Le rapport spécial sur l'ingérence étrangère navigue en eaux troubles
En mars, le Comité des parlementaires sur la sécurité nationale et le renseignement (CPSNR) a remis au premier ministre Justin Trudeau un rapport classifié intitulé Rapport spécial sur l'ingérence étrangère dans les processus et les institutions démocratiques du Canada. La version caviardée a été publiée en juin. Elle correspond au rapport préliminaire de l'enquête publique sur l'ingérence étrangère, publié un mois plus tôt, sauf pour une allégation particulière. Le rapport indiquait que le CPSNR a vu « des renseignements inquiétants selon lesquels certains parlementaires sont, aux dires des services du renseignement, des participants mi consentants ou volontaires aux efforts d'ingérence des États étrangers dans la politique du pays ».
Ce rapport s'appuie sur quelque 4 000 documents totalisant plus de 33 000 pages provenant du Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS), du Centre de la sécurité des télécommunications (CST), de la GRC, de la Sécurité publique, d'Affaires mondiales Canada et du Bureau du Conseil privé. Les mêmes documents ont été fournis à l'Enquête publique sur l'ingérence étrangère, mais celle-ci n'a pas conclu à l'existence de tels parlementaires. La Chambre des communes a adopté une motion renvoyant la question à la commissaire à l'enquête publique, la juge Marie-Josée Hogue, pour qu'elle l'examine, ce qu'elle a accepté de faire. Elle n'a pas tenté d'expliquer comment il se fait que son enquête n'a pas soulevé les mêmes allégations.
Depuis lors, le rapport continue de susciter des controverses. Certains députés et commentateurs politiques ont demandé que « des noms soient cités », tandis que d'autres ont reconnu que cela constituerait une violation de la procédure régulière. La nature des « renseignements » a elle-même été remise en question, puisque Elizabeth May, cheffe du Parti vert du Canada, et Jagmeet Singh, chef du NPD, ont reçu la cote de sécurité nécessaire leur permettant de lire la version classifiée et en ont tiré des conclusions tout à fait différentes. Elizabeth May a conclu qu'il n'y avait pas lieu de s'alarmer, tandis que Jagmeet Singh a dit exactement le contraire. Étant donné que les deux, tout comme les membres du CPSNR, sont tenus au secret, les Canadiens n'ont aucune idée de comment ils sont parvenus à ces conclusions opposées.
Toutes ces interprétations contradictoires de la part de personnes ayant accès à des rapports hautement confidentiels en disent long sur la nature des secrets d'État. Il faut garder à l'esprit que les secrets d'État ont pour objectif de protéger les sources de renseignements et les méthodes opérationnelles de l'État. Tant que les Canadiens ne seront pas informés des détails des menaces présumées, les affirmations du SCRS et du CST selon lesquelles les personnes qu'ils espionnent et les pistes sur lesquelles ils enquêtent constituent une menace pour la « sécurité du Canada » doivent être acceptées aveuglément comme des faits. Les services de renseignement sont autorisés à mener ces enquêtes s'ils ont des « motifs raisonnables de croire » qu'une personne ou une organisation mène ou est soupçonnée de mener des activités qui pourraient constituer une « menace pour la sécurité du Canada ».
Cette approche ne repose pas sur une définition de la
sécurité
du Canada ni sur des preuves factuelles, mais sur des «
motifs
raisonnables de croire » et des « probabilités
».
Elle a donné lieu à la perpétration de crimes horribles
contre
des Canadiens, comme dans le cas de Maher Arar, où les
preuves
alléguées étaient en fait des croyances erronées et des
probabilités. Et le cas de Maher Arar est loin d'être le
seul.
Dès lors que les théories du complot sont admises comme
base de
jugement, l'état de droit n'existe plus.
La création du SCRS en 1984 séparait la collecte de renseignements et l'application de la loi par la police afin d'empêcher que les renseignements, avant d'être transformés en preuves, soient utilisés à des fins policières. Néanmoins, le projet de loi C-51, la Loi antiterroriste de 2015, du gouvernement conservateur, autorisait le SCRS à « prendre des mesures raisonnables et proportionnées pour réduire les menaces ». Le SCRS a été habilité à s'adresser à un tribunal pour obtenir l'autorisation pour ses agents de violer les droits garantis par la Charte. Grâce à ces « pouvoirs perturbateurs de réduction de la menace », le SCRS peut recourir aux mêmes « méfaits » que la GRC, comme son infâme incendie d'une grange pour empêcher une prétendue réunion du FLQ ou la falsification de déclarations de revenus pour discréditer les dirigeants politiques et semer le chaos, comme elle l'a fait dans le cas de Hardial Bains, fondateur et chef du Parti communiste du Canada (marxiste-léniniste).
Le projet de loi C-51 s'est heurté à une large opposition et est devenu un enjeu central de l'élection fédérale 2015. Des manifestations et des campagnes de protestations ont eu lieu partout au pays pour demander son abrogation. Les libéraux ont promis qu'ils modifieraient la loi, mais une fois élus l'ont modifiée uniquement pour donner un vernis de « procédure régulière » aux « pouvoirs perturbateurs » du SCRS, qui ont été confirmés par le projet de loi C-59, la Loi sur la sécurité nationale de 2017, et ont habilité divers organismes à examiner l'exercice de ces pouvoirs. Les libéraux ont également élargi le pouvoir du CST de mener des « cyberopérations actives [...] dans l'infrastructure mondiale de l'information ou au moyen de celle-ci afin de réduire, d'interrompre, d'influencer ou de contrecarrer, selon le cas, les capacités, les intentions ou les activités de tout étranger ou État, organisme ou groupe terroriste étrangers, dans la mesure où ces capacités, ces intentions ou ces activités se rapportent aux affaires internationales, à la défense ou à la sécurité, ou afin d'intervenir dans le déroulement de telles intentions ou activités ». Le projet de loi C-59 a reçu la sanction royale en juin 2019.
Manifestation sur la colline du Parlement, le 14 mars
2015,
contre le projet de loi C-51
En 2015, les « mesures de réduction de la menace » introduites dans le projet de loi C-51 ont été adoptées au nom de la lutte contre le terrorisme. En 2017, lorsque les libéraux ont confirmé et élargi l'utilisation des « mesures de réduction de la menace », l'objectif de combattre l'ingérence étrangère et de défendre la démocratie canadienne était la raison d'être.
Plus récemment, le projet de loi C-70, la Loi concernant la lutte contre l'ingérence étrangère, a conféré au SCRS le pouvoir de communiquer ses renseignements à des entités extérieures à l'État et à des agences gouvernementales, ce qui constitue une autre forme de pouvoir de perturbation.
Tous ces pouvoirs accordés aux agences d'espionnage reviennent à donner à la police le droit de mener des opérations perturbatrices pendant les élections – un théâtre vivant pour elles – qui seront ensuite, selon toute vraisemblance, imputées à la Russie, à la Chine, à des pirates informatiques malveillants, etc. À l'Enquête publique sur l'ingérence étrangère, le SCRS a indiqué que depuis 2019, il avait utilisé ses pouvoirs de perturbation contre ce qu'il considérait comme une ingérence étrangère à neuf reprises. Évidemment, il n'a pas dit ce qu'il a fait, avec qui et pourquoi.
Selon un examen après coup de l'Office de surveillance
des
activités en matière de sécurité nationale et de
renseignement
sur l'utilisation des pouvoirs de perturbation par le
SCRS,
l'agence d'espionnage a utilisé des « tiers » non
identifiés dans certains cas. Le rapport indique que le
SCRS n'a
pas évalué l'impact de ces mesures sur les victimes,
elles aussi
non identifiées. Le rapport indique que le SCRS n'a pas
reconnu
que « [caviardé] peut avoir des répercussions importantes
et
durables sur le sujet et ses familles. Par exemple, les
mesures
qui ont une incidence sur [caviardé] nuisent à [caviardé]
...
les difficultés connexes peuvent affecter la dignité
inhérente
du sujet. Les normes de notre démocratie libérale dictent
que
les gens devraient pouvoir [caviarder]. »
Voilà pour ce qui est de la possibilité pour les
Canadiens de
comprendre ce que le SCRS a fait avec ses « mesures de
réduction
de la menace ».
L'ensemble de cet exercice constitue un abus flagrant
des
pouvoirs de police et de l'impunité au nom de la défense
de la
démocratie. Dire que cela constitue une obstruction à la
tenue
d'un vote éclairé c'est affirmer une évidence, sans
parler de
l'obstruction que cela représente pour les citoyens, les
résidents permanents et les autres personnes qui exercent
leurs
droits à la liberté d'expression, de conscience et
d'association. L'anarchie a été élevée au rang d'autorité
et ce
que les institutions qu'on dit démocratiques ont été
sapées de
l'intérieur, et non pas à la suite d'une ingérence
étrangère.
Telle est la vérité dans cette affaire.
L'atmosphère d'anarchie et de chaos n'est clairement pas propice à un discours politique sérieux entre pairs ! Personne ne peut être tenu responsable de quoi que ce soit. Pourquoi confier aux espions et à la police politiques la responsabilité de l'information, avec le pouvoir d'attaquer les opinions et aux individus qui, selon eux, minent ce qu'ils appellent les institutions démocratiques libérales ? Qu'y a-t-il de libéral dans ces institutions qui mettent la police aux commandes ? Qu'ont-elles de démocratiques ? C'est une voie qui ne fera qu'aggraver le chaos qui existe déjà, dans lequel des accusations et des contre-accusations d'ingérence dans le processus électoral et les élections domineront les ondes pour créer de l'anxiété et du consentement.
Il ne s'agit pas seulement de dissimuler qui paie qui pour espionner qui. Plus important encore, il est déplorable de prétendre que les pouvoirs de perturbation et l'implication des dirigeants des partis politiques pour garder des secrets d'État contrôleront l'espionnage, le contre-espionnage, le piratage et le contre-piratage et la vente de systèmes de cryptage de plus en plus puissants. La concurrence entre les géants des télécommunications et pour les sources de capital d'investissement dans le domaine de l'intelligence artificielle, et qui récolte les bénéfices de ce piratage et contre-piratage et de la vente de systèmes de cryptage toujours plus puissants, ne peut pas être à la fois libre et entravée. Cela montre l'état lamentable de ce que l'on appelle les institutions démocratiques libérales que les pouvoirs de police sont censés protéger contre la subversion.
Le renard s'est proclamé responsable du poulailler et nous devons croire que c'est pour protéger les poules ! Il va sans dire que les Canadiens ne sont pas des poules et qu'ils n'ont pas l'intention d'être dévorés. Les conditions de vie montrent avec certitude que ces mesures sonnent le glas d'un processus électoral dit « libre et équitable », mais qui porte au pouvoir des partis cartellisés en les amener à former des gouvernements qui sont censés avoir le consentement des gouvernés. Les Canadiens doivent faire quelque chose à ce sujet.
Ces mesures font également partie intégrante de la militarisation de tous les aspects de la vie qui rend les peuples du monde vulnérables aux dangers de guerres de destruction et de génocide plus grandes que celles déjà en cours sous l'égide des forces dirigées par les États-Unis/OTAN et des forces américano-sionistes. Cela s'explique par le fait que les produits de l'intelligence artificielle ne sont pas utilisés pour humaniser l'environnement social et naturel, mais pour le génocide et la guerre au service des ambitions de domination mondiale des États-Unis.
Le peuple canadien peut arrêter cela. Un bon premier pas est de dénoncer l'idée de confier à la police la responsabilité des élections pour s'attaquer à l'ingérence étrangère dans le processus électoral, pour protéger nos infrastructures, ou notre capacité à participer au discours démocratique ou à élire un gouvernement de notre choix.
Cet article est paru dans
Volume 54 Numéro 9 - Septembre 2024
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