Privatisation systématique de la LCBO

– Rob Woodhouse –

Le gouvernement Ford met en oeuvre depuis longtemps un plan de privatisation de la Régie des alcools de l'Ontario (LCBO). Sa plus récente mesure visant à élargir la vente d'alcool dans les épiceries et les dépanneurs fait suite à la privatisation des « services spécialisés » et des services en ligne durant les années 2020-2021.

Les services spécialisés sont la vente de produits qui ne sont pas vendus aux points de vente de la LCBO. Des entités privées, dont plusieurs sont des grandes entreprises, font affaires directement avec les producteurs de vin, de bière et de produits alcoolisés en tant que leurs représentants de ventes officiels dans la province. La LCBO devient alors l'intermédiaire dans ces transactions.

Avant 2021, la LCBO offrait ce service à partir de son siège social au centre-ville de Toronto, où y travaillaient des employés syndiqués. C'était un édifice où se trouvaient à la fois un bureau et un entrepôt et des travailleurs syndiqués traitaient les commandes et s'occupaient de la distribution. Au nom de la modernisation, y compris la construction d'un nouveau siège social pour remplacer l'ancien, la LCBO a choisi de ne pas consolider le caractère public de ses opérations, et certainement pas de garder les employés syndiqués. Elle a plutôt embauché un monopole mondial privé – la division d'approvisionnement alimentaire de DHL Group (anciennement Deutsche Post) – pour se charger d'importantes sections de l'entreprise.

En mai 2020, dans son annonce du changement, la LCBO a dit de DHL que c'était « un leader des solutions à l'approvisionnement alimentaire, ayant une expérience importante dans la logistique et l'entreposage de boissons alcoolisées dans un environnement réglementé ». Non seulement DHL a-t-il pris en charge le service spécialisé, mais la LCBO a annoncé qu'il allait « s'implanter et opérer un centre de distribution pour nos opérations secondaires et en ligne, y compris le commerce en ligne, la boutique Vintages en ligne et les services spécialisés ».

À ce moment-là, la LCBO déclarait que la sous-traitance de ce travail signifierait des « performances et une productivité accrues, des processus améliorés, une meilleure exploitation et chaîne d'approvisionnement ainsi qu'un meilleur service à nos clients ».

Le service DHL Trillium Supply Chain, une entreprise massive d'entreposage à Caledon, au nord de Toronto, a pris son envol en 2021, lorsque des employés syndiqués ont reçu une indemnisation de départ volontaire, d'autres ayant été mutés ou leur travail au LCBO terminé d'une manière ou d'une autre.

Le gouvernement Ford a changé les lois sur les boissons alcoolisés en 2019 pour autoriser les épiceries à vendre du vin et de la bière. Maintenant, des ventes privées seront autorisées dans un plus grand nombre d'épiceries et de dépanneurs non seulement du vin et de la bière, mais de boissons dites « prêtes-à-boire ».

Les dépanneurs peuvent obtenir un permis moyennant des frais annuels de 500 dollars, tandis que les épiceries doivent payer 3 250 dollars par année. Les deux permis autorisent les détenteurs de vendre et de faire des livraisons de bière, de cidre, de vins et de produits alcoolisés prêts-à-boire. Les épiceries actuelles détentrices de permis peuvent vendre des produits prêts-à-boire dès le 18 juillet et les dépanneurs dès le 5 septembre. Les nouveaux détenteurs de permis en épicerie peuvent commencer à vendre dès le 31 octobre. À cette date, tous les dépanneurs, épiceries et magasins à grande surface de l'Ontario pourront vendre de la bière, du cidre, du vin et des boissons alcoolisées prêtes à boire, s'ils le souhaitent.

Cela crée un précédent qui permet aux grandes chaînes alimentaires et aux monopoles « alimentaires » de consolider leur domination en assumant la distribution de boissons alcoolisés. Il faut s'attendre à ce qu'ils exercent leur pouvoir économique pour contrôler les prix et d'autres éléments cruciaux de l'entreprise.

Pour le moment, la LCBO est le seul grossiste de boissons alcoolisées. Elle se réserve le droit de fixer les prix et les taxes. Présentement, les augmentations de prix par la LCBO sont fortes. La Commission des alcools et des jeux de l'Ontario informe qu'« en tant que grossiste exclusif, la LCBO coordonne avec toutes les sources d'approvisionnement ». Cela comprend la LCBO elle-même, le Beer Store, qui appartient aux monopoles de la bière, et les producteurs ontariens. Cela comprend aussi les compagnies qui opèrent sous la bannière des services spécialisés de la LCBO. Les détaillants vont payer la LCBO directement et la LCBO va payer les sources d'approvisionnement. Les livraisons de la LCBO aux détaillants est prise en main par des compagnies de logistiques.

Le revenu généré par la LCBO

Pour l'année se terminant le 31 mars 2008, la LCBO avait des ventes nettes de 4,13 milliards de dollars, y compris un profit (ou dividende) de 1,35 milliards de dollars contribuant aux revenus généraux du gouvernement de l'Ontario. C'est le montant que le trésor public pourrait perdre si la LCBO décidait de privatiser dans l'intérêt du profit privé. Pendant l'année en question, elle avait recueilli 383 millions de dollars en taxes de vente provinciales et versé un autre 458 millions à Ottawa en taxe de vente fédérale (TPS).

Au cours des cinq années précédentes, les profits de la LCBO ont atteint près de 6 milliards de dollars pour la province. L'agence fonctionnait à ce moment-là avec une marge de profit de 48,9 %. Les montants de la LCBO consacrés aux réclamations des travailleurs en salaires et en avantages sociaux et en frais d'exploitation en tant que pourcentage des ventes nettes étaient de seulement 16,1 % au cours des années 2007-2008.

Aujourd'hui, si on se fie à son rapport annuel, les points de vente semblent avoir généré un profit d'au moins 1,9 milliards, c'est-à-dire 75 % de l'argent que la LCBO a donné à la province.

Mike Crawley de la CBC explique comment la LCBO génère présentement ses profits et comment les choses vont changer avec les réformes du gouvernement Ford – y compris le plan du premier ministre de vendre des boissons alcoolisées spécialisées dans les dépanneurs et les épiceries. Il écrit :

« À chaque année, la LCBO rapporte près de 2,5 milliards de dollars au gouvernement ontarien...

« Les points de vente de la LCBO – les 680 magasins qui sont présentement fermés en raison de la grève – comptent pour près de 80 % du revenu brut de la société d'État, selon son plus récent rapport annuel. Le reste vient surtout de la LCBO en tant que distributrice dans les bars, les restaurants et les supermarchés. [...]

« [Le premier ministre de l'Ontario] Doug Ford insiste pour dire que les réformes n'affecteront aucunement les coffres provinciaux. Cependant, des sources de l'industrie et un document interne de la LCBO obtenu par CBC News laissent entendre que les changements siphonneront des centaines de millions de dollars des fonds publics à chaque année. »

La raison est que la LCBO offre ses produits aux dépanneurs et aux épiceries en fonction d'une « ristourne de grossiste », 10 % de moins que le prix avant la taxe de vente harmonisée.

Analyse des revenus de la LCBO en 2023

Mike Crawley explique que les revenus bruts de la LCBO ont été de 7,41 milliards de dollars en 2023. « La plus grande partie de ce montant, soit 5,87 milliards, vient des points de vente de la LCBO et des ventes directes en ligne aux consommateurs », écrit-il.

Les autres contributeurs les plus importants sont :

- Les établissements licenciés (bars, restaurants et autres) : 598 millions;

- Les épiceries : 410 millions;

- Les points de vente de la LCBO : 252 millions;

- Le Beer Store : 229 millions.

En soustrayant les chiffres suivants du 7,41 milliards en ventes totales de la LCBO, on arrive à un revenu net pour la LCBO de 2,46 milliards, lesquels sont allés au gouvernement provincial.

- 3,78 milliards en coûts de production (y compris le prix demandé par les fournisseurs, la taxe d'excise et le transport)

-1,19 milliards en réclamations des travailleurs en salaires et avantages sociaux, et en dépenses, y compris les frais administratifs

Si on se fie à l'information du rapport annuel, souligne le journaliste, les points de vente semblent générer un profit d'au moins 1,9 milliards, ce qui représente plus de 75 % des sommes qui vont à la province.

La LCBO dit que les coûts de production représentent 51 cents de chaque dollar en revenu, tandis que les montants réclamés par les travailleurs et les dépenses représentent 16 cents pour chaque dollar, laissant 33 cents en revenu pour chaque dollar en revenu brut. Trente-trois pour cent des 5,87 milliards en revenus des points de vente représentent un total de 1,95 milliards de dollars en revenu net.

Comment la LCBO fixe le prix de ses produits

Selon Mike Crawley, la LCBO obtient son profit de la même façon qu'à peu près tous les grossistes : en vendant des produits à des prix plus élevés qu'elle ne les paie aux fournisseurs. Il souligne cependant : « Ce qui différencie la LCBO de presque tous les autres grossistes : les calculs qui servent à fixer les prix sont standardisés et accessibles au public. »

Pour des exemples de la fixation des prix sur le site web de la LCBO, cliquer ici.

(National Union of Public and General Employees, CBC Life)


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Volume 54 Numéro 7 - Juillet 2024

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