La dilapidation de l'économie se poursuit sous le gouvernement «nationaliste» de François Legault

– Georges Côté –

L'Assemblée nationale du Québec a repris ses travaux le 30 janvier. Les travaux se caractérisent par la dilapidation des biens publics au service d'intérêts privés étroits qui forment des oligopoles et par la mise en place d'un pouvoir décisionnel solidement entre leurs mains, alors qu'ils continuent d'usurper les ressources naturelles et de s'engager dans le démantèlement de l'édifice national. Il est notamment question de consacrer près de 3 milliards de dollars de fonds publics à l'établissement d'une industrie de la batterie qui dépend entièrement des hauts et des bas de l'économie américaine, que ce soit avec le plan « Build Back Better » de Joe Biden ou avec le plan « Make America Great Again » de Donald Trump, qui alimentent tous deux la machine de guerre des États-Unis. Il s'agit également de continuer à livrer les secteurs de l'éducation et de la santé à ceux dont la priorité est la recherche du profit et d'introduire des dispositions qui éloignent encore davantage les citoyens et les résidents de la prise de décisions qui affectent leur vie.

Des stratagèmes pour payer les riches dans le secteur de l'énergie

D'ici mars, le gouvernement du Québec a l'intention de déposer un projet de loi pour légaliser la vente directe d'électricité d'une entreprise à une autre, ouvrant toute grande la porte à la privatisation de l'électricité et d'Hydro-Québec. Le ministre de l'Économie, de l'Innovation et de l'Énergie, Pierre Fitzbiggon, veut modifier la Loi sur la Régie de l'énergie du Québec pour permettre à une entreprise non seulement de produire de l'électricité pour elle-même, ce qui est déjà légal, mais aussi de la distribuer et de la revendre à des clients en utilisant leurs propres lignes électriques privées ou celles qui appartiennent à Hydro-Québec.

On a toujours dit aux Québécois que la nationalisation des compagnies d'électricité privées, il y a 60 ans, avait été faite dans le but d'être « maîtres chez nous ». Aujourd'hui, le gouvernement veut mettre le dernier clou dans le cercueil du Maîtres chez nous. Les stratagèmes pour payer les riches se sont succédés, et souvent dans un grand plan d'ensemble, en particulier depuis le début des années 1990, au détriment du peuple, de la société et de l'édification nationale. Dans ce contexte, la privatisation d'Hydro-Québec a toujours été au centre des préoccupations des élites dirigeantes.

L'argument du ministre Fitzgibbon pour justifier l'augmentation de la production d'électricité par le biais de sociétés privées est qu'« il n'y a pas assez de mégawatts pour toutes les industries qui voudraient en recevoir de la société d'État », comme c'est le cas avec l'annonce en 2022-2023 de la construction d'usines américaines et sud-coréennes pour la production de composants de batteries pour les véhicules électriques (VE) à Bécancour, au Québec, et l'annonce en septembre dernier de la méga-usine suédoise Northvolt pour l'assemblage de batteries pour les VE, à McMasterville, à 35 km de Montréal.

Bien que le gouvernement affirme que la nouvelle réglementation ne permettra aux entreprises privées de vendre que des excédents en petites quantités, beaucoup d'experts ont démontré, arguments à l'appui, que c'est en fait une ouverture des écluses. Il est déjà de notoriété publique que le ministre considère que « le privé est plus efficient que l'État, en général, par définition ». De plus, l'abandon des petites centrales est précisément la façon dont les réserves d'hydroélectricité du Québec sont fragmentées, au détriment de l'édification nationale. En 2012, le gouvernement du Québec a déjà décidé d'abandonner les petites centrales aux producteurs privés « afin de se concentrer sur des projets plus importants » qui nécessitent un financement considérable et une mobilisation importante des avoirs de l'État.

Ramener le Québec à son rôle économique de « porteur d'eau et scieur de bois » est à l'ordre du jour du gouvernement « nationaliste » de la Coalition avenir Québec. Les batteries ont peut-être remplacé l'eau et le bois dans une certaine mesure, mais l'encadrement du développement économique en faveur d'intérêts privés étroits engagés dans le démantèlement des nations partout dans le monde est évident.

En septembre 2023, au nom d'une « économie verte », le gouvernement a engagé le plus gros investissement de l'histoire du Québec pour la construction et la production de l'usine Northvolt. Elle sera financée à 80 % par les gouvernements du Québec (1,37 milliard de dollars) et du Canada (1,34 milliard de dollars). À ce programme de démarrage s'ajoutent des «incitatifs à la production » qui seront offerts à Northvolt une fois qu'elle sera opérationnelle. Ces incitatifs représentent une autre somme de 4,6 milliards de dollars, dont le tiers (1,5 milliard de dollars) sera payé par le gouvernement du Québec. Au total, la facture pour le gouvernement québécois pourrait s'élever à 2,9 milliards de dollars de fonds publics au cours des prochaines années.

Le projet suscite beaucoup d'inquiétude, même au sein des cercles dirigeants, parce que le besoin de batteries électriques au lithium-ion est considéré comme moins urgent maintenant que s'amorce une récession aux États-Unis et que les prévisions de ventes de véhicules électriques sont à la baisse. Une autre source d'inquiétude est l'annonce faite ultérieurement par Northvolt qu'elle se concentre désormais sur les batteries sodium-ion pour le stockage de l'énergie. Quoi qu'il en soit, des centaines de citoyens et d'organisations environnementales et autochtones s'opposent à ce projet. Ils font remarquer que l'usine de batteries contribuera à la destruction de zones humides déjà rares, en plus d'autres dommages environnementaux. Afin d'éviter la tenue d'audiences publiques sur l'environnement (BAPE), le gouvernement a modifié les critères de manière à ce que Northvolt n'y soit pas soumise.

Transfert du secteur de la santé et des services sociaux à des intérêts privés


Des travailleurs de la santé manifestent contre le projet de loi 15 devant l'Assemblée
nationale du Québec, le 2 décembre 2023.

Dans le secteur de la santé, l'opposition se poursuit au projet de loi 15, Loi visant à rendre le système de santé et de services sociaux plus efficace, adopté sous le bâillon le 9 décembre 2023, en pleine négociation avec les travailleurs des secteurs public et parapublic. Le projet de loi de 300 pages déposé par le ministre de la Santé, Christian Dubé, contient 1 180 articles et modifie 37 lois. L'objectif principal de la « réforme de la santé » est de centraliser et de privatiser davantage la prise de décisions dans ce secteur par le biais d'une nouvelle agence, Santé Québec, créée par le projet de loi. Le ministre a demandé à des dirigeants d'entreprises telles que IBM Canada, Google Canada, Energir, Accenture, Pharmaprix et KPMG de recommander des candidats issus de leurs réseaux pour siéger au conseil d'administration de Santé Québec en tant que « top guns ». Le salaire du « top gun » en charge de la nouvelle agence sera de 652 050 $ pour ses deux premières années à la tête de Santé Québec, ce qui en fait l'un des  administrateurs de sociétés d'État les mieux payés au Québec.

Rappelons-nous qu'au moins cinq des « top guns » de SCN-Lavalin chargés de la construction des méga-hôpitaux de Montréal se sont retrouvés derrière les barreaux avec des accusations de truquage d'appels d'offres, d'abus de confiance, de falsification de documents, de corruption, de blanchiment d'argent et d'autres moyens illégaux de transférer des fonds publics à des intérêts privés.

En instituant Santé Québec comme employeur unique dans la santé et les services sociaux, le ministre de la Santé impose une restructuration des syndicats. Avec la réduction des accréditations syndicales de 136 à 4, plusieurs organisations syndicales risquent de simplement disparaître. Santé Québec se rapportera au ministre et non à l'Assemblée nationale ou au public. Le mantra néolibéral qui guide le gouvernement est que pour développer la société, toutes les ressources de la nation doivent être mises à la disposition des intérêts privés étroits qui ont également usurpé le pouvoir de décision. Le bureau du premier ministre et son conseil des ministres interviennent pour accroître les pouvoirs de police leur permettant d'éliminer les barrières aux demandes des intérêts privés étroits tout en laissant plus de latitude à l'impunité devant le peuple. Les lois qui sont adoptées donnent ensuite à tout cela un cachet légal. Le pillage des fonds publics par des intérêts privés est révélé une fois de plus.

Et pendant ce temps, l'ironie est que le directeur général des élections du Québec mène présentement une consultation visant à susciter des discussions sur les enjeux auxquels le système électoral est confronté. Le document de consultation de 172 pages appelé Pour une nouvelle vision de la Loi électorale ne contient pas un seul mot sur le problème crucial : que la Loi électorale et son processus maintiennent les citoyens à l'écart des prises de décisions. À l'heure actuelle, le peuple n'exerce aucun contrôle sur les intérêts privés étroits qui ont usurpé le pouvoir. Il faut s'attaquer à ce problème de l'absence de pouvoir du peuple pour développer une nouvelle vision de la loi électorale.

Le gouvernement a perdu l'autorité morale et la légitimité de gouverner, étant donné que les droits des citoyens sont soumis à des limites, que les travailleurs sont considérés comme jetables et que les demandes des riches sont garanties et soumises à aucune limite. Cette autorité est en contradiction avec les projets du peuple pour un Québec moderne. Les Québécois appuient massivement la lutte des travailleurs de la santé et de l'éducation parce qu'elle reflète leurs aspirations à un système de santé et d'éducation centré sur l'être humain.

C'est la lutte des travailleurs et de l'ensemble de la société qui est décisive pour changer la direction de l'économie et renouveler le processus politique pour garantir que ce soient eux qui décident sur toutes les questions qui les concernent et affectent leur vie tous les jours et pour mettre fin à la dilapidation des ressources naturelles et humaines au profit d'une infime minorité. La classe ouvrière du Québec doit s'organiser pour opposer à cette destruction nationale son propre projet d'édification national pour se constituer elle-même en nation et investir le peuple du pouvoir souverain.


Cet article est paru dans
Logo
Volume 54 Numéro 1-2 - Janvier-Février 2024

Lien de l'article:
https://cpcml.ca/francais/Lml2024/Articles/LM540116.HTM


    

Site web :  www.pccml.ca   Courriel :  redaction@pccml.ca