La Loi 51, Loi modernisant l'industrie de la construction
Les travailleurs de la construction s'opposent à ce que leurs conditions de travail soient soumises aux intérêts privés et défendent leur dignité
Le 1er février, Jean Boulet, ministre du Travail, a déposé le projet de loi 51 Loi modernisant l'industrie de la construction, à l'Assemblée nationale. Le 23 mai, le projet de loi était adopté et sanctionné le 28 mai.
Le document final contient 24 pages et modifie 3 lois et 7 règlements. Trente-et-un mémoires ont été déposés à la Commission de l'économie et du travail. Une majorité provenait des corps de métiers de la construction. Vingt organisations ont été entendues lors des consultations particulières et auditions publiques à la mi-mars.
La Loi 51 fait partie de l'intensification des actions du gouvernement permettant d'aller plus loin dans la restructuration de l'État québécois visant à mettre ses ressources humaines et naturelles au plein contrôle d'intérêts privés, en plus de permettre la criminalisation des citoyens exprimant leur opposition.
Déjà en mai 2023, le ministre Boulet avait tenu une conférence organisée par la Chambre de commerce de Montréal mettant l'emphase sur ces objectifs :
- moderniser les pratiques de l'industrie;
- augmenter la productivité sur les chantiers;
- développer des solutions favorisant la rétention de la main-d'oeuvre et l'ajout des salariés issus de groupes sous-représentés;
- hausser l'efficacité globale de l'industrie.
Avec la Loi 51, le gouvernement s'attaque de plein fouet aux travailleurs de la construction pour imposer une plus grande mobilité de la main-d'oeuvre, accroître la polyvalence des travailleurs, c'est-à-dire faciliter et augmenter l'embauche de travailleurs non formés sur les chantiers, saper les normes de sécurité sur ceux-ci et affaiblir toujours plus les organisations de défense des travailleurs. Tout cela est fait au nom d'accroître la productivité et l'efficacité dans l'organisation du travail pour répondre aux exigences des entreprises privées.
Les nombreux mémoires et interventions lors des consultations faites par les représentants de différents corps de métier de la construction et leur organisation syndicale se sont opposés à la thèse du gouvernement que l'ouverture des bassins de la main d'oeuvre, l'introduction de la polyvalence de ceux-ci et l'embauche de travailleurs non formés équivalent à une meilleure productivité et efficacité. C'est la compétence professionnelle qui est garante d'efficacité, d'efficience et de productivité dans l'industrie de la construction, augmentant la sécurité au travail, ont-ils répété et répété.
On se souviendra de la lutte des grutiers du Québec du 2018 qui s'étaient opposé à la décision de la Commission de la construction du Québec (CCQ) et du gouvernement d'abolir l'exigence qu'un grutier obtienne un Diplôme d'études professionnelles (DEP) pour opérer une grue. Le DEP avait été établi comme un programme rigoureux de formation de 870 heures donné par des instructeurs professionnels qui avait réduit de beaucoup les accidents dans le secteur. Le gouvernement a imposé la mise sur pied à sa place d'un programme de formation de 150 heures qui se donne directement sur les chantiers et qui est sous la responsabilité des employeurs[1].
Polyvalence des travailleurs
La notion de polyvalence est introduite aux articles 80, 81 et 82 de la Loi 51 en modifiant le Règlement sur la formation professionnelle de la main-d'oeuvre de l'industrie de la construction[2]. À l'article 79, le gouvernement modifie ce règlement par l'insertion, à la fin de la définition d'« activité partagée », de « ou selon le cas, par un titulaire d'un certificat de compétence-occupation, lorsque cela est prévu à l'annexe E et dans la mesure prévue à cette annexe ».
Il existe trois types de certificat de compétence : il y a compétence-occupation, compétence-apprenti et compétence-compagnon.
L'article 80 de la Loi, le paragraphe suivant est ajouté à la fin de l'article 4 du Règlement :
« La personne qui exerce une occupation est également autorisée à exercer une activité partagée lorsque cela est prévu à l'annexe E et dans la mesure prévue à cette annexe. Lorsqu'elle exécute une activité partagée, cette personne est réputée exercer dans son titre occupationnel. ».
L'article 81 modifie le règlement en insérant, après l'article 4 :
« 4.0.1. Malgré l'article 4, un compagnon peut exercer une tâche non comprise dans la définition de l'annexe A qui s'applique à son métier lorsque cette tâche s'inscrit dans le respect du principe de polyvalence dans l'organisation du travail.
« Constitue de la polyvalence le fait d'exercer des tâches qui satisfont à l'ensemble des conditions suivantes :
1 ces tâches sont reliées à celles prévues à la définition du métier de ce compagnon;
2 elles s'inscrivent dans une même séquence de travail et permettent l'avancement des travaux, incluant ceux de préparation et de finition;
3 elles sont de courte durée dans une journée de travail.
« Le principe de polyvalence n'est pas applicable à l'opération de grues de tout genre ainsi qu'aux travaux relatifs à la stabilité ou à la capacité portante d'une structure. Il ne s'applique pas non plus aux tâches relevant des métiers d'électricien, de tuyauteur, de mécanicien en protection-incendie, de frigoriste ou de mécanicien d'ascenseurs. ».
L'article 82 de la Loi modifie le règlement en ajoutant le paragraphe suivant à la fin de l'article 5.8 :
« Lorsque cela est prévu à l'annexe E et dans la mesure prévue à cette annexe, la personne titulaire d'un certificat de compétence-occupation valide qui a suivi et réussi la formation professionnelle reconnue par la Commission pour cette activité partagée est admissible à l'examen de qualification relatif à cette activité partagée. »
Comme plusieurs l'ont indiqué, un certificat de compétence-occupation est détenu par une personne qui n'a aucune pratique sur le terrain et le chantier. Elle a suivi une formation générale de la CCQ. C'est un fardeau de plus pour celui qui est compagnon ou apprenti et cela augmente les risques de danger à la sécurité des travailleurs et du public et laisse place à l'arbitraire des employeurs.
Et plus encore, comme l'a indiqué le mémoire de la FTQ et plusieurs autres corps de métier, « si l'entrée de main-d'oeuvre des non-diplômés par les ouvertures de bassins apparaît comme une solution à court terme, elle crée un grave problème à long terme sur le plan de la rétention de la main-d'oeuvre. La formation initiale est le socle du développement des compétences et elle est un facteur clé de la rétention de la main-d'oeuvre. Pour le métier de charpentier-menuisier, c'est 41 % des non-diplômés qui quittent après 5 ans, contre 21 % chez les diplômés. De manière générale, les données démontrent qu'un nouveau travailleur diplômé cumulera plus d'heures par année dans l'industrie qu'un travailleur non-diplômé. La CCQ démontre que plus les heures travaillées sont élevées dans la première année, plus le taux d'abandon diminue. »
Mobilité des travailleurs
Concernant la mobilité des travailleurs, le gouvernement élimine toute embûche à celle-ci. À compter du 1er mai 2025, le gouvernement met fin à toute clause d'une convention collective qui limite la mobilité de ceux-ci. C'est en fait un décret qui retire cet aspect des négociations sur leurs conditions de travail.
L'article 96 indique : « Cesse d'avoir effet, à compter du 1er mai 2025, toute clause d'une convention collective au sens de la Loi sur les relations du travail, la formation professionnelle et la gestion de la main-d'oeuvre dans l'industrie de la construction qui limite la mobilité des salariés pouvant être affectés partout au Québec en vertu d'un règlement pris en application du paragraphe 13 du premier alinéa de l'article 123.1 de cette loi ou qui restreint la liberté des employeurs d'embaucher de tels salariés. »
L'intervention accrue de l'État dans les relations de travail et les conventions collectives a été dénoncée. Le gouvernement ajoute d'ailleurs d'autres clauses en légiférant pour contrôler davantage les organisations concernées.
« 42.2. Au plus tard le premier jour du sixième mois qui précède la date d'expiration de la convention collective prévue à l'article 47, les associations de salariés représentatives, l'association sectorielle d'employeurs et l'association d'employeurs doivent transmettre par écrit aux autres parties leurs demandes, leurs offres ainsi que des propositions sur l'ensemble des matières pouvant faire l'objet des négociations.
« 42.3. Les négociations doivent commencer entre les associations de salariés représentatives et, selon leurs rôles respectifs, l'association sectorielle d'employeurs ou l'association d'employeurs, et elles doivent se poursuivre avec diligence et bonne foi. À cette fin, les associations peuvent convenir d'une structure et de modalités de négociation. »
Souci trompeur de la diversité
D'entrée de jeu, le gouvernement modifie la Loi R-20, Loi sur les relations du travail, la formation professionnelle et la gestion de la main-d'oeuvre dans l'industrie de la construction. Il introduit entre autres l'objectif d'améliorer l'offre de main-d'oeuvre dans l'industrie de la construction, notamment en mettant en place des mesures favorisant l'attraction et la rétention de ce qu'il appelle « la main-d'oeuvre représentative de la diversité de la société québécoise ou issue d'autres groupes sous-représentés dans l'industrie ».
Le gouvernement apporte diverses modifications relatives aux « femmes, à la diversité et aux groupes sous-représentés » dans a Loi 51, qui sont présentés comme des idéaux élevés pour dire qu'ils veulent attirer une main-d'oeuvre bon marché. Ces catégories sont définies comme « une personne autochtone, une personne appartenant à une minorité visible ou ethnique, un immigrant ou une personne handicapée ». En réponse, de nombreux représentants syndicaux insistent sur l'importance de la formation professionnelle à tous égards, quelle quel soit.
Nouvelle ingérence dans les relations de travail
Plus loin, à l'article 5, il crée un comité des relations du travail dans l'industrie de la construction dont le but est :
« 1. d'étudier toute question ayant trait aux relations du travail dans l'industrie de la construction et aux conditions de travail des salariés, à l'exception de celles relevant du conseil d'administration de la Commission, du Comité sur la formation professionnelle dans l'industrie de la construction ou du Comité sur les avantages sociaux de l'industrie de la construction;
« 2. d'échanger sur toute situation problématique vécue dans le cadre des relations du travail dans l'industrie de la construction ou sur toute mésentente portant sur l'un des sujets prévus à une convention collective, dans l'optique de prévenir ou de régler tout différend pouvant mener à un grief et, le cas échéant, d'informer la Commission de toute interprétation convenue concernant une clause d'une convention collective. »
Augmentation des mesures criminalisant l'opposition des travailleurs
Finalement, les différentes amendes prévues à la Loi sur les relations du travail, la formation professionnelle et la gestion de la main-d'oeuvre dans l'industrie de la construction sont augmentées, doublées voire triplées, et détaillées aux articles 26, 27, et 33 à 58. Les cas d'amendes possibles sont nombreuses, pour n'en mentionner que quelqu'uns :
« - Quiconque moleste, incommode ou injurie un membre ou un employé de la Commission dans l'exercice de ses fonctions, ou autrement met obstacle à tel exercice, commet une infraction et est passible d'une amende;
« - Quiconque tente de commettre une des infractions prévues dans la présente loi, ou aide, ou incite quelqu'un à commettre ou tenter de commettre une telle infraction commet une infraction et est passible de la peine prévue pour une telle infraction;
« - Quiconque ordonne, encourage ou appuie une grève, un ralentissement de travail ou un lock-out contrairement aux dispositions de la présente loi ou y participe est passible, s'il s'agit d'un employeur, d'une association, d'un membre du bureau ou d'un représentant d'une association, d'une amende de 9 556 $ à 95 543 $ pour chaque jour ou partie de jour pendant lequel cette grève, ce lock-out ou ce ralentissement existe et dans tous autres cas, d'une amende de 239 $ à 1 157 $ pour chaque jour ou partie de jour. »
La Loi 51 comporte de nombreuses autres caractéristiques notables. Il n'en demeure pas moins que l'objectif du ministre Boulet de « moderniser la Loi de la construction au Québec » a pour but de répondre aux exigences des intérêts privés et les plans de restructuration de l'État à leurs fins, dont ceux de satisfaire les besoins en infrastructure qui visent à une plus grande intégration aux corridors énergétiques et de commerce des États-Unis. Tout au long des consultations, les différents représentants des corps de métier de la construction ont défendu leur expertise, la dignité de leur travail, leur connaissance du milieu et les conditions nécessaires à la sécurité de tous. Même si la Loi est sanctionnée, cela ne les arrêtera pas de parler en leur propre nom pour défendre leurs droits, leur sécurité et celle de tout le peuple.
Notes
1. Voir « Actions inacceptables du gouvernement du Québec – les grutiers de retour au travail : la lutte continue », Forum ouvrier, 26 juin 2018
Cet article est paru dans
Volume 54 Numéro 7 - Juillet 2024
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