Criminalisation du droit de parole et de conscience

D'autres mesures administratives au Québec pour criminaliser la participation des citoyens à la vie politique

– Geneviève Royer –

Le gouvernement du Québec prend les mesures les plus ridicules pour criminaliser la dissidence au nom de la défense de la démocratie. Le 10 avril, Andrée Laforest, ministre des Affaires municipales, a déposé le projet de loi 57, Loi édictant la Loi visant à protéger les élus et à favoriser l'exercice sans entraves de leurs fonctions et modifiant diverses dispositions législatives concernant le domaine municipal.

Le projet de loi donnerait à la police politique du Québec le pouvoir de sévir contre des citoyens et résidents qui manifestent devant les bureaux des députés fédéraux ou provinciaux ou d'élus municipaux, ou qui envoient des lettres, lancent des pétitions ou écrivent à leur sujet, de telles actions étant considérées comme des atteintes aux valeurs canadiennes et québécoises et aux intérêts de l'État. Il s'agit d'une extension des plus flagrantes des pouvoirs dictatoriaux contre la liberté d'expression et le droit du peuple d'agir pour défendre ses droits et ceux de tous.

Lors de son dépôt, la ministre a déclaré : « Cette loi prévoit la possibilité pour un élu municipal ou un député de l'Assemblée nationale qui, du fait qu'il est un élu, fait l'objet de propos ou de gestes qui entravent indûment l'exercice de ses fonctions ou portent atteinte à son droit à la vie privée de demander à la Cour supérieure de prononcer une injonction pour mettre fin à cette situation. »

Le premier article du projet de loi stipule :

« La présente loi vise à valoriser le rôle des élus, à encourager les candidatures aux élections et à contribuer à la rétention des élus en favorisant l'exercice sans entraves des fonctions électives au sein des institutions démocratiques québécoises, notamment l'exercice de telles fonctions à l'abri des menaces, du harcèlement et de l'intimidation. »

Une demande d'intervention « est instruite et jugée d'urgence ». Le projet de loi stipule qu'en ce qui concerne les députés, la Cour peut notamment ordonner à une personne :

« 1. de ne pas se trouver dans le bureau de circonscription du député;
« 2. de ne pas se trouver dans les bureaux du cabinet ministériel d'un membre du Conseil exécutif;
« 3. de cesser de communiquer avec le député;
« 4. de cesser de diffuser dans l'espace public des propos visés au premier alinéa. »

Pour les élus municipaux, la Cour peut notamment ordonner à une personne :

« 1. de ne pas se présenter aux séances de tout conseil d'un organisme municipal auquel siège l'élu municipal;
« 2. de ne pas se trouver dans les bureaux de tout organisme municipal visé au paragraphe 1 sans y avoir été autorisée par le conseil de cet organisme;
« 3. de cesser de communiquer avec l'élu municipal;
« 4. de cesser de diffuser dans l'espace public des propos visés au premier alinéa. »

Les recours prévus peuvent mener à une amende allant de 500 $ à 1 500 $ pour « quiconque entrave l'exercice des fonctions d'un tel élu en le menaçant, en l'intimidant ou en le harcelant de façon à lui faire craindre raisonnablement pour son intégrité ou sa sécurité. Elle rend aussi passible d'une amende quiconque cause du désordre de manière à troubler le déroulement d'une séance du conseil municipal d'un organisme municipal. »

Au niveau municipal, le ministre responsable des Affaires municipales aura le pouvoir de reporter ou de suspendre une élection lorsque la sécurité des personnes ou des biens est menacée ou lorsqu'un événement imprévisible entrave sérieusement le bon déroulement de cette élection. Il a le pouvoir d'exiger l'adoption obligatoire aux régies intermunicipales d'un code d'éthique et de déontologie pour leurs employés et d'obliger toute municipalité ou toute communauté métropolitaine à adopter des normes concernant le maintien de l'ordre, le respect et la civilité durant les séances du conseil.

Dans un communiqué publié le 12 avril,  Marie-Claude Nichols, députée indépendante de Vaudreuil, note : « Ce projet de loi attendu est une solution expéditive à un problème complexe, puisqu'il a été déposé sans avoir au préalable procédé à un véritable recensement des sources du problème et sans consultation des acteurs concernés, ce qui est un non-sens pour la députée. » Elle ajoute : « Dans certaines municipalités, le problème se traduit par de l'incivilité de la part des citoyennes et citoyens, dans d'autres, il s'agit d'un climat toxique à la table du conseil, et pour certaines villes, la tension se situe entre la direction générale et les élus. » « Bref, dit-elle, les sources sont variées et les mesures proposées n'y répondent pas directement. Ayant moi-même été mairesse et préfète, je ne saisis pas où veut aller Andrée Laforest avec le PL 57. »

Selon l'expérience de personnes du milieu municipal, l'intimidation se fait la plupart du temps par d'autres élus ou par une clique d'individus contre un élu. Par exemple, lors de rencontres virtuelles, des élus ferment carrément leur écran pour ne pas entendre un certain élu quand il prend la parole.

Le projet de loi 57 ne s'attaque en rien au fait que la corruption continue d'être un problème au niveau municipal. En 2011, la Commission Charbonneau a été créée pour enquêter la corruption à tous les niveaux de gouvernement et l'Unité permanente anticorruption (UPAC) a été créée. Selon le responsable de la prévention de l'UPAC, la corruption parmi les élus est plus cachée et les intrigues impliquent moins d'acteurs qu'auparavant. Autrement dit, le pouvoir est de plus en plus concentré dans les mains de quelques-uns.

« Ce n'est plus visible. Comme pour tout type de crime organisé, les gens s'adaptent. [...] Aujourd'hui, c'est plus caché, avec un nombre moindre de participants », explique le responsable de l'UPAC. « On n'observe plus, par exemple, de vastes réseaux comme celui de l'ancien maire de Laval Gilles Vaillancourt, qui impliquait des dizaines d'entreprises et pour lequel 37 personnes ont été arrêtées en 2013. »

Les malversations du maire de la Ville de Laval et de ses associés se sont étendues à la vente de terrains, au déneigement et aux services professionnels d'architectes paysagistes. Les pratiques d'intimidation faisaient partie des méthodes utilisées pour atteindre leurs objectifs.

Au lieu de s'en prendre à eux, les municipalités ont pris des mesures visant à restreindre le droit d'intervention des citoyens. En janvier, la Municipalité de Sainte-Pétronille, sur l'Île d'Orléans, a envoyé une mise en demeure à 97 citoyens qui ont signé une pétition réclamant des éclaircissements sur l'embauche du nouveau directeur général, qui aurait été congédié par son ex-employeur pour des raisons dérogatoires. Le conseil municipal de la Ville de Rimouski, lors de sa séance du 8 avril, a adopté à l'unanimité un règlement permettant d'augmenter le montant des amendes infligées aux citoyens qui perturbent le déroulement des séances publiques. Par ailleurs, les travailleurs sont déjà venus massivement aux séances municipales pour contester les décisions et faire entendre leur voix.

Selon le projet de loi 57, c'est la voix des citoyens et des résidents qui est clairement visée.

Les tentatives de protéger les élus en criminalisant la dissidence ne protégeront ni les élus ni les citoyens qui souhaitent faire entendre leur voix sur les questions qui les concernent. Le problème avec l'inclusion dans le projet de loi d'interdictions de toutes sortes qui sont appliquées aux individus et aux organisations par le pouvoir exécutif est précisément que les gens sont exclus et ne sont même pas consultés sur ce qu'ils pensent être la cause du problème et quelles solutions peuvent être apportées. Ce n'est qu'en modernisant les processus sur la base desquels les décisions sont prises à tous les niveaux que ces problèmes pourront être résolus.

Ce projet de loi est une mesure désespérée qui sera non seulement appliquée aux dissidents au niveau des conseils municipaux où se déroule effectivement une grande partie de la corruption, mais elle sera poursuivie pour criminaliser toute dissidence à tous les niveaux au Québec.

Les problèmes doivent être résolus par des discussions où chaque point de vue est entendu et pris en compte, et non par le recours à la violence et aux menaces. À maintes reprises, les Québécois ont dû faire échec aux injonctions, amendes et autres mesures de criminalisation prises contre leur droit de parler et d'agir pour défendre leurs droits et ceux de tous. Aujourd'hui, au nom de l'élimination de l'intimidation, de la haine, de l'extrémisme et autres, la même chose se produit à nouveau. Même si la loi est adoptée, les tentatives visant à faire taire le peuple ne seront pas adoptées.


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Volume 54 Numéro 3 - Avril 2024

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