Le Parlement canadien ajourne ses travaux
pour
l'été
Le projet de loi C-70, Loi
concernant
la lutte contre l'ingérence étrangère, fait
l'objet
d'une procédure accélérée
Abus flagrant des procédures parlementaires pour faire des pouvoirs policiers la nouvelle norme
Le projet de loi C-70, Loi concernant la lutte contre l'ingérence étrangère, est l'un des projets de loi inscrits à l'ordre du jour du Parlement avant la pause estivale. Le 13 juin, la Chambre des communes a voté à l'unanimité en faveur de ce projet de loi qui donne un vernis juridique à l'expansion des pouvoirs de police. La loi crée un registre des agents étrangers et élargit le champ d'action des agences d'espionnage du Canada.
Le projet de loi C-70 a été présenté le 9 mai par Dominic Leblanc, ministre de la Sécurité publique, des Institutions démocratiques et des Affaires intergouvernementales. Les conservateurs ont offert de veiller à son adoption rapide et les autres partis cartellisés à la Chambre se sont rangés derrière eux. Le projet de loi a bénéficié de deux heures de débat en deuxième lecture le 29 mai, au cours desquelles une motion visant à accélérer son adoption a été adoptée.
Le Comité permanent de la sécurité publique et nationale a commencé son examen du projet de loi C-70 le 30 mai. Il a entendu 42 témoins, la plupart issus d'agences gouvernementales et policières, en moins de 12 heures, suivies d'un examen article par article de trois heures. Il est peu probable que les membres de la commission aient pu étudier de manière responsable les 105 pages du projet de loi C-70 dans ce laps de temps, et encore moins réfléchir sérieusement à ses implications. L'empressement avec lequel le projet de loi a été promulgué a été noté par les organisations de défense des libertés civiles qui ont témoigné devant le Comité.
Dans un communiqué de presse, le gouvernement libéral a déclaré que le projet de loi « propose de mettre à jour des lois existantes pour renforcer la capacité du gouvernement à détecter et perturber les menaces d'ingérence étrangère et à protéger la population du Canada, incluant les diasporas, les communautés marginalisées ou vulnérables, contre celles-ci ». À cette fin, la nouvelle loi modifie la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité, la Loi sur la protection de l'information, le Code pénal, la Loi sur la preuve au Canada et la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés.
Le projet de loi C-70 comprend également la Loi sur la transparence et la responsabilité en matière d'influence étrangère. Cette dernière établit un système d'enregistrement obligatoire pour les personnes qui « concluent un accord avec un mandant étranger et entreprennent des activités visant à influencer un gouvernement ou un processus politique ». Le registre sera administré et appliqué par un commissaire à la transparence en matière d'influence étrangère. Le commissaire, qui relève du ministère de la Sécurité publique, sera nommé à l'issue d'une consultation des partis cartellisés. Des motions de soutien à la nomination devront être déposées à la fois à la Chambre des communes et au Sénat.
Le projet de loi prévoit également l'octroi d'importants pouvoirs réglementaires au gouverneur en conseil lui permettant de déterminer qui sera soumis à ses règles.
En troisième lecture, le 12 juin, Jennifer O'Connell, secrétaire parlementaire du ministre de la Sécurité publique, des Institutions démocratiques et des Affaires intergouvernementales (Cybersécurité), a demandé à la Chambre d'approuver un amendement de dernière minute permettant au Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS) « de communiquer, dans le but de renforcer la résilience aux menaces envers la sécurité du Canada, des informations portant sur une entreprise à cette entreprise. L'amendement permettrait au SCRS d'être plus honnête et transparent avec les personnes morales et les entités canadiennes en communiquant des informations portant sur des menaces et des failles précises les concernant. Il pourrait par exemple s'agir d'informations concernant l'intérêt, pour un État étranger, d'acquérir des renseignements ou une technologie exclusifs à une entreprise. »
Mme O'Connell a expliqué que l'amendement de dernière minute était nécessaire en raison du traitement rapide du projet de loi. « Lorsqu'une partie du projet de loi a été modifiée afin d'accroître le pouvoir de communication d'information pour les particuliers, nous n'avons pas eu suffisamment de temps pour rédiger correctement l'amendement requis qui permettrait d'élargir ce pouvoir aux entreprises, aux organismes communautaires et aux universités. »
Mme O'Connell a déclaré que l'amendement était important « pour que le SCRS soit autorisé à communiquer des renseignements pertinents aux personnes et aux entités afin que les Canadiens et la société canadienne aient accès à l'information et aux outils nécessaires pour renforcer leur résilience contre les menaces de l'étranger ».
S'exprimant en troisième lecture avant de se joindre au vote unanime en faveur du projet de loi, Elizabeth May, codirigeante du Parti vert, a fait la remarque que le projet de loi C-70 était adopté « à une vitesse vertigineuse ». « Je pense qu'il est important de dire que je n'ai jamais vu un projet de loi comportant autant de changements substantiels dans des domaines critiques du droit être adopté aussi rapidement que celui-ci », a-t-elle dit. « Au fur et à mesure que le projet de loi progresse, beaucoup de questions demeurent. Je dois dire que, ayant le droit, comme tout autre député, de refuser le consentement unanime, j'aurais pu insister pour que nous menions un examen plus approfondi. Je dois dire que j'aurais aimé que nous menions un examen plus poussé, mais il y avait le facteur temps et un consensus, et je me sens toujours inspirée lorsque je vois des députés de tous les partis travailler ensemble, car nous ne le voyons pas assez souvent. »
Commentant les préoccupations soulevées lors des auditions de la commission, telles que l'imprécision de certaines définitions et la violation potentielle des droits fondamentaux, Mme May a noté : « Je suis de plus en plus troublée par le nombre de groupes qui nous ont tous approchés. [...] Je m'inquiète du risque que nous ayons agi de façon imprudente en nous empressant de présenter ce projet de loi et de le mener jusqu'à l'étape de la troisième lecture pour le renvoyer au Sénat, et nous devons nous pencher là-dessus. »
Réaffirmant qu'elle ne voulait pas perturber le consentement unanime requis, Mme May a déclaré : « Je ne voulais pas avoir à le faire, mais je tenais à dire officiellement qu'à partir de maintenant, nous devrons être très prudents et saisir toutes les occasions de nous assurer que nous n'allons pas à l'encontre des droits garantis par la Charte et que nous ne créons pas de risques supplémentaires pour les membres de certaines diasporas auxquelles nous n'avons pas pensé avant d'agir aussi rapidement. »
Ce qu'elle n'a pas dit, c'est qu'il s'agit de mesures de guerre et qu'il ne devrait pas y avoir de consensus parmi ceux qui se disent représentants du peuple sur la question de donner au gouvernement des pouvoirs de police pour agir en toute impunité au nom de la sécurité, alors que pas un seul d'entre eux n'a convoqué des auditions in vivo avec leurs électeurs pour entendre ce qu'ils ont à dire.
Entre-temps, le Sénat a adopté une motion demandant à son Comité permanent sécurité nationale, défense et anciens combattants d'entamer son étude préliminaire du projet de loi C-70 sans délais le 10 juin. Le Comité a entendu toutes sortes d'objections au projet de loi, mais le 18 juin, elle l'a renvoyé en troisième lecture sans amendement.
Le traitement aussi hâtif et suspect de questions d'une telle importance pour le corps politique n'est certainement pas de bon augure pour les Canadiens et les Québécois. Cela rappelle la série de lois dites antiterroristes adoptées avec tant d'empressement après les attentats du 11 septembre 2001 pour emboîter le pas aux États-Unis et à leurs agences de renseignement, ainsi que les procédures secrètes qui ont permis d'inculper des Canadiens sans même les informer des accusations, de les arrêter, de les interroger pour leur extorquer des aveux et bien d'autres choses encore. Toutes sortes de pratiques d'une illégitimité flagrante qui avaient cours à l'époque sont aujourd'hui remises au goût du jour, y compris la pratique de donner libre cours à la diffamation, aux rumeurs et à la criminalisation de la dissidence.
Ce sont bien entendu les agences de renseignement, canadiennes et étrangères, qui décident de toutes ces questions. Elles sont toutes placées sous le commandement des États-Unis, conformément aux accords conclus dans le cadre de l'OTAN et du NORAD, où le président des États-Unis commande les forces armées canadiennes, même si un autre monarque étranger, Charles III, est leur commandant en chef par l'intermédiaire de sa doublure, la gouverneure générale du Canada. Le rôle des parlementaires est de rendre ce pouvoir policier « légal », « normal » et « légitime » en faisant croire que c'est l'organe législatif qui prend les décisions.
Les Canadiens et les Québécois doivent discuter de ces questions dans des forums qui leur appartiennent. Ils doivent s'informer des implications des nouvelles lois adoptées en leur nom sous le couvert de la sécurité nationale, tirer les conclusions qui s'imposent et faire preuve de vigilance. Les Canadiens et les Québécois doivent eux-mêmes s'élever contre leur marginalisation croissante dans les prises de décision.
Les députés canadiens rendent un bien mauvais service aux Canadiens et aux Québécois. Ils doivent être tenus de rendre des comptes.
Cet article est paru dans
Volume 54 Numéro 6 - Juin 2024
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