À titre d'information

Sur l'arrêt de la Cour internationale de justice

La Cour internationale de justice (CIJ) a rendu le 26 janvier son arrêt sur la demande de mesures conservatoires présentée par l'Afrique du Sud pour mettre fin à la guerre d'Israël contre Gaza, dans le cadre de l'action intentée contre Israël en vertu de la Convention sur le génocide. La présidente de la CIJ, Joan Donoghue, a rendu l'ordonnance de 29 pages. L'arrêt reconnaît que la CIJ a la compétence, au titre de la Convention sur le génocide, d'appliquer des mesures conservatoires et d'entendre la cause. La juge rejette la demande d'Israël de rejeter l'affaire. Toutefois, la mesure conservatoire spécifique demandée par l'Afrique du Sud de mettre fin à la guerre génocidaire d'Israël contre Gaza n'a pas été accordée, à savoir que « l'État d'Israël doit immédiatement suspendre ses opérations militaires à et contre Gaza »[1]. La demande de cessez-le-feu est ce que le peuple palestinien réclame de toute urgence depuis octobre de l'année dernière, avec le soutien de tous ceux qui soutiennent les Palestiniens et leur résistance à l'occupation et aux crimes de guerre israéliens.

La juge Donoghue a commencé par rappeler les bases sur lesquelles l'Afrique du Sud a déposé sa plainte et le rejet par Israël de la plainte déposée contre elle. Elle écrit :

« La cour conclut que les éléments susmentionnés sont suffisants à ce stade pour établir prima facie l'existence d'un différend entre les Parties relatif à l'interprétation, l'application ou l'exécution de la convention sur le génocide. [...]

« Au stade actuel de la procédure, la Cour n'est pas tenue de déterminer si Israël a manqué à l'une quelconque des obligations lui incombant au titre de la convention sur le génocide.

« Une telle conclusion ne pourrait être formulée par la Cour qu'au stade de l'examen au fond de la présente affaire.

« Au stade d'une ordonnance sur une demande en indication de mesures conservatoires, la Cour doit établir si les actes et omissions dont le demandeur tire grief semblent susceptibles d'entrer dans les prévisions de la Convention sur le génocide.

« De l'avis de la Cour, au moins certains des actes et omissions que l'Afrique du Sud reproche à Israël à Gaza semblent susceptibles d'entrer dans les prévisions de la convention.

« À la lumière de ce qui précède, la Cour conclut que, prima facie, elle a compétence en vertu de l'article IX de la Convention sur le génocide pour connaître de l'affaire.

« Compte tenu de cette conclusion, la Cour considère qu'elle ne peut accéder à la demande d'Israël tendant à ce qu'elle raye l'affaire de son rôle. »

La juge cite plusieurs représentants et organismes des Nations unies responsables des conditions humanitaires en Palestine qui ont fait des évaluations de la situation désastreuse à Gaza. Elle cite également des responsables du gouvernement israélien qui ont tenté de justifier l'assaut à Gaza. « La Cour est d'avis que les faits et circonstances mentionnés ci-dessus suffisent pour conclure qu'au moins certains des droits que l'Afrique du Sud revendique et dont elle sollicite la protection sont plausibles », a-t-elle déclaré.

Elle a ensuite abordé la question de « la condition du lien entre les droits plausibles revendiqués par l'Afrique du Sud et les mesures conservatoires sollicitées ».

« La Cour considère que, par leur nature même, certaines au moins des mesures conservatoires demandées par l'Afrique du Sud visent à préserver les droits plausibles qu'elle invoque sur le fondement de la convention sur le génocide en la présente affaire, à savoir le droit des Palestiniens de Gaza d'être protégés contre les actes de génocide et les actes prohibés connexes visés à l'article III et le droit de l'Afrique du Sud de demander qu'Israël s'acquitte des obligations lui incombant au titre de la convention.

« En conséquence, il existe un lien entre les droits revendiqués par la demanderesse que la Cour a jugés plausibles et au moins certaines des mesures conservatoires sollicitées. »

La juge aborde ensuite la question du « risque de préjudice irréparable » et de l'urgence. Elle note :

« La Cour tient de l'article 41 de son Statut le pouvoir d'indiquer des mesures conservatoires lorsqu'un préjudice irréparable risque d'être causé aux droits en litige dans une procédure judiciaire ou lorsque la méconnaissance alléguée de ces droits risque d'entraîner des conséquences irréparables.

« Le pouvoir de la Cour d'indiquer des mesures conservatoires n'est toutefois exercé que s'il y a urgence, c'est-à-dire s'il existe un risque réel et imminent qu'un préjudice irréparable soit causé aux droits revendiqués avant que la Cour ne rende sa décision définitive.

« La condition d'urgence est remplie dès lors que les actes susceptibles de causer un préjudice irréparable peuvent 'intervenir à tout moment' avant que la Cour ne se prononce de manière définitive en l'affaire. [...] La Cour doit donc rechercher si pareil risque existe à ce stade de la procédure.

« La Cour n'a pas, aux fins de sa décision sur la demande en indication de mesures conservatoires, à établir l'existence de manquements aux obligations découlant de la Convention sur le génocide, mais doit déterminer si les circonstances exigent l'indication de telles mesures à l'effet de protéger des droits conférés par cet instrument. »

Après avoir défini le seuil à respecter pour appliquer des mesures conservatoires, la juge Donoghue cite divers responsables de l'ONU, notamment une lettre du secrétaire général au Conseil de sécurité décrivant la détérioration rapide de la situation à Gaza et l'exhortant à agir. Sur cette base, la CIJ conclut « que les conditions auxquelles son Statut subordonne l'indication de mesures conservatoires sont réunies » et rappelle qu'elle « estime que les mesures à indiquer n'ont pas à être identiques à celles qui sont sollicitées ».

« La Cour considère que, s'agissant de la situation décrite précédemment, Israël doit, conformément aux obligations lui incombant au titre de la Convention sur le génocide, prendre toutes les mesures en son pouvoir pour prévenir la commission, à l'encontre des Palestiniens de Gaza, de tout acte entrant dans le champ d'application de l'article II de la convention, en particulier les actes suivants : a) meurtre de membres du groupe, b) atteinte grave à l'intégrité physique ou mentale de membres du groupe, c) soumission intentionnelle du groupe à des conditions d'existence devant entraîner sa destruction physique totale ou partielle, et d) mesures visant à entraver les naissances au sein du groupe.

« La Cour rappelle que de tels actes entrent dans le champ d'application de l'article II de la convention lorsqu'ils sont commis dans l'intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe comme tel.

« La Cour considère également qu'Israël doit veiller, avec effet immédiat, à ce que son armée ne commette aucun des actes visés ci-dessus.

« La Cour considère également qu'Israël doit prendre toutes les mesures en son pouvoir pour prévenir et punir l'incitation directe et publique à commettre le génocide à l'encontre des membres du groupe des Palestiniens de la bande de Gaza.

« En outre, la Cour est d'avis qu'Israël doit prendre sans délai des mesures effectives pour permettre la fourniture des services de base et de l'aide humanitaire requis de toute urgence afin de remédier aux difficiles conditions d'existence auxquelles sont soumis les Palestiniens de la bande de Gaza.

« Israël doit aussi prendre des mesures effectives pour prévenir la destruction et assurer la conservation des éléments de preuve relatifs aux allégations d'actes entrant dans le champ d'application des articles II et III de la Convention sur le génocide commis contre les membres du groupe des Palestiniens de la bande de Gaza.

« S'agissant de la mesure conservatoire sollicitée par l'Afrique du Sud tendant à ce qu'Israël lui soumette un rapport sur toutes les mesures qu'il aura prises pour donner effet à la présente ordonnance, la Cour rappelle qu'elle a, comme cela est reflété à l'article 78 de son Règlement, le pouvoir de demander aux parties des renseignements sur toutes questions relatives à la mise en oeuvre de mesures conservatoires indiquées par elle.

« Au vu des mesures spécifiques qu'elle a décidé d'indiquer, elle estime qu'Israël doit lui fournir un rapport sur l'ensemble des mesures qu'il aura prises pour exécuter la présente ordonnance dans un délai d'un mois à compter de la date de celle-ci.

« Le rapport ainsi fourni sera ensuite communiqué à l'Afrique du Sud, qui aura la possibilité de soumettre à la Cour ses observations à son sujet.

« La Cour rappelle que ses ordonnances indiquant des mesures conservatoires au titre de l'article 41 du Statut ont un caractère obligatoire et créent donc des obligations juridiques internationales pour toute partie à laquelle ces mesures sont adressées. »

Pour consulter l'intégralité de la décision de la CIJ, cliquez ici.

Pour consulter le discours de la juge Donoghue, cliquez ici.

Note

1. Voici la liste des mesures conservatoires demandées par l'Afrique du Sud.

1) L'État d'Israël doit suspendre immédiatement ses opérations militaires à et contre Gaza.

2) L'État d'Israël doit veiller à ce qu'aucune unité militaire ou unité armée irrégulière qui agirait sous sa direction, avec son appui ou sous son influence, ainsi qu'aucune organisation ou personne qui se trouverait sous son contrôle, sa direction ou son influence, n'entreprenne une quelconque action visant à poursuivre les opérations militaires mentionnées au point 1) ci-dessus.

3) La République sud-africaine et l'État d'Israël doivent, conformément aux obligations que leur fait la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, prendre chacun, en ce qui concerne le peuple palestinien, toutes les mesures raisonnables en leur pouvoir pour prévenir le génocide.

4) L'État d'Israël doit, conformément aux obligations lui incombant au titre de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, en ce qui concerne le peuple palestinien en tant que groupe protégé par ladite convention, s'abstenir de commettre l'un quelconque des actes visés à l'article II de la convention, en particulier :

a) le meurtre de membres du groupe;

b) les atteintes graves à l'intégrité physique ou mentale de membres du groupe;

c) la soumission intentionnelle du groupe à des conditions d'existence devant entraîner sa destruction physique totale ou partielle; et

d) les mesures visant à entraver les naissances au sein du groupe.

5) L'État d'Israël doit, en application du point 4) c) ci-dessus, en ce qui concerne les Palestiniens, s'abstenir de commettre l'un quelconque des actes ci-après, et prendre toutes les mesures en son pouvoir pour en prévenir la commission, y compris l'annulation des ordres et mesures de restriction ou d'interdiction pertinents :

a) expulser les populations de chez elles et les déplacer de force;

b) priver les populations :

i) d'un accès approprié à l'eau et à la nourriture;

ii) d'un accès à l'aide humanitaire, notamment en ce qui concerne les besoins en combustible, abris, vêtements, hygiène et assainissement;

iii) d'une assistance et de fournitures médicales; et

c) détruire la vie palestinienne à Gaza.

6) L'État d'Israël doit, en ce qui concerne les Palestiniens, veiller à ce qu'aucune de ses unités militaires, aucune unité armée irrégulière ou personne qui agirait sous sa direction, avec son appui ou en étant d'une autre manière influencée par lui, et aucune organisation ou personne qui se trouverait sous son contrôle, sa direction ou son influence ne commette l'un quelconque des actes visés aux points 4) et 5) ci-dessus ou ne se livre à un quelconque acte constitutif d'incitation directe et publique à commettre le génocide, d'entente en vue de commettre le génocide, de tentative de génocide ou de complicité dans le génocide, et veiller à ce que, si de tels actes sont commis, des mesures soient prises pour en punir les auteurs, conformément aux articles premier, II, III et IV de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide.

7) L'État d'Israël doit prendre des mesures effectives pour prévenir la destruction et assurer la conservation des éléments de preuve relatifs aux allégations d'actes relevant de l'article II de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide; à cette fin, il doit s'abstenir de refuser ou de restreindre l'accès à Gaza des missions d'établissement des faits, des titulaires de mandats internationaux et d'autres organismes chargés d'aider à la protection et à la conservation desdits éléments de preuve.

8) L'État d'Israël doit soumettre à la Cour un rapport sur l'ensemble des mesures qu'il aura prises pour donner effet à l'ordonnance en indication de mesures conservatoires, dans un délai d'une semaine à compter de la date de celle-ci, puis à intervalles réguliers, tels que fixés par la Cour, jusqu'à ce qu'une décision ait été définitivement rendue en l'affaire.

9) L'État d'Israël doit s'abstenir de commettre, et faire en sorte de prévenir, tout acte susceptible d'aggraver ou d'étendre le différend porté devant la Cour ou d'en rendre le règlement plus difficile.

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