La soi-disant politique féministe du Canada
Jennie-Laure Sully est une organisatrice communautaire à
Montréal et militante de Solidarité Québec-Haïti.
Pour cette Journée internationale des femmes, la préoccupation qui me vient à l'esprit est l'importance de la lutte des femmes pour les travailleurs et les travailleuses, pour la classe ouvrière en général. Cette journée du 8 mars est liée aux travailleuses. Elle est liée aux femmes qui luttaient pour faire reconnaître leurs droits en tant que travailleuses et en tant que femmes.
Il y a comme une dérive en ce moment. On parle d'un féminisme qui est une espèce de féminisme néolibéral. Il n'y a pas nécessairement de lien qui est fait avec les femmes des classes populaires, avec les femmes les plus précarisées dans notre société. Il y a une tendance à vouloir dépolitiser le féminisme et même à lui enlever ses racines ouvrières.
En plus, avec tout ce qui se passe avec les guerres, on voit qu'il y a un effort pour détourner le féminisme alors que le lien entre féminisme et anti-impérialisme est important.
Je note que les féministes du sud, en Amérique latine ou au Venezuela ou en Haïti, mettent de l'avant un féminisme qui est très anti-impérialiste. Par exemple, les féministes de ces pays affirment de plus en plus leur féminisme en dehors des ONG (organisations non gouvernementales) occidentales. Il y a de grosses ONG qui sont reliées aux États-Unis ou au Canada, qui sont liées au complexe de l'aide au développement, qui arrivent et disent « on vient vous amener le féminisme ». Ces femmes n'ont pas besoin de leçons de féminisme de la part des États-Unis ou du Canada.
On voit de plus en plus un rejet d'un certain féminisme, comme Justin Trudeau qui se dit féministe, ce qui est une vraie blague pour beaucoup de féministes des Caraïbes et en Amérique latine. Le premier ministre Trudeau présente sa politique étrangère comme étant féministe et bien souvent c'est fait par le biais d'ONG féministes qui parlent d'une espèce de « soft power ». Le Canada et d'autres puissances néolibérales essaient de passer par les ONG pour avoir plus d'influence dans les pays du sud. Ils arrivent avec des programmes, où ils vont dire aux groupes féministes qu'ils vont donner des subventions à leurs groupes mais ceux-ci doivent accepter, par exemple en Haïti, les semences OGM (organismes génétiquement modifiés). Ils leur disent qu'ils doivent accepter les dons de semences qu'ils leur envoient, il faut qu'ils fassent les choses d'une certaine façon. Il y a l'imposition d'un narratif, d'une idéologie, mais cela passe par des subventions soi-disant en soutien aux femmes. Les États-Unis font la même chose.
C'est peut-être tentant de prendre cet argent-là, mais ensuite ils ont une influence sur les groupes et cela dépolitise les groupes. Ils font cela aussi avec les étudiants. Ils se sont essayés notamment au Venezuela, à Cuba, ils essaient de soudoyer les mouvements populaires. Ils essaient de dépolitiser le mouvement féministe et de faire en sorte que ce soit un féminisme néolibéral qui est favorable à leur politique étrangère, à la vision du monde occidental nord-américaine qui ne permet pas au féminisme local de se développer avec ses propres façons de faire, ses propres traditions.
Il y a des groupes de défenseurs de la terre qui ont un respect de la terre en Amérique latine et aux Caraïbes et il y a des groupes écolos financés par les grosses ONG liés à de gros gouvernements qui vont là-bas pour leur apprendre comment faire de l'écologie ! C'est une tentative d'imposer un impérialisme culturel.
Le féminisme doit être anti-impérialiste et on doit faire attention en tant que féministes pour que nos luttes ne soient pas instrumentalisées et détournées par ces puissances néolibérales qui sont aussi des puissances guerrières. Parfois elles justifient la guerre en disant qu'elles veulent protéger les femmes. En Afghanistan, elles ont fait le coup, et un peu partout au Moyen-Orient. C'est soi-disant pour le bien des femmes qu'elles font cela. Il y a toutes sorte de mensonges autour de ça.
Les travailleurs et les travailleuses doivent aussi se rappeler qu'il y a aussi une lutte à mener contre le patriarcat. Les puissants de ce monde sont généralement des hommes qui tentent de contrôler la vie même et la vie des femmes pour avoir un plus grand contrôle sur les terres et sur les ressources. On le voit quand on regarde ce qui se passe avec les femmes autochtones avec les projets de ces grands accapareurs de terres dans le grand nord et comment cela s'accompagne de violence sexuelle. On voit que leurs campagnes extractivistes dans les pays du sud s'accompagnent aussi de violence sexuelle. La lutte contre ces exploiteurs comprend nécessairement la lutte contre le patriarcat.
Cet article est paru dans
Volume 53 Numéro 3 - Mars 2023
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