Entrevue avec un travailleur de longue date de la Régie des alcools de l'Ontario
Ce qui suit est une entrevue avec un travailleur ayant 30 ans d'expérience à la Régie des alcools de l'Ontario (LCBO) et membre du Syndicat des employés de la fonction public de l'Ontario (SEFPO), présentement en grève pour de meilleurs salaires, des meilleurs avantages sociaux et une meilleure sécurité d'emploi, et contre les plans du gouvernement Ford de privatiser davantage cette société d'État.
LML : La question de la sécurité d'emploi est une des principales revendications des travailleurs de la LCBO. Quelle est la situation actuelle et que faut-il pour protéger les droits des travailleurs à la lumière de l'expansion accrue des ventes de bière et de spiritueux et de boissons prêtes à boire dans le secteur privé ?
Travailleur de la LCBO : Ce qu'il faut, c'est une solide garantie que les travailleurs vont conserver leur emploi en dépit des plans du gouvernement Ford de privatiser davantage la LCBO, sans quoi tout cela n'est qu'une demande d'indemnité de licenciement. Cette grève n'est pas que pour les salaires et les conditions de travail. Les 9 000 travailleurs de la LCBO jouent un rôle important dans l'économie de l'Ontario au niveau local et provincial et contribuent aussi à l'économie du Canada. Par leur travail, ils génèrent un profit net pour l'Ontario de 2,8 milliards de dollars annuellement et 80 % de ces sommes viennent de la vente au détail.
Il y a une autre facette de cette grève dont le gouvernement ne parle pas et qui est d'intérêt pour tous les travailleurs de la LCBO. Les stratagèmes du gouvernement Ford visant à brader de plus en plus la LCBO aux intérêts privés, tels que la famille Weston, sont présentés au public comme une question de multiplier les « choix » et de faciliter l'accès aux produits alcoolisés.
Nous sommes particulièrement préoccupés par la vente de bière et de vin, et surtout de boissons cocktail et prêts à boire – ces derniers étant la catégorie de boissons dont les ventes augmentent le plus – au Loblaw's ou dans d'autres grands magasins au détail. Le problème est que ces boissons sont les préférés des jeunes – étant sucrés, fruiteux, et ne goûtant pas l'alcool. Les ados seront particulièrement vulnérables au fait que ces boissons seront facilement accessibles et ils sont moins rigoureusement cartés que dans les magasins de la LCBO où les travailleurs prennent au sérieux leur responsabilité sociale de ne pas vendre ces boissons aux mineurs, ce pour quoi ils ont été formés.
Ces boissons cocktail sont populaires et les ventes sont très profitables, et c'est pourquoi la famille Weston les reluquent. Le premier ministre Ford a même nommé un membre de la famille Weston, qui contrôle Loblaw's, au conseil d'administration de la LCBO et nous nous demandons bien quelles tractations secrètes ont bien pu se faire pour en arriver là.
LML : Vous avez souligné que la privatisation de la LCBO n'est pas quelque chose de nouveau. Pouvez-vous nous expliquer comment cette société d'État a lentement mais sûrement été démantelée et des sections entières cédées à des monopoles privés ?
Travailleur de la LCBO : Depuis que la LCBO a ouvert ses portes en 1927, son fonctionnement est au centre de débats politiques. Élection après élection, les électeurs ont rejeté les partis qui préconisent sa privatisation. Plutôt que de prendre en compte la volonté démocratique du peuple, les gouvernements ont tenté de tromper le public en mentant et en prétendant que la privatisation n'était pas à l'ordre du jour, tout en vendant discrètement l'entreprise peu à peu au secteur privé. L'ordre du jour de gouvernements successifs, et en particulier celui de Ford, est aussi d'attaquer les syndicats. Les travailleurs de la LCBO ont produit des profits nets pour la province de l'Ontario année après année et nous avons été une main-d'oeuvre stable.
C'est la première fois que les travailleurs de la LCBO partent en grève pour défendre leurs droits en tant que travailleurs et pour obtenir une convention collective juste et équitable, qui protège nos emplois et la LCBO elle-même, qui représente un bénéfice net pour l'Ontario et le Canada. En plus d'attaquer nos emplois et notre moyen de subsistance, c'est un vol flagrant qui transforme une entreprise publique qui contribue aux fonds publics en une entreprise privée qui bénéficie à des intérêts privés.
LML : Pouvez-vous parler des propositions du syndicat voulant que le gouvernement augmente ses investissements dans les points de vente de la LCBO, qu'il prolonge les heures d'ouverture et qu'il augmente le nombre de magasins et le personnel permanent, etc. ?
Travailleur de la LCBO : Le syndicat est ouvert aux négociations sur plusieurs points, mais l'essentiel de nos revendications est simple. Il faut cesser d'offrir des postes occasionnels sans horaire fixe, ce qui fait en sorte que les travailleurs n'ont aucune sécurité, pas heures garanties et aucune garantie de pouvoir subvenir à leurs besoins. Les employés occasionnels constituent près de 70 % de la main-d'oeuvre de la LCBO. Des gens travaillants sont forcés de tout sacrifier en espérant contre toute attente obtenir un poste permanent et une certaine stabilité plus tard. C'est une violation brutale et cynique des droits des travailleurs et cela fait en sorte qu'il devient impossible pour un grand nombre de personnes de travailler pour la LCBO.
Le SEFPO a lancé il y a longtemps l'appel à construire davantage de magasins de la LCBO et d'accroître les heures d'ouverture et le personnel pour répondre à la demande. Nous voulons une permanence pour les travailleurs occasionnels, qu'ils ne soient pas traités comme des esclaves sans régime de retraite, sans avantages sociaux et sans heures garanties. Les gens travaillants ne devraient pas être forcés de tout sacrifier en entretenant un vague espoir d'obtenir un salaire décent dans un avenir lointain.
Le syndicat a appelé à la consolidation de la LCBO en tant que bien public qui appuie les communautés locales, l'industrie du tourisme et les autres secteurs de l'économie. C'est pourquoi nous invitons le public, nos voisins et les autres travailleurs à être solidaires, de venir nous retrouver sur les lignes de piquetage alors que nous défendons nos droits et ce qui est dans l'intérêt public en Ontario.
Cet article est paru dans
Volume 54 Numéro 7 - Juillet 2024
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