Opposition à la forte hausse des frais de scolarité pour les étudiants internationaux et non québécois au postsecondaire

– Christine Dandenault –

En octobre dernier, la ministre de l'Enseignement supérieur du Québec, Pascale Déry, et le ministre de la Langue française, Jean-François Roberge, ont annoncé l'intention du gouvernement Legault d'augmenter de façon significative les frais de scolarité payés par les étudiants non québécois et internationaux inscrits dans les universités québécoises. Dans la déclaration initiale, il était prévu de faire passer les droits de scolarité annuels de 8 992 $ à 17 000 $ pour les étudiants non québécois et à 20 000 $ pour les étudiants internationaux.

Le communiqué de presse du 13 octobre du gouvernement du Québec annonçant les nouvelles mesures stipule ce qui suit :

« À partir de l'automne 2024, un tarif plancher sera établi pour tous les étudiants non québécois inscrits au 1er cycle et au 2e cycle professionnel. Les étudiants canadiens non-résidents du Québec (CNRQ) devront payer un tarif équivalent à ce que coûte leur formation au gouvernement du Québec, alors que le tarif établi pour les étudiants internationaux sera plus élevé.

« De plus, le ministère de l'Enseignement supérieur va récupérer un montant forfaitaire pour chaque étudiant non québécois. Les établissements universitaires conserveront le droit de facturer un montant discrétionnaire additionnel selon leur stratégie et leurs priorités de recrutement à l'étranger. »

Le « montant discrétionnaire additionnel » qu'une université québécoise de langue anglaise comme McGill facture annuellement aux étudiants non québécois s'élève déjà à près de 12 000 $ par an (année universitaire 2023-24) pour un programme de baccalauréat en arts et en sciences et atteint 21 000 $ par an pour les étudiants de première année des programmes de médecine dentaire et de doctorat en médecine.

La logique du premier ministre Legault pour justifier l'augmentation annuelle des frais de scolarité était de dire que les étudiants québécois qui étudient dans des universités canadiennes à l'extérieur du Québec paient déjà des frais de scolarité plus élevés et que « ce n'est pas équitable » pour eux si le gouvernement du Québec n'applique pas les mêmes mesures antisociales aux étudiants non québécois.

Face au tollé suscité par cette mesure au sein des associations étudiantes et des administrations universitaires qui comptent sur l'inscription d'étudiants non québécois pour joindre les deux bouts, le gouvernement Legault a publié en décembre dernier une déclaration annonçant que les frais de scolarité annuels pour les étudiants non québécois seraient fixés à 12 000 dollars. Les frais de scolarité annuels de base pour les étudiants internationaux augmenteront à 20 000 $, et le gouvernement percevra 3 000 $ en frais qui seront, selon ses propres termes, « réinvestis dans les universités québécoises » pour soi-disant « corriger le déséquilibre financier qui existe entre les réseaux francophone et anglophone », un autre stratagème utilisé par le gouvernement Legault pour diviser et régner en se servant des concurrences historiques entre les universités au Québec.

Dans une lettre ouverte datée du 25 octobre et publiée dans La Presse, les recteurs des trois plus importantes universités francophones du Québec, l'Université de Montréal, l'Université Laval et l'Université de Sherbrooke, ainsi que les directeurs des deux plus importantes écoles francophones de génie et de commerce du Québec, Polytechnique Montréal et HEC Montréal, remettent en question le bien-fondé de ces mesures qui affecteront les étudiants non québécois et les étudiants internationaux. Les recteurs rappellent d'abord que « ni l'une ni l'autre de ces mesures n'a fait l'objet de consultations préalables auprès des universités québécoises. » Ils poursuivent en disant : « Par ailleurs, certains commentaires malencontreux ont teinté l'annonce de ces mesures. Les étudiants issus de l'extérieur du Québec ont été présentés tour à tour comme des variables budgétaires, des menaces à l'essor du français, des pique-assiette ou des vaches à lait. Il faut plutôt les voir comme des acteurs qui contribuent, comme les étudiants et étudiantes du Québec, à l'excellence, à la qualité, à la diversité et à la pertinence de nos établissements. Les universités partout dans le monde reconnaissent l'apport exceptionnel des personnes venues de l'extérieur de leurs frontières [1]. »

L'Université Bishop's, située près de Sherbrooke, a été partiellement exemptée de la hausse des frais de scolarité pour les étudiants non québécois. Le gouvernement du Québec permettra à 825 étudiants de payer l'ancien tarif, tandis que les autres paieront les nouveaux frais de scolarité. L'une des raisons, selon Sébastien Lebel-Grenier, principal et vice-chancelier de l'Université Bishop, est que « les dirigeants municipaux francophones des Cantons de l'Est » ont « demandé au gouvernement provincial de leur accorder cette exemption ».

L'Association étudiante de l'Université McGill, l'Association étudiante de Concordia et le Conseil représentatif des étudiants de l'Université Bishop's ont organisé des manifestations l'automne dernier qui ont conduit à une grève de deux jours au cours de laquelle plus de 11 000 étudiants ont débrayé les 31 janvier et 2 février. En octobre dernier, une pétition en ligne publiée sur le site de l'Assemblée nationale du Québec a exigé que le gouvernement du Québec annule la proposition d'augmentation des frais de scolarité pour les étudiants internationaux et non québécois. En l'espace d'un mois, la pétition avait recueilli plus de 33 000 signatures, de loin la pétition qui a recueilli le plus grand nombre de signatures en 2023 [2].

Exigences en matière de langue française pour les
étudiants internationaux et non québécois

Les trois universités anglophones du Québec – McGill, Concordia et Bishop's – seront durement touchées par ces mesures, car elles accueillent un nombre important d'étudiants non québécois et internationaux (environ 32 000).

Dans le cadre des nouvelles mesures du gouvernement Legault visant à réajuster les frais de scolarité annuels de 17 000 $ à 11 000 $, les trois universités anglophones du Québec – McGill, Concordia et Bishop's – devront s'assurer que 80 % de leurs étudiants internationaux et de l'extérieur du Québec apprennent le français. Ces étudiants devront faire preuve d'une compétence orale de niveau 5 – essentiellement la capacité de tenir une conversation – à la fin de leurs études de premier cycle. L'obligation d'apprendre le français entrera en vigueur pour les nouveaux étudiants à partir de l'année universitaire 2025-26.

Pour justifier une telle mesure, le premier ministre Legault a fait valoir que les étudiants de l'extérieur du Québec qui viennent étudier dans les universités McGill et Concordia constituent une menace pour la langue française à Montréal. Le 16 octobre, il a déclaré « quand je regarde le nombre d'étudiants anglophones au Québec, ça menace la survie du français ». Il a avancé l'argument absurde que si l'on se promène dans le quartier des universités McGill ou Concordia, on n'entend que des gens parler en anglais, son message sous-jacent étant que les étudiants non québécois contribuent au déclin du français à Montréal.

Attaques des gouvernements contre les étudiants internationaux dans les établissements d'enseignement postsecondaire au Québec et au Canada

En décembre 2022, 58 675 étudiants internationaux fréquentaient les universités québécoises, soit 10 000 de plus que l'année précédente, où ils représentaient 14 % de l'ensemble des étudiants. En outre, 19 460 étudiants internationaux fréquentent des collèges publics et privés. Environ 24 % des étudiants de l'Université Concordia sont internationaux; à l'Université McGill, ce chiffre dépasse les 30 %.

Les universités francophones du Québec comptent également un nombre très important d'étudiants internationaux. Par exemple, 6 000 des 42 000 étudiants inscrits à l'Université de Montréal sont des étudiants internationaux. Les deux tiers des étudiants inscrits à l'Université de Montréal sont originaires de France et de Belgique et, en raison des accords de gouvernement à gouvernement en vigueur, paient les mêmes droits de scolarité que les étudiants québécois.

À l'Université de Montréal, les étudiants internationaux non couverts par ces accords doivent payer près de 30 000 dollars par an. Si certaines universités québécoises demandent un peu moins, d'autres, comme l'université McGill, demandent beaucoup plus – jusqu'à près de 70 000 dollars par an pour certains programmes de premier cycle. La question de la recherche de revenus supplémentaires est cruciale pour beaucoup de ces étudiants internationaux.

En raison des restrictions imposées par le gouvernement fédéral, les étudiants internationaux ne peuvent travailler que 20 heures par semaine. C'est souvent insuffisant pour permettre à un étudiant de joindre les deux bouts, de sorte que beaucoup sont contraints de travailler au noir, sans bénéficier d'une indemnisation en cas d'accident du travail.

L'exploitation des étudiants internationaux par le Canada est criminelle. Les parents de nombreux de ces étudiants se sont lourdement endettés pour qu'ils puissent faire des études au Canada dans l'espoir de gagner leur vie et d'aider leur famille restée au pays. Cependant, le Canada se sert d'eux comme d'une vache à lait, sans réglementer les loyers que les propriétaires peuvent exiger pour le logement ni garantir que les diplômes des institutions seront reconnus, etc. Bien que ces problèmes soient reconnus depuis des années, le gouvernement canadien préfère les ignorer ou, pire encore, encourager la création d'établissements privés et d'agences de recrutement peu scrupuleuses[3] [4].

Les agents engagés par les institutions postsecondaires pour recruter des étudiants internationaux ne valent pas mieux que les coyotes qui travaillent pour les cartels de la drogue et ceux du même acabit qui soutirent des dizaines de milliers de dollars à des personnes d'origine pauvre contraintes de vendre leurs maigres lopins de terre pour payer le prix des promesses de leur faire passer la frontière américaine.

Le Canada se dit préoccupé par le sort des femmes dans le monde entier, par leur éducation et leur bien-être, mais les faits et gestes démontrent le contraire. Pour le Canada, les êtres humains sont des objets que l'on utilise et que l'on jette. Le cas des étudiants non québécois et internationaux révèle simplement que les gouvernements sont prêts à tout pour soutirer de l'argent aux gens au pays et à l'étranger. Les établissements d'enseignement sont détruits à cause de la privatisation et de leur prise de contrôle par des intérêts privés qui ne prêtent aucune attention aux besoins du corps politique dans son ensemble, mais seulement à leurs plans pour gagner de l'argent à la vitesse requise pour avoir droit à l'aide gouvernementale. Pour avoir de l'argent à investir dans les soins de santé, l'éducation et les pensions, il faut changer la direction de l'économie.

Notes

1. « Il faut mieux soutenir les universités d'ici », Lettre ouverte, La Presse, 25 octobre 2023

2. Pétition – Annulation de la hausse des frais de scolarité des étudiants priovenant de l'extérieur du Québec, Assemblée nationale du Québec, 27 novembre 2023

3. Voir « L'univers obscur des agent(e)s de recrutement à l'international », Matthew Halliday, Affaires universitaires, 2 novembre 2022

4. Voir la vidéo « How recruiters in India use false promises to lure students to Canada – The Fifth Estate », CBC, 13 octobre 2022

(Avec des informations du gouvernement du Québec, CBC, CTV, La Presse)


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Volume 54 Numéro 4 - Avril 2024

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