un toit, ce qui contribue à accentuer la crise du logement. Nombre d'entre eux se retrouvent dans les refuges pour sans-abris, qui débordent. D'autres sont en situation d'itinérance, ce qui aggrave un problème déjà aigu, particulièrement en hiver.  À nouveau, les organismes qui accueillent et accompagnent les demandeurs d'asile ne suffisent plus à la tâche et demandent de l'aide, tel que ce fut le cas l'an dernier, au plus fort de la crise du chemin Roxham. » Les solutions à la crise du logement sont bien connues et proposées par de nombreuses organisations sur ce front, y compris des mesures minimales telles que le financement par le gouvernement de la construction de logements abordables, l'utilisation d'espaces de bureaux et d'hôtels vides, etc. Au lieu de cela, les réfugiés sont blâmés.

« Nos écoles débordent, alors que nous manquons déjà cruellement d'enseignants et de locaux pour accueillir ces milliers d'enfants qui, pour la majorité, ne parlent pas français. Seulement pour l'année scolaire actuelle, nous avons ouvert près de 1150 classes d'accueil, l'équivalent d'une cinquantaine d'écoles primaires, dont une partie non négligeable pour franciser et fournir l'accompagnement approprié aux enfants des demandeurs d'asile. Afin de subvenir à leurs besoins dans l'attente d'un permis de travail, les demandeurs d'asile reçoivent également une aide financière de dernier recours du Québec. En octobre dernier, quelque 43 200 demandeurs d'asile recevaient 33 millions $. Les demandeurs d'asile constituent maintenant 16 % des prestataires de l'aide de dernier recours. »

Le premier ministre exprime également une inquiétude particulière à l'égard des ressortissants mexicains qui, selon lui, représentent une proportion croissante des demandeurs d'asile, ajoutant que la possibilité d'entrer au Canada sans visa y est certainement pour quelque chose. Il déclare ensuite que les aéroports, en particulier ceux de Toronto et de Montréal, sont en train de devenir des « passoires » et qu'« il est temps d'agir ».

Pas un mot sur les conditions de vie des populations du Mexique et d'autres pays, qui découlent des agissements des États-Unis et du Canada. Rien sur leur sécurité, sur l'oppression violente et sur la fomentation de guerres de la drogue et de cartels par les États-Unis à la frontière sud du pays. Le premier ministre écrit plutôt qu'il estime que « les relâchements sur les politiques de visas présentent des risques d'ouvrir des brèches utilisées par des groupes criminalisés, qui posent de sérieux enjeux de sécurité pour le Québec et le Canada ».

Rappelant que la responsabilité des demandeurs d'asile, de la frontière et de l'octroi des visas relève de la compétence fédérale, le premier ministre dit au premier ministre Trudeau : « Vous avez donc la responsabilité de freiner et de diminuer l'afflux de demandeurs d'asile au Canada.  Vous avez aussi, comme gouvernement canadien, le devoir et la responsabilité de répartir équitablement les demandeurs d'asile sur l'ensemble du territoire. » Il dit que « le Québec n'est plus en mesure d'accueillir une part » aussi « disproportionnée ».

« Vous avez également la responsabilité de compenser le Québec financièrement. Les Québécois, qui font déjà des efforts extraordinaires pour s'occuper des demandeurs d'asile avec le plus d'humanité possible, ne peuvent pas supporter un fardeau financier complètement disproportionné à l'échelle canadienne. Le Québec s'attend à ce que le gouvernement fédéral lui rembourse les 470 millions $ encourus pour les années 2021 et 2022 et qu'il fasse de même pour les années subséquentes. »

Le premier ministre Legault a ensuite demandé officiellement au premier ministre Trudeau de freiner et de réduire l'afflux de demandeurs d'asile au Canada en resserrant la politique de son gouvernement en matière de visas, en répartissant équitablement les demandeurs d'asile à travers le Canada en fonction des capacités d'accueil, comme cela a été fait en 2023 avec les demandeurs d'asile du chemin Roxham, par exemple en les transportant par bus vers d'autres provinces, en comblant toutes les lacunes permettant aux groupes criminels d'infiltrer le Canada et en remboursant le Québec pour les dépenses encourues pour l'accueil des demandeurs d'asile.

On y voit à la fois les conflits d'autorité entre le Québec et le gouvernement fédéral et la réalité que ni l'un ni l'autre n'a de solutions pour les conditions décrites, qu'il s'agisse des réfugiés, du logement ou de l'éducation. Loin de tenir les gouvernements responsables à tous les niveaux, les gens sont à nouveau blâmés, et la « sécurité » est invoquée comme justification.

Le fait de transporter les migrants d'un endroit à l'autre, comme c'est également le cas aux États-Unis, ne sert qu'à accroître les conflits entre les autorités provinciales et fédérales, tout en ne faisant pas grand-chose pour aider les réfugiés. Les Québécois, connus pour leur hospitalité et leur esprit d'accueil, exigent et luttent au contraire pour que les droits de tous soient respectés.

Le premier ministre se fait l'écho de la position des Québécois, mais utilise ensuite l'excuse éculée du « manque d'argent » : « Il s'agit d'une affaire urgente et de la plus haute importance, qui doit être résolue dans son ensemble. Nous avons l'obligation de traiter avec humanité et dignité les personnes qui cognent à nos portes pour se réfugier chez nous. Cependant, nos ressources ne sont pas infinies et sont étirées au maximum. N'attendons pas que la situation s'aggrave avant d'agir. »


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Volume 54 Numéro 14 - 28 février 2024

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