Loi omnibus en Argentine

Destruction néolibérale de l'Argentine

– Margaret Villamizar –


Manifestation à Buenos Aires, le 24 janvier 2024, contre le projet de loi omnibus

Le gouvernement de Javier Milei a déposé un projet de loi omnibus appelé Loi sur les bases et les points de départ de la liberté des Argentins. Il vise à restructurer l'État dans le cadre conformément à la « thérapie de choc » du gouvernement argentin. Il accorde au président des pouvoirs spéciaux pour privatiser les entreprises publiques, éliminer le moratoire sur les retraites, créer un nouveau système d'incitation à l'investissement et introduire des réformes anti-ouvrières dans le domaine du travail.

Javier Milei, qui se décrit comme un « anarcho-capitaliste », a été élu en novembre 2023 avec un programme pour combattre la dette et les déficits élevés, l'inflation galopante et la pauvreté croissante en réduisant les dépenses dans les programmes et services publics et en « mettant entre les mains du secteur privé tout ce qui peut l'être »[1].

Le projet de loi a été adopté par la Chambre des députés le 30 avril. Le 12 juin, à l'issue de négociations avec des sénateurs qui menaçaient de le faire dérailler, le gouvernement a déposé une version que le Sénat a adoptée à une voix près. C'est le vice-président du pays qui a exprimé le vote décisif.

Le projet de loi a été amendé pour retirer de la liste des entreprises publiques à privatiser : la compagnie aérienne nationale Aerolineas Argentinas, les réseaux nationaux de radio et de télévision et le service postal national Correo Argentino. Des modifications ont également été apportées à certaines dispositions relatives à l'impôt sur le revenu.

Le projet de loi amendé doit maintenant retourner à la chambre basse pour être ratifié, rejeté en faveur du projet de loi initialement adopté, ou approuvé avec certaines des modifications introduites au Sénat, mais pas toutes. La constitution argentine prévoit la possibilité d'un veto présidentiel au cas où Milei n'accepterait pas le résultat final du processus au Congrès. Ce veto peut être renversé par une majorité des deux tiers dans les deux chambres du Congrès.

Depuis l'introduction du projet de loi antisocial, les travailleurs, les étudiants, les retraités et d'autres secteurs de la société argentine sont descendus dans la rue pour exiger son retrait. Comme il avait menacé de le faire, Milei a déployé les forces de répression de l'État pour attaquer les manifestants, les soumettant à des détentions arbitraires et à des traitements sévères pendant leur détention, et en les accusant de sédition et d'être des « terroristes ».


Manifestation à Buenos Aires contre l'offensive dans l'enseignement post-secondaire public, 23 avril 2024

Voici quelques-unes des dispositions du projet de loi tel qu'approuvé par la Chambre des députés et leurs conséquences pour le peuple argentin :

- L'âge de la retraite pour les femmes passe de 60 à 65 ans. Le moratoire sur la possibilité de devoir rembourser les cotisations pour les années manquées afin de pouvoir bénéficier d'une pension d'État est annulé. On estime que neuf femmes sur dix et sept hommes sur dix ne pourront pas prendre leur retraite à 65 ans.

- Le régime fiscal du Monotributo social disparaîtra, ce qui rendra 600 000 personnes plus vulnérables[2].

- Les travailleurs qui étaient exonérés ou payaient peu d'impôts sur le revenu seront taxés à hauteur de 35 % de leurs revenus.

- L'impôt sur la fortune payé par les riches est ramené de 2,25 % à 0,25 %, et cette mesure est prolongée jusqu'en 2038, ce qui prive les futurs gouvernements de ressources.

- L'emploi informel est encouragé; les personnes travaillant dans des entreprises de moins de cinq employés ne sont plus considérées comme des salariés.

- Les entreprises voient leurs amendes annulées et les poursuites pénales pour avoir employé des travailleurs non déclarés sont annulées.

- Un travailleur peut être licencié pour n'importe quelle raison (par exemple, activité syndicale) et les tribunaux ne peuvent pas obliger l'entreprise à le réintégrer.

- Les femmes enceintes peuvent travailler jusqu'à 10 jours avant la date de leur accouchement.

- Les compagnies pétrolières auront le contrôle des hydrocarbures qu'elles extraient et pourront les commercialiser librement sans que l'État n'intervienne ou ne fixe les prix. Les Argentins paieront le carburant au prix international, bien que l'Argentine en soit le producteur. Cela pourrait entraîner des problèmes d'approvisionnement, sans que l'État ne puisse intervenir.

- Des pouvoirs extraordinaires sont accordés au président : il peut faire disparaître ou fusionner des organismes publics, augmenter à sa guise le coût des services et des transports, défrayer la santé publique, l'éducation et bien d'autres choses encore.

- Le nouveau régime d'incitation aux grands investissements (RIGI) accordera des avantages fiscaux et des taux de change considérables aux grandes multinationales, mais pas aux petites et moyennes entreprises.

- Le nouveau régime fiscal et les taux de change permettent à ces investisseurs d'importer des machines et des intrants, ce qui détruira l'industrie métallurgique nationale.

- Les conditions de l'extractivisme sont encouragées, afin d'extraire les ressources naturelles avec un minimum de traitement.

- Ces mesures sont prolongées de 30 ans, sans que les futurs gouvernements ne puissent les annuler.

- L'administration fédérale des revenus publics permet de blanchir jusqu'à 100 000 dollars sans qu'il soit nécessaire de rapatrier cet argent, de payer des amendes ou de donner des explications sur son origine. En d'autres termes, les fraudeurs fiscaux sont récompensés et le blanchiment d'avoirs d'origine criminelle est autorisé.

- La détention arbitraire est légalisée pour réprimer les protestations, comme sous la dictature militaire.

En plus de ces mesures, quatorze entreprises publiques peuvent être privatisées par le président et les terrains où elles opèrent peuvent être vendus aux enchères. Parmi ces entreprises, on peut citer :

- AySa, l'entreprise qui traite l'eau potable pour des millions d'Argentins. Elle a été récupérée par l'État en 2006, lorsqu'il a été établi que l'eau distribuée dans les foyers contenait des matières fécales.

- Aerolineas Argentinas, une entreprise avec un important surplus qui relie 21 villes dans tout le pays. La dernière fois qu'elle a été privatisée, la compagnie a été vidée de sa caisse et est passée de trente à un avion.

- La radio et la télévision nationales

- Les chemins de fer argentins.

Notes

1. Voir « La nouvelle présidence va plonger l'Argentine dans la crise », LML Mensuel, novembre 2023

2. Un régime fiscal simplifié, introduit en 1998, a été conçu pour offrir une sécurité sociale aux travailleurs à faibles revenus qui étaient auparavant exclus en facilitant leurs contributions aux régimes nationaux de retraite et d'assurance maladie.

(Avec des informations du Buenos Aires Herald, Pagina12, Somos Telam, El DiarioAR)


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Volume 54 Numéro 5 - Juin 2024

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