Le Conseil de sécurité de l'ONU autorise une intervention étrangère en Haïti

Le 2 octobre, le Conseil de sécurité des Nations unies a adopté la résolution 2699 (2023), rédigée par les États-Unis et l'Équateur, autorisant une force d'intervention étrangère en Haïti. La résolution a été adoptée par un vote par appel nominal de 13 voix pour et deux abstentions – la Chine et la Fédération de Russie. L'agence de presse de l'ONU indique que le Conseil de sécurité, « agissant en vertu du Chapitre VII de la Charte des Nations unies, a autorisé la Mission, étant entendu que l'exécution de cette opération temporaire sera financée au moyen des contributions volontaires des États Membres et des organisations régionales et avec leur appui dans le strict respect du droit international ».

Il est clair que l'approbation s'est faite sans qu'une mission de contrôle ne soit précisée. Elle laisse la mise en place d'un tel mécanisme à la mission elle-même, ce qui est une recette d'impunité s'il en est. « Le Conseil a demandé à la mission de mettre en place un mécanisme de contrôle visant à prévenir les violations des droits humains et à veiller à ce que la planification et la conduite des opérations pendant le déploiement soient conformes au droit international applicable », indique l'agence de presse de l'ONU.

Les États-Unis se réjouissent d'avoir enfin réussi à donner un vernis légal à cette force d'intervention. La mission est conçue pour protéger les intérêts privés étroits que les États-Unis servent et qui sont considérables en Haïti. Elle accroît également la militarisation des Caraïbes, un intérêt stratégique de l'OTAN, dans lequel l'Équateur joue un rôle considérable en autorisant l'utilisation de ses côtes pour des exercices de guerre.

Le représentant des États-Unis au Conseil de sécurité, Jeffrey Delaurentis, a déclaré que le Conseil de sécurité « est entré dans l'histoire en autorisant la Mission multinationale de soutien à la sécurité en Haïti ». Ce qu'il a voulu dire en qualifiant la résolution d'« historique » reste à préciser. L'ambassadrice des États-Unis auprès des Nations unies, Linda Thomas-Greenfield, a également parlé d'une « résolution historique ».

Vassily Nebenzia, représentant permanent de la Fédération de Russie auprès des Nations unies, a expliqué l'abstention de son pays comme suit : « Nous sommes pleinement conscients de l'ampleur et de l'urgence des problèmes de sécurité en suspens en Haïti. [...] nous devons comprendre que le déploiement des forces armées d'un pays sur le territoire d'un autre pays (même si c'est à la demande de ce dernier) est une mesure extrême qui nécessite une élaboration approfondie. Cependant, lors de la configuration de la mission et de la préparation d'un projet de résolution correspondant du Conseil de sécurité des Nations unies, nous nous sommes retrouvés dans une situation où nos demandes justifiées de détails sur le concept de cette opération, les modalités du recours à la force, et les stratégies de retrait éventuel sont restées sans réponse. De plus, nous avons eu l'impression que cette mission non onusienne allait obtenir la légitimité d'une mission de l'ONU au moyen d'une décision mal préparée et insuffisamment réfléchie du Conseil.

« Nous comprenons tous que l'autorisation d'une opération de police en vertu du Chapitre VII est une étape sérieuse qui nécessite une connaissance complète des responsabilités et des conséquences possibles. Malheureusement, lors de l'élaboration du document, nous n'étions pas certains que c'était le cas. [..] La Russie ne peut accepter d'invoquer le Chapitre VII presque aveuglément.

« L'histoire d'Haïti a suffisamment d'expériences d'ingérences étrangères irresponsables, qui sont exactement ce qui a déclenché une spirale de dégradation que le peuple haïtien n'arrive pas à surmonter depuis des années. Autoriser un nouveau recours à la force en Haïti sans être pleinement conscient des paramètres de la mission est une chose peu judicieuse. De plus, le concept de l'opération devrait être soumis au Conseil pour approbation plutôt que d'être étudié comme un fait accompli. »

Compte tenu de tout cela, il semble légitime de se demander pourquoi la Russie n'a pas exercé son droit de veto.

Brian Wallace, ambassadeur et représentant permanent de la Jamaïque auprès des Nations unies, a approuvé la résolution au nom de la Communauté des Caraïbes (CARICOM) en déclarant que « l'urgence de ce moment ne peut être surestimée ». Il a cité l'insécurité et le besoin désespéré d'aide humanitaire pour justifier son soutien en déclarant : « C'est dans ce contexte que nous sommes appelés à agir pour aider à restaurer la sécurité et contribuer à un environnement politique, social et économique stable capable de favoriser le développement durable en Haïti. »

Sans prendre position sur les raisons pour lesquelles, après des années et des années d'aide de l'ONU et d'aide étrangère, un environnement politique, social et économique stable a échappé à Haïti, sa position ne peut pas être respectée. Suggérer, comme l'a fait Wallace, que cette intervention étrangère est la première étape pour apporter des solutions « dirigées par les Haïtiens et appartenant aux Haïtiens » est une rhétorique inacceptable compte tenu de la situation critique dans laquelle le peuple haïtien a été plongé depuis le coup d'État organisé par les États-Unis, le Canada et la France en 2004. En conclusion, Brian Wallace a déclaré : « La CARICOM accueille donc favorablement et réitère son soutien à une mission multinationale de soutien à la sécurité autorisée par une résolution du Chapitre VII du Conseil de sécurité des Nations unies, afin de fournir une assistance urgente en matière de sécurité à la police nationale haïtienne. »

En ce qui concerne la position du Canada, la Presse Canadienne a indiqué que le 3 octobre, la ministre des Affaires étrangères Mélanie Joly a informé la presse que « le Canada est en train de déterminer comment il peut le mieux aider à une intervention militaire internationale en Haïti, sans qu'il soit clair si cela impliquera un rôle militaire pour le Canada ». La Presse Canadienne ajoute :

« La ministre a mentionné s'être entretenue avec son vis-à-vis kenyan ainsi qu'avec l'ambassadeur du Canada aux Nations unies, Bob Rae, de la façon dont le Canada pourrait apporter son aide.

« Mme Joly note qu'Ottawa a toujours été impliqué sur les questions liées à Haïti, et dit qu'elle s'attend à ce que le Canada fasse plus, mais ne précise pas quel type d'aide canadienne a été offert »

« Le Canada a toujours été impliqué dans les questions liées à Haïti. Nous allons continuer de l'être. Mais nous voulons en faire plus. Alors, par conséquent, nous allons continuer (nos) conversations diplomatiques et je vous dirais que nous allons continuer aussi à soutenir des solutions qui sont par et pour les Haïtiens », a-t-elle poursuivi.

La Presse canadienne indique qu'en réponse à la demande des États-Unis de voir le Canada diriger la force d'intervention en Haïti, « le chef d'état-major de la Défense du Canada a dit aux médias en mars que les Forces armées canadiennes n'avaient pas les ressources pour être à la tête d'une telle mission ».

Le 3 octobre, l'Alliance noire pour la paix a publié une déclaration [voir ci-dessous] dénonçant l'approbation par le Conseil de sécurité des Nations unies de l'envoi d'une mission dirigée par le Kenya en Haïti. Cette déclaration a été signée par plus de 70 organisations internationales.

La force kenyane qui dirigera cette mission est internationalement connue pour ses exécutions extrajudiciaires et ses disparitions forcées commises en toute impunité. Le département d'État des États-Unis a lui-même écrit en février 2023 dans son rapport Kenya 2022 Human Rights qu'« entre juillet 2021 et le 30 juin, l'Autorité indépendante de surveillance de la police (IPOA) a reçu 180 plaintes concernant des décès résultant d'actions de la police. [La police et les responsables de l'administration pénitentiaire auraient eu recours à la torture et à la violence pendant les interrogatoires ainsi que pour punir les détenus en attente de jugement et les prisonniers condamnés. Selon les ONG de défense des droits de l'homme, les coups et blessures, l'enchaînement dans des positions douloureuses et les chocs électriques sont les méthodes les plus couramment utilisées par la police. »

Le département d'État américain a indiqué que « le site web Missing Voices, fondé par un groupe d'organisations non gouvernementales (ONG) pour suivre les meurtres et les disparitions commis par la police, a documenté 90 cas de meurtres commis par la police et trois disparitions forcées présumées au cours de l'année. L'Unité médico-légale indépendante (IMLU) a recensé 37 cas d'exécutions extrajudiciaires entre janvier et juin. [...] En avril, la coalition Missing Voices a publié son rapport annuel sur les exécutions extrajudiciaires et les disparitions forcées dans le pays. Ce rapport fait état de 30 meurtres commis par la police et liés au poste de police de Pangani à Nairobi en 2021. [...] L'IMLU a signalé 109 cas de torture entre janvier et septembre, contre 78 cas au cours de la même période en 2021. »

Le Parti communiste du Canada (marxiste-léniniste) réitère son soutien à la demande du peuple haïtien que le déploiement de cette force d'intervention étrangère n'ait pas lieu. C'est l'intervention étrangère dans les affaires d'Haïti qui soutient les régimes les plus corrompus et les plus brutaux, en utilisant les méthodes les plus corrompues et les plus brutales pour y parvenir.

Le processus de rédaction de la résolution sur Haïti

Le 22 septembre, les États-Unis ont été l'hôte d'un événement ministériel en marge de l'Assemblée générale des Nations unies pour discuter du projet de force multinationale. Lors de la réunion, le secrétaire d'État américain Antony Blinken s'est engagé à verser 100 millions de dollars pour soutenir le déploiement, sous réserve de l'approbation du Congrès, ainsi qu'un soutien logistique sous forme de renseignement, de transport aérien, de communications et de capacités médicales. Plusieurs autres pays présents auraient également annoncé des promesses de soutien.

Le site web Security Council Report indique que les négociations du Conseil de sécurité des Nations unies sur le projet de résolution ont duré un mois. Les corédacteurs ont distribué un premier projet de résolution aux membres du Conseil le 1er septembre et ont convoqué le premier cycle de négociations le 5 septembre. Les corédacteurs ont ensuite fait circuler un projet révisé le 6 septembre et ont convoqué un autre cycle de négociations le 7 septembre. Un deuxième projet révisé a été diffusé le 8 septembre, suivi d'un troisième cycle de négociations le 9 septembre. Le 14 septembre, les corédacteurs ont fait circuler un troisième projet révisé, après quoi les négociations ont été interrompues en raison de la session d'ouverture de l'Assemblée générale des Nations unies. Les membres du Conseil se sont à nouveau réunis pour un quatrième cycle de négociations le 25 septembre. Le 26 septembre, les corédacteurs ont fait circuler un quatrième projet révisé qu'ils ont placé sous procédure de silence, une période de délibération d'au moins 72 heures au cours de laquelle la résolution est affichée sur le système de documents officiels de l'ONU et une date limite est donnée pour une réponse. Le silence est rompu lorsqu'un pays soulève une objection. Dans ce cas, le silence a été rompu par la Chine. Le 27 septembre, les corédacteurs ont fait circuler un cinquième projet révisé, le soumettant à une autre procédure de silence, que la Chine a de nouveau rompue. Le 29 septembre, les corédacteurs ont fait circuler un sixième projet révisé qu'ils ont mis en bleu – il s'agit de la dernière étape de la négociation d'un projet de résolution, lorsque le texte est imprimé en bleu. La Chine a ensuite proposé des modifications supplémentaires au projet, qui a ensuite été révisé à nouveau et finalisé pour un vote le 2 octobre.

Security Council Report écrit : « Il s'avère que dans le projet de résolution final en bleu, le Conseil, agissant en vertu du Chapitre VII de la Charte des Nations unies, autorise les États membres à former et à déployer une mission multinationale d'appui à la sécurité pour soutenir les efforts de la PNH pour rétablir la sécurité en Haïti et à instaurer des conditions de sécurité propices à la tenue d'élections libres et équitables. Le projet de résolution autorise la mission pour une période initiale de 12 mois, qui sera réexaminée neuf mois après l'adoption de la résolution, et demande aux pays participants de notifier leur intention au secrétaire général. Il précise que le coût de la mise en oeuvre de l'opération sera supporté par des contributions volontaires et le soutien de pays individuels et d'organisations régionales.

« Le projet de résolution donne apparemment à la mission multinationale d'appui à la sécurité un double mandat. La première fonction est de fournir un soutien opérationnel à la PNH pour lutter contre les gangs, notamment en renforçant ses capacités par la planification et la conduite d'opérations conjointes de soutien à la sécurité. La seconde est de soutenir la PNH dans la protection des sites d'infrastructures critiques, comme les aéroports, les ports, les écoles, les hôpitaux et les carrefours clés.

« Le projet demande à la direction de la mission multinationale d'appui à la sécurité, en coordination avec Haïti et les autres pays participants, de fournir au Conseil un concept d'opérations avant le déploiement, comprenant des informations comme l'ordre de déploiement, les objectifs de la mission, les règles d'engagement, la stratégie de sortie, le nombre de personnel et les besoins financiers.

« Il s'avère que le projet de résolution autorise la mission à prendre toutes les mesures nécessaires pour s'acquitter de son mandat, mais souligne que toutes les mesures doivent être conformes au droit international, notamment au droit international des droits de l'homme. Il demande à la mission d'établir un mécanisme de contrôle pour prévenir les violations des droits de l'homme, en particulier l'exploitation et les violences sexuelles, et lui enjoint de prendre les mesures nécessaires pour prévenir et enquêter sur de tels incidents, en spécifiant un certain nombre de mesures qu'elle doit prendre à cet égard, notamment le contrôle et la formation du personnel et la mise en place des mécanismes de plainte sécurisés et accessibles. Le projet de résolution souligne également que tout soutien logistique fourni par les Nations unies à la mission doit être conforme la politique de diligence voulue en matière de droits de l'homme.

« De plus, il s'avère que le projet de résolution en bleu étende l'embargo sur les armes imposé par la résolution 2653 du 21 octobre 2022, qui a établi un régime de sanctions contre Haïti. Alors que la résolution 2653 appelait les pays à prendre les mesures nécessaires pour empêcher la fourniture d'armes aux personnes et entités désignées par le régime de sanctions, le projet de résolution en bleu étend apparemment l'embargo sur les armes à Haïti dans son ensemble, avec des exceptions pour la mission autorisée par l'ONU et les unités de sécurité haïtiennes qui travaillent à la promotion de la paix et de la stabilité dans le pays. Le Comité des sanctions 2653 peut également accorder des exceptions au cas par cas. (Actuellement, le régime de sanctions ne désigne qu'un seul individu, Jimmy Cherizier, également connu sous le nom de « Barbecue », qui dirige une alliance de gangs haïtiens appelée « Famille G9 et alliés ».)

« Il semble que les négociations du Conseil sur le projet de résolution aient été difficiles. L'un des principaux problèmes était le moment et le type d'autorisation que le Conseil devait fournir. La position initiale de la Chine était apparemment que les négociations sur cette question étaient prématurées, car le Conseil ne devait pas autoriser la mission avant d'avoir reçu des informations supplémentaires d'Haïti et du Kenya sur leur accord bilatéral régissant le déploiement, notamment des détails comme les règles d'engagement, les zones de déploiement, les ressources et la stratégie de sortie. La Chine a également fait valoir que le Conseil devrait faire preuve de prudence avant d'invoquer son autorité au titre du Chapitre VII de la Charte des Nations unies, qui concerne les mesures d'exécution, et que le Conseil n'a pas nécessairement besoin d'autoriser un déploiement convenu bilatéralement. Au lieu de cela, il peut envisager d'autres options comme l'accueillir favorablement ou l'approuver.

« Pour répondre aux préoccupations de la Chine, il semble que les membres du Conseil aient demandé au Kenya et à Haïti de soumettre au Conseil des informations sur leur accord bilatéral et sur les détails opérationnels du déploiement. Ces détails n'ont cependant pas été fournis, car les pays n'avaient pas encore atteint ce stade du processus de planification. Le Kenya a apparemment maintenu que les détails opérationnels du déploiement devaient être convenus par tous les pays participants, et pas seulement bilatéralement entre Haïti et le Kenya, et qu'il ne pouvait pas achever son propre processus national d'évaluation et d'approbation requis pour finaliser ces détails tant que le Conseil n'avait pas autorisé le déploiement. Pour cette raison, le Kenya et certains membres du Conseil ont estimé qu'une autorisation en vertu du Chapitre VII était nécessaire et qu'un produit accueillant ou approuvant rétrospectivement la force multinationale ne serait pas suffisant.

« Dans un amendement de compromis, le projet de résolution en bleu autorise la mission multinationale d'appui à la sécurité en vertu du Chapitre VII, mais exige que la mission soumette un concept d'opérations avant le déploiement. Il exige également que les pays participants informent le secrétaire général de leur intention. En outre, le projet demande à la mission d'inclure des informations sur sa stratégie de sortie dans son rapport régulier au Conseil.

« Il semble qu'une autre question difficile concerne le flux illicite d'armes vers Haïti. La Chine a apparemment proposé une formulation supplémentaire renforçant l'embargo sur les armes dans le cadre du régime de sanctions 2653 contre Haïti, ainsi que le mandat de la mission pour soutenir les efforts de la PNH pour lutter contre le trafic illicite d'armes et renforcer la sécurité des frontières. L'élargissement de l'embargo sur les armes s'est avéré litigieux et ne figurait apparemment pas dans le projet de résolution initialement mis en bleu. Toutefois, suite à l'engagement de la Chine, le projet a été révisé pour refléter cette proposition. »


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Volume 53 Numéro 12 - Octobre 2023

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