Les crimes de guerre, les nationalistes ukrainiens et l'État canadien
Le Tribunal militaire international, qui a présidé les procès pour crimes de guerre à Nuremberg, a expressément déclaré la Waffen SS, bras armé du parti nazi, organisation criminelle. Jusqu'en 1943, il n'y avait pas d'unités non allemandes de la Schutzstaffel (SS), une force de police paramilitaire. Cependant, après avoir perdu la bataille de Stalingrad, l'Allemagne nazie, de plus en plus désespérée, a regroupé des collaborateurs en divisions Waffen SS (divisions militaires de la SS) dans tous les pays occupés.
La
division SS Galicie a été fondée
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La Commission des crimes de guerre des Nations unies (CCGN), qui a commencé ses travaux en 1943, a attribué le statut de criminel de guerre aux membres des organisations qu'elle a identifiées comme étant des organisations criminelles. L'appartenance à l'organisation ou le fait de connaître la nature criminelle de l'organisation déterminait le statut de criminel de guerre. Seules les personnes qui n'avaient pas adhéré volontairement à l'organisation mais avaient été enrôlées de force étaient exclues du statut de criminel.
En octobre 1947, le représentant polonais de la CCGNU a porté des accusations spécifiques contre les membres de la Division SS Galicie ukrainienne et de l'Armée insurrectionnelle ukrainienne (UPA). Les accusations portaient sur les destructions injustifiées, la destruction de la propriété, la complicité dans la déportation, le terrorisme systématique, l'exécution d'otage et la complicité dans les assassinats de masse.On peut lire dans le bref exposé des faits rédigé par le représentant polonais à la CCGNU :
« Les personnes nommées ci-haut ont participé – selon les instructions émises par les autorités hitlériennes – à l'organisation de l'UPA (Ukrainska Powtanesa Armia – Armée insurrectionnelle ukrainienne) et du SS-Schuertzen-Galizien, qu'on a nommé plus tard 'Halyczyn'. Les deux ont participé à la déportation de la population civile polonaise, à la destruction de villages entiers et au meurtre de leurs habitants.
« Dans une lettre datée du 3 novembre 1947 à la Commission principale d'enquête sur les crimes de guerre en Pologne, on peut lire que l'enquête avait été suspendue par la Commission onusienne sur les crimes de guerre jusqu'à ce que l'information spécifique soit recueillie pour élucider la position, le niveau d'autorité et le temps passé en poste d'autorité par les principaux individus suivants accusés d'avoir commis des crimes contre le peuple polonais dans plusieurs régions... ». Le nom de sept individus y apparaît[1].
Les membres survivants de la SS Division Galizien se sont rendus aux Britanniques et ont été internés à Rimini, en Italie, une région contrôlée par les forces du Deuxième Corps polonais (qui faisait partie de l'armée britannique). Bien qu'ils aient adopté le nom de Première Division ukrainienne de l'Armée nationale ukrainienne, leur identité en tant qu'unité SS était bien connue. Par l'entremise du Vatican, les membres SS n'ont pas été déportés en Union soviétique tel que stipulé par l'accord de Yalta. Leur statut a plutôt été changé de celui de prisonniers de guerre à celui de personnel ennemi qui s'est rendu. En 1947, ils ont été autorisés à émigrer en Grande-Bretagne et plus tard au Canada. Leurs noms n'ont jamais été rendus publics, mais près de 7 100 membres du SS Galizien immigrèrent en Grande-Bretagne.
Selon Roman Serbyn, un « historien » de l'« Holomodor » ou « famine ukrainienne », dont la famille a immigré de Galicie en 1948, le Comité canadien ukrainien (CCC) a joué un rôle déterminant dans la décision prise par le gouvernement canadien en 1950 d'autoriser l'immigration de membres du SS Galizien.Serbyn raconte l'histoire suivante :
« Après s'être rendue le 8 mai 1945 aux Britanniques près de Radstadt, en Autriche, en tant que 'personnel ennemi rendu' (PER), la première division ukrainienne a été internée dans un camp près de Rimini, en Italie. Là, les soldats ont été soumis à un contrôle par les autorités britanniques et soviétiques, qui ont toutes deux innocenté la division de tout crime de guerre. Au printemps 1947, le processus de transfert de la division au Royaume-Uni commence. Le Comité canadien ukrainien et ses organisations affiliées s'efforcent d'encourager le gouvernement canadien à autoriser les membres de la division à immigrer au Canada. Le 31 mai 1950, le cabinet fédéral autorise leur immigration après s'être soigneusement assuré qu'aucun criminel de guerre ne figurait parmi les personnes souhaitant venir au Canada. Cependant, le Congrès juif canadien affirme avoir des preuves de l'implication de la division dans des crimes de guerre. Le cabinet demande alors au ministère britannique des Affaires étrangères et à la GRC des précisions sur l'histoire et l'appartenance de la division. Le 25 septembre 1950, convaincu de la justesse de sa décision antérieure, le cabinet réaffirme que les anciens membres de la division seront autorisés à immigrer au Canada. Ainsi, après de nombreuses vérifications et un examen approfondi de l'histoire de la division et de ses membres, d'anciens membres de la division sont venus au Canada en toute légalité. Pour un historique détaillé de l'immigration de la division au Canada, voir Myron Momryk, Ukrainian Displaced Persons and the Canadian Government, 1946-1952. Voir également Gordon B. Panchuk, Heroes of Their Day (Toronto, 1983). Les documents relatifs à la division, à sa sélection et à l'immigration au Canada se trouvent dans la troisième partie de ce volume[2]. »
Outre l'admission d'un nombre important d'anciens membres du SS
Galizien, le CCU a joué un rôle déterminant dans l'admission de
membres importants de l'Organisation des nationalistes
ukrainiens (OUN) et de l'UPA. Comme nous le verrons plus loin,
il existe des preuves indiscutables des crimes de guerre, des
crimes contre l'humanité et des crimes contre la paix commis par
ces trois organisations et leurs membres étroitement associés et
qui se chevauchent.
Deuxième partie : Commission canadienne d'enquête sur les crimes de guerre (Commission Deschênes)
La Commission Deschênes a été créée en février 1985 à la suite d'allégations selon lesquelles le célèbre nazi Josef Mengele avait demandé à immigrer au Canada et que le Canada savait où il se trouvait. Son rapport a été publié en décembre 1986. La chose la plus importante qu'une commission de cette nature se devait d'élucider est comment le gouvernement canadien déterminait qui était un criminel de guerre et quelle position il avait adoptée à l'égard des criminels de guerre présumés ou confirmés. Il s'agirait également de déterminer le type d'enquêtes menées, le rôle des individus et des organisations telles que le CCU dans le lobbying pour l'admission des collaborateurs nazis, et si le gouvernement a agi au mépris de sa propre loi sur l'immigration.
La Commission Deschênes n'a mené aucune enquête sur ces questions importantes. Établie à un moment charnière où aucune force ne pouvait agir comme avant, la Commission Deschênes a montré le refus total des cercles dirigeants de fournir des définitions modernes et leur volonté de renverser le verdict des peuples selon lequel la démocratie ne pouvait permettre l'existence du fascisme à la suite de la victoire de la guerre antifasciste. Au lieu de cela, ils ont profité de l'occasion pour renforcer la fascisation de l'État.
1. Le gouvernement canadien viole ses propres lois
La Commission a résumé l'état de la législation sur l'immigration comme suit : « Jusqu'en 1949, le Canada ne disposait d'aucun critère pour refuser l'immigration aux nazis et aux militaires allemands. Les autorités canadiennes imposèrent ensuite une interdiction visant les anciens membres du Parti national-socialiste, des SS (Schutz Staffel, corps d'élite de la police nazie), des Waffen SS (unités militaires tout aussi redoutables), de la Wehrmacht, ou armée régulière, ainsi que les collaborateurs. L'interdiction fut levée en 1950 dans le cas des nazis, en 1951 pour les non-Allemands enrôlés dans les Waffen SS après 1942 et en 1953 pour les Allemands âgés de moins de 18 ans au moment de leur recrutement dans les Waffen SS, de même que pour tous les individus d'ethnie allemande (Volksdeutsche) enrôlés sous la contrainte. L'interdiction globale visant les anciens combattants de l'armée allemande et des unités SS fut atténuée en 1956, en faveur des individus au passé particulièrement digne d'éloges et des anciens combattants qui avaient des parents proches au Canada. Les exclusions particulières furent totalement levées en 1962. Il ne restait plus que l'exclusion générale et imprécise visant les personnes ayant pris part à des exécutions ou ayant participé à des activités concernant les travaux forcés et les camps de concentration. »
Il convient de noter que l'immigration n'a repris que vers la fin de l'année 1947 et qu'il y a eu peu d'immigration en provenance des camps de « personnes déplacées » avant la mise en place des restrictions en 1949.
Selon la Commission, les membres de la Waffen SS n'avaient pas le droit d'entrer au Canada en 1950 lorsqu'ils ont été autorisés à immigrer. Ce fait n'a pas troublé les commissaires outre mesure. Ils n'ont même pas abordé directement la question de la légalité de l'admission des membres de l'OUN/UPA ou des unités de police nazies, si ce n'est que cette remarque d'ordre général : « Il ne semble pas qu'on ait véritablement tenté de définir la notion de collaboration pendant la période relativement courte où ces exclusions ont pu être appliquées. Par exemple, l'appartenance aux différents corps auxiliaires de police organisés par les Nazis, dont les membres étaient recrutés parmi les populations locales et qui étaient chargés de maintenir l'ordre, de neutraliser et parfois d'exécuter des individus soupçonnés d'être Juifs, partisans, etc., n'a jamais constitué un motif particulier d'exclusion[3]. »
Ces déclarations sont révélatrices du refus catégorique de la Commission d'enquêter sur quelque sujet que ce soit, par exemple par l'utilisation de la phrase : « pendant la période relativement courte où ces exclusions ont pu être appliquées ». [Notre souligné]
La Commission a indiqué que « l'interdiction fut levée [...] en 1951 pour les non-Allemands enrôlés dans les Waffen SS après 1942 ». C'est en 1951 que les États-Unis ont décidé de lever l'interdiction de l'OUN. Ce qui n'est pas expliqué, c'est comment en 1950, un an avant cette décision, tous les membres survivants de la Waffen SS Galizien ont été autorisés à immigrer au Canada. Même si toute la Division avait été enrôlée de force, ce qui est irréfutablement faux, elle n'aurait pas été autorisée à entrer au Canada en 1950. En fait, les organisations d'anciens combattants de la SS Galizien n'ont jamais prétendu qu'ils avaient été enrôlés de force. Loin de là, elles se vantent d'avoir « combattu pour leur pays » en rejoignant les SS et d'avoir combattu aux côtés de l'armée allemande pour instaurer un nouvel ordre fasciste en Europe.
2. Les impérialistes anglo-américains refusent de poursuivre les criminels de guerre
Donnant l'argument selon lequel la poursuite de criminels de
guerre de rang inférieur ne servirait à rien, le rapport occulte
complètement le fait qu'on a aidé les chefs des forces
collaborationnistes à échapper à la justice et qu'ils ont été
amenés au Canada, aux États-Unis et en Grande-Bretagne.
Comme l'a soulevé la Commission Deschênes dans son rapport de 1985, les procès pour crimes de guerre ont été arrêtés par les Britanniques et les Américains dans le cadre de leur politique de Guerre froide. On y cite une note du gouvernement britannique de 1948 dans laquelle il était expliqué que celui-ci ne poursuivrait plus les criminels de guerre parce que, à cause de la guerre froide, il était « maintenant nécessaire d'en finir avec le passé le plus tôt possible ».
Le résumé parlementaire sur la Commission Deschênes indique : « Les puissances occidentales, qui devaient faire face à la menace d'un nouvel ennemi, renoncèrent à poursuivre les derniers éléments de leurs anciens adversaires; elles consacrèrent les modestes ressources de leurs services de sécurité à démasquer les agents soviétiques et les communistes plutôt qu'à traquer les criminels de guerre nazis. La politique canadienne en matière d'immigration fut rapidement libéralisée après la guerre, et les restrictions à l'entrée des ressortissants des anciennes puissances ennemies furent systématiquement assouplies. »
C'est ainsi que la réaction mondiale, l'impérialisme américain en tête, a déclaré son refus d'accepter le verdict des peuples du monde à l'effet qu'une nouvelle définition de la démocratie était née qui ne permettait pas l'existence du fascisme. C'était la négation de la demande de nouveaux arrangements sur le plan international visant à établir que l'agression était le crime international suprême et à traduire en justice ceux qui étaient coupables de crimes de guerre, de crimes contre la paix et de crimes contre l'humanité.
Même la justification à l'effet de ne
pas poursuivre « les derniers éléments de leurs anciens
adversaires » est de la désinformation. Les puissances
occidentales n'ont rien fait d'aussi passif que de montrer leur
réticence à « poursuivre les derniers éléments de leurs anciens
adversaires ». L'impérialisme américain recherchait
activement ses « anciens adversaires » – les dirigeants et
collaborateurs nazis des pays occupés par les nazis et les
criminels de guerre – non pas pour les traduire en justice mais
plutôt pour leur permettre de fuir clandestinement, de trouver
refuge aux États-Unis pour ensuite les intégrer à l'appareil
d'État, en particulier dans les services militaires et de
renseignement.
La déclaration selon laquelle les membres de la Waffen SS Galizien ont été « blanchis » des accusations de crimes de guerre fait partie de toute cette opération, et le Canada joue son rôle. En outre, le CCU, que le gouvernement King avait mis sur pied après avoir arrêté les dirigeants de l'Ukrainian Labour Farmer Temple Association et déclaré l'association illégale, s'employait activement à faire venir ces criminels au Canada.
Dès que le vent a tourné suite à la défaite de l'Allemagne à Stalingrad, l'espoir des puissances impérialistes que l'Allemagne nazie écraserait l'Union soviétique et son projet d'édification nationale a été anéanti. La Guerre froide annonçait non pas l'émergence de la « menace d'un nouvel ennemi » mais bien le même ordre du jour visant à écraser le nouveau qui avait été engendré par la Grande Révolution d'Octobre. L'impérialisme américain a alors revêtu le manteau de l'Allemagne nazie et incorporé des scientifiques nazis de haut rang, des agents de renseignement et d'autres individus dans sa machine de guerre dans le but de réussir là où l'Allemagne nazie avait échoué.
3. Le « filtrage » et l'« élimination » des criminels de guerre
La Commission Deschênes n'a pas cherché à savoir comment le gouvernement canadien avait pu déterminer que les membres d'une organisation considérée comme criminelle, et donc comme regroupant des criminels de guerre selon le code de Nuremberg, avaient été « exonérés ». Elle n'a même pas reconnu cette difficulté, et encore moins le fait que le CCU, qui avait été formé et soutenu par l'intervention directe de l'État, demandait activement que les criminels de guerre de l'OUN/UPA et de la Waffen SS Galizien bénéficient d'un statut préférentiel en matière d'immigration. Elle n'examine même pas de manière superficielle comment ces forces, qui ont trahi leur peuple et sont responsables de la mort d'innombrables civils et de partisans antinazis, ont été « exonérées » de leur statut de criminels de guerre.
L'affirmation selon laquelle la SS Galizien a été « filtrée » montre qu'en réalité, le « filtrage » visait plutôt à identifier les partisans qui luttaient contre le fascisme et, en particulier, les communistes qui avaient combattu dans leurs rangs. En fait, non seulement le ministère de l'Immigration se préoccupait d'exclure les communistes et les partisans antifascistes, mais il favorisait sciemment l'immigration de ceux qui constitueraient une force réactionnaire et anticommuniste au sein de la classe ouvrière et de la société canadienne. Que ces gens aient commis des crimes de guerre ne préoccupe pas le gouvernement ou la GRC, pour qui la « sécurité nationale » a toujours signifié s'opposer au communisme et considérer le fascisme comme une autre variante de la société capitaliste, qui ne représente donc aucune menace pour les monopoles et le capitalisme, et donc aucune menace pour la « sécurité nationale ». Les criminels de guerre n'avaient qu'à prétendre qu'ils combattaient réellement le communisme – en d'autres termes, à répéter la propagande nazie – et ils devenaient des immigrants privilégiés.
La Commission a été utilisée pour créer une diversion et une désinformation avec l'affirmation que s'il y a eu des criminels de guerre au Canada, c'est qu'ils se sont en quelque sorte glissés dans le pays en tant qu'individus. Cela permet également de cacher le fait que ces criminels de guerre ont été reconnus par l'État comme les « leaders » de la communauté ukrainienne.
La Commission Deschênes n'a même pas jugé nécessaire d'enquêter le fait que le gouvernement canadien a admis des personnes qui étaient des criminels de guerre selon la définition du Tribunal militaire de Nuremberg. Elle n'a pas non plus reconnu la décision du Tribunal militaire international selon laquelle les SS étaient une organisation criminelle. Elle n'a mené aucune enquête sur la participation du Canada à l'admission secrète, par les États-Unis, de criminels de guerre connus en préparation de la guerre avec l'Union soviétique, même si, en 1985, l'ampleur réelle de l'accueil de criminels de guerre nazis et de leur intégration dans l'appareil militaire et de sécurité des États-Unis était bien connue.
Au lieu de cela, la Commission a commencé à recueillir des noms d'individus, pour finalement présenter une poignée de noms de quelques hommes âgés en vue d'éventuelles poursuites. Les organisations réactionnaires issues du CCU, créé et mandaté par l'État, ont été soigneusement protégées. Non seulement elles ont été protégées, mais on a dit qu'elles parlaient au nom de toutes les personnes d'origine ukrainienne au Canada. Leur affirmation scandaleuse selon laquelle une attaque contre les criminels de guerre nazis et leurs organisations était une attaque contre toutes les personnes de nationalité ukrainienne au Canada a été utilisée pour faire croire que la Commission avait semé la discorde entre les communautés juive et ukrainienne.
Le résumé parlementaire sur la Commission indique que « les audiences de la Commission ont révélé bien des faits, mais l'élément le plus passionnel des audiences et du débat public qu'elles ont suscité a sans doute été l'hostilité manifestée par la communauté juive canadienne à l'endroit des communautés de Canadiens originaires de l'Europe de l'Est et de la Baltique. Ces dernières ont craint que l'enquête ne tourne en une chasse aux sorcières contre leurs membres qui se sont révoltés contre la tyrannie du régime soviétique pendant la guerre, au point de faire alliance avec les Nazis. »
En 1986, John Sopinka, le conseiller juridique du Congrès canadien ukrainien devenu plus tard juge de la Cour suprême s'est adressé ainsi à la commission : « Je soutiens qu'il n'existe aucune preuve que les Ukrainiens étaient de près ou de loin les alliés de l'Allemagne nazie pendant la Deuxième Guerre mondiale. Non seulement les Ukrainiens n'étaient-ils pas les alliés de l'Allemagne nazie, mais ils se sont trouvés dans une position peu enviable, celle de devoir se battre à la fois contre la répression nazie et soviétique. »
De telles diffamations du peuple ukrainien sont répétées encore aujourd'hui. En réalité, on estime qu'entre 4,5 et 5 millions d'Ukrainiens ont combattu dans l'Armée rouge et beaucoup d'autres en tant que partisans. C'est l'Ukraine qui a subi le plus haut taux de mortalité aux mains des nazis proportionnellement à toute autre nation. C'est un fait incontestable que face à cette héroïque résistance, les organisations nationalistes de l'Ukraine de l'Ouest ont prêté allégeance à Hitler et ont déclaré que leur « indépendance » était liée à l'établissement d'un nouvel ordre fasciste en Europe ainsi qu'au nettoyage ethnique de tous les territoires qui feraient partie de leur « Ukraine indépendante ». John Sopinka en tire un monde imaginaire dans lequel la question est de savoir si les « Ukrainiens » étaient les alliés de l'Allemagne nazie. Au bout du compte, qui a calomnié les Ukrainiens ?
4. Les conclusions de la Commission Deschênes
Une fois établies les limites étroites de l'examen de la
question de savoir si des accusations de crimes de guerre
pouvaient être portées contre quelques individus, la Commission
s'est acquittée de cette tâche d'une manière qui garantissait
d'éviter la divulgation des organisations réactionnaires
ukrainiennes qui avaient rendu de si grands services à la
bourgeoisie et du rôle méprisable de l'impérialisme
anglo-américain et de l'État canadien. La Commission n'a tenu
aucune audience et n'a recueilli aucune preuve en dehors du
Canada, c'est-à-dire là où les crimes ont été commis. Le juge
Deschênes a établi des conditions très strictes pour la collecte
de preuves en Union soviétique et a annoncé en même temps qu'il
ne participerait pas à l'audition de preuves à l'étranger. Les
autorités soviétiques ont reçu un ultimatum quant à la manière
dont les preuves seraient recueillies en Union soviétique.
Lorsque les autorités soviétiques ont pris leur temps pour
décider comment répondre à cette demande, le juge Deschênes a
rapidement conclu que la réponse à cette demande ne serait pas
la bonne. Il s'est empressé de conclure que l'Union soviétique
avait « pris trop de temps à répondre » et qu'il n'y avait
« plus de temps » pour l'audition des preuves à l'étranger.
Avec ces décisions arbitraires, il n'est pas difficile
d'éliminer de la liste la grande majorité des criminels de
guerre présumés. Tous ceux dont l'affaire nécessitait la
collecte de preuves à l'étranger ont été rayés de la liste. Tous
les membres du SS Galizien ont été sommairement écartés et il a
été déclaré qu'ils avaient été innocentés de crimes de guerre au
moment de leur entrée sur le territoire.
Et ainsi de suite. Au bout du compte, une personne a été dénaturalisée et renvoyée en Hollande, un procès a abouti à un acquittement et la Couronne a abandonné les poursuites dans les autres affaires soumises à son examen.
En éliminant de la liste tous les membres du SS Galizien, la Commission a déclaré :
« Les membres de la division Galicia ont fait l'objet d'un contrôle individuel à des fins de sécurité avant leur admission au Canada. Les accusations de crimes de guerre de la Division de Galice n'ont jamais été étayées, ni en 1950, lorsqu'elles ont été déposées pour la première fois, ni en 1984, lorsqu'elles ont été renouvelées, ni devant cette Commission. En outre, en l'absence de preuves de participation ou de connaissance de crimes de guerre spécifiques, la simple appartenance à la Division de Galice ne suffit pas à justifier des poursuites. »
L'affirmation selon laquelle les accusations de crimes de guerre ont été enregistrées pour la première fois en 1950 est fausse, comme le montre la documentation ci-dessus, qui indique que les accusations ont été reçues pour la première fois le 23 octobre 1947. Il s'agit d'une erreur importante, car en 1947, après avoir été détenus pendant deux ans comme prisonniers de guerre, les membres de la SS Galizien ont vu leur statut modifié pour devenir des personnes déplacées, ce qui a ouvert la voie à leur immigration en Grande-Bretagne et au Canada.
Cette affirmation absurde selon laquelle tous les Canadiens
d'origine ukrainienne sont attaqués quand on accuse un
collaborateur nazi a servi de couverture à l'État canadien et
aux « dirigeants » ukrainiens réactionnaires qu'il avait
parrainés, pour continuer de prétendre qu'ils «
représentent » tous les Ukrainiens. Le CCU était en quelque
sorte la première expérience du gouvernement canadien en matière
d'accommodement des élites. Il a été mis sur pied par décret
gouvernemental alors que, dans le même temps, les organisations
culturelles, politiques et de défense créées par les
travailleurs et les agriculteurs en s'appuyant sur leurs propres
efforts étaient criminalisées, leurs dirigeants emprisonnés sans
inculpation, leurs salles et leurs presses d'imprimerie non
seulement saisies, mais remises au CCU d'Ottawa. C'est ce CCU,
parrainé et organisé par l'État, qui a tant insisté pour que les
membres de la SS Galizien et les dirigeants de l'OUN soient
autorisés à immigrer au Canada, malgré les vives protestations
exprimées à l'époque par les organisations juives et
ukrainiennes et par de nombreux autres Canadiens. Avec sa
logique brutale de guerre froide, la Commission pouvait
complètement fermer les yeux sur le fait qu'en termes de pertes
humaines, l'Ukraine a souffert de l'agression nazie plus que
toute autre nation pendant la Deuxième Guerre mondiale et que
les Ukrainiens ont combattu le fascisme allemand de manière
héroïque et à un coût énorme. Au lieu de cela, ceux qui ont
collaboré avec les nazis et qui ont eux-mêmes commis les crimes
les plus odieux sont devenus les « victimes » d'une «
chasse aux sorcières ».
Conclusion
L'enquête sur les criminels de guerre nazis au Canada a été un exercice de désinformation. Il ne s'agissait pas seulement d'occulter les crimes commis par les collaborateurs nazis, y compris ceux d'Ukraine, des États baltes et de Yougoslavie. Il en va de même pour le rôle de l'État canadien, qui a non seulement épargné aux criminels de guerre le châtiment qui leur revenait, mais a fait cause commune avec eux. Au lieu de mener une enquête objective sur les actions du gouvernement canadien et des organismes d'État, ainsi que sur la nature des crimes commis par les collaborateurs ukrainiens, la Commission a formulé des recommandations visant à porter encore plus atteinte aux droits du peuple et au droit de conscience. Sous prétexte d'empêcher l'octroi de la citoyenneté aux criminels de guerre et/ou de faciliter sa révocation, la Commission a recommandé des amendements à la Loi sur la citoyenneté et à la Loi sur l'immigration. Dans le même but, elle a recommandé que les candidats à l'immigration se voient poser des questions spécifiques sur leurs activités militaires, paramilitaires, politiques et civiles passées, et qu'une preuve écrite et signée des réponses du candidat soit conservée tout au long de sa vie. Tout cela devait créer un précédent permettant de révoquer la citoyenneté canadienne et d'expulser les citoyens. De telles mesures avaient déjà été prises au Canada, mais elles avaient nécessité l'invocation de la Loi sur les mesures de guerre, comme lors de la grève générale de Winnipeg.
Notes
1. « Short Statement of Facts, United Nations War Crimes Commission charges against German war criminals of Ukrainian origin registered number : 6697/P/U/1124, case number 1124 received October 23, 1947 », de Genocide and Rescue dans Wolyn : Recollections of the Ukrainian Nationalist Ethnic Cleansing Campaign Against the Poles During World War II , Tadeusz Piotrowski editor, McFarland & Company (2000)
2. Serbyn, Roman, « Alleged War Criminals, the Canadian Media and the Ukrainian Community », www.ukemonde.com (donne une version aseptisée de l'histoire de la Division Galicie).
3. « Les criminels de guerre : la Commission Deschênes », Rédaction : Grant Purves, Division des affaires politiques et sociales. Révisé le 16 octobre 1998. [https://publications.gc.ca/Pilot/LoPBdP/CIR/873-f.htm]
Cet article est paru dans
Volume 53 Numéro 7 - Septembre 2023
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