Au sujet de Tribute to Liberty et sa définition de victimes du communisme

– LML 18 mars 2017 –

Alide Forstmanis (née Brodelis) est la trésorière et l'ex-présidente de Tribute to Liberty (de 2008 à 2012), un groupe établi en 2008 pour faire du lobbyisme auprès du gouvernement du Canada pour la construction d'un « Monument aux victimes du communisme » à Ottawa, la capitale nationale. Elle est un des neuf membres du conseil d'administration et une des deux seules personnes avec un titre défini, l'autre étant le président Ludwik Klimkowski. Selon les données de l'Agence du revenu du Canada, l'adresse et autres informations pour contacter Tribute to Liberty correspondent à celles d'Alide Forstmanis et c'est son adresse courriel personnelle qui est donnée pour les dons de charité. Son mari est Talivaldis (Talis) Forstmanis.

Alide Forstmanis est l'initiatrice d'une pétition lancée en mars 2008 pour demander au Parlement du Canada de soutenir le projet de « Monument aux victimes du communisme », un des premiers appels publics du genre[1]. La pétition permet de voir que le but premier du monument n'est pas de commémorer les victimes mais bien de faire de la criminalisation du communisme une politique officielle de l'État et de poursuivre la cause entreprise par les hitlériens de faire disparaître le communisme de la surface de la terre. Forstmanis écrit : « La victoire de la guerre froide demeure incomplète et nous devons faire de notre mieux pour que tout le monde reconnaisse la vraie nature de cette folle idéologie. Une société libre ne peut se dire satisfaite tant que tout le monde ne reconnaîtra pas que le communisme est une voie vers la terreur et l'oppression. [...] Le communisme n'est pas une chose du passé, il fait rage dans plusieurs pays aujourd'hui et pose une menace pour l'avenir du monde libre. »

Alide Forstmanis et son mari sont de Suède, nés de parents lettons. Ils citent tous deux le fait que leurs familles ont été des « victimes du communisme » pour appuyer leur projet de monument anticommuniste. Comme la ministre des Affaires étrangères Chrystia Freeland, tous deux avaient des parents qui ont soutenu activement la guerre d'extermination fasciste et le nazisme, la mère d'Alide comme infirmière en Lettonie occupée par les nazis et plus tard en Allemagne pour soigner les soldats allemands, et le père de Talis Forstmanis en tant que rédacteur en chef d'une maison d'édition fasciste et d'un journal fasciste en Lettonie occupée.

Alide Forstmanis relate les activités de sa mère sur le site web de Tribute to Liberty où l'on trouve également un don au projet par une personne appelée Katie Subins qui se dit une « victime du communisme ». Forstmanis affirme : « Durant la Deuxième Guerre mondiale, Katie et ma mère ont fait des merveilles à soigner les soldats [nazis – note du LML] en Lettonie et en Allemagne [2]. »

Le père de Talivaldis Forstmanis était Fricis Forstmanis, aussi connu sous le nom de Fricis Dziesma[3]. Durant l'occupation nazie de la Lettonie de 1941 à 1944, Fricis était réviseur technique dans une maison d'édition antisémite et anticommuniste appelée Zelta bele et comme Michael Chomiak, le grand-père de Chrystia Freeland, il a travaillé pour un journal nazi appelé Tevija (« La patrie »)[4].

Tevija était le seul quotidien publié en Lettonie sous l'occupation nazie, soit du 1er juillet 1941 (le jour où les fascistes ont occupé la Lettonie) à octobre 1944. Le premier numéro publiait en page couverture une photo d'Adolf Hitler et annonçait : « La Lettonie est dorénavant libérée des communistes et des juifs[5]. » Il annonce aux Lettons l'occupation de la capitale, Riga, avec ces mots : « La glorieuse armée allemande a eu le plaisir de libérer la vieille Riga grise du joug bolchévique. Nous jurons de combattre avec les Lettons jusqu'à ce que nous chassions les bolchéviques de cette terre. Que Dieu bénisse la Lettonie ! »

Le journal publiait régulièrement de la propagande antisémite, antisoviétique et anticommuniste et citait Hitler et Goebbels[6]. Comme Kravivski Visti, dont le rédacteur en chef était Chomiak, Tevija a joué un rôle majeur par sa propagande pour le recrutement de groupes comme le « Sonderkommando Ar js » (le commando spécial Ar js), une unité de volontaires fascistes lettons responsable de pogroms contre les juifs, les Roms, les communistes et d'autres. Plus tard il fit la promotion de la création de divisions SS lettones nazies. Parmi elles, il y avait la 15e division SS de grenadiers (1ere lettone) créée en 1943 et la 19e division SS de grenadiers de Lettonie (2e lettone) en 1944, qui ensemble formaient la « Légion lettone ». Les unités de volontaires qui ont commis des atrocités ont plus tard été intégrées à la « Légion »[7].

Dans un éditorial caractéristique du Tevija on lit : « Finalement, le temps est venu où la presque totalité des nations d'Europe ont appris à reconnaître leur ennemi commun : les juifs. Presque tous les peuples d'Europe ont commencé la guerre contre cet ennemi, tant sur les champs de bataille que dans la construction intérieure[8]. »

Le propriétaire de la maison d'édition Zelta bele était Mi elis Goppers qui, comme Forstmanis, s'est enfui en Suède pour échapper à la justice après la défaite des nazis en Lettonie. Goppers et Zelta bele ont publié en 1942 l'ignoble fraude historique antisémite intitulée Latvia : Year of Horror (Baigais Gads), qui, avec des photos d'atrocités nazies et de faux comptes rendus, prétendait que le communisme est une conspiration juive pour déposséder la Lettonie. Le livre falsifie l'histoire de la Lettonie et de son appartenance à l'Union soviétique à la veille de la guerre et présente les actions de masse des Lettons comme une conspiration de juifs pour « annihiler rien de moins que l'âme de la nation lettone ».

Le mythe de « Baigais Gads » créé par les nazis a continué d'être répété par les collaborateurs nazis en exil et leurs descendants après la guerre et a reçu ensuite statut officiel du gouvernement letton post-soviétique. Le blog Latvian History explique les origines du mythe dans un article du 13 juin 2016 :

« Les besoins de ce mythe s'expliquent par les objectifs des nazis en Lettonie en 1941-1942. Les directives politiques nazies édictées par Adolf Hitler étaient d'éliminer les juifs et les bolchéviques de l'Union soviétique. La politique nazie était de créer l'image que l'extermination était l'oeuvre de Lettons qui voulaient se venger contre l'Union soviétique. Les Allemands n'auraient qu'encouragé leurs actions par la propagande et l'aide. [...] À la fin, le mythe crée l'idée d'un génocide letton qui doit être vengé. [Le livre Latvia : Year of Horror] contient des documents et des images choisis ou faussés, dont beaucoup d'images très crues. [...] On y raconte que la République de Lettonie, à cause de sa faiblesse et des erreurs, s'est retrouvée sous occupation soviétique dirigée par des juifs suivant leur projet de domination mondiale. Les principales campagnes de répression auraient été menées par des bolchéviques juifs. L'Allemagne nazie est arrivée comme libératrice et a secouru les Lettons du danger du bolchévisme juif et maintenant les Lettons doivent faire leur part dans la création d'une Europe nouvelle. Il n'a jamais été question de rétablir l'indépendance de la Lettonie : l'avenir de la Lettonie était avec l'Allemagne nazie. [...] Après la défaite de l'Allemagne nazie, l'« année horrible » a été vécue par l'entremise des exilés lettons. Ils en parlaient dans leurs journaux et souvent cela devenait une partie de leur identité. » Dans les années 1990, une traduction anglaise du livre a été publiée avec une nouvelle introduction, non signée, provenant du Canada, qui cite des articles du Toronto Sun répétant les mensonges hitlériens à propos de la « prédominance de juifs parmi les dirigeants bolchéviques »[9].

La brochure promotionnelle du livre contient un tas de photos avec des vignettes comme celles-ci :

- « Des prisonniers accompagnés d'une foule en majeure partie juive et la foule contrainte de manifestants arrivent dans la rue. Un prisonnier s'adresse à la foule. Son visage est clairement tordu par la haine et le désir de détruire. »

- « Des bolchéviques antigouvernementaux déportés ou échappés retournent en Suède. Inutile de dire que la majorité d'entre eux sont juifs. »

- « Les bénévoles de l'ancien Front rouge de la guerre civile d'Espagne sont accueillis par des fonctionnaires juifs. »

- « La plupart des juifs étaient en extase. Les manifestations [prosoviétiques] du 5 août se transforment en célébrations nationales juives. »

- « Des juifs demandent l'annexion de la Lettonie à l'Union soviétique. »

- « L'organisateur de la Garde ouvrière et de la Milice populaire, un homme au long dossier criminel, était le juif Isaac Bucinskis. »

- « Les juifs se servent de contacts radio avec Moscou. »

- « Ils font la queue pour de la viande kasher. Ils adorent le dieu juif cruel qui exige que des animaux soient abattus lentement et torturés suivant le rituel religieux. »

Talis Forstmanis a écrit un compte rendu pronazi de l'histoire de son père et de la Lettonie dans une lettre parue dans le National Post le 28 décembre 2015. Il y parle de l'immense perte de vies en Lettonie sous occupation nazie, notamment une majorité de juifs lettons, et en blâme les communistes. Il écrit : « Mon père avait toujours une caméra avec lui. Son meilleur ami a été torturé à mort par les communistes. Beaucoup de parents d'amis ont 'disparu' et n'ont jamais été revus. La Lettonie a perdu environ 25 % de sa population durant cette période. Ceux qui vivent encore et qui sont au courant de ces événements tragiques sont en faveur de la construction du monument aux victimes du communisme à Ottawa. Il est devenu évident que beaucoup de gens au Canada ne connaissent pas l'histoire[10]. »

Les Canadiens connaissent assez bien l'histoire de la lutte antifasciste et sont fiers de leurs contributions. Aujourd'hui, Talis Forstmanis est également trésorier de la division canadienne de Daugavas Vanagi, une organisation fondée par et pour des anciens combattants lettons de la Waffen-SS qui ont combattu pour l'Allemagne nazie durant la Deuxième Guerre mondiale et qui ont fui vers les secteurs de l'Allemagne nazie qui allaient être sous contrôle américain. Parmi les fondateurs de Daugavas Vanagi se trouve Vilis Janums, un commandant de la 15e division SS de grenadiers et décoré de la Croix de fer nazie. Un autre fondateur, Andrejs Egl tis, était correspondant de guerre à Berlin pour Tevija. Tous ont servi d'une façon ou d'une autre dans la Légion lettone nazie[11].

Comme le grand-père de la ministre Freeland, les « victimes du communisme » identifiées par la fondatrice de Tribute to Liberty ont pris une part active à l'asservissement de l'Europe au fascisme nazi et à l'holocauste. Ils ont joué un rôle important dans la propagande inhumaine qui a directement facilité le génocide de juifs européens. Ils s'identifient tous à la cause hitlérienne de balayer le communisme de la surface de la terre, cause que Tribute to Liberty reprend aujourd'hui à son compte et veut faire adopter comme politique officielle par les Canadiens et par le gouvernement du Canada.

Mais ils ne parviendront pas à en convaincre les Canadiens qui ont à coeur leur contribution à la guerre antifasciste et leurs sentiments démocratiques. Ils ont maintenant une démonstration claire que l'élite dominante veut éliminer cette contribution et ces sentiments pour leur faire accepter les plans bellicistes et anticommunistes rejetés par l'humanité. Faire passer les fascistes et les collaborateurs nazis pour des victimes du communisme ne saurait durer. Le Canada doit officiellement répudier ce projet de monument anticommuniste fasciste et toutes les tentatives de raviver le fascisme aujourd'hui, en Ukraine, en Lettonie et au Canada.

Notes

1. « Monument aux victimes du communisme à Ottawa », petitiononline.com, adressée au Parlement du Canada.

2. Sur le site de Tribute to Liberty

3. « Fricis Forstmanis (Dziesma) »

4. « Fricis Dziesma », Nekropole

5. Sur une liste d'éditeurs, Fricis Forstmanis apparaît comme responsable des illustrations. Des caricatures antisémites et antibolchéviques étaient routinières. Voir : « Anti-Semitic Nazi Propaganda in 'Tevija' Newspaper in July 1941 : The Discourse of Latvian Participation », Didzis Berzin, Archives nationales lettones, 2009

6. Voir les archives numérisées de la Bibliothèque nationale lettone.

7. Pour plus d'information sur le meurtre de juifs en Lettonie sous occupation nazie, voir : « Mass murder of Jews in Latvia », Holocaust Education and Archive Research Team, ainsi que le livre de Gertrude Schneider, Journey Into Terror : Story of the Riga Ghetto. Praeger, 2001

8. Traduit du russe

9. « The Myth of The Horrible Year », Maris Goldmanis, Latvian History, 13 juin 2016

10. Durant l'occupation fasciste de la Lettonie de 1941 à 1945, près de 400 000 Lettons ont été tués selon les données soviétiques d'après-guerre. Cela comprend 70 000 personnes de foi juive tuées par les escadrons de la mort nazis et de nombreux Roms, des Russes et des gens d'origines ethniques diverses. Plus de 150 000 soldats sont morts sur le champ de bataille pour libérer la Lettonie du joug nazi, y compris des soldats lettons de l'Armée rouge.

Selon les estimés d'une étude confidentielle de 1944 de l'OSS, précurseur de la CIA américaine, durant l'invasion nazie de la Lettonie en 1941 près de 75 000 Lettons ont cherché refuge en Union soviétique et de juin 1941 à juillet 1944 environ 60 000 Lettons ont été faits travailleurs esclaves pour l'Allemagne, tandis qu'un nombre équivalent de juifs lettons et d'autres nationalités ont été exécutés. L'OSS a répété les prétentions de la Croix rouge lettone sous occupation nazie que de 1939 à 1941, quelque 1 488 Lettons ont été exécutés et 34 340 ont été déplacés en Union soviétique.

11. Pour plus d'information, voir : E. Avotins, J. Dzirkalis, V. Petersons. Daugavas vanagi : who are they ? Latvian State Publishing House, 1963

(Cet article est originellement paru sous le titre « La définition de victimes du communisme des auteurs du projet de monument ».)


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Volume 53 Numéro 18 - Novembre 2023

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