Encore des stratagèmes pour payer les riches au nom d'une « économie durable » au Québec

Au Québec, General Motors (GM) et POSCO Chemical ont annoncé le 6 mars 2022 leur intention de construire à Bécancour une usine de fabrication de composants de batteries pour véhicules électriques, grâce à un prêt de 150 millions de dollars des gouvernements du Québec. De ce prêt, une somme de 134 millions de dollars sera pardonnable si les 200 emplois promis sont maintenus pendant 10 ans. L'usine traiterait les matériaux actifs de la cathode (CAM) dont le nickel et le lithium. Ces composants, qui représentent environ 40 % du coût total de la batterie, se retrouvent dans la technologie Ultium utilisée par GM pour ses véhicules électriques. Présentement, la production des batteries se fait essentiellement en Asie. Quelques jours auparavant, l'entreprise allemande BASF avait annoncé qu'elle avait acquis un terrain dans le même parc industriel de Bécancour pour y construire une usine qui aurait visé la production jusqu'à 100 000 tonnes de matériaux actifs cathodiques pour une raffinerie de métaux de base intermédiaires de nickel et de cobalt et le recyclage de tous les métaux de batterie, y compris le lithium. Ce dernier projet de BASF est pour l'instant mis sur pause, faute de trouver des clients pour sa production.

Le projet d'une usine de cathodes, principal intrant de la batterie au lithium-ion qui alimente les véhicules électriques, est dans l'air depuis l'automne 2022 et a finalement été annoncée à la mi-août de cette année. L'usine sera un partenariat entre Ford, EcoPro BM et le fabricant de batteries SK, tous les deux des entreprises sud-coréennes. EcoPro BM est le premier fabricant au monde de matériaux cathodiques actifs à forte teneur en nickel, tandis que SK est un conglomérat spécialisé dans l'énergie, les produits chimiques, les télécommunications et les semi-conducteurs. Ils sont considérés comme des leaders mondiaux dans le développement et la fabrication de batteries de véhicules électriques. L'usine sera construite dans le parc industriel de Bécancour, et le terrain, situé au nord de l'autoroute 30, fera face à ceux de GM-POSCO et de Nemaska Lithium.

Ford a conclu une entente pour s'approvisionner en hydroxyde de lithium, une composante essentielle des cathodes des batteries, qui sera produit à l'usine de Nemaska Lithium, qui, elle aussi, sera bâtie, à Bécancour. La vice-présidente responsable des véhicules électriques chez Ford, Lisa Drake, a déclaré lors de l'annonce de la construction de l'usine qui représente un investissement de 1,2 milliards de dollars : « Nous construisons une nouvelle usine de camions électriques dans le Tennessee. Ce sera notre quatrième usine de camions série F aux États-Unis. Les cathodes d'ici seront acheminées vers les cellules des batteries et, en fin de compte, vers cette usine. Ça ne peut pas être plus stratégique comme investissement. » Les gouvernements fédéral et du Québec avanceront plus de la moitié de la somme nécessaire à la construction de l'usine de Ford à Bécancour. Ils accordent des prêts de 644 millions pour la construction de la nouvelle usine de production de matériaux de batteries de 1,2 milliards de dollars à Bécancour. La partie « prêt pardonnable » du Québec s'élève à 194 millions, l'équivalent d'une subvention.

À peine un mois après l'annonce de l'usine de cathodes de Ford à Bécancour, une usine de fabrication de feuilles de cuivre, une composante importante des anodes des batteries de véhicules électriques, a été faite par Solutions énergétiques Volta, une entreprise sud-coréenne qui compte produire à Granby, Québec, ses feuilles de cuivre presque entièrement à partir de métal recyclé,« notamment en provenance de nos déchets de matériel informatique ». Cette nouvelle usine devrait démarrer en 2026 avec une capacité de production de 25 000 tonnes par année », a expliqué le gouvernement. Dans sa deuxième phase de 63 000 tonnes par an, soit l'équivalent nécessaire pour 2,5 millions de véhicules électriques, le gouvernement du Québec va leur faire un prêt de 150 millions de dollars sur un projet estimé à 750 millions de dollars.

Construction de la méga-usine de Northvolt

La plus récente annonce fut celle de l'implantation d'une usine d'assemblage de piles à 35 kilomètres au sud-est de Montréal par la firme suédoise Northvolt, le 28 septembre. Le site de l'usine est d'une superficie d'environ 170 hectares – soit l'équivalent de 1 000 patinoires de hockey professionnel – et chevauche les municipalités de Saint-Basile-le-Grand et McMasterville, en Montérégie. Ce sera la première usine de Northvolt à l'extérieur de l'Europe.

L'entreprise suédoise fondée en 2015 pourra compter sur un investissement de 1,34 milliard de dollars de la part du gouvernement fédéral et de 1,37 milliard de dollars de la part du gouvernement du Québec. Le financement de la construction et de la production de l'usine seront assurés à 80 % par les gouvernements du Québec et du Canada.

Le reste du financement du projet sera pris en charge par BlackRock ainsi que le Régime de pension du Canada et le Régime de pension des employés municipaux de l'Ontario (OMERS). Goldman Sachs a été l'investisseur principal avec Volkswagen et des régimes de pension suédois lors de la mise sur pied de Northvolt en 2015 par deux anciens administrateurs de Tesla. Avec le dernier investissement sous forme de notes convertibles, Northvolt a été cherché plus de 9 milliards de dollars en dette et en actions depuis 2017, ajoute le rapport. En outre, la Caisse de dépôt et placement du Québec (CDPQ), l'agence gouvernementale québécoise qui gère le Régime des rentes du Québec, a publié le 16 novembre un communiqué de presse dans lequel elle annonce un investissement de « 150 millions $US dans Northvolt AB », « sous la forme de dette convertible dans la société mère située en Suède ».

À cette enveloppe de départ s'ajouteront des « incitatifs à la production », qui seront disponibles pour Northvolt une fois qu'elle sera en activité. Ces incitatifs représentent une autre somme de 4,6 milliards de dollars – dont le tiers serait payé par le gouvernement du Québec. Au total, la facture pour le gouvernement du Québec pourrait ainsi monter à 2,9 milliards de dollars de fonds publics dans les prochaines années, dont 900 millions seront offerts sous forme de prêt remboursable et en prise de participation dans Northvolt. C'est 4,4 milliards de dollars pour le gouvernement du Canada. Pour un projet de 7 milliards, les gouvernements subventionneront à terme jusqu'à 5,6 milliards, soit 80 % du coût initial du projet.

Cela a fait réagir le PDG de la Banque nationale, Laurent Ferreira qui n'est « pas un grand fan des subventions pour attirer des entreprises étrangères au pays ». Une semaine avant l'annonce de Northvolt, il l'a déclaré devant 1 300 personnes du milieu des affaires lors d'une allocution devant la Chambre de commerce du Montréal métropolitain réunie le 21 septembre : « Mon point là-dessus, c'est que quand on donne des subventions aux compagnies étrangères, c'est qu'elles vont directement dans la poche des actionnaires étrangers qui ne sont principalement pas canadiens. Je doute de ce modèle, à plus long terme, dans la création de richesse. » Il a ajouté « À long terme, je ne pense pas que c'est une bonne idée de taxer plus les entreprises canadiennes et de donner des subventions à Stellantis et Volkswagen. »

Les deux paliers de gouvernement justifient cette aide supplémentaire comme un montant équivalent au crédit pour la production manufacturière de pointe prévu dans l'Inflation Reduction Act des États-Unis, auquel aurait eu droit Northvolt si elle avait choisi de bâtir son usine au sud de la frontière. Le co-fondateur de Northvolt a admis en entrevue que son entreprise considérait s'installer dans l'État de New York où elle aurait pu aussi bénéficier de « l'électricité propre » que le Québec exporte déjà vers cet État. Le premier ministre Legault a comparé cet investissement de Northvolt de plusieurs milliards de dollars à l'investissement qu'a nécessité la construction du complexe hydro-électrique de la Baie James sous le premier ministre Robert Bourassa.

Le lendemain de l'annonce de Northvolt, une lettre ouverte adressée à François Legault dans le journal Le Devoir par un citoyen fait remarquer que la comparaison du premier ministre ne tient pas la route, car il est question ici de mettre des milliards de dollars dans une entreprise privée et non dans une société d'État telle qu'Hydro-Québec qui se définit comme « responsable de la production, du transport et de la distribution de l'électricité au Québec ». L'auteur de la lettre rappelle au premier ministre que « votre comparaison aurait eu davantage de sens si vous aviez cité le prêt sans intérêt de 110 millions de dollars accordé en 1987 par le même gouvernement Bourassa à General Motors (GM) à Sainte-Thérèse/Boisbriand. En 2002, soit 15 ans plus tard, les activités ont cessé et ce n'est qu'en avril 2017 que le montant total du prêt a été remboursé sans intérêts... » Il conclut sa lettre par ses mots : « Le montant accordé à Northvolt est à ce point faramineux – et les conditions sont méconnues – qu'on peut se demander où vous l'avez trouvé... Cependant, nous savons qui va en payer le prix[1]. »

Les études d'impact environnemental contournées

Le fait que le gouvernement du Québec soit un partenaire majeur dans la construction de la centrale en payant, avec le gouvernement fédéral, jusqu'à 80 % du coût de construction de l'usine de Northvolt a fait dire à plusieurs que le gouvernement du Québec est dans une situation de conflit d'intérêts puisqu'il est un partenaire majeur dans la construction de l'usine et qu'il a tout intérêt à ce que le projet soit complété dans les plus brefs délais. D'où les changements apportés au printemps dernier à la réglementation par le ministère de l'Environnement et de la lutte aux changements climatiques (MELCC) du Québec pour contourner la tenue d'auditions publiques sur l'impact environnemental d'un tel projet lors de sa première phase de production de cellules de batteries. Déjà, le 1er novembre 2023, le gouvernement Legault a autorisé le ministère de l'Économie et de l'Innovation à verser 22,6 millions de dollars à la municipalité de Saint-Basile-le-Grand pour la construction d'une « route temporaire » qui permettra à Norhtvolt d'accéder au site de construction du projet[2].

Cela se produit avant même que le MELCC ait terminé son analyse préliminaire pour déterminer si le projet doit faire l'objet d'une étude d'évaluation environnementale, comme pour tous les grands projets industriels. De nombreux environnementalistes et experts ont averti que la construction d'une partie de l'usine de Northvolt entraînerait la destruction de zones humides abritant des oiseaux et des petits mammifères désignés comme espèces vulnérables. En mars dernier, la MELCC a empêché l'ancien propriétaire du terrain où sera implantée la future usine de cellules de batteries de construire un projet de 2 400 unités de logement, car cela portait « atteinte à la conservation de la biodiversité ». Le promoteur immobilier avait proposé de détruire 6,5 hectares de zones humides, tandis que Northvolt en détruira 13 hectares des 21,6 hectares de zones humides présentes sur les 170 hectares du site de l'usine Northvolt.

Stéphanie Pellerin, professeure associée au département des sciences biologiques de l'Université de Montréal et spécialiste des milieux humides, qui a consulté les analyses ministérielles a fait le commentaire : « Ce qui me choque le plus dans ce dossier, c'est qu'on donne la défaite de dire : 'On va créer des industries vertes, donc on devrait accepter de détruire des environnements naturels d'importance écologique.' »

Notes

1. « Northvolt n'est pas Hydro-Québec », Lettre à la rédaction, Le Devoir, 29 septembre 2023

2. Décret 1588-2023, Gazette officielle du Québec, 1er novembre 2023


Cet article est paru dans
Logo
Volume 54 Numéro 2 - 23 mars 2024

Lien de l'article:
https://cpcml.ca/francais/Lml2024/Articles/LM54025.HTM


    

Site web :  www.pccml.ca   Courriel :  redaction@pccml.ca