La Loi sur la transparence et la responsabilité en matière d'influence étrangère n'est ni transparente ni responsable
Une loi qui donne le sceau d'approbation des pouvoirs de police au gouvernement
Le projet de loi C-70, la Loi concernant la lutte contre l'ingérence étrangère, comprend une loi distincte appelée Loi sur la transparence et la responsabilité en matière d'influence étrangère (LTRIE). Comme l'indique le titre de la loi, elle prétend viser à assurer la transparence et la reddition de comptes. La « transparence » qui est visée, selon le projet de loi C-70, est « de veiller à ce que les personnes qui exercent, au titre d'un arrangement, des activités liées à un processus politique ou gouvernemental au Canada le fassent de façon transparente ; de dissuader les commettants étrangers de tenter d'influencer de façon non transparente les processus politiques ou gouvernementaux au Canada ; de sensibiliser le public aux tentatives des commettants étrangers d'influencer les processus politiques ou gouvernementaux au Canada ; de renforcer la sécurité nationale ».
Ce projet de loi est un exemple de la façon dont des termes comme « transparence » et « responsabilité » sont utilisés pour camoufler et déformer ce qui se passe. Son seul lien avec la transparence et la responsabilité est l'absence totale de ces qualités chez les législateurs et dans la loi elle-même.
Lors de son témoignage devant le comité de la Chambre chargé d'examiner le projet de loi C-70, Sébastien Aubertin-Giguère, sous-ministre adjoint délégué, Sécurité publique et Protection civile, a parlé de l'importance du registre.
Un sous-ministre délégué « est un sous-ministre en attente, souvent affecté à un projet ou à une initiative en particulier en attendant d'être nommé à la tête d'un ministère ». Les sous-ministres adjoints sont des « postes opérationnels qui assument habituellement la responsabilité de fonctions ou de budgets particuliers au sein d'un ministère ». Alors, allez savoir ce qu'est un sous-ministre adjoint délégué ! Quoi qu'il en soit, Aubertin-Giguère a déclaré au Comité de la Chambre chargé d'examiner le projet de loi C-70 :
« Comme vous le savez, le Canada et les alliés font face à de nombreux défis géopolitiques qui menacent de déstabiliser les nations démocratiques et l'économie mondiale. Chaque jour, la résilience canadienne en matière de sécurité nationale et de sécurité publique est mise à l'épreuve. Les menaces, notamment de la Chine, de la Russie, de l'Iran et d'autres pays, continuent de mettre au défi notre sécurité nationale et notre cohésion sociale. La nature insidieuse de l'ingérence étrangère a récemment capté l'attention de plusieurs Canadiens. Cette ingérence constitue une menace critique pour la sécurité nationale du Canada. »
Nous considérons que nous entrons dans la catégorie des « plusieurs Canadiens », mais ce qui a retenu notre attention, c'est l'utilisation insidieuse de la menace d'ingérence étrangère et la répétition de l'affirmation selon laquelle cela demeure une menace critique pour notre sécurité nationale. Chaque fois que les Canadiens cherchent des preuves de cette menace, ils n'en trouvent pas. En fait, ils peuvent donner de nombreuses politiques gouvernementales qui menacent la sécurité nationale du Canada, comme son adhésion à l'OTAN et au NORAD, par exemple, et sa politique étrangère qui s'ingère dans les affaires intérieures des nations souveraines, les déstabilise, provoque des changements de régime et d'autres choses du genre. Mais la politique étrangère est considérée comme une question de prérogative ministérielle et non ouverte à la discussion. Rien de tout cela n'est discuté. Il y a un voile de secret sur de telles discussions, au nom de la sécurité nationale bien sûr. Et maintenant, de plus en plus de lois sont votées pour donner l'impression que les pouvoirs de police des gouvernements et des tribunaux, dont l'allégeance est à un chef d'État qui est un monarque étranger, font partie de l'état de droit. Pour donner à tout cela un triple sceau d'approbation, on nomme une pléthore de commissaires aux titres de compétence réputés impeccables et leur rôle est de dire que tout ce qui est fait en secret est parfaitement acceptable. Il s'agit encore une fois du processus scandaleux des certificats de sécurité.
Sébastien Aubertin-Giguère est assez malin. Après avoir énuméré les pays qui sont censés représenter une menace pour notre sécurité nationale, il a tenu à préciser que « le registre a été conçu de façon à ne pas tenir compte du pays. Il s'agit d'un outil visant à protéger, et non à persécuter, les communautés de diverses origines ethniques et culturelles au Canada ». D'abord il nomme la Chine, la Russie et l'Iran, puis il nous dit que le registre est « conçu de façon à ne pas tenir compte du pays » ! conçu pour être agnostique envers les pays ! » Ces gens s'écoutent-ils eux-mêmes ? Il semble que non.
De cette façon, pas un seul législateur ni les fonctionnaires que le gouvernement a désignés pour défendre sa loi ne seront responsables de leur refus de répondre aux préoccupations soulevées par de nombreuses organisations quant à l'impact de ces nouvelles lois sur la liberté de conscience, de parole et d'association. Ils refusent de rendre des comptes sur les libertés accordées aux services d'espionnage pour s'ingérer dans les élections et autres affaires politiques en se fondant sur la stigmatisation antidémocratique et partiale des Canadiens qui, pour une multitude de raisons, ne s'alignent pas sur la politique officielle de l'État, en particulier en matière de relations étrangères. Cela comprend ceux qui s'opposent à l'adhésion du Canada à l'OTAN et à son soutien aux guerres et aux agressions des États-Unis et à l'utilisation de la force pour résoudre les conflits. Cela comprend ceux qui préféreraient un gouvernement qui construirait des relations amicales avec la Chine et la Russie, plutôt que de les fustiger comme des « États hostiles » pour créer une mentalité de guerre. Les législateurs ne seront pas non plus tenus de rendre des comptes des attaques, de l'interruption et de la destruction potentiels des organisations internationales qui promeuvent la coopération dans divers domaines scientifiques, culturels et politiques entre les peuples du monde, y compris les associations entre universités, la coopération culturelle, etc.
La Convention de Vienne sur les relations consulaires, dont le Canada est signataire, déclare entre autres que l'un de ses objectifs est de contribuer « elle aussi à favoriser les relations d'amitié entre les pays, quelle que soit la diversité de leurs régimes constitutionnels et sociaux ». Il décrit les fonctions légitimes des bureaux diplomatiques et de leur personnel, notamment « favoriser le développement de relations commerciales, économiques, culturelles et scientifiques entre l'État d'envoi et l'État de résidence et promouvoir de toute autre manière des relations amicales entre eux ». Parmi les fonctions consulaires, on peut citer « s'informer, par tous les moyens licites, des conditions et de l'évolution de la vie commerciale, économique, culturelle et scientifique de l'État de résidence, faire rapport à ce sujet au gouvernement de l'État d'envoi et donner des renseignements aux personnes intéressées ». La Convention stipule également que le personnel diplomatique doit respecter les lois du pays d'accueil et que « , toutes les personnes qui bénéficient de ces privilèges et immunités [diplomatiques] ont le devoir de respecter les lois et règlements de l'État de résidence. Elles ont également le devoir de ne pas s'immiscer dans les affaires intérieures de cet État. »
Les affaires étrangères sont traitées par des pouvoirs de prérogative. Il est choquant de voir comment des questions relatives aux affaires étrangères, à la politique étrangère et aux relations d'État à État sont utilisées pour promulguer des lois nationales visant à éliminer les agents étrangers au nom de la défense des institutions démocratiques.
La Loi sur la transparence et la responsabilité en matière d'influence étrangère établit un registre où il n'est pas du tout clair qui doit s'enregistrer. La loi stipule que le registre s'appliquera aux « arrangements » relatifs à tous les « processus politiques ou gouvernementaux au Canada » à tous les ordres de gouvernement au pays, y compris ceux d'« d'un conseil, d'un gouvernement ou de toute autre entité autorisé à agir pour le compte d'un groupe, d'une collectivité ou d'un peuple autochtones titulaires de droits reconnus et confirmés par l'article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982, de toute autre entité qui représente les intérêts des Premières Nations, des Inuits ou des Métis ».
Sont exclus de cette exigence les ressortissants étrangers qui ont un statut diplomatique et les employés « d'un commettant étranger agissant ouvertement en sa qualité officielle ». Elle ne s'appliquera pas non plus à « tout arrangement dont Sa Majesté du chef du Canada est partie » et à « tout arrangement compris dans une catégorie d'arrangements précisée par règlement ».
Toute personne qui conclut un arrangement est tenu de s'inscrire dans les 14 jours et de fournir les renseignements qui seront précisés dans les règlements que le gouverneur en conseil doit établir, puis fournir des mises à jour sur les renseignements qu'elle a fournis
Le projet de loi se distingue par les nombreux pouvoirs de réglementation conférés au gouverneur en conseil, y compris la « catégorie de personnes » et la « catégorie d'arrangements » qui seront ou ne seront pas tenus de s'enregistrer. Les pouvoirs de réglementation s'appliquent également aux « individus ou catégories d'individus qui peuvent exercer des attributions du commissaire relativement au régime, y compris la désignation de tels individus ou de telles catégories d'individus par le commissaire ».
Parmi les autres domaines qui relèvent de la prérogative, mentionnons l'établissement de la définition de « titulaire de charge publique », la précision des renseignements et des mises à jour qui doivent être fournis et l'autorisation donnée aux institutions fédérales de communiquer au commissaire les renseignements protégés par la Loi sur la protection des renseignements personnels, « aux fins prévues par règlement ».
En cas d'allégation de défaut d'enregistrement ou de communication de renseignements, ou si une entité est accusée d'entrave au travail du commissaire, la peine est une amende pouvant atteindre 5 millions de dollars ou un emprisonnement pouvant aller jusqu'à cinq ans, ou les deux s'il s'agit d'une déclaration de culpabilité par mise en accusation. Une déclaration de culpabilité par procédure sommaire est passible d'une amende de 200 000 $, d'une peine d'emprisonnement maximale de deux ans, ou des deux. Les sanctions administratives et les accords de conformité qui seront imposés pour non-enregistrement et les facteurs qui seront pris en compte pour déterminer s'il faut utiliser des mesures administratives plutôt que des frais seront également déterminés par le gouverneur en conseil.
Cet article est paru dans
Volume 54 Numéro 6 - Juin 2024
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