Au Parlement du Canada
Les menaces proférées contre le chef du Bloc québécois mettent en évidence l'impuissance des forces de l'establishment
Le 25 octobre 2022, une longue session s'est entamée à la Chambre des communes sur une motion présentée par le chef du Bloc québécois Yves-François Blanchet sur les liens entre l'État canadien et la monarchie britannique. La majorité des députés, tout particulièrement les libéraux et les conservateurs, n'ont pas été capables d'avancer des arguments significatifs sur le sujet. Incapables d'engager une discussion pertinente ou de contribuer des arguments significatifs, ils se sont rabaissés à manquer de respect envers ceux qui ne sont pas d'accord avec eux. On peut y voir aussi, en quelque sorte, des idées préconçues profondément intolérantes et anti-québécoises envers ceux qui défendent des positions de principe, positions qui sont importantes pour les électeurs qu'ils représentent.
Le refus de débattre du rapport entre l'État canadien et la monarchie, et entre les Canadiens, les Québécois, les peuples autochtones et la monarchie, ne contribue aucunement à renforcer la démocratie canadienne qu'ils prétendent ardemment défendre.
La session s'est soldée par des menaces proférées contre le chef du Bloc québécois sous prétexte qu'il n'était pas sincère lorsqu'il a prêté allégeance au souverain pour siéger à la Chambre des communes et que, par conséquent, il devrait perdre son siège. C'est une mésinterprétation délibérée et malhonnête des propos du chef du Bloc qui expliquait que l'allégeance au roi d'Angleterre était en violation de la conscience des députés. Certains ont exigé que, puisque son serment d'allégeance au monarque au moment de siéger n'était pas, dans ses propres mots, sincère, il devrait être mis à la porte. L'attaque la plus hystérique contre le chef du Bloc est venue du secrétaire parlementaire du leader du gouvernement à la Chambre, Kevin Lamoureux.
Félicitations à Niki Ashton qui est intervenue politiquement dans le débat, expliquant les mérites de la position du Bloc. Le vote sur la motion du Bloc a eu lieu le lendemain et a été défait. Tout ce que l'on peut dire au sujet du bas niveau d'intervention des députés est que, plus on avance, plus se fait ressentir le besoin d'un renouveau démocratique du processus politique et de la modernisation du fondement constitutionnel du Canada.
Les menaces proférées par le secrétaire parlementaire étaient imprégnées d'incivilité, de diversion et d'aveuglement face au sujet du débat, qui requiert des arguments solides de la part de tous concernés, plutôt que des coups bas. Si la Chambre avait mis le député bloquiste à la porte parce qu'il a parlé librement, la crise constitutionnelle en aurait été rapidement exacerbée. Dans ce contexte, les efforts pour criminaliser les opinions à la Chambre des communes font des types comme le secrétaire parlementaire des adversaires indignes, voire même lâches.
La motion du Bloc québécois
La motion du Bloc québécois se lit :
« Que, étant donné que, (i) le Canada est un État démocratique, (ii) cette Chambre croit au principe de l'égalité de tous, la Chambre exprime son désir de rompre les liens entre l'État canadien et la monarchie britannique, et demande au gouvernement de prendre les mesures nécessaires pour ce faire. »
En appui à la motion, le chef du Bloc a essentiellement dit que le Parlement est une institution démocratique, ce qui veut dire que ce sont les citoyennes et les citoyens du Québec et du Canada qui, par l'entremise de leurs élus, une circonscription à la fois, prennent les décisions. Les électeurs choisissent les élus. Ils n'ont pas élu le roi Charles III. Et pourtant, les électeurs se font dire que même s'il s'agit du sommet tout en haut de la pyramide du pouvoir de la structure de la Constitution même du Canada, que ce n'est pas important, que ce n'est pas la priorité et que la Chambre devrait vaquer à autre chose.
Yves-François Blanchet a souligné que la question est d'autant plus importante que le chef du Canada est un chef conquérant étranger, ce qui veut dire que le Canada ne peut être vu comme un État moderne.
La monarchie n'est pas un symbole, a-t-il continué. Il en coûte 70 millions de dollars par année qui pourraient être consacrés aux aînés, au logement social, etc.
La preuve de l'importance du sujet est que pour le résoudre, il faut rouvrir la constitution. L'hésitation à l'ouvrir, a-t-il dit, vient du fait que personne n'est à l'aise avec son contenu, avec le fait, par exemple, que la couronne britannique est protégée sur le dos des Premières Nations dont les droits sont niés.
L'importance est encore plus grande pour le Québec, a-t-il ajouté, puisque le roi d'Angleterre est le roi de l'empire conquérant. C'est important, parce que les Québécois sont encore un peuple conquis, qui doit prêter une allégeance qui vient de l'époque de l'empire britannique, qui était raciste et esclavagiste.
Les milliers de gens qui dans chaque circonscription votent pour un député et par conséquent pour un chef d'État sont plus importants qu'un roi qui ne connaît rien du peuple, a-t-il dit. Les Canadiens et les Québécois ont le droit de savoir si le serment d'allégeance est envers la couronne britannique ou envers le peuple canadien.
Le chef du Bloc québécois a fait valoir que les députés
bloquistes ne peuvent pas être sincères lorsqu'ils prêtent
serment au monarque britannique puisque c'est un serment imposé,
ils sont obligés de s'y prêter s'ils veulent pouvoir s'opposer à
l'abandon de l'environnement par le gouvernement canadien dont
le véritable serment d'allégeance semble être envers les
lobbies; s'ils veulent s'opposer au manque de respect de son
gouvernement pour le Québec, pour le français, pour l'égalité et
la laïcité, etc.
Le débat qui a suivi
Dans le débat qui a suivi, les libéraux ont pris l'initiative d'abord en affirmant que de rouvrir la constitution n'est pas une priorité, que les Canadiens ont d'autres priorités en tête – les aînés, le système de santé, les emplois, etc., comme si le gouvernement canadien défendait les droits des Canadiens sur toutes ces questions. D'autres ont déclaré que la démocratie canadienne se porte bien en tant que monarchie constitutionnelle, donnant en exemple le fait que c'est la reine d'Angleterre qui a signé la constitution de 1982 et la Charte canadienne des droits et libertés, les piliers de la démocratie canadienne.
Ils ont même nié le fait que cette constitution de 1982 n'a jamais été ratifiée par le Québec, que le vieil ordre constitutionnel impose un pouvoir sur le peuple qui est au-dessus de lui et dont le fonctionnement repose sur les pouvoirs de police pour criminaliser les luttes du peuple. Ils ont prétendu que la monarchie constitutionnelle serait en fait une source de stabilité politique pour le Canada.
Les conservateurs ont repris le flambeau en répétant essentiellement que les Québécois sont préoccupés par des questions plus importantes telles que le prix de l'essence, des aliments, du chauffage, l'immigration sur le Chemin Roxham, etc.
Le NPD a poursuivi en créant une diversion mais sous un autre angle. Le premier intervenant a dit qu'il appuyait la motion qui dit que « le Canada est un État démocratique » et que nous croyons « au principe de l'égalité pour tous ». Il a ensuite créé une diversion en disant qu'il fallait s'en prendre au système électoral plutôt qu'à la monarchie, évoquant la disproportion entre le nombre de votes et le nombre de sièges à la Chambre.
Niki Ashton, cependant, membre du NPD pour Churchill-Keewatinook Aski, a présenté une tout autre perspective. Elle a dit qu'elle allait appuyer la motion du Bloc parce qu'il était nécessaire de passer à une nouvelle étape de consolidation de la démocratie en mettant fin aux liens de l'État canadien avec la monarchie britannique.
Elle a ajouté que le Canada doit examiner ses propres institutions et processus. Elle a soulevé que le besoin, par exemple, d'une réelle réconciliation avec les peuples autochtones indique qu'il faut poursuivre sur la voie de la décolonisation, ce qui veut aussi dire mettre fin aux liens entre le Canada et la monarchie britannique, un symbole du colonialisme pour les peuples autochtones et pour beaucoup qui sont venus des quatre coins du monde pour se faire une vie au Canada.
Le débat a à nouveau bifurqué lorsque les libéraux ont commencé à remettre en cause le droit du chef du Bloc québécois de siéger à la Chambre parce qu'il avait dit qu'il n'avait pas été sincère lorsqu'il avait prêté allégeance au monarque britannique. Le plus hystérique de tous à été le premier secrétaire du leader du gouvernement à la Chambre des communes, Kevin Lamoureux. Il a dit :
« Monsieur le président, je prends la parole à propos d'une question très sérieuse. Le député de Beloeil–Chambly a fait aujourd'hui une déclaration très troublante en affirmant clairement que son serment d'allégeance à la Couronne n'était pas sincère. S'il n'était pas sincère, c'est comme s'il n'avait jamais prêté serment.
« Voilà pourquoi je pense que la présidence devrait examiner s'il est légitime que le député continue de siéger à la Chambre. Nous savons tous que la Constitution stipule que chaque député doit prêter serment ou faire une déclaration solennelle et qu'enfreindre cette règle constitue une infraction très grave[1]. »
Le président de la Chambre a dit qu'il se pencherait sur la
question et reviendrait à la Chambre pour annoncer sa décision.
Le 27 octobre 2022, le président de la Chambre a rendu sa
décision, qui ne répond en rien aux points soulevés par les
députés et qui ne fait rien pour avancer la discussion sur le
sujet. Il ne fait que l'éluder en faveur du maintien du statu
quo. Il a dit qu'«en prêtant serment ou en faisant une
affirmation solennelle d'allégeance à la Couronne, les députés
prêtent serment envers les principes constitutionnels de notre
pays. Le rôle de député comporte des responsabilités et des
obligations importantes, que le serment ou l'affirmation nous
rappellent.»
Il a ensuite réitéré ses remarques du 25 octobre lorsqu'il a
«cité la troisième édition de La procédure et les usages de
la Chambre des communes et j'ai fait référence à une
affaire soulevée en 1990». Il a dit que «la présidence tient à
réitérer la conclusion qu'on trouve dans la décision sur le
sujet et rendue le 1er novembre 1990 par le Président Fraser. On
peut la trouver à la page 14970 des Débats, et je cite:
«'Votre Président n'est pas autorisé à porter un jugement sur
les circonstances dans lesquelles, ou la sincérité avec
laquelle, un député dûment élu prête le serment d'allégeance.
L'importance que revêt ce serment pour chaque député est affaire
de conscience et il doit en être ainsi.'
«Les députés de cette Chambre sont des membres honorables et la
présidence s'attend que, par leurs gestes et leurs paroles, ils
agissent comme tels.
«Dans la même décision citée du Président Fraser du 1er novembre
1990, il rappelle à la même page des Débats: 'Seule la Chambre
peut examiner la conduite de ses membres et elle peut prendre
des mesures, si elle décide que des mesures s'imposent'.
«C'est donc la Chambre elle-même qui a autorité sur ses députés.
C'est à elle, non pas à la présidence, de juger leur conduite.
Ceci étant dit, certaines questions méritent d'être abordées
avec beaucoup de circonspection. Nous avons peut-être ici un
exemple probant, de part et d'autre.»
Cet article est paru dans
Volume 53 Numéro 6 - Juin 2023
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