Rapport de la vérificatrice générale sur la corruption à l'Agence des services frontaliers du Canada
Le 12 février, la vérificatrice générale du Canada
Karen Hogan
a publié son rapport sur l'achat de ce qu'on appelle
l'application ArriveCan. Cette application a été utilisée
pour
exiger des voyageurs se rendant au Canada pendant la
pandémie
qu'ils transmettent à l'avance, par voie électronique,
des
informations sur leur voyage, notamment leur statut
vaccinal et
les résultats du test COVID-19, le nom et l'adresse des
personnes qu'ils visitent, et bien plus encore. Elle a
considérablement augmenté la collecte de données
personnelles et
les connexions par le gouvernement et les entrepreneurs
privés
qui gèrent les informations. Lancée en avril 2020, elle
était
obligatoire jusqu'en octobre 2022 aux postes-frontières
et est
devenue facultative depuis.
La Bureau de la vérificatrice générale a mené une enquête, comme le demandait une motion déposée à la Chambre des communes le 2 novembre 2022 à la suite d'allégations d'irrégularités dans la manière dont les contrats de développement de l'application ont été attribués et après que des inquiétudes sont apparues concernant la sous-traitance et l'augmentation des coûts. L'Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) et la GRC ont ouvert des enquêtes parallèles après avoir reçu des plaintes concernant la façon dont l'ASFC attribuait les contrats et les entreprises auxquelles elle les attribuait, notamment en passant par une société de logiciels basée à Montréal qui avait fait des affaires avec les entreprises en question.
L'ASFC avait estimé le coût initial d'ArriveCan à 80 000 dollars. Dans son rapport, la vérificatrice générale a estimé le coût total à 59,5 millions de dollars, ce qui est plus que le coût final estimé par l'ASFC à 54 millions de dollars. La vérificatrice générale a déclaré qu'elle n'était pas en mesure de déterminer le coût exact en raison « d'une documentation inadéquate et de faiblesses dans les contrôles » de l'ASFC. Le rapport indique que 18 % des factures soumises par des entrepreneurs privés n'étaient « pas accompagnées d'une documentation à l'appui suffisante » et que l'ASFC elle-même a estimé que 12,2 millions de dollars du coût pourraient ne pas être liés à ArriveCan. Karen Hogan a déclaré au Comité permanent des comptes publics : « Il pourrait y avoir des montants qui ne devraient pas être liés à ArriveCan, mais il pourrait aussi y avoir des montants liés à ArriveCan qui n'ont pas été signalés dans les livres. »
Le recours à des sous-traitants au début du processus
pour
créer et gérer l'application a été jugé raisonnable car
il y
avait un besoin urgent de faciliter le passage des
frontières
dans les premiers stades de la pandémie, mais on
s'attendait à
ce que le service public prenne le relais, ce qui n'a pas
été le
cas. Le rapport estime que les coûts journaliers des
contractants externes d'ArriveCan s'élevaient à 1090
dollars,
alors que le coût journalier moyen d'un poste à l'interne
équivalent est de 675 dollars.
Cela montre une fois de plus que la pratique adoptée par
les
gouvernements consistant à payer des intérêts privés
étroits
pour effectuer des travaux qui relèvent du domaine de la
fonction publique est socialement irresponsable et
corrompue.
Qui plus est, compte tenu de la corruption ambiante, il y
a
certainement des doutes sur la manière dont les données
collectées ont été partagées, vendues ou utilisées par
les
contractants et le gouvernement. Ce problème central de
la
collecte des données n'a pas été mentionné.
Le rapport souligne également que le plus gros contractant, GC Strategies, un cabinet de conseil composé de deux personnes, a obtenu un contrat à fournisseur unique en avril 2020, alors qu'il n'existe aucune preuve que le cabinet ait même fourni un document de proposition pour le projet, et encore moins qu'il ait la capacité de réaliser ce qui était demandé. Radio-Canada rapporte que la vérificatrice générale n'a pas pu déterminer quel fonctionnaire avait pris la décision finale de sélectionner GC Strategies pour le contrat d'avril 2020. On rapporte également que GC Strategies a participé à l'établissement des exigences que les soumissionnaires devraient respecter pour un contrat concurrentiel ultérieur d'une valeur de 25 millions de dollars, qui a ensuite été attribué à GC Strategies elle-même, ce qui constitue un « conflit d'intérêts » apparent.
Le ombud canadien chargé des marchés publics avait précédemment signalé que les critères utilisés pour l'attribution du contrat de 25 millions de dollars étaient « trop restrictifs » et « favorisaient ce fournisseur de l'ASCF existant ». Il a également été signalé que qu'il y avait « de nombreux exemples où le fournisseur avait simplement copié et collé les exigences à partir des critères obligatoires » du gouvernement en matière de sous-traitance lors de la soumission de propositions aux fonctionnaires de l'ASFC.
D'autres exemples de corruption, appelés par euphémisme « conflits d'intérêts possibles », incluent le fait que des fonctionnaires de l'ASFC ont accepté des cadeaux de la part de certains contractants qui n'ont pas été divulgués à leurs superviseurs. Ces cas n'ont pas été examinés par la vérificatrice générale parce qu'ils font l'objet d'enquêtes en cours de l'ASFC et de la GRC. La présidente de l'ASFC, Erin O'Gorman, a déclaré en janvier au Comité permanent des opérations gouvernementales de la Chambre des communes que l'enquête de l'ASFC avait jusqu'à présent révélé « qu'il y avait eu une collaboration constante entre certaines fonctionnaires et CG Strategies. Ils montrent les efforts déployés pour contourner ou ignorer les processus d'approvisionnement établis et les rôles et responsabilités. » Toute cette situation remet en question un élément essentiel, à savoir ce qui a été fait de toutes les données collectées et comment le fait d'ignorer les « responsabilités établies » a eu un impact sur cet enjeu qui préoccupe grandement le public.
Bien que cela soit vrai, il semble que les ministres fédéraux eux-mêmes, responsables de l'attribution des contrats de type stratagèmes-pour-payer-les-riches en premier lieu, s'en tirent indemnes. C'est devenu la norme de cacher la profondeur de la corruption qui fait partie intégrante de l'offensive antisociale et de la prise de contrôle des fonctions qui appartiennent légitimement aux fonctionnaires et au secteur public. Cela souligne le besoin urgent de changer la direction de l'économie pour qu'elle soit centrée sur l'humain et de procéder à un renouveau démocratique afin que les intérêts privés ne puissent plus usurper les positions de pouvoir et de prise de décision.
Cet article est paru dans
Volume 54 Numéro 1-2 - Janvier-Février 2024
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