La nécessité de définitions modernes
Les définitions modernes de la démocratie, l'élaboration et la définition de choses telles que le peuple, l'égalité, l'appartenance à un corps politique, les mécanismes d'affirmation des droits et de responsabilité, sont plus que jamais nécessaires aujourd'hui pour bloquer l'effort des élites dirigeantes aux États-Unis et dans des pays comme le Canada pour imposer, à d'autres et à eux-mêmes, de vieux arrangements qui ne fonctionnent plus ou ne sont plus adaptés aux conditions actuelles.
Les définitions modernes de la démocratie précisent qu'il ne s'agit pas d'idéaux, mais de structures d'égalité et de constitution de la société de manière à ce que la garantie des droits de tous soit centrale tant dans le contenu que dans la forme. Ce n'est pas un hasard si le président américain Joe Biden a commencé son « Sommet pour la démocratie » en affirmant que la démocratie est une question d'idéaux et non de réalité. Il a déclaré que la démocratie américaine est « une lutte permanente pour que nous vivions à la hauteur de nos idéaux les plus élevés et que nous surmontions nos divisions; pour que nous nous engagions de nouveau envers l'idée fondatrice de notre nation », à savoir que « toutes les femmes et les hommes naissent égaux; que leur créateur les a dotés de certains droits inaliénables, parmi lesquels la vie, la liberté et la recherche du bonheur ».
Le président américain tient ces propos dans un contexte où les droits humains et le droit de vivre et d'être sont sous le feu d'un assaut violent aux États-Unis et dans le monde, les gouvernements à tous les niveaux refusant de garantir les droits humains fondamentaux en matière de santé, de logement, d'éducation, de moyens de subsistance et de conditions de vie et de travail sécuritaires, sans parler de les affirmer sur une base moderne qui ne soit pas fondée sur des considérations favorisant la propriété privée et l'enrichissement d'intérêts privés étroits.
Cette formulation selon laquelle « tous sont créés égaux » est promue dans le monde entier. Comme pour « nous, le peuple », le principal problème avec cette formule est que la référence est aux dirigeants, à l'égalité des dirigeants. Il s'agissait de leur égalité en tant que détenteurs de propriétés privées et aujourd'hui il s'agit du droit des oligarques mondiaux de faire primer leur propriété, leurs profits, leur asservissement des autres. Pour garantir ce droit, la Constitution des États-Unis consacre une structure d'inégalité, notamment en maintenant le peuple hors du pouvoir et les riches au pouvoir, une réalité qui est évidente depuis l'époque du système d'esclavage jusqu'à aujourd'hui.
Pour avoir des définitions modernes aujourd'hui, il est nécessaire que les concepts d'égalité émanent du peuple. L'élaboration de concepts modernes de l'égalité comprend la reconnaissance et l'établissement des structures de deux types d'égalité. L'une est l'égalité d'appartenance, comme l'égalité d'appartenance à l'État, à une organisation ou à un collectif. L'égalité comprend l'appartenance à un collectif donné. Elle n'existe pas séparément de cette appartenance. De plus, être un membre égal implique d'assumer la responsabilité des droits et des devoirs. Par exemple, lorsque nous disons que le peuple doit parler en son propre nom, il s'agit d'une composante essentielle de l'affirmation en tant qu'individus et collectifs aujourd'hui. Tous les êtres humains ont le droit de s'exprimer, de participer à des discussions, de décider des questions qui les concernent, de participer à la mise en oeuvre des décisions prises et d'être responsables des résultats. C'est aussi un devoir si les membres veulent affirmer leurs droits.
Les droits ne sont pas une abstraction comme dans les documents fondateurs des États-Unis. Ils ne sont pas des aspirations. Les droits existent dans leur affirmation. Ils existent sous la forme d'une réclamation à la société de ce qui nous appartient de droit. Ce sont des réclamations à la fois individuelles et collectives, faite à la société dont nous dépendons, aux organisations et aux collectifs dont nous faisons partie et par lesquels nous convions les autres à faire de même.
Puis il y a l'égalité sur la voie, la voie étant la marche en avant de l'histoire. C'est la voie de la reconnaissance et de la poursuite de la nécessité du changement. C'est l'égalité dans la transition, sur la voie, l'égalité de l'appartenance à la voie, l'égalité de saisir les ouvertures que crée le choc entre l'Autorité et les Conditions pour faire naître le Nouveau en réglant les comptes avec la vieille conscience de la société. Les définitions modernes offrent une ouverture pour le Nouveau qui harmonise les intérêts individuels et collectifs et les intérêts individuels et collectifs avec l'intérêt général de la société tel qu'identifié par les forces qui font naître le Nouveau. Cette ouverture existe ici et maintenant, aujourd'hui, et c'est une ouverture que l'histoire appelle les peuples à saisir pour résoudre les problèmes en leur faveur et conjurer les catastrophes auxquelles président les riches et les puissants.
Pour ce qui est de définir le peuple, la catégorie concerne les êtres humains (individus et collectifs) qui changent leurs circonstances. En d'autres termes, le peuple est l'agent du changement des circonstances. Un peuple est historiquement constitué et existe dans un temps et un espace déterminés, dans des conditions déterminées et avec des relations humaines déterminées. Les êtres humains ne sont pas des choses. Ils existent dans des relations, des relations sociales et, plus largement, dans des relations humaines. Nous sommes fidèles non pas à une cause en soi, mais à l'ensemble des relations humaines et à ce qu'elles révèlent, à savoir la nécessité que les peuples se donnent les moyens de renverser la situation en leur faveur. C'est la voie du progrès aujourd'hui.
En plaidant pour des définitions modernes, les êtres humains d'aujourd'hui se demandent comment démêler les intérêts individuels, collectifs et généraux – ceux de la société et de l'humanité. Ils affirment que les intérêts proviennent de la société, de l'ensemble des rapports humains, et que ces rapports devraient définir les constitutions qui créent les États-nations modernes. Aujourd'hui, dans de nombreux pays, les dirigeants affirment que l'État et les constitutions adoptées par ceux qui ont constitué la société à leur image dans le passé, définissent la société, la citoyenneté, qui est légitime et qui ne l'est pas. Cependant, ceux qui cherchent à humaniser l'environnement social et naturel sur une base moderne disent que la société est la base de l'État, et non que l'État est la base de la société. Une définition moderne reconnaît également que les individus ne sont pas des personnes abstraites, dotées d'un seul cerveau, d'une conscience individuelle dans laquelle chacun est cupide ou altruiste ou toute autre caractéristique considérée comme bonne ou mauvaise, et qui se débrouillent seules sur cette base. Les individus existent en tant qu'individus et en tant que collectifs. Chaque personne porte en elle des intérêts individuels, collectifs et généraux.
L'origine du mot intérêt est interesse, qui signifie « être entre, être parmi », êtres sociaux. L'ensemble des relations humaines est la base de l'intérêt. L'intérêt individuel est défini par cet ensemble de relations, tout comme l'intérêt collectif. Il est d'un ordre supérieur à la « personne » telle que définie couramment et qui, pour former un collectif, s'additionne. Et par cette opération irrationnelle, elle finit par écarter les rapports dans lesquels les êtres humains entrent indépendamment de leur volonté.
Une constitution démocratique établit les règles à suivre. On dit que c'est le pouvoir par le peuple, mais pour pouvoir juger de cette constitution il faut d'abord déterminer si elle convient au peuple et établir les critères qui permettent d'en décider. Aujourd'hui, des gens comme Joe Biden, Justin Trudeau et d'autres, tant à la gauche qu'à la droite officielles, parlent de la démocratie en rapport à l'autoritarisme, à l'autocratie, au totalitarisme ou au fascisme, etc. Ils ne donnent pas d'arguments permettant de déterminer si les règles, les définitions ou les constitutions et les institutions démocratiques libérales qu'ils prétendent défendre conviennent au peuple.
Une définition moderne reconnaît que, pour établir une démocratie qui convient au peuple, le moyen de résoudre les conflits est de mettre les intérêts individuels et collectifs sur un pied d'égalité, et non pas les uns au-dessus des autres. Les mettre sur un pied d'égalité signifie qu'il y a une équivalence. Les mettre sur un pied d'égalité permet d'harmoniser les intérêts de tous les individus et collectifs, et des uns et des autres, avec les intérêts généraux de la société et de l'humanité. Ce qu'il faut, c'est établir le moyen d'harmoniser les intérêts en utilisant l'ensemble des relations humaines comme point de référence, comme source de ces intérêts. Aller à la rencontre des intérêts en jeu, les identifier, les harmoniser est au coeur de la démarche pour donner à la démocratie une définition moderne.
Pour les représentants de la classe dirigeante qui occupent des positions usurpées par le contrôle du pouvoir et des privilèges, comme Joe Biden ou Justin Trudeau, la catégorie selon laquelle ce sont les êtres humains qui changent les circonstances, le peuple est la force du changement, est à rejeter. Les intérêts du peuple sont également rejetés comme catégorie. C'est pourquoi les différentes forces en présence parlent de la « spirale de la mort » de la démocratie américaine et affirment toutes, d'une manière ou d'une autre, que « la démocratie est actuellement menacée et, depuis 15 ans, elle est en déclin », comme l'a dit Joe Biden lors de son Sommet pour la démocratie.
De toute évidence, les vastes mouvements de masse aux États-Unis en faveur de l'égalité et des droits et contre le gouvernement raciste et les morts aux mains de la police ne sont pas considérés comme faisant partie de l'essor d'une démocratie populaire. Il en va de même pour les mouvements d'autres pays et de nations entières qui luttent pour leur droit d'exister. La résistance large et croissante des peuples autochtones, des immigrants et des réfugiés, des autres travailleurs et des agriculteurs, n'est pas non plus considérée comme faisant partie de la bataille de la démocratie, une bataille menée par les peuples pour améliorer la qualité et la structure de la démocratie afin qu'elle soit à leur avantage.
La question que se posent des millions de personnes dans le monde lorsqu'il s'agit de démocratie est : « qui décide ? » pour tout ce qui concerne la paix, la guerre, l'économie, la politique et la culture. Les tentatives de poser la question, d'y répondre ou de discuter de ces sujets sont constamment bloquées. C'est à cela que les peuples ont affaire dans leur mouvement de résistance aux mesures antidémocratiques, qui constitue la lutte pour la démocratie, laquelle fait aujourd'hui partie intégrante de la bataille de la démocratie elle-même, pour répondre à l'appel de l'histoire à aller de l'avant et à mettre l'autorité en conformité avec ce que les conditions exigent et suscitent.
La Constitution américaine et la démocratie qu'elle consacre ne sont en aucun égard un modèle de démocratie en ces temps modernes. La classe dirigeante du Canada l'utilise comme point de référence dans tout ce qu'elle fait, mais cela ne la sauvera pas de son destin de classe superflue, pas plus que cela ne sauvera la classe dirigeante américaine. L'expression « du peuple, par le peuple et pour le peuple » est utilisée par les forces impérialistes et réactionnaires américaines pour bloquer l'avancée de la démocratie, la création de structures, d'institutions et de constitutions qui prévoient l'égalité et la responsabilité et affirment que le peuple est le décideur et qu'aucune force n'existe au-dessus de lui.
Le concept « renouveau démocratique » qu'invoque maintenant Joe Biden ne mène nulle part. Il s'apparente davantage au renouvellement d'un abonnement à un magazine, une continuation. Il s'agit de préserver et d'étendre ce qui existe déjà. Biden et ses courtisans ont adopté le langage des forces qui luttent pour investir le peuple du pouvoir pour saboter la naissance du Nouveau contre l'Ancien, qui donne lieu à des définitions modernes, comme l'exigent les conditions actuelles.
Les définitions modernes de la démocratie reconnaissent la nécessité de mettre sur un pied d'égalité les intérêts individuels et collectifs et de les mettre en relation avec les intérêts généraux de la société et de l'humanité, de telle sorte que ces multiples intérêts soient harmonisés, soient démêlés de manière à ce que chacun y trouve son profit. C'est ce travail constant et continu pour des définitions modernes, qui inclut la discussion sur les besoins de la démocratie aujourd'hui, qui contribue à faire avancer la bataille de la démocratie. Les nombreuses batailles que les peuples mènent pour le contrôle des décisions qui affectent leur vie, pour leur droit de faire des réclamations à la société en plaçant leurs droits au premier plan, reflètent l'urgente nécessité de cette avancée – pour façonner une démocratie où le peuple, la grande majorité de ceux qui ont fait progresser les forces productives au-delà de tout ce qui avait été conçu auparavant, a le pouvoir de gouverner et de décider.
(Centre d'études idéologiques, juillet 2021. Paru dans LML mensuel du 9 janvier 2022.)
Cet article est paru dans
Volume 53 Numéro 28 - Décembre 2023
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