Le projet de loi des énergies « propres » du Québec sert à l'intégration des ressources du Québec aux corridors de transport d'énergie et de commerce des États-Unis

– Fernand Deschamps –

Le gouvernement de François Legault a déposé à l'Assemblée nationale du Québec le projet de loi 69, Loi assurant la gouvernance responsable des ressources énergétiques et modifiant diverses dispositions législatives.

Le projet de loi 69 de 56 pages a été présenté le 6 juin par le ministre de l'Économie, de l'Innovation et de l'Énergie, Pierre Fitzgibbon, et contient 157 articles qui modifient 15 lois et sept réglementations. Parmi les 15 lois modifiées, il y a les suivantes :

- Loi sur l'exportation de l'électricité;
- Loi sur Hydro-Québec;
- Loi sur la réduction de la dette et instituant le Fonds des générations;
- Loi sur la Régie de l'énergie;
- Loi sur la régie des eaux;
- Loi sur les systèmes municipaux et les systèmes privés d'électricité.

Parmi la réglementation modifiée, il y a :

- le Règlement sur les conditions et les cas requérant une autorisation de la Régie de l'énergie;
- le Règlement sur la procédure de la Régie de l'énergie;
- le Règlement sur la redevance annuelle payable à la Régie de l'énergie

Ainsi que les deux suivantes qui ont été abrogées :

- le Règlement sur la capacité maximale de production visée dans un programme d'achat d'électricité pour des petites centrales hydroélectriques;
- le Règlement sur les conditions et les cas où la conclusion d'un contrat d'approvisionnement par le distributeur d'électricité requiert l'approbation de la Régie de l'énergie.

Consultations publiques en 2023

Dans le document du 6 juin du gouvernement du Québec annonçant le projet de loi numéro 69, il est dit :

« Le Québec s'est engagé dans un exercice collectif de transition énergétique et entend décarboner son économie d'ici 2050, dans le respect des normes environnementales et en visant une acceptabilité sociale. Rappelons qu'environ 50 % de l'énergie consommée au Québec provient encore de combustibles fossiles. Le défi est immense, mais à notre portée, considérant la richesse naturelle dont nous bénéficions[1]. »

Avant de présenter son projet de loi, le gouvernement a tenu au printemps et l'été 2023 une « Consultation sur l'encadrement et le développement des énergies propres au Québec » où il a invité ce qu'il appelait « le grand public » à soumettre un mémoire. Le gouvernement du Québec a reçu cent mémoires dont 31 mémoires présentés par des citoyens et 69 mémoires présentés par des organisations.

Parmi les mémoires reçus, celui d'un résident du Bas-du-Fleuve qui dénonce l'absence d'une vision du gouvernement Legault quant au choix unique du type d'éoliennes à axe horizontal et de conception européenne subventionnées à plus de 75 % par l'État. Il a rappelé qu'il existe un prototype d'éolienne à axe vertical de conception québécoise plus versatile et mieux adaptée à l'environnement naturel et social et dont toutes les composantes sont recyclables, ce qui n'est pas le cas pour les énormes pales des éoliennes à axe horizontal. Une demande faite à l'Hydro-Québec de financer la construction d'un prototype à grande échelle de cette éolienne à axe vertical a reçu un refus de la part d'Hydro-Québec disant que le projet serait « trop coûteux et pas assez avancé »[2].

Quant aux 69 mémoires présentés par des organisations, plusieurs de ces mémoires sont produits par des organismes et/ou entreprises, ou des regroupements d'entre elles qui représentent de grands intérêts privés qui sont eux-mêmes soit des utilisateurs commerciaux, soit des producteurs ou des distributeurs d'électricité ou de gaz naturel. Cela inclut l'Association d'aluminium du Canada, l'Association canadienne des producteurs pétroliers, l'Association des distributeurs d'énergie du Québec, l'Association de l'énergie du Québec, l'Association de l'industrie électrique du Québec, Association minière du Québec, l'Association nucléaire canadienne, Conseil du patronat du Québec,Evolugen, Glencore, Ressources Utica, Rio Tinto, Shell, Corporation TC Énergie[3].

Ce qui est remarquable est que le texte du projet de loi 69 est presque un copié-collé des recommandations faites par le Conseil du patronat du Québec dans son mémoire présenté le 1er août 2023, intitulé « Prospérer ensemble ».

Plan de gestion intégrée des ressources énergétiques
du gouvernement Legault

Dans le document du ministère de l'Industrie, de l'Innovation et de l'Énergie du Québec qui accompagne le projet de loi 69, il est question de « la mise en place d'un plan de gestion intégrée des ressources énergétiques visant à guider les actions et les décisions du gouvernement, des partenaires locaux et régionaux ainsi que des distributeurs d'énergie et des promoteurs de projets énergétiques, notamment ».

En d'autres mots, ce sont des partenariats privés-publics qui sont recherchés, dans tout ce qui a trait aux ressources énergétiques du Québec liées à la production et la distribution de l'électricité.

De plus, le gouvernement Legault s'est engagé à répondre aux demandes importantes des grands intérêts privés étrangers pour la production « d'énergie verte » afin de satisfaire leurs besoins croissants en électricité « propre » liés à l'extraction et/ou le raffinement de minéraux critiques, dont l'aluminium, le titane, le scandium, le nickel, le cuivre, le graphite et le lithium. Aussi, Hydro-Québec devra satisfaire en énergie électrique toutes les nouvelles usines de production de composantes des batteries électriques dans la région de Bécancour prévues d'ici quelques années [4]. Il y a aussi la mise en place d'ici 2026 de la méga-usine de production de piles électriques de Northvolt ainsi que la mise en service de la ligne de transmission en 2025 pour l'exportation d'électricité vers l'État du New York. Tout cela va créer une situation difficile pour Hydro-Québec qui pourrait se retrouver en déficit d'offre d'électricité dès 2026-27 et où la société d'État pourrait être forcée d'acheter à prix exorbitant l'électricité sur les marchés instantanés (« spot market »)[5] .

C'est pour ces raisons que « le gouvernement évaluera, dans le cadre de l'élaboration du projet de loi, les diverses options possibles pour répondre à la croissance de la demande d'énergie propre au Québec de manière ordonnée, prévisible et durable ». Il prévoit des hausses des tarifs « dans un contexte d'évolution rapide du portrait énergétique » et propose « de modifier le processus de fixation des tarifs de distribution et de transport d'électricité afin d'offrir plus de prévisibilité et de flexibilité ».

Une tarification qui va suivre les aléas des coûts
de construction des projets d'Hydro-Québec

Dans le même document du gouvernement du Québec qui fait la promotion du projet de loi 69, il est mentionné qu'« afin d'offrir plus de prévisibilité et de flexibilité », Hydro-Québec doit maintenant prévoir « des modifications [qui] visent notamment à réduire le cycle de fixation des tarifs d'électricité en prévoyant une révision tarifaire aux trois ans plutôt qu'aux cinq ans par la Régie de l'énergie tout en permettant à Hydro-Québec de demander à cette dernière, à tout moment, de fixer ou de modifier un tarif ou des conditions de services. »

« Pour chacune des années de cette période de trois ans, les tarifs seront désormais fixés par la Régie de l'énergie en fonction des revenus requis par la société d'État. »

« Les principales composantes considérées pour établir les revenus requis comprennent :

« Le coût des approvisionnements (achats d'électricité patrimoniale et postpatrimoniale); les frais de transport de l'électricité pour la clientèle québécoise; les dépenses liées à la distribution (salaires, amortissement, etc.). » En 2000, le gouvernement du Québec a désigné l'énergie hydroélectrique produite au siècle précédent comme étant « le bloc d'électricité patrimonial ».

Les frais de transport d'électricité est la nouvelle norme que veut introduire le gouvernement pour établir les tarifs d'électricité résidentiels; en 2023, cette notion comme quoi il en coûte plus cher pour transporter l'électricité à un logis résidentiel qu'à une entreprise , a été présentée pour justifier des hausses tarifaires résidentielles plus importantes que pour les utilisateurs industriels qui consomment d'importantes quantités d'électricité à partir d'un même site.

Privatisation de la production d'électricité et fin des appels
d'offres au nom « d'accroître la flexibilité » d'Hydro-Québec et suivre « l'évolution de la demande »

Le même document gouvernemental qui fait la promotion du projet de loi 69 déclare : « Le projet de loi ouvre également la possibilité de vente d'électricité de source renouvelable entre un producteur et un seul consommateur situé sur un terrain adjacent au site de production, et ce, sous réserve de l'approbation et de conditions déterminées par le gouvernement. »

Le document ajoute : « Il est proposé qu'Hydro-Québec ne soit plus contrainte de procéder uniquement par appels d'offres. Elle pourra par exemple conclure des contrats d'approvisionnement de gré à gré, [...] développer elle-même de nouveaux approvisionnements ou établir des partenariats, » Dans certains cas, les projets n'auront pas besoin de passer devant la Régie de l'énergie pour être approuvés.

Redéfinition du rôle de la Régie de l'énergie pour accélérer l'approbation des projets et hausser les tarifs d'électricité

Le document du gouvernement mentionne que « le projet de loi modifie également la Loi sur la Régie de l'énergie, notamment, dans le but de favoriser la rapidité et l'efficacité du processus décisionnel ».

La Régie de l'énergie devra maintenant voir à « l'approbation du plan de développement du réseau de transport d'électricité et la détermination des coûts des approvisionnements fournis directement par Hydro-Québec ».

Le gouvernement Legault a ouvert la porte à la possibilité pour Hydro-Québec de facturer aux consommateurs des tarifs d'électricité différents selon « l'heure de la journée » comme moyen de « relever le défi de réduire la consommation et de doubler sa production d'électricité au cours des 25 prochaines années ». Le ministre Fitzgibbon a déclaré lors d'une conférence de presse visant à expliquer le projet de loi 69 : « Nous encouragerons les gens (à économiser de l'énergie) avec une carotte et non un bâton. » Mais l'article 130 de sa législation concernant les tarifs est clairement formulé. Il stipule que la Régie de l'énergie doit fixer « un ou plusieurs tarifs ou conditions de service de distribution d'électricité applicables à compter du 1er avril 2026 à la clientèle domestique de manière à favoriser la diminution de la consommation d'électricité en période de pointe ». Cette formulation laisse entendre que les Québécois paieraient plus cher l'électricité à certaines heures de la journée.

Déjà, l'Institut économique de Montréal, un groupe de réflexion et ardent défenseur de mesures antisociales, recommande que les tarifs d'électricité résidentiels au Québec soient doublés pour se rapprocher de ce que l'Institut appelle le tarif moyen des villes de l'Est du Canada, ce qui permettraient à Hydro-QUébec et au gouvernement du Québec d'engranger « des bénéfices supplémentaires de 4,6 milliards de dollars $ à 5,2 milliards de dollars ». Selon cet Institut, cette hausse de tarifs devrait s'accompagner de « baisses d'impôts afin de réduire le fardeau fiscal de la population et des entreprises, et permettrait également de recommencer à rembourser la dette publique ». Pas un mot par contre sur les importants stratagèmes pour payer les riches financés à même des milliards de dollars soutirés de la trésorerie publique. C'est le cas avec l'implantation des usines de composantes de batteries électriques de GM-Posco et Ford à Bécancour, la « décarbonation » de l'usine de Rio Tinto à Sorel-Tracy, et la construction et la production de batteries électriques à l'usine de Northvolt.

Intégration des infrastructures d'Hydro-Québec
aux corridors énergétiques des États-Unis

Toutes les mesures mises en place dans le projet de loi 69 vont dans le sens des plans mis en place lors des négociations tenues en mars 2018 pour le renouvellement de l'Accord de libre-échange Canada-États-Unis-Mexique. Lors de ces négociations tenues en secret à Montréal, il a été question de l'intégration des ressources et de l'infrastructure énergétiques du Canada, des États-Unis et du Mexique sous le contrôle des grands intérêts privés de l'énergie dominés par les États-Unis.

Le secrétaire d'État américain à l'époque, Rex Tillerson, a dit « L'Amérique du Nord est aussi un acteur de premier plan, comme l'a dit le secrétaire [mexicain aux Affaires extérieures] Videgaray, sur les marchés de l'énergie. Nous avons discuté ce que nous croyons être des opportunités uniques de promouvoir un développement énergétique qui repose sur les marchés et une plus grande intégration énergétique à l'échelle de l'Amérique du Nord et de l'hémisphère [6]. »

Le point demeure que c'est à la classe ouvrière et au peuple du Québec de formuler ses demandes pour une nouvelle direction de l'économie qui vise à satisfaire avant tout les besoins en énergie de la population du Québec et du Canada et contribue à garantir le bien-être de tous. Une telle direction sera en opposition aux plans d'intégrer les secteurs énergétiques du Québec et du Canada à ce qui est de plus l'économie de guerre des États-Unis.

Notes

1. « Projet de loi no 69 pour moderniser les lois entourant l'énergie », ministère de l'Économie, de l'Innovation et de l'Énergie, 6 juin 2024

2. « Une éolienne nouveau genre à la recherche de financement », Le Placoteux, 29 mars 2020

3. « Consultation sur l'encadrement et le développement des énergies propres au Québec », Documents à consulter, Gouvernement du Québec

4. « La transformation des minéraux critiques dans la région de Bécancour », Pierre Chénier, Le Marxiste-Léniniste, 3 décembre 2022

5. Voir « La 'copropriété' des lignes de transmission d'Hydro-Québec avec le fonds spéculatif Blackstone », Le Marxiste-Léniniste mensuel, 4, avril 2023

6. Voir « Le contrôle des ressources énergétiques et de leur transport », Le Marxiste-Léniniste, 4 mars 2018

(Avec des informations du Gouvernement du Québec, Le Marxiste-Léniniste, The Gazette, Le Placoteux)


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Volume 54 Numéro 5 - Juin 2024

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